La foi chrétienne hier et aujourd’hui 116

 

 

 Faisons encore un pas de plus. La sainteté, dans le rêve que font les hommes d'un monde intègre, est conçue comme une immunité par rapport au péché et au mal, sans mélange aucun; il y a là toujours une certaine façon de penser noir et blanc, qui écarte et rejette impitoyablement le côté négatif des choses (celui‑ci pouvant d'ailleurs revêtir des formes très variées).

 

Dans la critique actuelle de la société et dans les actions où cette critique trouve un exutoire, ce caractère inflexible, propre aux idéaux humains, n'apparaît que trop clairement.

 

Aussi ce qui, dans la sainteté du Christ, choquait déjà ses contemporains, c'était l'absence totale de ce caractère raide et tranchant : le feu ne tombait pas sur les indignes; et aux zélateurs on interdisait d'arracher l'ivraie qu'ils voyaient prospérer.

 

 Au contraire, cette sainteté s'extériorisait précisément sous la forme

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p247 « LA SAINTE ÉGLISE CATHOLIQUE»

 

d'une fréquentation des pécheurs, que Jésus attirait auprès de lui, solidaire avec eux au point de devenir lui‑même “péché” et de porter la malédiction de la loi dans sa mort: il a vraiment partagé jusqu'au bout le sort de ceux qui étaient perdus (cf. 2 Co 5, 21; Ga 3, 13).

 

Il a assumé le péché, l'a fait sien, et révélé ainsi ce qu'est la véritable « sainteté” : non pas séparation, mais union, non pas jugement, mais amour rédempteur.

 

L'Église n'est‑elle pas simplement le prolongement de cette insertion de Dieu dans la misère humaine, n'est‑elle pas simplement la continuation de la communauté de table de Jésus avec les pécheurs, de cette solidarité qui lui fait partager la détresse du péché, au point de paraître s'anéantir en elle ?

 

Dans cette sainteté si peu sainte de l'Église ne voit‑on pas se manifester, en face de l'attente humaine de pureté, la véritable sainteté de Dieu, qui est amour, un amour qui ne se tient pas à distance dans une pureté intouchable, mais qui se mêle à la boue du monde pour la surmonter ?

 

Dès lors, la sainteté de l'Église peut‑elle être autre chose que le fait de nous porter les uns les autres, ce qui d'ailleurs n'est possible à chacun d'entre nous que parce que le Christ nous porte tous?

 

   J'avoue que pour moi, cette sainteté si peu sainte de l'Église a quelque chose d'infiniment consolant. Car ne faudrait‑il pas désespérer devant une sainteté qui serait immaculée et ne pourrait agir sur nous qu'en jugeant et en brûlant ?

 

Et qui oserait prétendre n'avoir pas besoin d'être supporté par les autres, d'être porté par eux? Or, comment quelqu'un qui, pour vivre, a besoin d'être supporté par les autres, pourrait‑il lui‑même se refuser à supporter ? N'est‑ce pas la seule chose qu'il puisse donner en retour, l'unique réconfort qui lui reste, de supporter comme on le supporte lui-même?

 

 La sainteté de l'Église consiste d'abord à supporter, pour ensuite porter; mais lorsqu'on cesse de supporter, l'on cesse également de porter, et l'existence qui n'a plus d'appui, ne peut que sombrer dans le vide.

 

L'on dira peut‑être que de telles paroles sont l'expression d'une existence faible et sans vigueur; mais la condition chrétienne implique que l'on accepte l'impossibilité de l'autarcie et la faiblesse de son être propre.

 

 Au fond, il y a toujours de l'orgueil caché là où la critique de l'Église revêt cette dureté amère qui commence à être de mode de nos jours.

 

Malheureusement, elle est jointe trop souvent à un vide spirituel, où la réalité propre de l'Église n'est même plus perçue; on n'y voit plus qu'un instrument

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p248 L'ESPRIT ET L'ÉGLISE

 

politique, dont l'organisation apparait pitoyable ou alors brutale, comme si la réalité propre de l'Église ne se situait pas au‑delà de l'organisation, dans le réconfort de la parole et des sacrements, qu'elle nous procure aux bons et mauvais jours.

 

Les vrais croyants n'attachent pas une trop grande importance à la lutte pour la réorganisation des formes extérieures de l'Église. Ils vivent de ce que l'Église est depuis toujours. Et si l'on veut savoir ce que l'Église est véritablement, c'est auprès d'eux qu'il faut aller.

 

Car l'Église ne se trouve pas d'abord là où l'on organise, réforme, dirige, mais en ceux qui croient simplement et qui en elle accueillent le don de la foi et en vivent.

 

Seul, celui qui a expérimenté comment, par‑delà le changement de ses serviteurs et de ses formes, l'Église réconforte les hommes, leur donne une patrie et une espérance, une patrie qui est espérance, chemin vers la vie éternelle, celui‑là seul sait ce qu'est l'Église, autrefois et aujourd'hui.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon