Darras tome 8 p. 593
41. La violence de la persécution, qui tombait
principalement sur les ministres de l'Église, devait durer quatre ans encore.
Les bourreaux continuèrent dans cet intervalle à multiplier le nombre des martyrs.
Sainte Agnès, vierge romaine, est une des plus célèbres. Elle avait à peine
quinze ans; sa beauté avait frappé le fils du préfet de Rome, qui voulait l'épouser.
Mais la jeune chrétienne avait choisi Jésus-Christ pour époux. Jetée par le
préfet dans un lieu de prostitution, elle y conserva miraculeusement sa virginité. Les flammes
du bûcher dans lequel elle fut précipitée s'écartèrent autour de son corps et
le respectèrent. Enfin le glaive d'un soldat
lui trancha la tête, et réunit l'héroïque vierge à son époux immortel. Le nom
d'Agnès fut placé dans les prières du canon de la messe. Vers le même temps, sainte Sotère, vierge, l'exorciste Pierre,
Arthemius, geôlier de la prison, converti par les chrétiens captifs, sa femme Candida, sa fille Pauline et le prêtre Marcellin
souffrirent également le martyre à Rome. Le reste de l'Italie ne fut pas plus épargné. A Bologne, Agricola fut pris avec Vital, son
esclave; l'esclave fut mis en croix et exécuté le pre-
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mier, pour épouvanter le maître. On les enterra tous deux dans le cimetière des juifs, d'où saint Ambroise les retira dans la suite. A Milan, Nazaire et Celse, Nabor et Félix, Gervais et Protais, dont saint Ambroise découvrit également les reliques : à Aquila, Cantius et Cantianus, avec leur sœur Cantianilla, de la famille consulaire d'Anicius, donnèrent leur vie pour Jésus-Christ. A Naples, l'illustre évêque Januarius, si connu sous le nom de saint Janvier, versait alors ce sang qui s'est miraculeusement conservé jusqu'à nos jours comme un témoignage d'héroïsme et de foi surnaturelle. — A Augusta-Vindelicorum, dans la Rhétie (Augsbourg), une courtisane, nommée Afra, convertie à la foi, donna le spectacle d'un courage héroïque ; elle fut brûlée vive dans une île du Lech, par ordre du proconsul Gaïus. — En Pannonie, saint Irénée, évêque de Sirmium, et Victorinus, évêque de Petavium (Petaw), donnèrent leur vie pour Jésus-Christ. — En Thrace , Philippe , évêque d'Héraclée, Sévère, prêtre, et Hermès, diacre, furent brûles vifs. C'étaient les dernières étincelles de la persécution en Occident. Un revirement politique, qui devait changer la face du monde, allait bientôt remettre l'Europe occidentale tout entière aux mains de Constance-Chlore. Il était réservé à ce prince équitable, vertueux, bienveillant envers les chrétiens , d'éteindre les bûchers qui ne cessaient depuis deux ans de les dévorer par milliers. Dioclétien était venu, au commencement de l'année 304, triompher à Rome des Perses, des Égyptiens et des peuples de la Lybie. Les médailles frappées en son honneur, les arcs de triomphe élevés sur son passage, rappelaient, parmi ses autres titres de gloire, celui d'exterminateur de l'impiété chrétienne. On parodia sur le théâtre les mystères de cette religion que Dioclétien se vantait d'avoir effacée de tout l'univers. En présence de l'empereur, de toute la cour, de la populace ivre de joie, le comédien Genesius (Genès) se fit revêtir d'habits blancs, comme un néophyte, et simula avec des railleries sacrilèges toutes les cérémonies du baptême. Chacun des gestes de l'histrion était salué par les applaudissements frénétiques de la foule. Cependant l'eau tomba sur le corps de Genès, en même temps
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qu'on prononçait les paroles sacrées. L'acteur se releva chrétien. Il s'avança au bord du théâtre. « Écoutez, dit-il, auguste empereur, officiers, philosophes et peuple de Rome ! Toutes les fois que le nom de chrétien a frappé mes oreilles, il me causait une invincible horreur. Je me suis exactement instruit des mystères de cette religion détestée, pour vous en donner le divertissement; mais quand l'eau du baptême m'a touché, le ciel s'ouvrit à mes yeux et des anges resplendirent au-dessus de moi. Ils ont lu dans un livre tous les péchés que j'ai commis depuis mon enfance, les ont lavés dans l'eau dont j'ai été baptisé et m'ont ensuite présenté le livre plus blanc que la neige. » On crut d'abord que ces paroles étaient dans le rôle de Genesius et les applaudissements redoublèrent : mais le nouveau chrétien insista ; il parvint à triompher de l'incrédulité qui accueillait l'acteur. Dioclétien outré le fit frapper à coups de bâton; on étendit le martyr sur le chevalet; son corps fut déchiré par les ongles de fer ; on approchait des torches enflammées de ses blessures. Enfin il eut la tête tranchée pour le Dieu qui s'était révélé si tard à lui, mais qu'il avait si fidèlement confessé dès l'instant où il l'avait connu.
42. Le martyre de saint Genès fut le dernier qu'ordonna Dioclétien. Quelques jours après, l'empereur quittait Rome où son luxe oriental avait prêté aux railleries des Quirites. Les Césars commençaient à trouver trop austères les mœurs des Romains dégénérés. La royauté fuyait son antique capitale. Une affreuse maladie s'empara du Dalmate couronné qui avait prétendu mesurer sa puissance à celle du vrai Dieu. De retour à Nicomédie, l'esprit affaibli par les souffrances, il rencontra Galerius qui prit avec lui un ton de maître, menaçant de le faire massacrer par ses légions s'il s'obstinait à garder l'empire. On vit donc, dans une plaine qu'inondait la foule des grands, du peuple et des soldats, le vieux tyran monter sur son tribunal, et déclarer qu'ayant besoin de repos il cédait le pouvoir à Galerius. En même temps il indiqua un nouveau César : c'était Daïa ou Daza Maximin, ancien gardeur de troupeaux, fils de la sœur de Galerius. L'empereur jeta son manteau de pourpre
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sur les épaules de ce pâtre, et Dioclétien, redevenu Dioclès, prit le chemin de Salone, sa patrie (303). — Maximien-Hercule se dépouilla aussi de l'autorité souveraine à Milan, en faveur de Constance-Chlore, et nomma César, Valerius Sévère, obscur favori de Galerius, le même jour que Dioclétien accomplissait son sacrifice à Nicomédie. Maximien ayant dans la suite ressaisi la pourpre, fit inviter Dioclétien à suivre son exemple. Dioclétien répondit: «Je voudrais que vous vissiez les beaux choux que j'ai plantés à Salone, vous ne me parleriez plus de l'empire ! » Stoïques paroles, démenties par d'amers regrets. La main de Dieu s'étendit sur ces deux persécuteurs et sur leur race, dont Lactance nous a raconté la fin, dans son fameux ouvrage : De morte persecutorum. Nous raconterons bientôt les derniers crimes et la mort tragique de Maximien-Hercule. Sa femme fut jetée vivante dans l'Oronte, où il avait fait noyer tant de chrétiennes. Dioclétien, l'empereur sans empire, bourrelé de regrets et sans doute aussi de remords, ne dormait plus, ne mangeait plus, dans sa solitude de Salone : il se résolut à se laisser mourir de faim. Saint Jérôme nous apprend qu'avant d'expirer il vomit sa langue rongée de vers. L'impératrice Prisca, sa veuve, fugitive, cachée sous de misérables habits, fut reconnue, arrêtée, décapitée à Thessalonique et jetée à la mer. Que n'avait-elle eu du moins le courage de mourir comme la vierge Suzanne, sa parente, pour le Dieu qui donne à ses serviteurs des couronnes impérissables !
43. A ces changements de Césars les chrétiens ne gagnaient rien encore. En Orient, Maximin-Daïa qui recevait cette partie du monde à gouverner, ou plutôt à fouler aux pieds, n'entendait rien ni au métier des armes, ni aux choses de l'administration ; il n'apportait au service de l'empire qu'une insatiable férocité : c'était par ce côté qu'il avait séduit Galerius. Celui-ci, monstre couronné, donna au monde le spectacle d'une cruauté qui pouvait paraître nouvelle, même après Néron, Tibère et Caligula. Il nourrissait des ours domestiques auxquels il avait donné son propre nom. Il leur faisait jeter chaque jour sous ses yeux quelques chrétiens, et riait avec d'épouvantables jouissances en voyant
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broyer des membres palpitants. C'était surtout pendant ses festins qu'il s'accordait ce plaisir de bête féroce. Un autre supplice de son invention contre les chrétiens avait surtout, ses préférences , parce qu'il prolongeait davantage ses horribles spectacles. On attachait les martyrs à un poteau, et on leur mettait un feu lent sous la plante des pieds, jusqu'à ce que les chairs torréfiées se détachassent des os. Alors, avec des torches qui brûlaient sans flammes, on leur rôtissait successivement chacun des membres, en sorte que sur tout le corps il ne restât pas un endroit intact. Cependant on leur arrosait la tête avec de l'eau fraîche, on leur humectait les lèvres et l'intérieur de la bouche, de peur qu'ils n'expirassent trop tôt. On en vit résister des journées entières à ces tortures, pour la plus grande joie de Galerius qui s'abreuvait à longs traits de leurs souffrances. Le sang des martyrs continua donc à inonder l'Orient. A Aquilée, sainte Anastasie, veuve d'un ambassadeur romain en Perse, fut décapitée le même jour que le prêtre saint Chrysogone qui l'avait instruite dans la foi et soutenue au sein de sa captivité. Leurs noms furent placés tous deux par l'Église dans les prières du canon. — A Thessalonique, sainte Agape, sainte Chionie et sainte Irène furent brûlées vives. Irène, avant son supplice, avait été exposée plusieurs jours dans un lieu de débauche, où par un miracle de protection divine sa vertu fut préservée de toute atteinte. — En Cilicie, Taraque, Probus et Andronic, traînés successivement de Tarse à Mopsueste et Anazarbe pour y être interrogés par le proconsul Maxime, épuisèrent tous les genres de supplices, le chevalet, les ongles de fer, les broches rougies au feu. Aucune partie de leur corps ne resta sans blessure. Les yeux crevés, les dents brisées, la langue coupée, plus semblables à des cadavres mutilés qu'à des hommes vivants, ils furent jetés aux bêtes de l'amphithéâtre de Tarse, en présence de toute la population. Une ourse, une lionne furieuse vinrent successivement lécher leurs plaies saignantes, et se coucher à leurs pieds, en les caressant. Maxime, plus cruel que ces animaux, ordonna aux gladiateurs de trancher la tête des martyrs, qui allèrent ainsi recevoir la récompense de leur courage et de
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leur inébranlable constance. — Dans la même province de Cilicie, une pieuse chrétienne, Julitta, fut arrêtée avec son fils âgé de quatre ans, saint Gyrique ou saint Cyr. En voyant torturer sa mère, l'enfant criait qu'il était chrétien comme elle. Alexandre, le gouverneur, le saisit par un pied et lui fracassa la tête sur les degrés du tribunal. La cervelle rejaillit sur le visage de Julitta, qui ne dit que ces mots : « Merci, mon Dieu, d'avoir couronné le fils avant la mère ! » Le juge lui fit plonger les pieds dans de la poix bouillante, et déchirer le corps avec les ongles de fer. Julitta ne cessait de confesser sa foi. Enfin ce juge, ou plutôt ce bourreau, la fit bâillonner et conduire au lieu du supplice, où elle eut la tête tranchée. — Un autre martyre eut lieu à Tarse, dans des circonstances extraordinaires. Boniface, païen, et intendant d'une dame romaine, nommée Aglaé, entretint longtemps avec sa maîtresse une liaison criminelle. Touchée enfin par la grâce et résolue de changer de vie, Aglaé envoya son intendant en Orient, pour lui rapporter des reliques de martyrs. Boniface prit congé d'elle et lui dit en riant : « Si jamais on vous apporte mes restes comme ceux d'un martyr, faites leur, je vous prie, bon accueil. » En arrivant à Tarse, il trouva la place publique remplie de chrétiens à qui l'on faisait souffrir les plus horribles supplices. Frappé de ce spectacle, il s'approcha des martyrs et fut si vivement touché de leur constance qu'il s'écria : « Moi aussi, je suis chrétien ! » Le gouverneur le fit prendre et le joignit aux saints confesseurs. Son corps, recueilli par les serviteurs qu'il avait amenés avec lui, fut rapporté à Aglaé. Elle plaça ces restes précieux dans un oratoire magnifique qu'elle fit élever à cinquante stades de Rome. — A Césarée, en Palestine, Appien et Edesius, frères par la naissance et par la foi, furent jetés à la mer. Agapius fut dévoré par les bêtes de l'amphithéâtre. Théodosia, vierge, âgée de dix-huit ans, fut déchirée par les ongles de fer et noyée dans la Méditerranée. — En Syrie, sainte Domnina, et ses filles, Prosdoca et Bérénice, pour éviter les outrages auxquels on exposait les personnes de leur, sexe, coururent d'elles-mêmes au-devant de la mort et se précipitèrent dans un fleuve voisin.
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— A Amasée, le soldat Théodore confessa Jésus-Christ devant les juges qui lui accordèrent quelques heures de liberté pour réfléchir plus mûrement au parti qu'il voudrait prendre. Théodore en profita pour aller mettre le feu au temple de Cybèle. Repris et torturé longtemps sur le chevalet, il fut enfin brûlé vif. — En Egypte, plus de deux cent cinquante confesseurs furent envoyés aux mines après qu'on leur eut crevé l'œil droit et brûlé le nerf du pied gauche, afin que toute leur vie ne fût plus qu'un long martyre. — A Antioche, sainte Pélagie, vierge, voyant sa maison entourée de persécuteurs, se précipita du haut du toit. Sa mère et ses sœurs ayant appris qu'on les cherchait elles-mêmes, se jetèrent dans une rivière, en se tenant les unes les autres par la main , et s'y noyèrent. — En Palestine, trente-neuf confesseurs furent décapités en une seule exécution. Quatre autres, du nombre desquels étaient Pélès et Nilus, évêques égyptiens, furent consumés par le feu.
44. Ce long martyrologe, dont les détails sont autant de traits d'héroïsme et de foi, se déroulait pendant les quatre années 304, 305, 306 et 307. Un instant de relâche dans la persécution locale avait permis, vers l'an 305, à quelques évêques traditeurs de Numidie de se réunir à Cirtha, dans l'intention de nommer un titulaire au siège épiscopal de cette ville, devenu vacant par le martyre du précédent évêque. Ce conciliabule d'apostats qui se reprochèrent d'abord mutuellement leurs crimes et qui finirent par un pacte commun d'alliance, élut pour évêque de Cirtha un prêtre notoirement traditeur, nommé Sylvain. Par une contradiction qui pourrait sembler étrange si l'expérience n'apprenait que les hommes les plus indulgents pour eux-mêmes sont ordinairement les plus sévères pour les autres, ces mêmes évêques déposèrent, six ans plus tard, Cécilien, évêque de Carthage, sous le faux prétexte qu'il avait été ordonné par des traditeurs. — Pendant que des ministres indignes du Dieu de paix et de charité offraient au monde ce scandale, saint Pierre, successeur de saint Théonas sur le siège patriarcal d'Alexandrie, donnait à son église des canons ou règles de conduite à l'égard des chrétiens faibles qui
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n'avaient pu résister à la violence de la persécution. Ce monument de l'antique discipline de l'Église respire la mansuétude et la tendresse compatissantes du bon Pasteur. La plus longue durée des pénitences prescrites par saint Pierre d'Alexandrie est de trois ans. Elle regarde les maîtres qui avaient envoyé des esclaves chrétiens à leur place se présenter aux tribunaux des juges et y subir pour eux les tortures. Quant à ceux qui n'ont succombé que par faiblesse et pusillanimité, même sans avoir combattu, on pouvait les recevoir à la communion après une année de pénitence. — Telle est la vertu des saints, pleine de cette miséricordieuse condescendance du « Fils de l'homme qui est venu chercher, non pas les justes, mais les pécheurs. »
45. Cependant le nom, si cher à l'Église, de Constantin le Grand, commençait à surgir dans le monde. La Providence qui veillait à sa destinée le dégageait peu à peu des entraves qui semblaient devoir étouffer sa gloire naissante. Issu, comme nous l'avons dit, d'un premier mariage de Constance-Chlore avec une pieuse chrétienne, Hélène, dont nous discuterons plus loin l'origine, Constantin, après la répudiation de sa mère, sans faveur, sans protection aucune, fut réduit à s'attacher à la cour de Dioclétien. Il porta les armes en Egypte et en Perse. Sa valeur, son affabilité le rendirent bientôt populaire dans les camps. L'abdication de Dioclétien le rejeta sous la puissance de Galerius, qui, jaloux de son crédit auprès des soldats, voulut se défaire de lui, en l'excitant à se battre publiquement dans l'arène d'abord contre un gladiateur sarmate ensuite contre un lion. Constantin, sorti heureusement de ces épreuves, se déroba par la fuite aux complots de Galerius. Afin de n'être pas poursuivi, il fit couper de poste en poste les jarrets des chevaux dont il s'était servi. Il rejoignit son père à Boulogne, au moment où celui-ci, vainqueur de Carausius, s'embarquait pour la Grande-Bretagne. Constance mourut à Eboraeum (York), quelques mois après (306). Les légions, par un dernier essai de leur puissance, sans attendre l'élection du palais, proclamèrent Constantin empereur. Galerius, malgré son mauvais vouloir, fut contraint de laisser la puissance à ce rival odieux. D'autres mécomptes lui étaient ré-
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servés. Sa tyrannie avait révolté les Romains qui secouèrent le joug et donnèrent la pourpre à Maxence, fils de Maximien-Hercule. Ce dernier, sortant de sa retraite, vint se joindre à son fils, gagna à force de présents l'armée que Galerius fît marcher en Italie sous la conduite de Sévère, son collègue à l'empire, et força ce général à s'ouvrir les veines (307). Galerius en personne accourut alors avec ses légions aux portes de Rome. Il trouva cette ville fortifiée et défendue par Maximien et Maxence, qui avaient prévu son attaque. Deux légions l'abandonnèrent et il s'enfuit honteusement avec le reste, faisant ravager tout le pays sur son passage pour ôter aux deux empereurs la possibilité de le poursuivre (308). 46. Le contre-coup de ces agitations venait encore ajouter aux maux de l'Eglise, si cruellement éprouvée déjà par l'orage des persécutions et par les calomnies des philosophes. Au milieu de ces tempêtes, elle trouvait parmi ses enfants d'habiles et ardents défenseurs. L'antiquité chrétienne nous a conservé le souvenir des nombreux travaux de saint Méthodius, d'abord évêque d'Olympia, ville maritime de Lycie, puis évêque de Tyr. Saint Jérôme l'appelle l'orateur disert ; saint Épiphane, un glorieux athlète de la vérité ; saint Grégoire de Nysse, un puits d'érudition ; André de Césarée, le grand Méthodius. Il écrivait durant le cours de la persécution de Dioclétien, dont il fut lui-même une illustre victime. Son principal ouvrage fut une réfutation des quinze livres d'impiétés, de calomnies et de sarcasmes, que le philosophe Porphyre avait compilés contre la religion chrétienne. Il ne nous reste de cette œuvre capitale de saint Méthodius que des fragments cités par saint Jean Damascène. Il y avait du courage à prendre en main une pareille cause, alors que les chrétiens au ban de l'univers ne rencontraient partout que des bourreaux et des supplices. Les erreurs d'Origène, ou du moins celles qui s'accréditaient sous ce nom en Orient, attirèrent aussi l'attention de Méthodius. Il écrivit pour les combattre plusieurs traités particuliers sur la Résurrection, sur l'épisode de la Pythonisse d'Endor que Samuel fit apparaître au roi Saûl, sur le Libre arbitre et sur les Créatures. Des
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commentaires sur la plupart des livres de l'Écriture complétaient le cycle de cette vie si utile et si occupée. Tous ces ouvrages, écrits en grec, ont été perdus pour nous. La persécution qui fermait le monde aux chrétiens leur avait ouvert la voie des solitudes. On vit à cette époque le désert se couvrir de fleurs, selon l'expression des Prophètes. Déjà saint Paul, premier ermite, en 250, lors de la persécution de Dèce, avait inauguré le chemin des solitudes chrétiennes où des générations d'âmes devaient le suivre. Un autre patriarche de la vie anachorétique illustrait en ce moment le désert. C'était saint Antoine, né en Egypte de parents nobles et riches. A vingt ans, il entendit lire dans une église la parole de l'Évangile : « Si vous voulez être parfaits, allez, vendez ce que vous avez, donnez-en le prix aux pauvres et suivez-moi : vous aurez un trésor dans le ciel. » Il prit le conseil évangélique à la lettre. Le lendemain, ne possédant plus rien de l'opulent héritage de ses aïeux, il sortit de son pays et se mit sous la conduite d'un saint vieillard qui vivait depuis longues années dans la solitude. Le produit des nattes de jonc qu'il fabriquait de ses mains suffit dès lors à la nourriture de ce jeune homme habitué jusque-là aux délicatesses du luxe et de l'opulence. Il s'appliquait à étouffer tous les souvenirs du monde, et méditait constamment les Écritures qu'il réussit à posséder en entier dans sa mémoire. Le démon lutta énergiquement pour étouffer dans cette âme héroïque le germe des vertus qui devaient se développer plus tard avec tant d'éclat, pour l'honneur et l'avantage spirituel de l'Église. D'impurs fantômes, des réminiscences mondaines, la noblesse de son origine, le désir de la gloire, les plaisirs de la vie, revenaient sans cesse à la pensée du jeune anachorète qui s'enfonçait alors plus avant dans la solitude, redoublant de prières, de veilles, de jeûnes et d'austérités. Ces combats intérieurs, si connus sous le nom de « tentation de saint Antoine », se terminèrent par une éclatante victoire sur l'esprit de ténèbres. Comme il disait un jour dans l'amertume de son cœur : « Où êtes-vous, Seigneur et pourquoi m'avez-vous abandonné? » une voix lui répondit : « Je n'ai pas cessé d'être à tes côtés, j'ai voulu être
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spectateur de ton courage. Parce que tu as résisté, mon secours ne te manquera jamais. » Antoine rendit grâces à son libérateur, et le lendemain il se fixait sur une montagne reculée de la Thébaïde, au milieu de ruines abandonnées, pour vivre loin du regard des hommes des seules faveurs de son Dieu. Il y demeura vingt ans inconnu au monde. La réputation de sa sainteté lui amena alors une foule de disciples. Nous le verrons plus tard sortir de sa laborieuse retraite, guérissant les malades sur son passage, consolant les affligés, apaisant les dissensions, réconciliant les inimitiés invétérées, visitant les monastères qui s'étaient peuplés sous sa conduite, les uns à l'orient du Nil, les autres à l'occident, près de la ville d'Arsinoé. Les solitaires recueillaient ses instructions comme des oracles. « Les montagnes de la Thébaïde étaient pleines de chrétiens qui passaient les jours et les nuits à chanter les psaumes, à étudier, à jeûner, à prier, à travailler pour faire l'aumône, conservant entre eux l'esprit de paix, d'union et de charité. A la vue de ces pieux solitaires dont la conversation était toute avec le ciel, on pouvait s'écrier de nouveau : Qu'ils sont magnifiques, vos tabernacles, ô Jacob ! Que vos tentes sont belles, ô Israël ! Comme des vallons pleins de fraîcheur et d'ombre, comme des îles délicieuses au milieu du fleuve, comme des pavillons que le Seigneur a dressés lui-même ! » Ce sont les paroles pleines de saint enthousiasme qu'un tel spectacle arrachait quelques années plus tard à l'éloquent évêque d'Alexandrie, saint Athanase. Dieu préparait ainsi, dans les travaux d'une solitude féconde, les futurs soldats de la vérité, les courageux défenseurs de l'Église, les intrépides adversaires de l'Arianisme.