Prétendue chute du pape Liberius 6

§ V. Prétendue chute du pape Liberius

 

36. Telle est cette pièce que Baluze considérait avec raison comme fort intéressante, et que Bossuet insérait tout entière parmi les notes justificatives de la Defensio declarationis cleri Gallicani. « Voilà ces actes, disait l'évêque de Meaux. Ils respirent dans leur simplicité originale, un parfum d'antiquité qui sera apprécié par tous les hommes de goût. Usuard 2, Adon de Vienne 3, ont dû

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1 Momhrit., Act. sanct., tom. I; Baluz., Miscellanea, tom. II, pag. 141; Bossuet, Appendix ad defensionem Declarationis cleri Gallicani, lib. III, cap. et pag. ultim.

2. L'hypothèse de Bossuet est fort gratuite en ce qui concerne le martyrologe d'Usuard, lequel s'exprime ainsi : Iiomœ, via Appia, naialis beali Eusebii presbyleri et confessoris, qui à Constantio Augusto, ob catholicœ fidei defensionem in quodam cubiculo domus suœ inclusus, ibique in oratione constanter persévérons, dormitionem accepit. Usuard, comme on le voit, ne dit pas un mot de la com- plicité du pape Liberius dans la persécution subie par le saint prêtre Eusèbe. Au lieu donc de supposer avec Bossuet qu'Usuard n'a fait qu'analyser brièvement les actes qu'on vient de lire, on est en droit de conclure très-légitimement qu'Usuard ne les a jamais vus; car le point capital est ici la connivence du souverain pontife, de Liberius, dans la mort d'un prêtre romain. Usuard n'en dit pas un mot. (Usuard,, Mariyrol. mense August.,àie 24; Patr. lat., tom. CXX1V, col. 361.)

3. Bossuet a parfaitement raison quant au martyrologe d'Adon de Vienne, lequel renferme très-réellement une analyse même assez étendue des Acta Eusebii. Voici le texte de ce martyrologe ; Natale sancti Eusebii presbyteri et Confessoris. Qui, prœsente Constantio, cum fidem caiholicam constaxiisfime defenderet, et Libefium papam doleret Arianœ perfidiœ consensisse, ab iraio Constantio imperatore Ariano includitur in quodam cubiculo domus suœ habenie in liiiitudine pedes quatuor, ubi multis diebus in orelione constanter perseveravit. Et nono decimo kalendas seplembris, posi menses sepiem, adhuc tamen inclusus, dormi-tionem accepit. Cujus corpus collegerunt Gregorius et Orosius presbyteri, et sepelierunt in crypta juxta corpus beati Sixti martyris et episcopi, via Appia in cœmeterio Calixli. Ubi et titulum ipsius scribentes, posuerunt ita : EVSEBlO H0mini DEl. Auçliens aulem Constantius quod Gregorius et Orosius sepelissent corpus beali EvseOii, us eâdem crypta ubi illum condiderant prœcepit *>ivum mcludi Gregorium. Hune semivivum noctu Orosius presbyter excepit inde. Et post paululum defunctum juxta corpus sancii Eusebii presbyteri sepelivit. Fdclaque est gravissima persecutio in catholied Ecclesiâ ab Arianis, sedem upostolicCm tuno tenente Liberio. (Ado Vienn., Martyrol., 14 august.; Patr. grœc, tom. CXXFIJ,

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p585 CHAP.   VII.   —  PRÉTENDUE   CHUTE  DU   PAPE   LIBERIUS.        

 

avoir sous les yeux le texte de ce document, puisqu'ils l'analysent dans leurs martyrologes. Le prêtre romain Eusèbe a très-certainement souffert le martyre, puisque l'Église romaine en célèbre avec nous la fête à la date du 14 août 1. Du reste, les Acta Eusebii se trompent en disant que « Damase, à son avènement au pontificat, condamna publiquement dans un concile la mémoire de Liberius, » puisqu'il est certain que Liberius s'était converti avant sa mort. Il est probable que le concile dont parlent les Acta aura été convoqué par Damase, lorsque celui-ci n'était encore que simple prêtre, et que cet acte énergique contribua plus tard à sa

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col. 331.) Les expressions de saint Adon sont textuellement empruntées aux Acta Eusebii; il est donc certain que l'évêque de Vienne avait ce monument sous les yeux, lorsqu'il écrivit la notice de saint Eusèbe dans son martyrologe. Nous avons donc d'une part la preuve que Baluze se trompait en affirmant que les Acta Eusebii avaient été inconnus à toute l'antiquité ecclésiastique ; de l'autre, nous constatons, par la divergence même qui existe entre les deux martyrologes d'Adon et d'Usuard, l'existence persévérante d'un double courant d'opinion au sujet du pape Liberius, selon que les hagiographes des différents âges avaient entre les mains des pièces émanées d'une source arienne, ou d'une source catholique.

1. Ici encore l'assertion de Bossuet est parfaitement exacte. Voici en effet les paroles du martyrologe romain : Romce natalis beaii Eusebii presbyleri, qui à Constantio imperalore Ariano ob catholicœ fidei defensioneni in quodarn cuoicviorlomus suce inclusus, ibique menses sepUm in oratione consianler persevernns, dormitionem accepit : cujus corpus Gregorius et Orosius presbyleri colligenles, in cœmeterio Callisti via Appia sepelierunt. (Martyrol. rom., 14 august., édil. Baron., Romœ, 15S6, pag. 364.) Il est très-certain que le pape Eusèbe a été honoré de tout temps par l'Eglise romaine comme un confesseur de la foi et un saint. Un ancien titre suburbicaire portait son vocable. Mais ici encore on remarquera que la leçon du martyrologe romain, conforme à celle d'Adon, ne dit pas un mot de la complicité du pape Liberius dans la persécution subie par le saint prêtre. Il y 3 donc, dans les divers martyrologes, une double et coutradictoire tradition qui s'accuse constamment selon la diversité des sources. C'est ainsi que les martyrologes de Bède et de Raban-Maure s’expriment exactement comme celui d'Adon de Vienne (Venerab. Bedée, Mortyrolag.,U august.; Pat roi. Int., tom. XCIV, col. 1005, 1006); tandis que ceux de Wandalbert et de saint Jérôme ne font nulle mention de la pré-tendue complicité du pape Liberius dans le supplice de la réclusion infligée au saint confesseur Eusèbe. (Wandalbert., Martyrol.,ii august. ; Patrol. lat., iom. CXX1, col. 607 ; S. Iiieronyin., ilartyrolog., eod. die; Patrol. tt/U* iom. XXX  col. 471.)

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p586          PONTIFICAT   DE   SAINT  FÉLIX  II   (3ùS-339).

 

promotion au souverain pontificat. Quant à la clause distinctive, mentionnée par les Acta Eusebii, au sujet de la rebaptisation (Liberius revocatus faerat a Consiantio hœretico, in eo tantum dogmate ut non baptisant populwn, sed unâ communione contaminer et), je ferai d'abord remarquer qu'elle se trouve également dans la notice de ce pape au Liber Poutificalis. Les savants qui seraient tentés de révoquer en doute le fait de la rebaptisation par les Ariens, voudront bien se rappeler le texte positif de saint Ambroise contre Auxence évêque arien de Milan. « Pourquoi, dit saint Ambroise, Auxence élève-t-il la prétention de rebaptiser les peuples fidèles, qui ont déjà reçu au nom de la Trinité le sacrement de régénération ? Ignore-t-il donc la parole de l'Apôtre : «Une seule foi, un seul baptême1? » Il est donc très-certain que les Ariens affichèrent la prétention de rebaptiser. Liberius, dans sa transaction avec Constance, obtint qu'on ne le contraindrait point à agir de la sorte vis à vis des fidèles de Rome. Mais, du reste, la défection de ce pape, son apostasie, et la persécution qu'il fit subir à tous les catholiques, ne sont que trop prouvés par les Actes d'Eusèbe2

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