Angleterre 30

Darras tome 25 p. 518

 

   16. Nous n'avons plus les instructions remises à Guillaume de Warlewast par le roi son maître. Cependant on peut les reconstituer après coup dans leurs données principales, grâce à la lettre suivante, dans laquelle Pascal II, répondant à Anselme, lui faisait connaître les termes de la convention intervenue entre le saint-siége et l'ambassadeur anglais. « Nous rendons grâces au Dieu de toute miséricorde qui a enfin incliné le roi d'Angleterre à des sentiments d'obéissance envers le siège apostolique, disait le pape. Votre cha­ritable intervention et l'efficacité de vos prières ont, nous n'en dou­tons pas, obtenu ce résultat inespéré, qui doit produire tant de

-------------

1. Guillaume Bonne-Âme, archevêque de Rouen avait été suspendu par Ur­bain II des fonctions épiscopales pour avoir, en 1092, autorisé par sa présence le mariage sacrilège du roi Philippe I avec Bertrade. (Cf. tom. XXII de cette Histoire, p. 195.)

2 Anselm. Cantuar., Epist., 1. IV, 73; Pair, lat., tom. CLIX, col. 259.

========================================

 

p519 CHAP.   III.            PACIFICATION   RELIGIEUSE   DE   L ANGLETERRE.    

 

fruits de salut au sein du peuple confié à votre sollicitude. De notre côté, les concessions que nous avons faites au roi d'Angleterre nous ont été commandées par l'unique espérance de pouvoir rele­ver de l'oppression tant de malheureux fidèles qui gémissent sous le poids de la tyrannie. On ne saurait tendre la main pour relever des victimes sans se courber soi-même un peu. Nous avons donc fait on sorte de nous incliner miséricordieusement, mais sans tomber nous-même. En conséquence, vénérable et bien-aimé frère, nous avons levé la défense portée sous peine d'excommunication et pro­noncée d'une manière générale par notre prédécesseur Urbain II de sainte mémoire, interdisant de communiquer avec des évêques qui auraient reçu l'investiture laïque ou prêté serment d'hommage-lige au roi. Après satisfaction préalable, faite par ces titulaires en la forme dont nous avons donné copie aux fidèles envoyés Guillaume de Warlewast et Baudoin, vous pourrez les absoudre des censu­res et les réhabiliter en vertu de notre autorité apostolique. Ceux d'entre eux qui n'auraient pas encore reçu la consécration épiscopale et n'auraient d'ailleurs pas d'autres empêchements canoniques pourront être sacrés par vous ou par tels évêques que vous délégueriez à cet elfet. Nous exceptons nominativement de cette mesure d'indulgence le titulaire Richard de Bienfaite1, qui s'est fait par deux fois donner l'investiture de l'abbaye d'Ély, et qui s'est maintenu en possession de ce monastère malgré la défense posi­tive et formelle que nous lui en avions signifiée nous-même durant son dernier voyage à Rome. Vous aurez à prononcer contre lui une sentence d'excommunication. Pour l'avenir, vous n'exclurez de l'épiscopat, s'il n'y a point contre eux d'autres empêchements canoniques, que les sujets qui auraient, depuis ce présent traité d'accord, reçu l'investiture royale. Mais vous pourrez admettre ceux qui au-

--------

1 Richard de Bienfaite, allié à la famille royale d'Angleterre, avait été élevé au monastère du Bec. Henri I lui conféra une première fois l'investiture de la riche abbaye d'Ely dans le comté de Cambridge. Le concile de Londres, tenu en 1102 parsaint Anselme, l'avait excommunié et déposé. Richard en appela au souverain pontife, qui maintint la sentence synodale et défendit de vive voix au réclamant de détenir plus longtemps l'abbaye d'Ély. Malgré cette interdic­tion formelle, Richard, à son retour de Rome, se fit donner par le roi une seconde investiture et continua de gouverner le monastère.

=========================================

 

p520   PONTIFICAT   DU   B.   PASCAL   11   (1099-1118).

 

raient prêté serment d'hommage-lige, jusqu'à ce que la grâce de Dieu et l'efficacité de vos saintes exhortations finissent par fléchir sur ce point le cœur du roi. Vous vous rappelez combien fut coupable la conduite des évêques qui, venus à Rome en 1102 pour consulter le siège apostolique sur la question des investitures, dénaturèrent si odieusement ma réponse1. Si j'ai vivement ressenti l'injure faite par eux à ma personne, j'ai déploré bien plus encore le scandale qu'ils donnèrenl aux simples fidèles et l'animosilé contre le saint-siége qu'ils entretinrent dans l'esprit du roi. Nous ne saurions laisser leur faute entièrement impunie; mais en considération du roi notre fils et cédant à ses instantes prières, nous vous autorisons, après leur avoir im­posé la pénitence que vous jugerez convenable, à les admettre à votre communion. Vous aurez également à absoudre des censures qu'ils auraient encourues, le roi lui-même, la reine son épouse, les grands du royaume et les conseillers qui se sont employés à négo­cier cette réconciliation. Une liste que vous remettra Guillaume de Warlewast contient leurs noms et qualités. Maintenant que notre grand Dieu, pour la gloire de son nom et l'exaltation de son Église, permet votre retour en Angleterre, votre fraternité devra, avec sa mansuétude admirable et sa haute sagesse, préparer l'esprit du roi et des princes aux réformes qui restent encore à obtenir. Pour cette grande œuvre, votre dilection peut compter sur notre concours ab­solu. Tout ce que vous aurez délié, nous le délierons; tout ce que vous aurez lié, nous le lierons nous-même. Il en sera ainsi par rap­port à l'archevêque Guillaume de Rouen. Nous remettons sa cause entre vos mains. Si vous croyez devoir le relever de l'interdit qui l’a jadis très-justement frappé, nous ratifierons votre sentence. Puisse la miséricorde divine vous conserver longtemps en prospérité et paix. — Donné à Bénévent, le X des calendes d'avril (23 mars 11062) ».

------

1    II s'agit ici des trois évêques Gérard de Héréford transféré depuis sur le siège archiépiscopal d'York, Herbert de Norwich et Robert de Chester, députés par
Henri I en 1102 au pape Pascal. Ils avaient trahi la fidélité qu'ils devaient au saint-siége en dénaturant la réponse du souverain pontife. (Cf. tom. XXIII de cette Histoire, p. 415.)

2   Paschal. H, Episl. clxxvh; Pair, lat., toin. CLXUI, col. 186.

==========================================

 

p521  CHAP.   III.   —   PACIFICATION   IIF.LIGIF.USE   DE   L'ANGLETERRE.   

 

17. Telles étaient les bases sur lesquelles s'établissait enfin l'accord entre le pape et le roi d'Angleterre. Quelques auteurs modernes ont voulu voir dans ce traité amiable un concordat où Pas­cal II sacrifiait tous les principes et abandonnait tous les droits revendiqués par l'Église depuis saint Grégoire VII. Lingard1,  de Rémusat 2, le continuateur du Cours complet d'histoire ecclésiastique3, les deux premiers avec quelques réserves et le troisième avec un emportement qui dépasse toute mesure, taxent le pape de faiblesse sénile, de connivence coupable. Il nous faut donc rétablir la vérité étrangement méconnue et défiguréepar eux. La tâche sera d'autant plus facile que nous avons mis sous les yeux du lecteur toutes les pièces du procès ; ce que les critiques dont nous venons de parler n'ont pas jugé à propos de faire. Tout d'abord le terme de concor­dat 4 employé par eux ne saurait s'appliquer à l'acte de Pascal. Il s'agit d'une dispense spontanément accordée par un motu proprio du souverain pontife. Cette dispense ne sacrifie aucun principe, n'abandonne aucun des droits de l'Église. Les investitures restent proscrites absolument comme elles l'avaient été par Grégoire VII, par Victor III et par Urbain II. Un point seulement fait l'objet d'une mitigation provisoire. Le souverain pontife distingue entre les investitures et le serment d'hommage-lige. Il maintient stricte­ment la prohibition des premières et admet un tempérament pour le second. « Vous pourrez, dit-il au primat de Cantorbéry, admettre à l'épiscopat ceux qui auraient prêté serment d'hom­mage-lige, jusqu'à ce que la grâce de Dieu et l'efficacité de vos saintes exhortations finissent par fléchir sur ce point le cœur du roi. » Ce n'est donc qu'une dispense ad tempus; le principe n'est

-------------

1    Lingard, Hist. d'Anglet., tom. I, p. 225.

2    M. de Rémusat, Anselme de Cantorbért/, p. 367.

3    Cours compl. d'hist. ecclés., tom. XX, col. 694, et seq.

4    Unconcordat est un acte syuallagmatique conclu entre deux puissances souveraines dont l'une et l'autre souscrivent des engagements réciproques, qui
créent pour chacune d'elles une obligation durable. Or, dans le compromis dont il est question, les concessions du pape out un caractère purement provi­soire, ne devant durer qu'en attendant que le roi anglais, revenu à des senti­ments plus complètement justes, se soumette enfin à exécuter les lois ecclésias­tiques dans toute leur intégrité.

========================================

 

p522       PONTIFICAT   DU   B.   PASCAL   II  (1099-1118).

 

nullement sacrifié ; le pape n'abandonne aucun des droits de l'Église. Il use, pour le plus grand bien de l'Angleterre, du pouvoir de dispense conféré avec les clefs spirituelles par Notre-Seigneur Jésus-Cbrist à Pierre et à ses successeurs. Dans l'espèce, la dispense qu'il accorde ici n'a point le caractère absolu que les critiques modernes affectent de lui prêter. Elle doit être appliquée pour chaque cas particulier par Anselme de Cantorbéry, qui reste personnellement juge de son opportunité et de sa convenance. Anselme peut l'appliquer ; le pape l'y autorise. Mais il est bien évi­dent que, remise en des mains si prudentes et si fermes, cette fa­culté ne pouvait dégénérer en abus. C'est donc à juste titre que les historiens les plus compétents, M. de Montalembert entre autres, ont, après Baronius, félicité Pascal II et saint Anselme de la fermeté patiente et douce avec laquelle ils triomphèrent enfin de l'humeur intraitable des rois normands d'Angleterre, en affermissant la liberté de l'Église, et par là même celle du peuple.

 

   18. Munis des lettres apostoliques adressées l'une à l'archevêque de Cantorbéry, l'autre au roi d'Angleterre 1, le moine Baudoin de Tournay et Guillaume de Warlewast revinrent ensemble à l'abbaye du Bec où Anselme les attendait. Leur commune mission avait réussi au gré de leurs espérances. Guillaume de Warlewast s'en montrait surtout satisfait. « Il témoignait dès lors, dit Eadmer, un zèle ardent pour la liberté de l'Église et une véritable impatience pour le prompt retour du saint archevêque sur son siège primatial 2. » Il y était personnellement intéressé, car le succès de cette dernière négociation lui assurait l'évêché d'Exéter, que le roi lui avait promis comme récompense de ses services diplomatiques. Dans les circonstances actuelles, à la veille de l'expédition définitive qui allait assurer à Henri I la conquête de la Normandie, la récon­ciliation de ce prince avec le saint-siége était de la plus haute im­portance politique. Les Normands étaient sincèrement attachés à la chaire de saint Pierre. Malgré les défaillances morales et les infrac­tions à la discipline ecclésiastique dont nous avons parlé, clergé et

-------------------

1 La lettre de Pascal II au roi Henri ne nous a point été conservée, s Eadmer., Hislor. A'ovor., 1. IV, Pair, lai., tom. CL1X, col. 462.

========================================

 

p523 CHAP.   III.   —   PACIFICATION   RELIGIEUSE   DE   L ANGLETERRE.    

 

peuple n'eussent subi qu'avec la plus grande répugnance la domi­nation d'un prince excommunié. La situation de l'archevêque de Rouen, Guillaume Bonne-Ame, suspens de toutes fonctions épiscopales depuis qu'il avait eu la faiblesse de concourir à la cérémo­nie sacrilège du mariage de Philippe I avec Bertrade, affligeait pro­fondément les fidèles de Normandie. Ils estimaient et aimaient leur métropolitain, personnage d'ailleurs édifiant et vertueux, mais nul ne songeait à récriminer contre la sentence apostolique qui l'avait frappé, bien que tous appelassent d'un vœu unanime le jour où la censure serait levée. C'était donc pour Guillaume de Warle-wast un double triomphe que d'avoir à rapporter en Normandie, d'une part, la nouvelle que le roi d'Angleterre son maître était ré­concilié avec le pape, de l'autre, que le pape consentait à réhabili­ter l'archevêque de Rouen et qu'il chargeait le primat de Cantor-béry de prononcer, s'il le jugeait convenable, la sentence d'ab­solution. Le clerc diplomate n'épargna rien pour donner la plus grande publicité à ces heureuses nouvelles. « II se rendit avec Anselme à Rouen, dit Eadmer. Un grand synode fut convoqué dans la ville archiépiscopale sous la présidence du primat de Cantorbéry. Guillaume de Warlewast s'y présenta en qualité d'am­bassadeur du roi d'Angleterre et y donna solennellement lecture de la lettre du pape Pascal II annonçant la réconciliation de Henri I avec le saint-siége et conférant au vénérable pri­mat le pouvoir d'absoudre le métropolitain de Rouen des censures ecclésiastiques. Il remit en même temps à Guillaume-Bonne-Ame une lettre apostolique qui lui était spécialement adressée 1. » Elle était conçue en ces termes : « Pascal évêque, serviteur des serviteurs de Dieu à son vénérable frère Guillaume, métropolitain de Rouen, salut et bénédiction apostolique. —La gravité exceptionnelle de votre cause m'a donné plus d'un scrupule et m'a fait hésiter longtemps sur le parti à prendre. Enfin, par égard pour l'éminente recommandation de notre frère l'archevêque de Cantorbéry et par affection pour notre fils  Guillaume de Warlewast, qui tous deux ont vivement inter-

---------------

1. Eadiner., Histor. Sovor., 1. lV,J'atr. lat., tom. CLIX, col. 460.

=========================================

 

p524      PONTIFICAT   DU   B.   PASCAL  II   (1099-1118).

 

cédé près de nous en votre faveur, nous nous sommes déterminé à user envers vous d'une indulgence paternelle. Nous avons remis votre cause au jugement de notre frère Anselme, primat de Cantorbéry. Nous ratifions d'avance l'absolution que vous en obtien­drez, avec cette réserve pourtant et sous la condition absolue que vous écarterez de votre familiarité les mauvais conseillers dont l'in­fluence vous a entraîné et retenu si longtemps dans une mau­vaise voie. — Donné à Benévent le V des calendes d'avril (28 mars 1105)1. » Après la lecture de ces deux documents, Anselme, en vertu des pouvoirs apostoliques qui lui étaient conférés, releva l'ar­chevêque de son interdit et lui donna l'absolution des censures ecclé­siastiques. Guillaume de Warlewast, témoin de l'impression favora­ble produite en Normandie par cette première application des me­sures concertées avec le souverain pontife, se hâta de passer en Angleterre pour en informer le roi son maître.

