Darras tome 40 p. 267
48. Les partisans de la monarchie constitutionnelle, éconduits des congrès, se. rabattirent sur les sociétés secrètes. En 1781, le profeseur Weishaupt, mélangeant l'athéisme français avec la franc-maçonnerie allemande, avait créé en Bavière la secte des illuminés. Cette secte comprenait deux ordres de grades : les sept grades inférieurs pour les imbéciles, toujours nombreux dans ces synagogues ; les deux grades supérieurs de prêtre et de régent, pour les initiés au vrai but de la société. Dans le premier de ces
==========================================
p268 PONTIFICAT DE PIE Vil (1800-1823)
degrés, on enseignait aux initiés que la religion n'est qu'imposture; dans le second, on déclarait les rois usurpateurs et on proclamait la souveraineté des pères de famille. Toutes les distinctions sociales devaient être supprimées : l'humanité devait être ramenée à l'ère patriarcale, comme on veut la ramener aujourd'hui à la commune. Mais d'abord on devait donner le coup de grâce au règne des fripons, purger la terre de méchants, c'est-à-dire des rois et des prêtres catholiques. Cette secte, découverte et poursuivie énergiquement en Allemagne, avait joué, dans les malheurs de la France, un triste rôle. Vers le même temps, les émigrés de France et d'Italie réfugiés en Bavière avaient été initiés aux grades inférieurs d'une secte dont les apparences philanthrophiques leur avaient dissimulé la scélératesse. A leur retour en 1815, ils essayèrent, dans le royaume de Naples, de propager, sous le nom de Charbonnerie, cette société dans les classes populaires, avec l'espoir de s'en servir pour consolider le trône. Les libéraux italiens, opposant société à société, fondèrent à leur tour, une charbonnerie qui effaça l'autre et dont le but était diamétralement opposé. L'Italie avait déjà quelques vieux restes de franc-maçonnerie, société de niais, peut-être moins scélérate que la société du carbonarisme. Un peu plus tard, les deux sociétés secrètes, se mirent sous la direction d'une haute vente, composée de six ou sept personnes, dont la mission était de stimuler le zèle des frères, de les organiser en bandes et de les pousser à la bataille. En 1820, des prises d'armes eurent lieu à Naples, à Palerme et en Piémont ; elles furent comprimées par l'Autriche ou avec son concours. Le 20 octobre 1821, la haute vente écrivait à ses affldés :
« Dans la lutte maintenant engagée entre le despotisme sacerdotal et monarchique et le principe de liberté, il y a des conséquences qu'il faut subir, des principes qu'avant tout il importe de faire triompher. Un échec était dans les événements prévus ; nous ne devons pas nous en attrister plus que démesure ; mais si cet échec ne décourage personne, il devra, dans un temps donné, nous faciliter les moyens pour attaquer le fanatisme avec plus de fruit. Il ne s'agit que de toujours exalter les esprits, et de mettre à profit
==========================================
p269 CHAP. XI. — DERNIÈRES ANNÉES ET MORT DE PIE VII
toutes les circonstances. L'intervention étrangère, dans des questions pour ainsi dire de police intérieure, est une arme effective et puissante qu'il faut savoir manier avec dextérité. En France, on viendra à bout de la branche aînée en lui reprochant incessamment d'être revenue dans les fourgons des Cosaques; en Italie, il faut rendre aussi impopulaire le nom de l'étranger, de sorte que, lorsque Rome sera sérieusement assiégée par la révolution, un secours étranger soit tout d'abord un affront, même pour les indigènes fidèles. Nous ne pouvons plus marcher à l'ennemi avec l'audace de nos pères de 1793. Nous sommes gênés par les lois et bien plus encore par les mœurs ; mais avec le temps il nous sera permis peut-être d'atteindre le but qu'ils ont manqué. Nos pères mirent trop de précipitation à lout, et ils ont perdu la partie. Nous la gagnerons si, en contenant les témérités, nous parvenons à fortifier les faiblesses.
« C'est d'insuccès en insuccès qu'on arrive à la victoire. Ayez donc l'œil toujours ouvert sur ce qui se passe à Rome. Dépopularisez la prétraille par toute espèce de moyens ; faites au centre de la catholicité ce que nous tous, individuellement ou en corps, nous faisons sur les ailes. Agitez, jetez sur la rue sans motifs ou avec motifs, peu importe, mais agitez. Dans ce mot sont renfermés tous les éléments de succès. La conspiration la mieux ourdie est celle qui se remue le plus et qui compromet le plus de monde. Ayez des martyrs, ayez des victimes, nous trouverons toujours des gens qui sauront donner à cela les couleurs nécessaires. »
49. Dans cette guerre sourde, il fallait un mot d'ordre ; on prit celui des Jésuites. Cette célèbre Compagnie avait laissé sur l'histoire une si profonde empreinte que sa chute même n'avait pu réduire ses ennemis au silence. A la Convention, Marat, évoquait son fantôme ; Napoléon, au comble de sa gloire, la craignait ou, du moins, feignait de la craindre. A sa résurrection en 1814, elle n'avait plus de confesseurs pour diriger la conscience des rois, plus de collèges pour travailler à l'éducation de la jeunesse, plus d'apôtres pour évangéliser les nations assises à l'ombre de la mort. On l'avait dépouillée de tous ses biens ; on lui avait ravi tous les moyens de dévouement et toutes les espérances de martyre. Mais
=========================================
p270 PONTIFICAT DE PIE vit (1800-1823)
il leur restait la haine du sophisme et c'était assez pour que tous les bourreaux barbouilleurs de lois ou d'articles, songeant à miner l'Église, les prissent pour objet d'aversion. Les missionnaires, exploités un instant, disparaissent peu à peu ; l'épiscopat s'efface ; le clergé est rejeté au second plan ; le Saint-Siège lui-même ne reçoit pas ostensiblement les plus rudes atteintes. Il n'y a plus que des Jésuites ; on déclame contre les Jésuites ; et par l'horreur qu'on inspire pour ce nom chargé de tous les crimes, on pousse la sape contre l'Église et la Chaire apostolique.
L'Église ne manquait pas de défenseurs. La Synagogue avait eu ses prophètes ; l'Église naissante ses évangélistes et ses docteurs; depuis son berceau elle avait vu des légions d'auteurs ecclésiastiques, décorés du beau nom de Pères, voler à ses avant-postes ou se battre sur les remparts, avec l'autorité de la science et l'intrépidité du lion. Malgré les malheurs des temps, malgré la destruction des Jésuites, ces grands maîtres de l'éducation ; malgré les vingt-cinq ans de la tempête révolutionnaire, on voyait s'élever partout de nobles têtes. La France admirait Chateaubriand; s'enorgueillissait des Bonald, des J. de Maistre, des Boulogne, des Rey, des Frayssinous, des Riambourg ; se laissait entraîner par la mâle éloquence de Lamennais. L'Allemagne enfantait, comme en se jouant, Zacharie Werner, Frédéric de Schlegel, Louis de Haller, le baron d'Eckstein, Gœrrès, Adam Muller et le comte de Stolberg, plein de génie, qui, par ses œuvres inspirées, produisait d'éclatantes conversions. Sur la barque de Saint-Pierre il n'y avait qu'un vieillard, éprouvé par de long malheurs, Pie VII; mais à ses côtés, il gardait un chef de manœuvres, rompu aux orages, expert à vaincre encore plus qu'à braver la tempête, Consalvi.
50. En1823, Pie VII, par sa bulle Ecclesiam, dénonce aux princes de l'Europe les dangers dont les menacent les sociétés secrètes. « Dans le nombre de ces sociétés, dit-il, il faut indiquer ici une société récemment formée, qui s'est propagée au loin dans toute l'Italie, et dans d'autres contrées, et qui, bien que divisée en plusieurs branches et portant différents noms, suivant les circonstances est cependant réellement une, tant par la communauté
==========================================
p271 CHAP. XI. — DERNIÈRES ANNÉES ET MORT DE PIE VII
d'opinions et de vues que par la constitution. Elle est le plus souvent désignée sous le nom de Société des Carbonari. Ils affectent un singulier respect et un zèle tout merveilleux pour la religion catholique et pour la doctrine et la personne de notre Sauveur Jésus-Christ, qu'ils ont quelquefois la coupable audace de nommer leur grand maître et le chef de leur Société. Mais ces discours, qui paraissent plus doux que l'huile, ne sont autre chose que des traits dont se servent ces hommes perfides pour blesser plus sûrement ceux qui ne sont pas sur leurs gardes. Ils viennent à vous semblables à des brebis, mais ils ne sont au fond que des loups dévorants.
« Sans doute, ce serment si sévère par lequel, à l'exemple des anciens Priscillianistes, ils jurent qu'en aucun temps, en aucune circonstance ils ne révéleront quoi que ce soit qui puisse concerner la Société, à des hommes qui n'y seraient point admis, ou qu'ils ne s'entretiendront jamais avec ceux des derniers grades de choses relatives aux grades supérieurs ; de plus, ces réunions clandestines et illégitimes qu'ils forment à l'instar de plusieurs hérétiques, et cette agrégation de gens de toutes les religions et de toutes les sectes dans leur Société, montrent assez, quand même il ne s'y joindrait pas d'autres indices, qu'il ne faut avoir aucune confiance dans leurs discours.
« Mais il n'est besoin ni de conjectures, ni de preuves pour porter sur leurs discours le jugement que nous venons d'énoncer. Leurs livres imprimés, dans lesquels on trouve ce qui s'observe dans leurs réunions, et surtout dans celles des grades supérieurs, leurs catéchismes, leurs statuts, d'autres documents authentiques et très dignes de foi, et les témoignages de ceux qui, après avoir abandonné cette Société, en ont révélé aux magistrats les artifices et les erreurs; tout prouve que les Carbonari ont principalemennt pour but de propager l'indifférence en matière de religion, le plus dangereux de tous les sytèmes ; de donner à chacun la liberté absolue de se faire une religion suivant ses penchants et ses idées ; de profaner et de souiller la Passion du Sauveur par quelques-unes de leurs coupables cérémonies; de mépriser les sacrements de l'Eglise (auxquels ils paraissent en substituer quelques-uns inventés par eux),
==========================================
p272 PONTIFICAT DE PIE VII (1800-1823)
et même les Mystères de la Religion catholique ; enfin, de renverser ce siège apostolique contre lequel, animés d'une haine toute particulière, ils trament les complots les plus noirs et les plus détestables. « Les préceptes de morale que donne la Société des Carbonari tyrans.ne sont pas moins coupables comme le prouvent ces mêmes documents, quoiqu'elle se vante hautement d'exiger de ses sectateurs qu'ils aiment et pratiquent la charité et les autres vertus, et s'abstiennent de tout vice. Ainsi elle favorise ouvertement les plaisirs des sens; ainsi elle enseigne qu'il est permis de tuer ceux qui révéleraient le secret dont nous avons parlé plus haut, et quoique Pierre, le prince des Apôtres, recommande aux chrétiens de se soumettre pour Dieu, à toute créature humaine qu'il a établie au-dessus d'eux, soit au roi comme étant le premier dans l'Etal, soit aux magistrats comme étant les envoyés du roi, etc., et quoique l'apôtre Paul ordonne que tout homme soit soumis aux puissances plus élevées, cependant cette Société enseigne qu'il est permis d'exciter des révoltes pour dépouiller de leur puissance les rois et tous ceux qui commandent auxquels elle donne le nom injurieux de
« Tels sont les dogmes et les préceptes de cette Société, ainsi que tant d'autres qui y sont conformes. De là ces attentats commis dernièrement en Italie par les Carbonari, attentats qui ont tant affligé les hommes honnêtes et pieux. Nous donc, qui sommes constitué le gardien de la maison d'Israël, qui est la sainte Église... » Sur quoi Pie VII, marchant sur les traces de Clément XII et de Benoît XIV, condamnait la société des Carbonari.
« C'est pourquoi, disait le Pontife dans la conclusion de sa bulle, nous recommandons rigoureusement et en vertu de l'obéissance due au Saint-Siège, à tous les chrétiens en général, et à chacun en particulier, quels que soient leur état, leur grade, leur condition, leur ordre, leur dignité et leur prééminence, tant aux laïques qu'aux ecclésiastiques, séculiers et réguliers ; nous leur recommandons de s'abstenir de fréquenter, sous quelque prétexte que ce soit, la Société des Carbonari, ou de la propager, de la favoriser, de la recevoir ou de la cacher chez soi ou ailleurs, de s'y affilier, d'y prendre quelque grade, de lui fournir le pouvoir et les moyens de se réunir
==========================================
p273 CHAP. XI. — DERNIÈRES ANNÉES ET MORT DE PIE VII
quelque part, de lui donner des avis et des secours, de la favoriser ouvertement ou en secret, directement ou indirectement, par soi ou par d'autres ou de quelque manière que ce soit, ou d'insinuer, de conseiller, de persuader à d'autres de se faire recevoir dans cette Société, de l'aider et de la favoriser ; enfin, nous leur recommandons de s'abstenir entièrement de tout ce qui concerne cette Société, de ses réunions, affiliations et conventicules, sous peine de l'excommunication qu'encourront tous ceux qui contreviendront à la présente constitution, et dont personne ne pourra recevoir l'absolution que de Nous ou du Pontife romain alors existant, à moins que ce ne soit à l'article de la mort. »
Cette bulle aurait dû dessiller bien des yeux et mettre sur les traces de beaucoup de manœuvres ; les esprits, absorbés par les frénésies du libéralisme, n'y virent, de la part de Rome, qu'une complaisance pour l'Autriche et qu'une entrave au progrès. La vérité aujourd'hui connue, c'est que Pie VII n'avait pas pénétré toutes les trames de la secte et que l'ensemble du complot avait échappé à sa vigilance. C'était aux gouvernements, directement intéressés, à fouiller le mur de la franc-maçonnerie : ils n'y eurent garde, les sectaires poursuivirent leur ouvrage souterrain. Nous en verrons les effets.
51. A la chute de Napoléon, la France rappela l'héritier de ses rois ; le comte de Provence monta sur le trône sous le nom de Louis XVIII. Les circonstances étaient critiques, mais, si on l'eût voulu, favorables à une solide restauration. Le roi conclut avec les puissances belligérantes, un traité de paix qui renfermait la France dans ses anciennes limites et octroya à ses sujets une charte constitutionnelle, qui devait endiguer la révolution, mais qui, dans la réalité, la constituait sous le nom de libéralisme. Louis XVIII ne renversa pas le trône de Napoléon, il s'assit dessus et fournit à d'autres les moyens de l'en faire descendre. La charte garantissait la division des pouvoirs, le libre consentement des impôts par les représentants élus de la nation, l'égale admissibilité aux emplois, la liberté individuelle, la liberté de la presse, la liberté des cultes la responsabilité ministérielle, le jugement par jury, l'indépendance
=========================================
p274 PONTIFICAT DE PIE VII (1800-1823)
du pouvoir judiciaire, la consolidation de la dette publique, l'irrévocabilité de la vente des biens nationaux et la mise à l'abri de toute responsabilité légale des opinions et votes émis pendant la révolution. En même temps, les évêques, les prêtres et les émigrés rentraient dans leur patrie ; les prisons s'ouvraient pour les détenus politiques et religieux. D'après la charte, la religion catholique restait la religion de l'État. La loi rendit donc obligatoire l'observation du dimanche ; une ordonnance multiplia les séminaires et les émancipa de l'Université. La France rentrait doucement sous ses anciennes lois, lorsque Napoléon revint inopinément de l'île d'Elbe.
Au départ pour Gand, Louis XVIII avait déclaré traîtres ceux qui serviraient l'usurpateur; au retour, il déclara rebelles ceux qui l'avaient suivi en exil et, pour ministres, prit deux célèbres misérables, le régicide Fouché et l'évêque apostat Talleyrand. Désormais, on observe, dans l'histoire de la restauration, un certain dualisme : d'un côté, on revient à l'ordre par de sérieuses mesures; de l'autre, on fait à la révolution des avances qui doivent assurer son triomphe. Cependant les alliés imposaient à la France un traité onéreux ; Louis XVIII fut assez heureux pour en faire adoucir quelques dispositions; ses soins se portèrent ensuite vers le rétablissement des institutions sociales et religieuses dont le besoin se faisait plus généralement sentir. Les missions, rétablies par ordonnance royale, se firent sous la direction des abbés Rauzan et Forbin-Janson. La loi du divorce fut rapportée sur la proposition du vicomte de Bonald. Des communautés religieuses, supprimées par Napoléon, furent rétablies et autorisées à acquérir, sous certaines conditions, des biens immeubles. Une part d'influence fut attribuée aux évêques dans l'Université. Le spiritualisme reparut dans les lettres, dignement représenté par Chateaubriand, Bonald, J. de Maistre, Lamennais, Frayssinous et Boulogne. C'est le beau côté du règne. S'il faut louer cette restauration, il faut blâmer certaine missions faites avec trop d'appareil gouvernemental, regretter cette solidarité affectée du trône et de l'autel, condamner cette ferveur de légitimisme qui outrepasse de beaucoup les frontières de la saine
============================================
p275 CHAP. XI. — DERNIÈRES ANNÉES ET MORT DE PIE VII
doctrine. On doit regretter aussi des rigueurs intempestives, par exemple l'exécution du maréchal Ney ; mais, en général, la répression fut trop douce. Ce gouvernement laissa, aux libéraux et aux doctrinaires, à peu près la liberté de tout dire. Quatre cent quatre-vingt-huit salons politiques s'étaient ouverts à Paris comme autant de foyers d'opposition. La presse et le théâtre leur servaient d'échos fidèles ; la librairie était leur complice audacieuse. On réédita 290,000 volumes impies et orduriers des encyclopédistes, et 128,000 volumes de romans corrupteurs , comme ceux de Pigault-Lebrun. Avec le temps, de pareilles lectures devaient entraîner les esprits et préparer de nouvelles révolutions.
Le trait par lequel s'accuse davantage la maladresse de la Restauration, c'est la résurrection du gallicanisme. Dès 1816, le ministre Laine rendait obligatoire dans les séminaires l'enseignement des quatre articles. Louis XVIII, qui comptait les années de son exil comme des années de règne, fit tomber bientôt sa mauvaise humeur sur le Concordat. Les évêques non-démissionnaires voyaient, dans cet acte héroïquement sauveur, une brèche à leurs droits et aux prérogatives de la royauté. Une commission ecclésiastique fut donc nommée pour rétablir l'Église gallicane sur ses anciennes bases. Avec ces prétentions, il était difficile de faire des ouvertures au Saint-Siège ; on s'arrêta au projet d'un nouveau Concordat, qui pourrait satisfaire toutes les susceptibilités. Un premier texte fut arrêté en 1816, puis remanié pour devenir le Concordat de 1817. Ce Concordat abrogeait le Concordat de 1801, supprimait les articles organiques contraires à la discipline de l'Église et faisait revivre le Concordat de Léon X et François Ier. En conséquence, on demanda leur démission aux évêques établis en vertu du Concordat de 1801, les évêques non-démissionnaires de 1801 envoyèrent aussi leur démission, mais au roi, non au pape, et encore avec des restrictions ou insinuations peu convenables. Ce Concordat, ratifié de part et d'autre , fut rejeté par les Chambres, sous ce prétexte qu'il instituait trop d'évêchés. Par suite, la confusion fut portée à son comble ; il n'y avait plus, en France, ni évêchés, ni évêques. Une circonscription définitive fut enfin
==========================================
p276 PONTIFICAT DE PIE vu (1800-1823)
donnée en 1822 ; la France eut 80 évêchés, distribués sous 14 métropoles.
Le gallicanisme, si bien réfuté par l'acte souverain de 1801, l'était encore par les actes successifs de 1817 et de 1822. Mais la cour et l'opinion des classes élevées lui étaient favorables ; il se réfugia dans les livres, attendant l'occasion de revenir par quelque voie oblique. Frayssinous, qui avait si bien mérité de l'Église par les conférences de Notre-Dame, écrivit ses vrais principes de l'Église gallicane ; le cardinal de Bausset distilla, dans les histoires de Fénelon et de Bossuet, les mêmes erreurs ; le cardinal de La Luzerne lui-même, un apologiste distingué, un confesseur de la foi, composa une nouvelle défense de la déclaration de 1682. Lamennais, qui combattait vigoureusement ces aberrations, se vit condamné en police correctionnelle et censuré par quatorze évêques. Frayssinous, devenu ministre, songeait à fonder une nouvelle Sorbonne, qui se dresserait comme la citadelle du particularisme français ; son projet avorta par suite de dissidences entre le grand aumônier de France et l'archevêque de Paris; le ministre crut, du reste, avoir, dans Saint-Sulpice, un rempart suffisant pour ces vieilles maximes. Mais déjà Louis XVIII était mort ; prince religieux et bon, mais faible et entaché de l'esprit philosophique, il laissait à son vieux frère un trône qu'il ne devait point conserver.
52. « Certainement, dit le cardinal Wisemann, dans l'espace de trois siècles, à l'exception d'une très courte période, il n'a jamais existé de relations aussi amicales entre le Saint-Siège et le gouvernement de la Grande-Bretagne que du temps de Pie VII » (1). Pie VII et Consalvi semblaient éprouver une admiration et même une affection instinctive pour ce royaume. L'une des causes avouées, et peut-être la principale, de la rupture entre Pie VII et Napoléon, fut le refus du Pape d'adhérer au système continental, d'exclure des ports de l'État pontifical la marine de l'Angleterre, et d'interdire tout commerce avec les marchands de ce pays. Les malheurs personnels, la patience, les vertus admirables du pontife augmentèrent encore les sympathies pour sa personne, et plus
-----------------------------------------
(1) Souvenirs des quatre derniers Papes, p, 129.
===========================================
p277 CHAP. XI. — DERNIÈRES ANNÉES ET MORT DE PIE VII
d'une fois l'Angleterre fut prête à lui donner asile sur ses vaisseaux. Gonsalvi fit le voyage de Londres et posa les bases de l'affranchissement des catholiques ; le régent voulut entrer en rapport bienveillant avec le Saint-Siège. Lorsque Canova ramena à Rome les chefs-d'œuvre qui avaient été transportés en France, le voyage de Paris à Rome se fit aux frais de la Grande-Bretagne. Lord Exmoulh, après avoir terminé victorieusement sa courageuse expédition d'Alger, fit savoir au pape que l'ère de l'esclavage des chrétiens en Algérie touchait à sa fin et renvoya au Saint-Père 173 captifs délivrés, sujets de ses États. Ces sentiments de bienveillance à l'égard de l'Angleterre amenèrent le rétablissement du collège national, qui avait si longtemps existé à Rome. Consalvi plaida chaleureusement cette cause et la gagna. L'église de Moorfied, qui servit longtemps de pro-cathédrale au diocèse de Westminster, était alors en construction ; Pie VII lui fit présent d'un calice en or massif, enrichi d'émeraudes, de perles et de diamants, qu'il avait reçu du chapitre de Mexico ; et comme on lui faisait observer que c'était l'objet le plus précieux qu'il possédait : « Je n'ai rien de trop bon, dit-il, pour donner aux catholiques anglais. »