Darras tome 26 p. 288
§ X. CHANGEMENT DE DYNASTIE EN ALLEMAGNE.
30. Puisque nous rappelons les événements de 1125, nous ne saurions passer sous silence la mort de l’empereur d’Allemagne Henri V. Quelques historiens la diffèrent à tort jusqu’à l’année suivante; il n’est pas douteux qu’elle n’appartienne à celle-ci. Les circonstances de cette mort, qui mit fin à la descendance de Liudgarde, fille d’Otton le Grand, de laquelle étaient issus les quatre empereurs Conrad II le Salique, Henri III et ses deux successeurs du même nom, veulent qu’on les remanque. Voici le récit de Suger, conforme d’ailleurs à toutes les relations contemporaines, et qui prouve que la soumission du César allemand au Saint-Siège n’était qu’apparente ; qu’il roulait en son esprit de nouvelles et sacrilèges entreprises contre l’Église. «Avant le décès du seigneur pape Calixte, en 1124, l’empereur Henri, après avoir longtemps nourri des pensées de vengeance contre le seigneur roi Louis, parce que c’est dans le royaume de ce dernier, au concile de Reims, que
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' Les historiens du Languedoc, liv. XVII, chap. 80, Dom de Vie et Dom Vaissette, n'entendent pas que l'évêque Galtier soit intervenu dans cette circonstance. Ils en donnent pour raison qu'il avait déjà procuré la paix entre le seigneur de Magnelone et le comte de Montpellier. Une telle raison nous parait au moins étrange ; elle ne saurait infirmer à nos yeux l'interprétation du savant critique Pagi.
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p389 CHAP. IV. — CHANGEMENT DE DYNASTIE EN ALLEMAGNE.
l’anathème de Calixte l’avait frappé, rassemble une armée aussi nombreuse que possible, de Lorrains, d’Allemands, de Bavarois, de Suèves et de Saxons, bien que ceux-ci lui soient antipathiques; feignant de vouloir agir d’un autre côté, sur le conseil du roi d’Angleterre Henri, dont il avait épousé la fille, et qui déclarait aussi la guerre à notre souverain, il projette d’attaquer à l’improviste la ville de Reims, avec l’intention, ou de la détruire par surprise, ou de l’opprimer et de lui infliger une humiliation non moins grande que celle qu’il avait reçue lui-même. Informé de ces projets par ses conseillers intimes, le roi Louis, avec la prompte décision d’un cœur que rien n’ébranle, réunit autour de lui l’élite de la noblesse du royaume, au moment où l’on y songeait le moins, et lui fait connaître le motif de cet appel1.» Suger raconte ensuite comment le roi se mit sous la protection spéciale de S. Denis, les préparatifs de guerre, la retraite honteuse de l’empereur sans coup férir, la joie des Français que les prières seules de leurs prélats purent détourner à grand’peine d’une invasion en Allemagne, et les actions de grâces solennellement rendues à S.Denis et à ses compagnons. Il rappelle enfin, au sujet de la mort de l’empereur, cette croyance antique si souvent vérifiée par l’événement, que, toutes les fois qu’a lieu une semblable exposition publique des saints pour conjurer quelque danger, l’auteur de la violence est puni de mort, dans le courant de l'année, par la main vengeresse de Dieu. Il en fut ainsi pour l’empereur Henri, qui mourut avant le délai d’un an, dans la semaine de la Pentecôte de 1123 et qui fut enseveli à Spire, à côté de ses prédécesseurs. La fête tombait cette année le 17 mai.
31. Il ne laissait pas de fils pour lui succéder au trône de Germanie. C’est ainsi que par un juste jugement de Dieu l’empire d’Occident fut ôté aux Franconiens, à cause de l’abus qu’ils en avaient fait pour combattre l’Église, et transféré aux Saxons défenseurs du Saint-Siège. Le César mourant, à défaut d’héritier,
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1 Sucer. Abb. Vita Luclocivi Grossi, cap. xxi ; Patr. Int. tom. CLXXXYI, col. 1318 et seq.
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p290 Pontificat d’iionorius 11 (1124-1130).
avait légué les insignes impériaux à sa femme Mathilde. Mais le puissant et courageux archevêque de Mayence, Adalbert, constamment en éveil pour empêcher toute tentative de schisme ou toute usurpation du pouvoir séculier, réunit les évêques et les grands de la nation avec leurs armées, et soumit à l’assemblée l’élection d’un nouvel empereur. Il avait d’ailleurs obtenu de l’impératrice la remise des insignes, avant de mettre en délibération une aussi grave affaire. « Je vous en conjure, dit-il, très-excellents barons qui assistez à cette cour plénière ; écoutez-moi tous avec attention, et quand vous m’aurez entendu, ayez la prudence de faire ce que je vais vous dire. C’est dans l’intérêt de vous tous et de plusieurs qui ne sont point ici que je travaille, que mes pensées sont nuit et jour pleines de sollicitude. De longs discours seraient ici superflus. Vous savez que notre empereur est mort sans héritier : il faut que nous ayons la sagesse de lui chercher un successeur fidèle et dévoué à Dieu, favorable aux enfants de l’Église. » Orderic à qui nous empruntons cette courte harangue d’Adalbert, ne nous semble pas exactement instruit des circonstances de l’élection de Lothaire, qu’il rapporte ensuite: la relation d’Otton de Freisengen et de Godefroy de Viterbe est plus digne de foi. D’autant plus qu’Otton était frère utérin de Conrad duc de Franconie et de Frédéric duc de Souabe, qui prétendaient à l’empire. Agnès, sœur de l’empereur Henri, lisons-nous dans la chronique d’Ursperg, avait été mariée en premières noces à Frédéric seigneur de Stophen, et de cette union étaient nés Frédéric et Conrad ; en secondes noces au pieux Léopold IV, marquis d’Autriche, à qui elle donna plusieurs enfants, entre autres Otton, plus tard évêque de Freisengen2, » qui ne put ignorer par conséquent les circonstances précises de cette élection.
32. Voici comment il la raconte : « L’an de l’Incarnation du Seigneur 1123, Henri V étant mort sans héritier, les princes s’assemblent à Mayence, —le jour de Saint-Barthélemy, lisons-nous
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1 Orderic. Vital. Hht. eccl. m part, xn, 20 ; Pair. lut. tom. CLXXXVIII, col.
911, 912.
3 UusbEUG. Adb. Citron, ad anmiin
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p291 CHAP. IV. — CHANGEMENT DE DYNASTIE EN ALLEMAGNE.
dans le chronographe d’Hildesheim, — et là, sur la délibération de lui donner un successeur, quatre grands du royaume, Lothaire duc de Saxe, Frédéric duc de Souabe, Léopold marquis d’Autriche, et Charles comte de Flandre sont désignés comme candidats à la couronne. Enfin Lothaire, fils de Gébohard, Saxon de nation, sur le vœu de tous, malgré sa vive résistance et ses réclamations, fut porté sur le trône ; il régna le quatre-vingt-treizième depuis Auguste. L’élection se fit sous les yeux des légats du Siège apostolique. Il humilia en toutes choses la race de l’empereur Henri, afin qu’il parût évident à tous qu'un juste jugement de Dieu, comme parle le livre des Rois, faisait retomber sur les descendants les péchés et la prévarication des pères. Il en résulta dans le royaume de graves dissensions, prolongées pendant plusieurs années ; il advint de là que beaucoup furent en péril et de leur âme et de leur corps. Les jeunes Frédéric et Conrad, fils de la sœur de l’empereur Henri, se croyant des droits à l’empire, s’efforcaient de résister autant qu’il était en leur pouvoir; c’est pour cela que le souverain Pontife Honorius, qui avait succédé à Galixte, les excommunia. Conrad, fait roi par son frère et quelques autres, passe les monts par les défilés, voisins des sources du Rhin. Les Milanais, qui venaient determiner à leur avantage, par la prise et la destruction de Côme, la guerre prolongée pendant dix ans pour l’affliction et le malheur de l’une et de l’autre ville, le reçoivent avec honneur, et leur archevêque Anselme lui donne l’onction royale. Pour ce fait et d’autres, Anselme est déposé par le souverain Pontife, et remplacé dans sa dignité1. » Otton ajoute que Lothaire étant venu en Italie, y perdit le peu de troupes qu’il avait amenées ; ce n'est pas sans péril pour lui-même qu’il put regagner sa patrie. Lothaire II, à qui les Papes furent toujours favorables, élu à Mayence en présence des deux légats du Saint-Siège, Eurard et Romain, avait été sacré roi de Germanie à Aix-la-Chapelle, par Frédéric archevêque de Cologne ; ce ne fut qu’en 1133 qu’il fut couronné empereur à Rome. Sur les événements qui suivirent de près les comices de
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1. Otto Frising. Chron. vu, 17.