 

   19. « Sur ces entrefaites, continue Éadmer, le fameux Boémond prince d'Antioche, l'un des plus illustres chefs de la croisade, ac- compagné du cardinal Bruno, évêque de Segni, arriva à Rouen pour y recruter des secours en argent et en hommes 2. Il avait amené d'Orient le maître de sa milice, magister militum, nommé Hgyre, preux chevalier originaire de Normandie, lequel avait été dans sa jeunesse disciple d'Anselme à l'abbaye du Bec. Les relations les plus intimes se renouèrent entre notre bienheureux père et le che­valier de la croisade, continue le chroniqueur. Hgyre racontait à son ancien maître tant de combats livrés par les chrétiens en Orient, de villes prises, de lieux bibliques visités. Il énumérait les précieuses reliques qu'il avait recueillies et la façon dont il se les était procurées. Entre toutes, celles qu'il se félicitait le plus de pos­séder étaient des cheveux de la bienheureuse Vierge Marie mère de Dieu, qui lui avaient été donnés par le patriarche grec, Jean d'An­tioche, lors de la prise de cette ville par les croisés. « Je n'eusse point osé, disait-il, accepter cette insigne offrande, si je n'avais cédé à l'amour filial que je porte à cette terre de Normandie où je

---------------

1    Pascal. II, Episl. cxxxix ; Patr. lat-, tom. CLXIII, col. 188.

2    Cf. chap. i de ce volume, na 77.

=======================================

 

p525  CHAP.    III.          PACIFICATION'   RELIGIEUSE   DE   L'ANGLETERRE.    

 

suis né et où je fus élevé. Je conservais l'espoir d'y revenir un jour et je voulais l'enrichir de ce pieux trésor. Aujourd'hui que le Sei­gneur a réalisé mes vœux, je partagerai cette insigne relique des cheveux de la Vierge; j'en donnerai deux à la cathédrale de Rouen, métropole de la Normandie; deux à l'abbaye de Saint-Pierre; deux à celle de Saint-Ouen, deux au monastère du Bec, dédié à la Vierge elle-même, lieu si cher à mon cœur, où mon adolescence s'est écoulée sous votre direction. Je vous prierai d'en accepter deux pour vous-même; et il m'en restera deux autres que je conserverai toute ma vie. » Ilgyre n'en avait en tout reçu que douze. Il ajou­tait que le patriarche  grec,  pour en   garantir l'authenticité, affirmait avoir lu , dans les anciens  manuscrits soigneusement conservés aux archives  d'Antioche, un récit  d'après lequel  la Vierge au pied de la croix de son divin Fils, le jour de la Passion, quand le glaive de douleur prédit par Siméon transperça son came, s'était, à la manière des femmes juives, arraché les cheveux. Des li­vres en grande autorité chez les Orientaux mentionnaient de même cette particularité, dont les Évangiles ne parlent point. C'est ainsi qu'on avait pu conserver des cheveux de la sainte Vierge. «Or, reprend Éadmer, le pieux trésor rapporté par Ilgyre était resté, avec tous les bagages de Boémond, à Chartres, où avait eu lieu le mariage de ce héros avec la princesse Constance. Guillaume Bonne-Ame et l'abbé du Bec l'envoyèrent chercher par une députation de religieux et de clercs. A l'approche des saintes reliques, les chanoines et le clergé de Rouen, les moines de Saint-Ouen et une foule immense de peu­ple sortirent de la ville et se joignirent aux envoyés qui vinrent à la cathédrale remettre le dépôt sacré entre les mains de l'archevêque. Le partage eut lieu conformément aux intentions d'Ilgyre. Quatre cheveux furent apporlés à l'abbaye du Bec, où Anselme était re­venu et où il reçut les deux qui lui étaient personnellement desti­nés. Comme gardien de sa chapelle pontificale, dit encore Éadmer, le bienheureux m'en confia la garde et aujourd'hui encore j'en suis le dépositaire. Je ne sais ce que d'autres pourront penser de leur authenticité, mais je puis attester que le seigneur et révérend père Anselme les eut toujours en grande vénération, et je déclare que

=========================================

 

 

p526       PONTIFICAT   DU   B.   PASCAL   II   (1099-1118).

 

moi-même  j'ai  éprouvé en certaines circonstances  qu'il y avait dans cette  relique quelque chose de grand, une vertu  sainte et vraiment surnaturelle1 »

 

   20. Cependant Guillaume de Warlewast, qui était allé rendre au roi roi d Angleterre compte de sa mission, repassa en France pour venir chercher Anselme. Il lui apportait des lettres aflectueuses et pressantes; la reine laissait éclater sa joie; le roi disait qu'il serait déjà en Normandie, s'il ne l'attendait en Angleterre où il tenait à le recevoir en personne. Le saint archevêque, qui venait de tomber malade à l'abbaye du Bec, était tellement faible qu'il pouvait à peine marcher. Ce contre-temps affligeait singulièrement Guillaume de Warlewast. « Faites un suprême effort, disait-il à l'illustre ma­lade. Le temps presse. II peut s'élever un vent du siècle qui boule­verserait tout. » Anselme le comprenait bien lui-même. Surmon­tant donc sa faiblesse, il se mit en route; mais arrivé à Jumiéges, le mal le reprit avec plus de force. Il fallut le rapporter au Bec, et son élat devint si alarmant qu'on perdit tout espoir de le sauver. La consternation et l'effroi se répandirent dans toute la Normandie, les évêques et les abbés affluaient déjà pour assister soit aux derniers moments, soit aux funérailles du grand serviteur de Dieu. Le roi d'Angleterre annonçait lui-même son prochain départ; en effet il arriva au Bec le matin de l'Assomption (13 août 1106). Le dan­ger avait heureusement disparu. Anselme se sentit assez de force pour célébrer la messe solennelle en sa présence. Le lendemain il put régler avec le monarque les conditions de son retour à Cantorbéry. Les églises que Guillaume le Roux avait le premier mises à contribution furent replacées, franches et libres, dans les mains du pri­mat. Le roi promit de ne rien prélever, lorsqu'elles deviendraient vacantes. Quant aux taxes dont il venait de frapper les prêtres, il fut convenu que ceux qui ne les avaient pas encore acquittées ne payeraient rien, et que les autres auraient pendant trois ans leurs biens

-------------------

1 Eadmer., llislor. Novor., 1. IV; Pair, lai., tom. CLIX, col. 402. « Quid de istis aliorum sensus babeat nescio. Ego tamen certissime scio douiinum et re-verendum patreiu Anselmum eos in magna semper veneratione habuisse, et meipsuin sacro et grandi experimento sentisse magnum quid et mundo amplcc-tendum iusigne sanctitatis illis inesse. »

==========================================

 

p527  CHAP.   III.   —   PACIFICATION   RELIGIEUSE   OF.   L'ANGLETERRE.   

 

quittes de toute charge. Enfin, le roi consentit à restituer à l'arche­vêque ce qu'il avait louché de ses revenus pendant son exil, et il fournit un gage de remboursement. L'expulsion de tous les laïques introduits comme gérants, collecteurs ou garnisaires, dans les égli­ses et les couvents fut promise, et le clergé redevint seul adminis­trateur de ses biens et de ses affaires. « Toutes les difficultés étant ainsi aplanies, reprend Éadmer, Anselme reprit en allégresse le che­min de l'Angleterre. Il débarqua sain et sauf à Douvres, accompagné de tous les siens. La joie de son retour fut immense. La reine était venue à sa rencontre. Dans toutes les villes où le saint archevêque devait passer, elle se rendait la première pour lui présenter le clergé, les religieux et les populations qui accouraient au-devant de notre bienheureux père. Elle présidait elle-même au choix et à la déco­ration des logements disposés pour le recevoir. Elle faisait exécuter les clauses du pacte de réconciliation conclu par le roi à l'abbaye du Bec. Les agents du fisc, les collecteurs imposés par une volonté tyrannique, disparaissaient des églises et des monastères. Ces heu­reuses nouvelles, portées d'une extrémité à l'autre de l'Angleterre, y répandaient partout l'allégresse 1. »

 

21. Un mois après le retour de saint Anselme à Cantorbéry, on apprit que le roi venait d'achever la conquête définitive de la Nor- mandie. Cet événement souleva de nouveau l'enthousiasme national. Les fidèles anglais le considérèrent comme une récompense accordée par Dieu lui-même aux sentiments chrétiens dont Henri I venait enfin de donner la preuve par sa réconciliation avec le saint-siége. Ce fut à Anselme lui-même que le roi voulut mander cette grande nouvelle. Voici la lettre qu'il lui écrivit, le lendemain de la bataille de Tinchebray (27 septembre 1106) : « Avec la grâce de Dieu, et sans trop grande perte du côté des nôtres, nous avons rem­porté la victoire. La miséricorde divine a livré entre nos mains mon frère le duc de Normandie (Robert Courte-Heuse), les comtes de Mortain, de Ferrières, d'Estouteville, Guillaume Crespin et quatre cents autres chevaliers, avec dix mille fantassins; enfin la Norman­die tout entière. Quant aux ennemis que le glaive a moissonnés sur

---------

1 Eadmer., Uist., Novo::,\. IV; Pair, lai., loin. CLIX, col. 404.

========================================

 

p528   PONTIFICAT   DU  B.   PASCAL   II   (1099-1118).

 

le champ de bataille, ils sont sans nombre. Je ne veux ni m'enorgueillir ni me glorifier d'un tel succès; je l'attribue non point à mes propres forces, mais à une faveur manifeste de la Providence. Je vous conjure donc, très-révéré père, et, prosterné à vos genoux, je vous supplie de demander au juge suprême dont les décrets m'ont accordé une si glorieuse victoire, que ce triomphe ne tourne point à ma perte, mais qu'il profite au service de Dieu, au maintien et à l'affermissement de la sainte Église, en sorte qu'elle puisse désor­mais garder sa liberté et ne soit point ébranlée par les orages de la discorde et de la guerre 1.»—La réponse d'Anselme nous a été con­servée: elle est conçue en ces termes: «Je me réjouis de votre prospérité et de vos succès; j'en adresse les plus vives actions de grâces au Dieu de qui procèdent tous les biens. Mais ce qui met le comble à mon allégresse et me touche jusqu'au fond du cœur, c'est qu'en même temps que le Seigneur vous visite par des bénédictions tem­porelles, sa grâce illumine votre âme; c'est que, de tant de triomphes et de gloire, sans rien en attribuer à vous-même ni aux forces hu­maines, vous rapportez tout à la divine miséricorde ; c'est que vous promettez de maintenir et d'assurer, autant qu'il est en votre pou­voir, la paix et la liberté de l'Église. Persévérez, je vous en prie comme évêque et vous le conseille comme votre féal, dans ces nobles sen­timents, car là sera la force invincible de votre sublimité 2. » Henri I ne devait guère profiter de ces sages conseils. Les sentiments qu'il exprimait dans sa lettre au primat de Cantorbéry, s'ils étaient sin­cères au moment où il les écrivait, ne persévérèrent pas longtemps. En réalité, la victoire de Tinchebray, qui réunit le duché de Nor­mandie à la couronne d'Angleterre, ne fut ni pour l'Église ni pour l'État un gage de paix. Elle préludait à une série de persécutions contre les successeurs d'Anselme et aux luttes séculaires qui devaient, pour le malheur de la chrétienté, se perpétuer à travers les âges entre la Grande-Bretagne et la France. »

--------------

1 Eadmer., Hist. Novor., 1. VI, col 464.

2.Anselm., Epist. lîxïii, lib. IV; Pair, lat., tom. CLIX, col, 242.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon