La foi chrétienne hier et aujourd’hui 20

FOI CHRÉTIENNE

hier et aujourd'hui

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   Si la structure dialogale de la foi nous livre une certaine image de l'homme, elle nous fait découvrir également une certaine image de Dieu.

 

L'homme ne peut entrer en contact avec Dieu que dans la mesure où il entre en contact avec ses semblables. La foi est essentiellement ordonnée au « Tu” et au « Nous”: c'est à travers cette double relation seulement qu'elle lie l'homme à Dieu.

 

Du point de vue de la structure intime de la foi, la relation à Dieu et la relation aux autres hommes sont inséparablement liées. Entre les deux, il y a corrélation et non juxtaposition.

 

Sous un autre angle, on pourrait dire: Dieu ne veut venir à l'homme que par l'homme; il ne cherche pas l'homme en dehors de ses relations sociales.

 

   Cela dit, nous serons peut‑être plus à même de comprendre, du moins à l'intérieur de la foi, un phénomène surprenant à première vue et qui pose problème pour le comportement religieux de l'homme.

 

D'après la phénoménologie de la religion ‑ fait contrôlable par tous­- on trouve apparemment dans la religion, comme dans tous les autres domaines de l'esprit humain, une grande diversité de dons.

 

Par exemple dans le domaine de la musique, à côté des créateurs, l'on trouvera des gens qui sont simplement récep­-

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p47 LE VISAGE ECCLÉSIAL DE LA FOI

 

tifs et d'autres qui restent absolument insensibles. Il en va de même, semble‑t‑il, pour la religion. On rencontre ceux qui sont «doués » religieusement, d'autres qui le sont très peu.

 

Les premiers sont extrêmement rares; ce sont des personnes qui ont une expérience religieuse directe, possédant comme un don de création dans ce domaine, en vertu d'une perception très vive du monde religieux: le «médiateur” ou le « fondateur”, le témoin ou le prophète, peu importe le nom donné par l'histoire des religions à ces hommes.

 

Ils ont le pouvoir d'entrer directement en contact avec le divin, mais ils ne représentent qu'une rarissime exception.

 

En face de ces privilégiés pour qui le divin est devenu expérience et certitude, il y a la masse des gens munis d'un sens religieux; ils sont réceptifs, sans l'expérience directe du sacré, mais avec la possibilité d'y accéder par l'intermédiaire précisément d'un homme privilégié.

 

    Ici se présente une objection: ne faudrait‑il pas que chaque homme ait la possibilité d'accéder directement à Dieu, s'il est vrai que la « religion” concerne chaque homme et que Dieu interpelle également chacun? Ne faudrait‑il pas une égalité de « chances” et une égale possibilité pour tous d'arriver à la certitude?

 

Après ce que nous venons de dire, la question parait mal posée: le dialogue de Dieu avec les hommes n'a lieu que par le dialogue des hommes entre eux.

 

La différence des charismes religieux, qui permet de distinguer les hommes en prophètes et en simples auditeurs, les oblige à se tourner les uns vers les autres et à vivre les uns pour les autres.

 

Le programme du jeune Augustin «Dieu et l'âme ‑ rien d'autre” est irréalisable, et il n'est pas chrétien. La religion, en fin de compte, ne se trouve pas chez le mystique solitaire, mais seulement dans l'interrelation de l'annonce et de l'audition.

 

Le dialogue de l'homme avec Dieu ne va pas sans le dialogue des hommes entre eux. Et peut‑être le mystère éternel de Dieu est‑il l'invitation la plus pressante et toujours renaissante pour les hommes d'établir le dialogue; celui‑ci, si brouillé et troublé qu'il soit, laisse toujours percer le Logos, la véritable Parole, d'où proviennent toutes les paroles, et que toutes les paroles essayent d'exprimer dans un effort inlassable.

 

   Cependant il n'y a pas encore véritable dialogue, là où les hommes parlent de quelque chose. Pour avoir un vrai dialogue, il faut que les hommes, au lieu de dire quelque chose « se dissent” eux‑mêmes; il faut que le dialogue devienne communication.

 

Or

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p48 « JE CROIS ‑ AMEN>'

 

lorsque l'homme se communique lui‑même, il sera toujours, d'une façon ou d'une autre, question de Dieu, car dès le commencement de l'histoire, Dieu a toujours constitué le véritable thème des discussions entre les hommes.

 

C'est dans la mesure seulement où l'homme se communique lui‑même, que le Logos par excellence s'incorpore, avec le logos humain, dans la parole de l'homme.

 

Pour cette raison, le témoignage sur Dieu disparaît, lorsque le langage se réduit à une simple technique de transmission. Il ne faut pas s'attendre à trouver Dieu dans la logistique.

 

Là se trouve peut‑être la véritable raison de nos difficultés à parler aujourd'hui de Dieu; notre langage tend de plus en plus à revêtir la forme de combinaisons matémathiques, à ne communiquer que des informations techniques et à être de moins en moins un contact à l'intérieur du Logos de l'Étre universel, contact par lequel nous touchons consciemment ou inconsciemment au Principe même de toutes choses.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon