Augustin 11

CHAPITRE VII

 

1. Augustin écrit pour Honorat de la secte des manichéens, le livre sur l’Utilité de la foi. - 2. Puis le livre des Deux âmes contre les mêmes manichéens. - 3. Dans une discussion publique il confond Fortunat prêtre manichéen. - 4. Il réfute Adimante disciple de Manés.

 

      1. Bien «Augustin, par l'ordre de Valère

prêchât au peuple d'Hippone, et s'acquittât avec soin des autres charges de son ministère, ses occupations ne l'empêchèrent pas d'instruire l'Église entière, par les ouvrages qu'il publia. Les premiers furent dirigés contre les manichéens, très nombreux dans les environs d'Hippone la Royale; il y combattait un prêtre manichéen du nom de Fortunat, qui avait infesté du venin de la doctrine perverse nombre d'habitants du pays et d'étrangers (2). Il dédia son premier livre à son ami Honorat que retenaient encore les filets qui avaient autrefois enlacé Augustin lui-même(3). Honorat, doué d'un esprit vif, reconnaissait bien toute la faiblesse de la plupart des arguments des manichéens, et se sentait agité par les mêmes

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(1) Lettre xxii, n. 1-6. (2) Retract., I, eh. xiv. (3) De l'utilité de la foi, n- 2.

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flots, les mêmes soucis et les mêmes inquiétudes qui avaient autrefois tourmenté l'âme d'Augustin. Mais il avait été trompé par les fallacieuses promesses des manichéens qui s'engageaint à n'avancer rien que de clair, d'évident et de manifeste. Il se riait aussi de la règle de la foi catholique qui commande aux hommes de croire, sans attendre que la raison leur démontre la vérité de ce qu'ils croient; c'était entraîné par la fausse espérance de la vérité et sans céder à la pensée d'un avantage temporel, qu'il demeurait attaché à l'erreur, en sorte qu'il était plutôt trompé par les hérétiques qu'hérétique lui-même. Augustin crut qu'il pourrait l'amener à la connaissance de la vérité, par la même voie qui l'y avait conduit lui-même. C'est dans ce but qu'il lui écrivit un livre remarquable intitulé : De l'utilité de la foi, pour lui montrer la témérité et le sacrilège des manichéens qui s'élèvent contre ceux qui, en suivant l'autorité de la foi catholique, se préparent à l'intelligence des mystères, et en croyant ce que leur esprit ne peut pas comprendre encore, purifient leur cœur pour recevoir les rayons de la lumière divine. Dans cet ouvrage, il ne traite que cet argument. S'il jugeait que la réfutation des fables inventées par les manichéens et un discours fort étendu sur les doctrines de l'Église catholique pussent être utiles au salut d'Honorat, il le réserve pour d'autres ouvrages; et d'ailleurs, il y avait pourvu dans d'autres volumes déjà parus. Il l'avertit qu'il lui parlera, comme un ami à son ami, dans un style simple, c'est-à-dire, autant qu'il le pourra en laissant de côté les profondeurs de la science qu'il avait admirées dans d'autres très savants hommes (1). Il ajoute aussi que, d'ailleurs il n'était pas encore assez versé dans les lettres sacrées pour agir autrement. Il avait prié Dieu que cet ouvrage fût utile à Honorat, et à tous ceux dans les mains de qui il pourrait tomber : «J'espère qu'il en sera ainsi, parce que, si je ne me trompe moi-même, je n'ai pris la plume que dans la pensée charitable d'être utile, non point dans le but d'acquérir une vaine réputation, ni pour céder au besoin d'une puérile ostentation. Dieu sait, lui qui connaît tous les secrets de ma conscience, que, dans mes paroles, je ne veux mettre aucune malice; je crois qu'on doit prendre tout ce que je vais vous dire comme dicté par le désir de prouver la vérité, pour qui seule, j'ai résolu de vivre depuis longtemps déjà et avec une incroyable sollicitude. Après m'être engagé avec vous si facilement dans les sentiers de l'erreur, puisse-t-il ne m'être pas aussi difficile, pour ne rien dire de plus, de suivre avec vous la droite voie ! Mais j'ose me flatter que Celui à qui je me suis consacré ne m'abandonnera pas dans l'espérance que je nourris de vous voir entrer avec moi, dans les sentiers de la sagesse ; je l'attends de Celui que je m'efforce jour et nuit de contempler et je le lui demande souvent avec larmes, à la pensée de mes péchés et en songeant que par suite de mes habitudes d'autrefois, j'ai l'œil de mon âme blessé par les atteintes de mes anciennes erreurs. Qu'il ne m'abandonne point si je ne sais pas ce que c'est que feindre, si je ne cède qu'à ma pensée de devoir, si j'aime la vérité, si je fais un cas particulier de l'amitié, si je ne crains rien tant que de vous voir vous tromper (52). » L'événement répondit aux désirs et aux travaux d'Augustin, si toutefois cet Honorat est, comme on le pense, celui qui, vers l'an 412 , envoya de Carthage à Augustin, différentes questions à éclaircir.

2. Après le livre sur l'Utilité de la foi, Augustin en fit un Sur les deux âmes (3), que les manichéens prétendent exister dans l'homme, l'une bonne, l'autre propre au corps et de la nation des ténèbres qu'ils opposent à Dieu. Ils attribuent à la première tout ce qu'il y a de bien dans l'homme et, tout ce qu'il y a de mal à la seconde. Il montre la fausseté de cette opinion et les raisons qu'il fait valoir ont d'autant plus de poids et de force, pour toucher et persuader qu'il les expose, non par forme de discussion , mais avec des gémissements, à la pensée que pendant qu'il était trompé lui-même par les manichéens il n'avait pas voulu recourir à ces

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(1) Il -

      '1d- Il- 10- (2) Rid., n. 1-4 (3) Refracl., 1, eh. 15,

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 raisons, comme il fait voir qu'il aurait pu le faire; car elles sont puisées dans sa propre nature et dictées par le sens commun (1). Il dit que c'est l'habitude du péché qui l'empêche de voir des vérités si évidentes et qu'il se trouve maintenant, par rapport à ses amis les plus chers, dans les mêmes sentiments qu'il n'avait point pour lui-même quand il se trouvait dans le péril. Aussi termine-t-il son ouvrage en priant et en suppliant Dieu de le tirer de l'erreur par le secours de la grâce qu'il a lui-même expérimentée et, en priant ainsi, il reconnaît non seulement que les convertis sont aidés par la grâce divine pour faire des progrès dans le bien; mais encore que leur conversion dépend entièrement de cette grâce (2). Il fait espérer dans ce travail, qu'il montrera dans d'autres ouvrages comment nos Saintes Écritures peuvent être vengées des attaques des manichéens, ce qu'il fit particulièrement dans son livre contre Fauste. Dans ce même ouvrage, il y a plusieurs endroits que les pélagiens et les autres adversaires de la grâce ont essayé de tirer à leur sens. Julien, en particulier, écrivant contre Augustin, s'écrie dans un transport de joie, en citant un passage de ce livre : «Quel or brillant au milieu du fumier ! Pourrait-il sortir rien de plus vrai et de plus exact d'une bouche même orthodoxe ?» Mais Augustin montre lui-même que ces passages ne sont nullement en leur faveur (3). On doit attribuer les livres de l'Utilité de la foi et des Deux âmes, à l'année 391 ou 392, puisque Augustin les place avant sa discussion avec Fortunat, du 28 août 392.

3. Nous avons déjà dit que ce Fortunat était prêtre manichéen. Comme il vivait depuis très longtemps près d'Hippone la Royale, il y avait séduit tant d'habitants que, à cause d'eux, il voulut se fixer dans cette ville (4). A la fin, tous les catholiques de cette cité, les étrangers qui s'y trouvaient et les donatistes même, allèrent trouver Augustin en le priant de discuter sur la loi avec Fortunat, qu'ils regardaient comme un homme instruit. Augustin, toujours prêt à rendre raison de sa foi, de l'espérance et de la confiance qu'il avait placées en Dieu, et, d'ailleurs, capable de prêcher la saine doctrine et de confondre ceux qui l'attaquaient, ne se refusa pas à cet entretien, mais il s'informa si Fortunat y consentait aussi de son côté. On alla aussitôt en poser la question à ce dernier, en le suppliant de ne point refuser cette conférence. Comme il avait appris à connaître à Carthage quel terrible adversaire était Augustin, alors qu'il était encore dans la secte des manichéens, il hésita longtemps avant de s'y résoudre. Mais il ne put résister à leurs prières, surtout à celles des manichéens, dans la crainte qu'en refusant ce combat, il n'avouât tacitement la faiblesse de sa cause. Il promit donc de descendre dans l'arène et de combattre pour sa foi, pour sa secte, pour sa religion (5). On convint du jour et de l'endroit. On devait discuter, par des arguments de raison, s'il peut y avoir deux natures coéternelles et contraires, comme le prétendaient les manichéens . Comme ces hérétiques retranchaient à leur gré plusieurs endroits des Écritures, il était très difficile de les convaincre par l'autorité. On s'assembla à Hippone, aux bains de Sossius, le 24 août de l'année 392, au milieu d'une affluence considérable d'hommes instruits et de plusieurs autres poussés par le désir de s'instruire eux-mêmes, ou par la curiosité (6). D'après la fin des actes de cette conférence, on pourrait croire que, les fidèles seuls qui avaient reçu le baptême, assistèrent à la discussion le second jour de la conférence (7) . Cependant, d'après Possidius, il y eut aussi des manichéens, quand Fortunat fut réduit à garder le silence (8). Il est même à peine croyable qu'il ait pu en être autrement. Des notaires, comme dans les actes publics, recueillaient les paroles de l'une et l'autre partie. Augustin pressa Fortunat par l'argument qu'il tenait de Nébride : «Si Dieu n'a pu rien souffrir de la nation des ténèbres qu'ont inventée les manichéens, parce qu'il est inviolable, il n'a pas dû envoyer sur cette terre, pour les faire souffrir, les âmes, c'est-à-dire, d'après leur croyance, une partie de sa propre substance. Si, au contraire,

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(1) PossiD., ch. IV. (2) Rétract., I. ch. xv. n. 8. (3) Olieî,z*s Împer. 1, ch. XLIV, ri. 5. (4) Relract., 1, ch, ,,vi. (5) PosSID. Ch. VI. (6) Centre Foriunat,eh. I, n. 1. (7) Ibid., ci,. ii, 11. 37 (8) POSSID, ch. VI.

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il a pu souffrir quelque chose, il n'est donc pas inviolable. » Il voulait, par là, l'amener à reconnaître que le mal émane du libre arbitre de la volonté; tandis que Fortunat s'efforçait de faire croire que la nature du mal et des ténèbres était coéternelle avec Dieu même. Il poursuivit la discussion jusqu'à ce que Fortunat fut obligé d'articuler le blasphème de dire que : « La parole de Dieu est garrottée dans la nation des ténèbres.» Tous les assistants frémirent d'horreur en entendant ces mots et on se sépara; mais le surlendemain on reprit l'entretien sur le même sujet, et Augustin serra son adversaire de si près que ce dernier le pria de lui suggérer la réponse qu'il pouvait faire, confessant que pour lui, il ne trouvait rien à dire. Augustin lui dit qu'il allait lui exposer la foi catholique si les auditeurs le permettaient et le voulaient; mais Fortunat répondit qu'il allait faire part du raisonnement à ceux de sa secte, réputés les plus habiles, en s'engageant, s'ils ne pouvaient le satisfaire, à pourvoir au salut de son âme et à étudier la foi catholique que lui offrait Augustin. La conférence ayant eu cette issue, ceux qui faisaient grand cas de l'érudition et de la science de Fortunat, trouvaient qu'il n'avvait pas été de force à défendre son erreur. Quant à lui, qui avait promis d'embrasser la foi catholique, ne pouvant supporter la honte dont il avait été couvert en public, il quitta la ville peu de temps après, pour n’y plus revenir. Augustin eut soin de publier cette conférence. Dieu favorisant ses pieux travaux, tous ceux qui avaient assisté à la conférence ou qui en lurent les actes, abjurèrent l'erreur et embrassèrent la foi catholique, la seule vraie et orthodoxe (1), Peu de temps après les manichéens envoyèrent à Hippone un autre prêtre de leur secte, dont on ignore le nom. Il y a lieu cependant de croire que ce fut le même Félix que celui dont nous parlerons à l'année 404. Augustin lui écrivit et lui fit le raisonnement dont Fortunat n'avait pu se tirer, en lui disant en même temps qu'il devait ou résoudre la question ou se retirer.

4. Mais, pour ne pas séparer ce qu'Augustin écrivit contre les manichéens, n'étant encore que prêtre, nous devons parler ici de son livre contre Adimante (2), bien qu'il ne vienne qu’après quelques opuscules dont nous n'avons pas encore parlé. Cet Adimante, ou Addas, était un des premiers et un des plus illustres des disciples de Manès. Il avait falsifié plusieurs passages des deux Testaments pour les présenter habilement, comme étant en contradiction entre eux, et il en concluait qu'ils n'avaient point été inspirés par le seul vrai Dieu. Les écrits d'Adimante étant tombés dans les mains d’Augustin, il crut devoir les réfuter, et, dans un livre écrit dans ce but, il démontra le parfait accord des deux Testaments dans les passages qu'Adimante prétendait être contraires. Dans ce livre, il répond plusieurs fois aux mêmes questions parce que les premières réponses qui s'étaient trouvées perdues se retrouvèrent plus tard. Il résolut aussi, dans ses sermons au peuple, quelques-unes des difficultés proposées par Adimante (3) ; mais il en laissa sans réponse quelques autres, en très petit nombre, en partie par oubli, en partie à cause des pressantes affaires qui l'occupaient.

 

CHAPITRE VIII

 

1. Concile général de toute l'Afrique tenu à Hippone. Augustin y expose le symbole de la Foi. - 2. Il écrit à Jérôme. -S. Il publie son Commentaire littéral sur la Genèse, un livre incomplet. - 4. Puis le sermon du Seigneur sur la montagne. - 5. Il écrit sur l'épitre aux Romains. - 6. Et sur celle aux Galates. - 7. Opuscule sur le mensonge.

 

   1. L'an du Christ 393, le 8 octobre, s'assembla un concile à Hippone, dans l'Eglise de la Paix, dont Augustin fait souvent mention (4), et qui est probablement la même que celle qu'on appelait la Basilique Majeure. Ce fut un concile général de toute l'Afrique, auquel présida certainement Aurèle, puisqu'il occupait alors le siège de Carthage. Déjà Augustin s'était acquis alors une grande réputation, car,

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(1) Ibid., (2) Retract., I, eh. xxi. (3) Se, m., xii, n. 1-2. (4) Lettre ccxnr, n. i.

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quoique deux ans auparavant on n'avait pas encore ouï parler d'un prêtre portant la parole en présence d'un évêque, il reçut, des évêques eux-mêmes, l'ordre de disserter sur la foi et sur le symbole, dans cette célèbre assemblée. Cédant aux instances pressantes de ses amis, il continua cette dissertation dans un livre que nous avons encore (1). Dans cet ouvrage, il expose l'un après l'autre tous les articles du symbole, qu'il ne cite pas néanmoins dans les termes qu'on le faisait apprendre aux catéchumènes, peut-être parce qu'il était défendu, ou parce que ce n'était pas la coutume d'écrire le symbole autrement que dans le cœur et dans la mémoire (2). Dans ce même livre, il attaque, en divers endroits, les manichéens, sans les nommer toutefois. Si la gloire d'Augustin faisait plus de plaisir à Valère qu'a tous les autres, elle lui donna en même temps aussi de vives inquiétudes; car, plus il l’aimait tendrement, plus il craignait de le voir enlevé à l'Église d'Hippone, pour  être placé à la tête d'une autre Église; ce qui serait arrivé en effet si Valère, qui avait eu connaissance de ce qui se tramait, ne l'avait si bien caché que ceux qui le cherchaient ne purent jamais le trouver. Instruit par cette expérience, le saint vieillard s'occupa de l'associer à son épiscopat de son vivant. Nous dirons plus loin comment cela se fit. On ne peut douter que le concile d'Hippone, dont nous venons de parler, fit plusieurs statuts qui sont encore, en grande partie, dans les trente-trois premiers canons de la collection africaine. Ce premier concile général de toute l'Afrique paraît avoir été assemblé par Aurèle, pour rétablir la discipline ecclésiastique affaiblie dans cette immense province, et il n'est pas douteux qu’Augustin ne se soit employé plus que tous les autres pour faire accepter les décrets du concile. Baronius appelle ce concile « Archétype, » parce que tous les autres qui eurent lieu dans la suite en Afrique, y firent plusieurs emprunts auxquels ils ajoutèrent ce que l'expérience indiquait comme devant être plus salutaire.

2. Baroinius rapporte à cette année 393, le départ d'Alype pour la Palestine. S'il n'était pas encore évêque, il était déjà digne de l'être (3). Nous verrons, en effet, qu'il l'était devenu lorsqu'il écrivit à Paulin en 394 (4). Nous ne savons rien de ce voyage, si ce n'est qu'Alype vit Jérôme (5), qui, depuis 386, vivait à Bethléem. Il, s'y était fait une grande renommée par différents écrits, par ceux surtout où son génie explique les textes sacrés. C'est par cette retraite paisible et par son goût pour les lettres, que Jérôme s'était fait d'abord connaitre à Augustin. Connu de lui par les œuvres de son esprit il n'avait plus qu'à en être connu de visage. Ce n'était pas ce qu'il y avait de plus grand dans Jérôme ; cependant, tel était le caractère d'Augustin, qu'il ressentait le plus ardent désir de voir ceux qu'il aimait (6). Mais ce qu'il ne put faire par lui-même, il le fit par Alype, avec qui il ne faisait qu'un cœur. Il vit donc Jérômne  par les yeux de son  ami intime, et par le récit qu'il lui en fit à son retour. Quant à Jérôme, ce fut alors aussi pour la première fois qu'il connut Augustin et qu'il l'aima, d'après ce qu'il en apprit par Alype en 394, ce sentiment était tel que Profuturus étant sur le point de partir pour la Palestine, Augustin, dont il était vraisemblablement le disciple, se crut assez lié avec Jérôme pour le lui recommander, et pour lui découvrir son sentiment sur les différents passages de ses oeuvres, et surtout sur la discussion de Pierre et de Paul. Il témoigne à Jérôme le désir qu'après avoir lu ses ouvrages dont il lui envoie une partie par Profuturus, il use à son tour du même droit et de la même liberté à son égard (7). Il n'était encore que prêtre, lorsqu'il écrivit cette lettre (8), par conséquent elle est de 394 ou de 395; mais elle ne fut remise à Jérôme qu'assez longtemps après, parce que, Profuturus à qui elle avait été confiée ne partit point; car, étant sur le point d'entreprendre son voyage, il fut nommé, évêque et mourut peu de temps après (9). Ce Profuturus semble

n'être autre que l'évêque de Cirta, mort peu

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(1) Retract., I, eh. xvii. (2) Serm., cevi. n. 2. Serm., cetiv, n. 1. (3) Lettre xxviii, n. 1. (4) Lettre xxiv, n. 1, et

 

le titre, (5) Lettre xxviii, n. 1. (6) Ibid.,(7) Ibid., n. 6. (8) Lettre LXXI., n. 2. (9) Lettre Lxxii, n. I.

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de temps avant qu’Augustin écrivit son livre sur le baptême contre Petillien. (1).

3. Comme nous devons reporter l'épiscopat d'Augustin à la fin de l'année suivante c'est-à-dire en 395. Nous allons passer en revue les ouvrages qu'il écrivit n'étant encore que prêtre, la même année que le concile d'Hippone. En premier lieu, il place lui-même le livre inachevé de son Commentaire sur la Genèse: c'est le premier travail de ce genre qu'il fit sur l'Écriture Sainte. Il avait, il est vrai, écrit deux livres sur la Genèse, contre les manichéens, mais ils ne contenaient que le sens allégorique. Il se proposait donc, dans celui-là, de rechercher s’il lui serait possible de considérer et d'expliquer selon le sens littéral, comme font les historiens, les phénomènes naturels relatés dans la Genèse, travail, suivant lui, très laborieux et très difficile. Il dit qu'à cette époque, il reconnut que ses forces étaient tellement au-dessous de cette entreprise, que, succombant sous le poids de cet immense fardeau il laissa son oeuvre inachevée et ne la publia point. En passant ses ouvrages en revue, il avait même résolu de détruire celui-ci, sans doute parce qu'il en avait fait un plus étendu et entièrement terminé sur le même sujet. Toutefois, persuadé que cet opuscule pouvait servir à faire connaître la manière dont il avait procédé, dans le principe, pour l'étude des divines Écritures, il résolut de le conserver; il ajouta à la fin du livre environ une demi-page, sans cependant l'achever, c'est pour cela qu'il appelle le Commentaire littéral sur la Genèse, une oeuvre imparfaite.

4. A la même époque, Augustin composa deux livres sur le sermon de Notre Seigneur sur la montagne, d'après saint Matthieu (2). Il fait remarquer, dans cet ouvrage que c'était la coutume de communier tous les jours pendant la Cène du Seigneur, ce qu'il pratiquait lui-même avec les autres fidèles d'Afrique ; cette coutume n'était toutefois pas en vigueur dans l'Église d'Orient (3). Il dit également dans cet ouvrage qu'il demanda à un Juif ce que signifie le mot «Raca » et préfère le sens qu'il lui donna, à tous les autres (4). Un certain Pollentius qui parcourut cet ouvrage quelques années après, souleva une objection au sujet du divorce et la soumit au saint docteur, qui la résolut dans son premier livre sur les mariages adultères.

5. Il n'était encore que simple prêtre lorsqu'un jour , à Carthage, comme on lisait parmi les frères, l'Epitre de saint Paul aux Romains, on profita de l'occasion pour lui adresser, sur différents endroits très difficiles, diverses questions à résoudre. Les frères chez qui il demeurait dans cette ville obtinrent de lui la permission de recueillir ses réponses par écrit. C'est ainsi que les opuscules dont nous venons de parler se trouvèrent augmentés d'un livre qui a pour titre : Explication de quelques propositions tirées de l'épître de saint Paul aux Romains. Il reconnaît dans ses Rétractations qu'il n'avait point assez approfondi, à cette époque, ce qu'il faut entendre par l'élévation de la grâce, de là vient qu'il parle comme si le commencement de la foi venait de nous, non de la grâce (5). Voilà pourquoi les semi-pélagiens approuvaient ce livre comme favorable à leur doctrine et le faisaient tourner à la défense de leur secte, non certes pas sans motif, comme l'avoue lui-même Augustin, qui ajoute qu'en le lisant ils auraient dû profiter avec lui, et à son exemple abandonner leurs erreurs (6).

6. Après l'Épître aux Romains il explique non en partie, comme la précédente, mais en entier, et sans interruption l’Epître aux Galates; cette explication ne forme qu'un volume .(7) Il aurait pu à cette époque avoir lu le commentaire de Jérôme sur cette même épitre; mais il l'avait certainement lu avant d'être évêque (8). Augustin avait également entrepris de commenter de la même manière l’Epître aux Romains, travail qui lui aurait fourni plusieurs livres. Mais effrayé par la grandeur de cet ouvrage et par le travail qu'il lui coûterait, il en-

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(1) Dit seul bapt. n. 29. (2) Refraci., I. eh. xiv. (3) Du Serm.', sur la montagpe, II, n. 26. (4) Ibid., i, n. 23. (5) Ré~ tract., 1, Ch. x~x,,,,, n. 2. (6) De la predestinat. des S~iintç, n. 6-7. (7) Retract., 1, eh. Xiv. (8) Lettre xxviii,

,, . 3.

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treprit quelque chose de plus facile (1). Il ne fit donc que le premier livre qui contient seulement l'explication du titre ou de la salutation de cette Epitre; il est vrai qu'il s'y arrête assez longtemps pour résoudre une question incidente touchant le péché contre le Saint Esprit.

7. Le dernier livre qu'Augustin composa n'étant encore que prêtre, est intitulé du mensonge (2): il le fit pour démontrer que le mensonge n'est pas permis; mais la plus grande partie de cet ouvrage est consacrée à la discussion et à la recherche de la vérité. Il reconnaît lui-même que ce livre est obscur et rempli de difficultés et dit qu'il ne lui plaît point du tout. Aussi ne l'avait-il point publié, il avait même résolu de le retrancher de ses œuvres, surtout lorsque, dans la suite, il eut écrit contre le mensonge. Toutefois, comme pendant qu’il revoyait ses œuvres, il le trouva entier, il consentit à le garder après l'avoir retouché parce qu'on y trouve plusieurs choses utiles qui n'étaient point dans celui qu'il fit plus tard. Il était persuadé d'ailleurs que ce livre, bien que très difficile à comprendre, pouvait être néanmoins de quelque utilité pour l'esprit et le cœur, et capable d'inspirer aux âmes l'amour de la vérité. Il ne veut pas qu'on y recherche l'éloquence, attendu qu'il n'a eu en vue, en mettant de côté toute recherche de style, que d'aller au fait, et de terminer au plus vite un ouvrage propre à régler la vie. A la fin de son livre, il s'élève vivement contre ceux qui prétendaient que l'Apôtre, dans sa lettre aux Galates, admettait le mensonge officieux, ce qu'évidemment le commentaire de Jérôme sur cette épître a également en vue. Il est probable qu'il composait cet ouvrage dans le même temps qu'il écrivit sa lettre XXVIII, adressée à Jérôme sur le même sujet. Dans un livre écrit vers l'an du Christ 419, il semble dire qu'il n'a pas encore étudié les textes de l'Écriture sur le mensonge, parce qu'il ne comptait pas ce livre qu'il avait ordonné de supprimer. Peut-être n'était-il encore que simple prêtre lorsqu'il fit son centième sermon sur les paroles du Seigneur rapportées au chapitre neuvième de saint Luc : et dans lequel il dit que Dieu a choisi les Apôtres selon sa grâce et selon leur justice, car il les voyait compter non pas sur eux-mêmes, mais uniquement sur la grâce du Très-Haut (3).

