Croisades 18

Darras tome 23 p. 447

 

§ I. Siège de Nicée.

 

1. Godefroi de Bouillon fit longer à  son armée la rive orientale de de la Propontide ou mer de Marmara, ayant à sa droite les îles des Princes, à sa gauche la  chaîne de montagnes formant le promontoire asiatique qui se termine au Bosphore. « Le jour même où l’on avait quitté  Chalcédoine, dit  Albéric d'Aix, on arriva dans une vallée nommée Ruffinel, où l’on déploya les tentes pour la pre­mière halte. Là, Pierre l'Ermite attendait Godefroi de Bouillon, et joignit à la grande armée les malheureux débris de ses pèlerins11. » Nous avons dit que, dès les premiers jours d'août 1096, Pierre l'Er­mite arrivé le premier en Asie était venu camper autour de la petite cité maritime de Civitot, l'ancienne Hélénopolis, la moderne Ghem-lik. « Après deux mois de séjour sous les tentes, disent les chro­niqueurs, une révolte éclata dans cette armée. Des déprédations journalières furent commises. Pierre l'Ermite multiplia les repro­ches, les conseils, les ordres ; mais sa voix n'était plus écoutée. Il prédit à ces rebelles que Dieu leur réservait  un  châtiment  exemplaire. On ne tint pas plus compte de ses prophéties que de ses me­naces1. » L'origine 

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1.Albéric. Aq., Hist. ftierosol., 1. II, cap. xx ; Pair, lat., t. CLXVI, col. 422.

2. Cf ebap. précéd., u° 14.

3.Cf. Albcr. Aq. — Guillelm. Tyr. — Guïbert Novig.

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du mécontentement vint de l'avarice d'Alexis Comnène, qui faisait chaque jour hausser le prix des grains et  des denrées, dont il s'était réservé,  comme  nous l'avons dit, le mono­pole d'ailleurs fort lucratif. « Pierre l'Ermite partit pour Constantinople, reprend Albéric d'Aix, afin d'obtenir de l'empereur  une  di­minution sur les prix de vente. Durant son absence le commande­ment devait être exercé par Gauthier Sans-Avoir, qui essaya vaine­ment lui-même de calmer l'effervescence et d'imposer sa propre au­torité. Un jour, au mépris de ses énergiques défenses, une bande de sept mille jeunes Français, escortée de trois cents chevaux,  s'aven­tura du côté de Nicée sur le  territoire turc.  Elle  rentra  au camp sans avoir  rencontré  l'ennemi, poussant devant elle d'immenses troupeaux de bœufs et de moutons, capturés  dans les  prairies du voisinage. Cet exploit indigne d'une armée chrétienne enflamma la convoitise des Teutons et des Lombards, jaloux de rivaliser d'au­dace avec les Français. A leur tour, se  groupant  en  une  colonne forte de trois mille hommes de  pied  et  de deux cents cavaliers, sous la conduite d'un chef nommé Renaud, ils s'élancèrent dans  la direction de Nicée. A une distance de trois ou quatre lieues, ils ren­contrèrent une petite forteresse turque, nommé Exérogorgon, l'em­portèrent d'assaut et s'y établirent. Mais trois jours après le sultan de Nicée, Kilidji-Arslan2, vint les assiéger à la tête d'une   armée de quinze mille  hommes (29 septembre 1096). Malgré une résistance héroïque, la place fut emportée d'assaut ; les Turcs s'y  frayèrent un accès en mettant le feu aux portes. Les trois mille hommes qui la défendaient furent tous tués ou brûlés ; les vainqueurs ne  se ré­servèrent, comme dépouilles opimes, que deux  cents  adolescents choisis parmi les plus élégants de forme et de visage et les  emme­nèrent captifs. Renaud3  disparut dans ce  désastre.   On  l'accusa depuis d'avoir trahi

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1. Nous rétablissons le nom de ce sultan, que les chroniqueurs latins ap­pellent toujours Soliman, lui continuant le nom de son père Soliman I, mort en 1085.

2. L'uu des héros du poème de la « Jérusalem délivrée » porte le nom de Renaud. Le Tasse lui fait jouer un rôle  qui  n'a rien de commun avec l'aventurier dont il est question ici. Le Renaud de  la « Jérusalem délivrée » parait être un personnage complètement d'imagination.

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lâchement les siens et d'avoir mis le  comble à son infamie en abjurant la foi chrétienne et en passant  au service des Turcs. Le désastre d'Exérogorgon souleva au camp  de  Civitot un cri unanime de vengeance. Tous les croisés se pressèrent autour de leurs chefs Gauthier Sans-Avoir, Reinold deBreis,  Gauthier de Breteuil, Foulcher d'Orléans, demandant  à être  conduits à l'en­nemi. Il leur fut répondu qu'en l'absence de Pierre l'Ermite aucun combat   n'aurait   lieu.  Godefroi  Burel,  maître  d'infanterie,   osa dire à ces braves chevaliers : « Vous n'êtes que des lâches ! »  Ce mot fut  répété  par toutes les légions. Les chefs alors s'écrièrent : « Vous voulez marcher à une mort certaine : nous vous y condui­rons ! » Laissant alors au camp la multitude des pèlerins désarmés, vieillards, femmes et enfants, l'armée entière,  forte de  vingt-cinq mille piétons et de cinq cents cavaliers portant cuirasse, se  mit en marche, divisée en six légions ayant chacune sa bannière distincte. A trois milles de Civitot,  elle  s'engagea dans une forêt qui débou­chait sur la plaine de Nicée. Kilidji-Arslan déploya sa cavalerie de manière à cerner complètement  l'ennemi.  Sa  manœuvre eut un plein succès. En arrivant dans  la   plaine, les chrétiens eurent  en face toute l'armée turque, sur leurs flancs  et à l'arrière un cercle infranchissable de cavaliers. La plupart y périrent. Gauthier Sans-Avoir eut sa cuirasse percée de sept coups de lance et tomba mort. Reinold de Breis et Foulcher de Chartres, ces illustres héros, eurent le même sort. Seuls, Gauthier de Breteuil fils de Valerand et  Gode­froi Burel, rejoignant les fuyards qui traversaient la forêt en dé­sordre, organisèrent un semblant de retraite.  Les Turcs  profitant de la victoire les poursuivirent l'épée dans les reins, tuant tous ceux qu'ils pouvaient atteindre, et fondirent sur le camp de Civitot. Il y eut là encore un massacre effroyable. Les tentes furent inondées de sang, et des milliers de pèlerins égorgés. Un prêtre fut massacré sur les marches de l'autel où il célébrait les saints mystères. Dans leur fureur, les Turcs  ne faisaient pas  de quartier.   S'ils  épargnèrent quelques victimes, des jeunes gens, des vierges consacrées au  Seigneur, c'était pour les réserver à la plus affreuse captivité. Trois mille hommes, échappés à cette boucherie, se réfugièrent

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dans les ruines ouvertes d'un château démantelé, sur les bords de la mer. Par de prodigieux efforts ils réussirent à fermer les brèches de leur misérable refuge, et, le désespoir doublant leur énergie, ils résolu­rent de se défendre jusqu'à la mort. Durant la nuit un des leurs, monté sur une barque de pèche, réussit à tromper la vigilance des Turcs et alla porter à Pierre l'Ermite, qui se trouvait encore à Cons-tantinople, la nouvelle de l'effroyable désastre. Fondant en larmes, l'Ermite courut au palais et supplia Alexis Comnène de sauver les malheureux survivants. Monté sur la flotte impériale, dont le curopalate Constantin Euphorbe prit aussitôt le commandement, Pierre l'Ermite arriva à temps pour sauver les trois mille personnes qui restaient de sa florissante armée. A l'approche des trirèmes grec­ques, Kilidji-Arslan se retira à Nicée avec ses troupes victorieuses1» (octobre 1096). Tels étaient les survivants du désastre de Civitot, que Pierre l'Ermite présenta à Godefroi de Bouillon au campement de Ruffinel.

 

2.      A l'aspect de tant d'infortunés, victimes de l'avarice d'Alexis Comnène autant que de la cruauté des Turcs, une grande émotion s'empara de l'armée. Il fallait venger l'honneur du nom chrétien. La marche fut activée. Le lendemain, après avoir campé à Libyssa, aujourd'hui Djebisé, où mourut Annïbal, on atteignit l'antique Nicomédie, la moderne hnik-Mid, assise à la pointe du golfe du même nom. La grande chaîne des montagnes de l'Arganthon sépa­rait Nicomédie de la plaine où s'élève la ville de Nicée. En conti­nuant à côtoyer la Propontide par la rive occidentale, on reprenait la route qui avait été si fatale aux compagnons de Pierre l'Ermite et on évitait la traversée des sommets les plus élevés de l'Argan­thon -. Mais, outre que le  détour eût  singulièrement allongé la route, Godefroi de Bouillon, véritable pionnier de la croisade, se préoccupait de frayer un large chemin aux armées d'Occident qui

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suivaient la sienne. Il préféra donc sacrifier trois jours, qui furent employés par quatre mille hommes, armés de haches, de pioches, de pelles, à ouvrir à travers les forêts et les défilés de l'Arganthon une route praticable à la cavalerie, à l'infanterie et aux chariots de bagages. Des poteaux indicateurs, surmontés d'une croix en bois ou en fer, furent placés à chaque carrefour pour montrer aux pè­lerins isolés la direction à suivre 1. Ce travail fut poussé si active­ment, qu'après trois jours de halte à Nicomédie l'armée put s'en­gager sur la nouvelle route ; et, la veille des nones de mai, en la IVe férié (mercredi 6 mai 1097), les croisés débouchant des montagnes arrivèrent dans la plaine en vue de Nicée.

 

3. « Cette métropole de la  Bithynie, dit Guillaume de Tvr, réveillait à l'esprit les plus illustres souvenirs de l'histoire ecclésiastique. Là s'était tenu, au temps du pape saint Silvestre (323) en pré­sence de l'empereur Constantin le Grand, le premier concile œcuménique où les trois cent dix-huit pères confondirent l'impiété d'Arius et de ses sectateurs : là encore le VIIe concile général (787), au temps du pape Adrien I, en présence de l'empereur Constantin VI et de sa pieuse mère Irène, avait anathématisé les fureurs des iconoclastes. Cette ville célèbre est située dans une plaine vaste et fertile, entou­rée d'une chaîne de montagnes qui lui forme comme une ceinture, baignée à l'occident par les flots du lac Ascanius qui la fait commu­niquer avec la Propontide. Son enceinte est fortifiée par de solides remparts et de larges fossés que les torrents descendus des mon­tagnes remplissent d'une eau toujours renouvelée. Ses habitants braves et nombreux s'apprêtaient à la défendre. Quand notre armée les aperçut, couvrant de leurs bataillons les plates-formes de leurs murailles et les sommets de leurs tours, elle ne put retenir un cri d'admiration. Ces adversaires lui parurent dignes d'elle. Le seigneur de cette cité, de toute la région voisine et des provinces adjacentes, était un très-puissant satrape, ou émir, nommé Soliman (Kilidji-Arslan) et surnommé « le Schah, » mot persan qui signifie roi.

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1 Tudebod., Hist.  de Hierosolymitan. ilinere, lib. II : Pair, lat., t. CLV, col. 776. — Robert. Monach., 1. III, cap. i, col. 685.

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C'était un guerrier vaillant et habile. Longtemps avant notre arri­vée, dès qu'il fut informé de notre marche, il était parti de Nicée pour aller recruter contre nous des auxiliaires dans tout l'Orient et jusqu'aux frontières de la Perse. Lorsque Godefroi de Bouillon fit commencer les premiers travaux d'investissement, le sultan n'était pas encore revenu dans sa capitale. Du reste ce n'était pas lui qui avait conquis sur l'empire grec les vastes provinces qui reconnais­saient son pouvoir depuis l'Hellespont jusqu'en Syrie, sur une lon­gueur de trente jours de marche ; et depuis la Méditerranée jus­qu'aux contrées du Septentrion, sur une égale largeur: elles lui avaient été héréditairement transmises, depuis une première con­-quête faite par son père et sanctionnée par l'empereur grec. Il les possédait donc légitimement et exerçait son droit de propriété sur toutes les provinces comprises entre l'Hellespont et la ville de Tarse en Cilicie. Ses procureurs (officiers de la douane) avaient leurs postes établies en vue de Constantinople et prélevaient sans conteste le péage des voyageurs, les tributs et impôts de la contrée 1. » Sauf le nom de Soliman, qu'il faut remplacer par celui de son fils Kilidji-Arslan (Epée du Lion), les renseignements de Guillaume de Tyr sont parfaitement exacts. Il nous suffira donc de les compléter en rappe­lant qu'un des rameaux de la grande dynastie seldjoucide, établie en Perse et à Bagdad, s'en était détaché en 1074 pour envahir l'Asie-Mineure sous la conduite de Soliman I. Ce prince y avait fondé, aux dépens de l'empire de Byzance, la sultanie de Roum (des Romains) ou d'Iconium, dont la capitale était Nicée. Un autre rameau de la famille seldjoucide, sous la conduite du frère de Mélik Schah sul­tan de Bagdad, était allé en 1078 attaquer en Syrie les possessions qui relevaient des califes fatimites du Caire. Ce second rameau seld­joucide ne tarda pas à se partager en deux sultanies, celles d'Alep et de Damas, l’une et l'autre beaucoup moins puissantes que celle d'Iconium, qui s'étendait sur presque tout le territoire actuel de l'Anatolie1. Ces notions préliminaires font comprendre quel fais-

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1. Guillemin. Tyr., 1. III, cap. i, col. 275.

2 Cf. Peyré, Hisi. de ta première Croisade, t. I, p. 268.

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ceau de résistance allait s'unir, des points les plus extrêmes de l'Asie, pour combattre les soldats de la croix. Ceux-ci ne pouvaient comp­ter dans la lutte sur l'appui d'Alexis Comnène, plus disposé à les trahir qu'à leur prêter secours. Les seuls auxiliaires qu'ils devaient rencontrer sur la route étaient, en Asie-Mineure, les Arméniens ca­tholiques et les chrétiens disséminés dans les régions conquises par les Turcs. Plus tard, en Syrie, l'hostilité qui régnait entre les Seldjoucides de Bagdad et le califat fatimite d'Egypte devait aussi favo­riser la marche de la croisade. Mais, si profonde que fût la division de race entre les Turcs et les Sarrasins, la communauté de croyance et la haine de tout musulman contre le nom chrétien devaient plus d'une fois les réunir contre les soldats de Jésus-Christ.

 

      4. « Successivement, dit Guillaume de Tyr, arrivèrent autour de Nicée tous les contingents de Raymond de Saint-Gilles, de Robert de Normandie, d'Etienne de Blois, d'Eustache de Boulogne. Ces chefs de l'armée de Dieu, qui avaient quitté pour le service du Seigneur parents, fortune et patrie, ne s'étaient point encore jusque-là trouvés réunis. Ils purent alors faire le dénombrement de leurs lé­gions. Elles s'élevaient au chiffre de six cents mille piétons, tant sol­dats que pèlerins de tout sexe, et de cent mille cavaliers, vêtus de cuirasse. Leur premier fait de guerre fut le siège de Nicée ; ils le commencèrent en offrant à Dieu ces prémices de leurs combats1. » Il fallut une semaine pour préparer les béliers, les balistes, les tours roulantes, les catapultes dont on voulait faire usage, en sorte que le prermier assaut n'eut lieu que le jeudi 14 mai 1097, fête de l'As­cension. Il fut poussé avec une énergie incroyable, et dès le lende­main on signalait diverses brèches sur plusieurs points des remparts. Mais en même temps deux émissaires turcs, déguisés en pèlerins de la croix, cherchaient à pénétrer dans la ville assiégée. Ils étaient porteurs d'une lettre de Kilidji-Arslan ainsi conçue :

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1 Guillelm. Tyr., 1. II, cap. xxm, col. 274. Les chiffres donnés par Guillaume de Tyr sont les mêmes que ceux de Foulcher de Chartres. Ce dernier ajoute que, sans les désastres des expéditions particulières jusqu'à leur arrivée à Constantinople, le nombre eût été triplé. (Fulcher. Carnot., 1. I, c. iv, col. 834.)

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« Vous n'avez rien à craindre du peuple misérable et barbare campé autour de vos murailles. Je suis dans votre voisinage avec une armée composée de braves et vaillants guerriers ; d'autres en grand nombre me suivent de près. Tous ensemble nous allons fondre sur le vil troupeau qui vous entoure. De votre côté, soyez prêts à seconder mon atta­que par une sortie en masse. Ne redoutez pas le nombre de ces étrangers : ils viennent des pays lointains où le soleil se couche, ils sont exténués par les fatigues du voyage, ils n'ont pas même de chevaux pour résister aux charges de notre formidable cavalerie. Rappelez-vous avec quelle facilité nous en avons naguère exterminé en un seul jour plus de cinquante mille 1. Ces nouveaux venus ne tiendront pas mieux. Courage donc et confiance ! Demain avant la septième heure du jour (midi), la plaine de Nicée sera libre ; et vous n'aurez plus rien à craindre de vos ennemis2. »

 

5. Montés sur une barque qui côtoya les rives du lac Ascanius, les deux  espions vinrent prendre terre à quelque distance de la ville, où ils comptaient pouvoir se glisser furtivement. Leur conte­nance embarrassée  éveilla les soupçons d'un corps d'observation commandé par Tancrède. On les arrêta : l'un d'eux fut tué en cher­chant à se défendre ; l'autre, conduit à Godefroi de Bouillon, remit la lettre dont il était porteur, et ajouta de vive voix tout le détail stra­tégique des instructions que le sultan voulait faire transmettre aux assiégés. Ceux-ci devaient opérer une sortie simultanée par les deux portes de l'Orient et du Nord, pour rencontrer les colonnes dirigées sur ces deux points par Kilidji-Arslan. Pendant cette double atta­que, qui concentrerait dans un cercle déterminé toutes les forces des chrétiens, cinquante mille cavaliers turcs les envelopperaient pour les broyer contre les remparts de la place. Le lendemain, en effet, vers neuf heures  du matin, une avant-garde de cavalerie légère composée de dix mille Turcs, traversant la plaine au galop de ses chevaux, fondit sur les troupes du comte Raymond de Saint-Gilles, dans l'espoir de les surprendre. Mais le héros avait fait ses disposi­-

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1    Allusion, exagérée d'ailleurs, au désastre de Civitot.

2    Guillelm. Tyr., 1. iïi, cap. u, col. 276.

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tions de guerre ! ses guerriers massés en ordre de batailles, protégés par leur solides armures, reçurent, la lance en avant et sans faiblir, le choc de cette énorme masse. L'ennemi chercha en vain, ne pou­vant les rompre, à les attirer dans la plaine ; pas un ne quitta ses position. « Le sultan, voyant son avant-garde repoussée, dit Robert le Moine, lança alors tout le reste de ses forces, cinquante mille hommes, et sur trois colonnes les précipita contre le camp. Il comp­tait qu'une au moins, si les deux autres étaient repoussées, forcerait le passage. Ainsi calculaient les Turcs, mais avec l'aide de Dieu les nôtres déconcertèrent leurs plans. Le duc Godefroi de Bouillon, Raymond de Saint-Gilles avec Adhémar de Monteil, Boémond, Hu­gues le Grand, le comte de Flandre et tous les autres chefs, à la tête de leurs chevaliers, s'élancèrent d'une course rapide à la rencontre d'un ennemi dont ils ne faisaient pas plus cas que la meute ne fait d'un lièvre. On eût dit qu'affamés du sang des infidèles, ils cou­raient à un festin 1. Les rayons d'un soleil ardent faisaient étinceler dans la plaine l'or et l'argent des casques et des boucliers. Les che­vaux bondissaient sous l'éperon, les cavaliers, la lance en avant, formaient comme une muraille de fer vivante et frémissante. A cette vue, l'effroi passa dans le cœur des Turcs. » — « Ils ne se dé­fendirent pas plus d'une heure, dit Guillaume de Tyr, et s'enfuirent en désordre, laissant en notre pouvoir quatre mille morts et un grand nombre de prisonniers. On jeta par-dessus les remparts plu­sieurs têtes des vaincus pour apprendre aux habitants de Nicée la déroute de leur sultan. Celui-ci renonça dès lors à défendre cette ville et alla concerter plus loin d'autres attaques. Des trophées du même genre et quelques prisonniers turcs furent envoyés à l'empe­reur Alexis Comnène, qui attendait, dans l'île de Pélécane l'occasion de réaliser ses secrets desseins5. Dans cette glorieuse bataille, re­prend le

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1.       Celerrimo cursu irruunl in eos, non plus eorum formulantes multitudinem quam canes fugientem leporem... Paratiores de Turcorum corporibus extrahere
animas, quam famelicus eundi ad nuptias. (Robert. Monach., 1. III, cap. i, col. 686.)

2.      Cf. chap. précédent, n° 80.

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chroniqueur, outre les chefs dont nous avons déjà donné le nom, Tancrède, Gauthier de Garlande maître d'hôtel (dapifer) du roi des Francs, Gui de Porcesse, Roger de Barneville conquirent une gloire immortelle1 » (16 mai 1097).

 

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