 

CHAPITRE IX

 

1. Histoire abrégée des donatistes. - -2. Leur nombre considérable en Afrique à l'époque où Augustin arrive à la prêtrise ; comment il les attaque dès ce moment-là même. - 3. Les donatistes n'osent pas entrer en lice avec lui. - 4. Il compose contre eux le psaume Abécédaire. - 5. Il réfute la lettre de Donat. - 6. Il écrit à Maximin évêque donatiste de Sétif à l'occasion d'un diacre rebaptisé par lui.

 

1. Jusqu'à présent nous n'avons vu Augustin combattre, dans l'arène, que contre les manichéens, mais il eut à soutenir une lutte beaucoup plus acharnée contre les donatistes. Ces hérétiques s'étaient séparés de la communion de Cécilien, évêque de Carthage, vers l'an du Christ 311, sous prétexte que Félix, d'Aptonge, qui l'avait ordonné, avait livré les livres sacrés pendant la persécution. Ils avaient eux-mêmes demandé des juges à Constantin Auguste. Condamnés une première fois par ces juges et ensuite par l’empereur Constantin lui-même, ils n'en étaient pas moins demeurés toujours obstinément attachés à leur schisme. Pour donner un point d'appui à leur opiniâtreté, ils prenaient comme fondement solide, ce principe que, quiconque communique avec un pécheur , est souillé du même crime. Comme l'univers chrétien était en communion avec Cécilien, ils se séparèrent de tous les catholiques et firent schisme. Entassant crime sur crime, ils rebaptisaient tous ceux qui n'avaient pas reçu le baptême dans leur secte; car ils disaient que le baptême reçu en dehors de la véritable Église, qu'ils prétendaient être la leur, était invalide. A leur erreur ils ajoutèrent bientôt la violence et la cruauté. Car ceux qui, parmi eux, por-

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(1) Retract., 1, eli. xxv, (2) Ibid., eh. xxvii. (3) Sernì., e, n. 3.

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taient les noms de circoncellions, recouraient impunément et contre toute espèce de droit aux coups, aux rapines, à l'incendie et au meurtre; et comme ils ne s'épargnaient pas plus que les autres, ils se précipitaient eux-mêmes dans l'eau et dans le feu, ou, de préférence, du haut des rochers les plus élevés, au fond des précipices, avec une fureur de bêtes fauves. Peu à peu ce schisme donna naissance à beaucoup d'autres, dont le plus fameux fut celui des maximianistes qui, en 393, condamnèrent Primien, évêque donatiste à Carthage, et mirent à sa place Maximien. Mais les autres donatistes réunis à Bagaï ville de la province de Numidie, en 394, rétablirent Primien sur son siège. Ils portèrent contre ceux qui avaient déposé une sentence de condamnation définitive contre dix d’entre eux, et suspensive contre les autres qui avaient jusqu'à Noël pour rentrer dans leur communion, mais malgré cette sentence d'excommunication, ils en reçurent quelques-uns après l'époque fixée; bien plus, ils accueillirent même comme évêques quelques-uns de ceux qu'ils avaient frappés d'une sentence définitive, sans toutefois rebaptiser ceux qui avaient reçu, le baptême dans le schisme, sapant ainsi les bases de leur propre hérésie.

2. Bien que n'ayant aucun fondement solide, cette secte était cependant très répandue en Afrique lorsque Augustin commença à briller dans l'Église. C'est au point qu'ils envoyèrent trois cent dix évêques au synode de Bagaï, sans compter les cent autres qui étaient du parti de Maximien. Possidius nous dit même qu'ils embrassaient la majeure partie des habitants de l'Afrique (1). En effet, le nombre des catholiques à Hippone même, était si restreint, l'autorité des donatistes y était si puissante, que Fauste, leur évêque en cette ville, défendait, peu de temps avant l'arrivée d'Augustin, de cuire du pain pour les catholiques, et qu'un boulanger, locataire d'un diacre d'Hippone, refusa de cuire le pain de son propriétaire. Une fois arrivé à Hippone, Augustin déploya toute la force de son éloquence pour détruire l'abominable coutume de ces hommes qui se glorifiant du titre de chrétiens, n'hésitaient pas cependant à rebaptiser des chrétiens. Dès qu'il eut commencé à annoncer la parole du salut, l'Église catholique, qui était plongée dans l'affliction et l'accablement, commença, avec l'aide de Dieu, à relever la tête, pour nous servir des propres paroles de Possidius, et à s'accroître tous les jours davantage, à cause du grand nombre d'hommes qui renonçaient au schisme. C'est le travail assidu d'Augustin, qui enseignait le peuple , par la prédication et par ses écrits, en public et en particulier, dans les maisons et dans l'Église, qui amena ce résultat. Il annonçait, sans crainte et en toute liberté, la parole divine et attaquait vigoureusement toutes les hérésies qui déviaient du sentier de la vérité. Les catholiques d'Hippone, transportés d'une joie incroyable, triomphaient et faisaient tous leurs efforts pour répandre partout le bruit de ce qui se passait chez eux. Aussi, les hérétiques mêmes étaient-ils empressés comme les catholiques, à recevoir les admirables traités dont il appuyait toujours la doctrine puisée aux sources de la grâce divine, par les arguments de la raison la plus juste et par l'autorité des Saintes Écritures, et ceux qui pouvaient se procurer des notaires, recueillaient toutes ses paroles avec joie. C'est ainsi que son admirable doctrine et la douce odeur du Christ, se répandirent dans l’Afrique entière. L'Église de Dieu, dans les contrées d'outre-mer, ne tarda point à en avoir connaissance et le félicita du bien fait à ses frères, avec qui elle ne faisait qu'un seul corps (2). Ceux qui avaient ses sermons par écrit et ses traités, les donatistes mêmes d'Hippone ou ceux qui habitaient les côtes, les envoyaient aux évêques du parti de Donat. Ses discours et ses écrits étaient portés par les donatistes mêmes d'Hippone ou des cités voisines, aux évêques de leur communion. Et si, après les avoir lus ou entendus, ils voulaient les contredire en quelque chose, ils étaient réfutés par les leurs, ou leurs réponses étaient envoyées à saint Augustin,

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(1) POSSID., Cil. Ill. (2) POSS., Ch. VIL

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qui en prenait connaissance et travaillait avec patience et douceur, et comme il est écrit, avec crainte et tremblement, au salut de tous (Philip., ii, 12) Il montrait l'impuissance de leur volonté et de leurs efforts à renverser sa doctrine, et la vérité manifeste de ce que tient et enseigne la foi de l'Église. Augustin lui-même, en rapportant les troubles qu'ils causaient dans l'Église, dit: « Nous le voyons, nous le, supportons, mais nous nous efforçons de tout notre pouvoir de les réprimer en discutant avec eux, en les convainquant, en les allant trouver, en les effrayant (ce qu'il ne fit qu'après l'année 405), sans cesser toutefois de leur témoigner de la charité en toutes choses (4).

3. Telle était son occupation continuelle du jour et de la nuit; car il écrivit des lettres particulières à plusieurs évêques et laïques considérables de cette secte, pour les engager et les exhorter par la force de ses raisonnements à abjurer leur erreur ou du moins à entrer en discussion avec lui. Mais, n'ayant pas confiance dans la bonté de leur propre cause, ils ne voulurent même jamais lui répondre : dans leur colère ils accablaient Augustin d'injures et le proclamaient, en particulier et en public, séducteur et corrupteur des âmes. Ils disaient et essayaient de prouver que c'était un loup qu'on devait tuer pour défendre leur troupeau; puis, mettant de côté toute crainte de Dieu et des hommes ils ne rougirent pas de dire et d'écrire que, certainement, Dieu leur pardonnerait tous leurs péchés, s'ils réussissaient dans leur entreprise. Pour Augustin, il travaillait à faire connaître à tous, le peu de confiance que ces hérétiques avaient eux-mêmes dans la bonté de leur propre cause. Il les provoqua dans des conférences publiques, mais ils n'osèrent s'y rendre (2). «Nous allions les trouver en leur disant : Cherchons la vérité, trouvons la vérité; et ils nous répondaient : gardez ce que vous avez, vous avez vos brebis et nous les nôtres; ne tourmentez pas nos brebis plus que nous ne tourmentons les vôtres. Grâce à Dieu : j'ai des brebis, mais il a aussi les siennes. Qu'a donc racheté le Christ (3) ? » On les voit aussi quelquefois refuser de conférer avec lui, sous prétexte qu'il était trop versé dans les belles-lettres et dans l'art de l'éloquence où il excellait (4). Bien que toute sa supériorité sur eux fût puisée (plus) dans les paroles de l'Écriture, dans la force des preuves et des raisons, que dans l'éclat et le nerf du discours, ils attribuaient à son talent de la parole les forces que la vérité lui prêtait; Petilien et Cresconius le lui reprochèrent un jour, sous forme de louange, en le comparant à Tertulle, l'accusateur de Paul; ils lui faisaient aussi un crime d'être versé dans la dialectique, comme si cet art ne convenait pas du tout à la vérité chrétienne; ils prétendaient qu'on devait plutôt le fuir que le réfuter (5). La défiance qui les portaient à refuser toute conférence avec les catholiques, à qui cependant ils se disaient envoyés comme des Prophètes, était si grande, qu'ils craignaient même que leurs écrits ne tombassent entre leurs mains. Car Augnstin, désirant un jour avoir la fin d'une lettre de Pétilien, un de leurs plus illustres évêques, aucun de ceux à qui on la demanda ne voulut la donner, quand on sut qu'il avait répondu à la première partie de cette lettre (6). Le saint docteur était persuadé que l'auteur même de cette lettre, si on le pressait de la signer de sa main, ne consentirait jamais à le faire. Ce n'était pas assez pour eux de détourner les yeux de la lumière qu'on leur présentait, ils poursuivaient encore avec cruauté ceux qui la leur offraient, mais ni leurs violences ni leur fureur ne purent éteindre ou seulement ralentir le zèle d'Augustin. Aussi parle-t-il lui-même à son peuple en ces termes : « Nous nous trouvons ici entre les mains des voleurs, exposés partout aux dents des loups furieux, et nous vous prions de prier vous-mêmes, pour conjurer les périls qui nous menacent, ce sont des brebis errantes, mais parce que nous courons à leur recherche quand elles nous fuient, elles s'écrient, pour leur perte et dans leur erreur, qu'elles ne sont point à nous. Pourquoi voulez-vous de nous ? Pourquoi nous

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(1) Comment. des Psaumes. xxxix. ; Poss., ch. ix. (2) Comment. des Psaume8, xxi, n. 31. (3) Lettre xxxiv, n. 6. (4) Contre la lettre de Petil. in, n. 19. (5) Contre Cresc, i, n. 2-16. (6) Contre la lettre de Petit. iii, n. 21.

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recherchez-vous? Comme si la cause qui nous fait vouloir d'eux et les rechercher n'était pas leur égarement même et la perte à laquelle ils courent. Si je suis dans l'erreur, si je suis perdu, disent-ils, pourquoi voulez-vous de moi? Pourquoi me cherchez-vous ? C'est parce que vous êtes dans l'erreur que je veux vous en tirer; c'est parce que vous êtes perdu que je veux vous retrouver.- Je veux m'égarer ainsi, périr de cette sorte-. Vous voulez vous égarer, vous voulez périr ainsi ? C'est pour cela que je ne le veux pas ! Oserai-je vous dire je suis un importun ; car j'entends l'Apôtre me dire : Prêche la parole divine, sollicite à temps et à contre-temps (Il Tim., iv, 2). A qui prêcherai-je à temps, à  qui à contre-temps ? A temps à ceux qui veulent m'entendre, à contre-temps à ceux qui ne le veulent pas. Oui, je l'accorde, je suis un importun; j'ose dire: Vous voulez vous égarer, vous voulez périr; moi je ne le veux pas, et celui dont j'ai peur ne le veut pas non plus. Si je le voulais, écoutez ce qu'il me dirait, voyez quels reproches il m'adresserait: Tu n'as pas ramené celui qui s'égarait et tu n'as pas recherché celui qui était perdu (Ezéchiel, xxxiv, 4). Vous craindrai-je plus que lui? Il nous faut tous  paraître au tribunal du Christ (Il Corint.,- 10). Ce n'est pas vous que je crains ; car vous ne pouvez renverser le tribunal du Christ, et établir à sa place celui de Donat. Je ramènerai la brebis égarée; je rechercherai celle qui est perdue, que vous le vouliez ou que vous ne le vouliez pas, je le ferai; et si les ronces des forêts me déchirent au milieu de mes recherches, je me glisserai par les sentiers étroits, et j'écarterai les épines. Le Seigneur, qui m'inspire de la crainte, me donnera la force d'agir ainsi : je parcourrai tous les endroits, je ramènerai la brebis égarée et je chercherai celle qui s'est perdue; si vous ne voulez point que je souffre, ne vous égarez point, ne vous perdez point (1).» Ensuite, il fait remarquer que cela est nécessaire, pour que les catholiques ne se laissent point aller au schisme en croyant que c'est chose indifférente. « Si je néglige, dit-il, celui qui est dans l'erreur et qui périt, celui qui est sain aimera à s'égarer et à se perdre. Je désire les gains visibles, mais je crains davantage les pertes invisibles. Si votre erreur m'est indifférente, celui qui est sain le remarque et croit que ce n'est rien de tomber dans l'hérésie. Et si, dans le siècle, quelque avantage le sollicite à changer de parti, le chrétien fidèle qui va périr me dira, si je ne cherche pas à vous ramener lorsque vous êtes perdu : Puisque Dieu se trouve aussi bien d'un côté que de l'autre, qu'importe ? Ce sont les hommes dans leurs disputes qui ont fait cela, on peut servir Dieu partout. Si par hasard quelque donatiste lui dit : je ne vous donnerai pas ma fille en mariage si vous n'êtes pas de mon parti : il fera nécessairement attention et se dira : s'il n'y avait rien de mal dans leur doctrine, nos pasteurs ne parleraient pas tant contre, et ne s'occuperaient pas tant de leur erreur. Si nous nous arrêtons, si nous cessons de parler, il dira le contraire (2). J'ai grand'peur, dit-il ailleurs avant d'être évêque, en me taisant et en dissimulant, que d'autres encore soient rebaptisés par vous ; je suis donc résolu à employer à la défense de cette cause, toutes les forces et le pouvoir dont le Seigneur voudra bien me gratifier, afin que, grâce à nos entretiens pacifiques, ceux de notre communion sachent combien l'Église catholique est éloignée des hérésies et des schismes, et combien on doit se mettre en garde contre la pernicieuse erreur de l'ivraie ou des sarments retranchés de la vigne du Seigneur. Si vous acceptez plus volontiers une conférence avec moi, de façon que nos lettres soient lues aux peuples, j'en ressentirai une joie ineffable; mais, si vous n'y consentez pas de bon cœur, que me restera-t-il à faire, mon frère, sinon de lire, malgré vous, nos lettres au peuple catholique, pour sa plus grande instruction ? Si vous ne me jugez pas digne d'une réponse, je n'en suis pas moins disposé à lire les anciennes lettres, afin que du moins, connaissant votre défiance, ils aient honte de se faire rebaptiser (3) .

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(") Sel'ì72.; XLVI, 11. 14. (2) IM., n. 15- (3) Lettre xxiii, n. 6.

 

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