Gerbert 2

Darras tome 20 p. 97

 

   20. « Gerbert popularisa de même l'étude de la musique depuis longtemps oubliée dans les Gaules, continue Richer. Il en divisa les genres dans un monocorde, distinguant leurs consonances ou symphonies en tons et demi-tons, ditons (ditones bémols) et dièses, divisant rationnellement les tons en une série de sons, et il donna ainsi une connaissance complète des genres divers de symphonies3. Il ne fit pas moins pour l'astronomie, science presque entièrement intellectuelle, qu'il sut rendre sensible par la construction d'appareils merveilleux, destinés à donner à ses élèves l'idée des phénomènes célestes. Ayant fabriqué une sphère du monde d'un bois solide et rond, il représenta le grand univers par la similitude du petit. Plaçant cette sphère obliquement sur l'horizon avec les deux pôles, il donna les signes ou constellations septentrionales au pôle supérieur, et les australes à l'inférieur. Il régla la position de cette sphère par le cercle que les Grecs appellent opixsone, les Latins limitans ou déterminans, parce qu'il distingue les constellations qu'on voit de celles qu'on ne voit pas. La sphère ainsi placée dans le cercle de l'horizon pour indiquer le lever et le coucher des astres,

-------------------

1.   Ce traité a été publié pour la première lois par M. Olleris, Opéra Gerberti, p. 319.

2.   Chasles. Compte» rendus des séances de l’Académie des sciences, tom. XVI' p. 13G.

3.   Olleris, p. 35-37       :-

4.   S'il fallait s'en rapporter à Guillaume de Malmesbury, qui vivait en Angleterre vers le milieu du dixième siècle, Gerbert aurait établi dans l'église de Reims un orgue qui rendait des sons mélodieux par l'effet de la vapeur d'eau bouillante qui en remplissait les cavités. Quelle que soit l'autorité de ce récit, l'idée de cet emploi de la vapeur n'en est pas moins surprenante à cette époque. Du reste il est certain que Gerbert composait ou faisait composer sous ses yeux des instruments de musique. Il est souvent question d'orgues dans sa correspondance avec les abbés d'Aurillac.   COlleris, p. 39.)

==============================

 

p98  PONTIFICAT DE BENOIT  Vil (974-983).

 

servait à l'étude théorique des phénomènes de la nature et à la clas-sification des astres. Durant les nuits éloilées, il apprenait à ses disciples l'art d'observer les constellations du ciel, faisant noter aves soin leur lever et leur coucher avec leur obliquité par rapport aux diverses parties du monde. Pour rendre sensibles les cercles de convention, appelés « parallèles » par les Grecs et «équidistants » par les Latins, il construisit un demi-cercle exactement divisé par un diamètre en forme de tube (diametrum fistulum) aux extrémités duquel il marqua les deux pôles Sud et Nord. Il divisa le demi-cercle d'un pôle à l'autre en trente parties ou degrés. Comptant alors six degrés à partir du pôle il fixa, sur le demi-cercle, un tube pour indiquer le cercle du pôle arctique, de là, après cinq degrés un second tube pour indiquer le cercle du tropique d'été ; enfin, après quatre autres degrés, un troisième tube pour figurer le cercle équinoxial ou équateur. La précision de cet instrument était telle que, quand on dirigeait son diamètre vers le pôle et qu'on tournait le demi-cercle sur lui-même, il rendait intelligible aux plus ignorants la science des mouvements planétaires, et fixait dans la mémoire la théorie des cercles conventionnels. Gerbert trouva également le moyen de figurer les cercles des étoiles errantes, qui se décrivent dans l'orbite du monde et ont l'air de faire effort pour en sortir. Il fit d'abord une sphère circulaire, c'est-à-dire uniquement composée de cercles concentriques (sphère armillaire). Il y compliqua les deux cercles que les Grecs nomment « colures » et les Latins «incidents, » à cause de l'incidence de l'un dans l'autre. Il fixa les pôles à leurs extrémités. A travers les colures, il disposa les cinq autres cercles appelés «parallèles, » de manière à diviser l'hémisphère d'un pôle à l'autre en trente degrés. Il en établit six du pôle au premier cercle, cinq du premier cercle au second, quatre du second au troisième, quatre du troisième au quatrième, cinq du quatrième au cinquième, six du cinquième à l'autre pôle. A travers ces cercles, il posa obliquement celui que les Grecs appellent « zodiaque » et les Latins vitalis, parce que les constellations qu'il renferme présentent des figures d'animaux ou d'êtres vivants. A l'intérieur de ce cercle oblique, il suspendit

==========================

 

p99  CHAP.  II.  — GERBERT. 

 

ingénieusement les cercles des étoiles errantes dont il démontrait à ses élèves les absides, les hauteurs et les distances réciproques. Je pourrais, ajoute Richer, décrire ce mécanisme vraiment merveilleux, mais cela m'entraînerait trop loin. Gerbert composa encore une autre sphère armillaire, au dedans de laquelle il ne plaça point de cercles; mais au dehors il coordonna avec des fils de fer et de laiton les figures des constellations diverses, et en guise d'axe, il la traversa d'une tige dont les deux extrémités figuraient le pôle céleste. La sphère pouvait ainsi tourner sur elle-même et s'adapter à chacune des situations du ciel. Les étoiles de chaque constellation étaient exactement reproduites sur cette sphère, et le plus ignorant pouvait ainsi apprendre l'astronomie sans le secours d'un maître1

 

   21. « Le zèle de Gerbert pour l'étude et la science redoublait  avec le succès, continue Richer, et le nombre des disciples croissait chaque jour. La renommée du grand docteur n'était point circonscrite dans les provinces des Gaules et de la Germanie, elle franchit les Alpes, et courut l'Italie de la mer Tyrrhénienne à l'Adriatique. Or, il y avait à cette époque un professeur saxon, nommé Otric, qui s'était fait une grande réputation en Allemagne. La gloire de Gerbert fit naître dans son âme un sentiment de basse jalousie; il entreprit de renverser ce rival odieux 2. » Richer ne nous donne pas d'autres détails sur les antécédents du saxon Otric. M. Olleris, à force de patience, est parvenu, en réunissant tous les documents épars dans les annales du dixième siècle, à reconstituer cette biographie jusqu'ici inconnue. « Otric, dit-il, avait d'abord enseigné dans l'école de Magdebourg, où les élèves qui accouraient pour l'entendre étaient si nombreux qu'une partie logeait chez les habitants de la ville. Il les maintenait dans une discipline sévère2 ; il ne permettait dans la conversation que l'emploi du latin. Lorsqu'il administrait des corrections corporelles, c'était dans cette langue

----------------

1. Richer Historiar. Lib. III, cap. xux-LiV, col. 103-105.

2.   Ibid., LV, col. 105.

3.   Pertz. Monument. Germ. histor. tcrifi. L IV, Cap, T. Vita   eteunia tantii iAdalbmi. (Note de M. Olleris.)

 ==============================

 

p100   pONTIFICAT TE  BES01T Vil (974-983).

 

que les coupables imploraient leur pardon. Les enfants eux-mêmes lui disaient d'une voix pleine de larmes : Domine mi ! II était en rapports continuels avec son archevêque, Adalbert l'Ancien ;  ils lisaient ensemble, et le neveu de l'archevêque, le jeune Adalbert, qui devait recevoir la couronne du martyre chez les Polonais dont il fut l'apôtre, assistait à ces lectures. L'archevêque et le moine, d'un caractère vif tous deux, finirent par se brouiller. Othon II qui appréciait Otric pria l'archevêque de le lui céder. Adalbert, inquiet de l'ambition du moine, ne se rendit qu'avec peine aux sollicitations de l'empereur. Après le départ du maître, les élèves s'éloignèrent de Magdebourg en redisant le Sat prata biberunt de Virgile. L'école du palais sous les Othons, comme autrefois sous Charlemagne, était le séminaire des grands dignitaires de l'Église ; Otric aspirait à la succession de l'archevêque de Magdebourg, qui tenait un aussi haut rang que les métropolitains de Trêves et de Mayence. On dit que l'empereur la lui avait promise. Otric comptait en outre sur Giseler, évêque de Mersebourg, favori du jeune empereur, sur les habitants de la métropole dont ses amis entretenaient le dévouement. Tranquille pour l'avenir, il n'était troublé que par les éloges qu'il entendait sans cesse prodiguer à l’écolâtre de Reims 1. » Tel était le rival qui songeait à se mesurer contre Gerbert. .       

 

   22. « Otric n'ignorait pas, reprend l'annaliste, que Gerbert prenait toujours comme base de chacune de ses leçons une division philosophique du sujet, et que tout l'ensemble de sa méthode était rigoureusement classé dans un ordre logique. Il espéra le trouver en défaut sur ce point ; mais n'osant aller lui-même entendre les cours de son redoutable adversaire, il envoya à Reims un jeune saxon, chargé de lui en rendre un compte exact. Mais ce fut précisément d'exactitude que manqua cet émissaire. Il assista aux leçons du célèbre professeur rémois et accueillit de sa bouche les divisions des genres, mais soit à dessein, soit par inadvertance, il se trompa gravement sur la méthode philosophique en général. Bien que

------------

1. Olleris. Œuvres de Gerbert. p. 47,48.

 ============================

 

p101  CHAP.   II.  — GERBERT.    

 

Gerbert eût classé les mathématiques et la physique comme des sciences égales et contemporaines, le Saxon, lui fit subordonner la physique aux mathématiques, comme l'espèce au genre. Otric releva avec indignation cette prétendue erreur. Il allait répétant partout que Gerbert n'entendait rien en philosophie ; qu'il ignorait absolument en quoi consistent les choses divines et humaines, connaissance sans laquelle nul ne peut se dire philosophe. Il porta au palais le tableau contenant les classifications de Gerbert, et là, en présence d'Othon II, devant tous les doctes personnages de l'école du palais, il fit ressortir la gravité de l'erreur reprochée à son rival. L'empereur, qui s'intéressait vivement au progrès des sciences, s'étonna que Gerbert se fût trompé si gravement. Plus d'une fois il l'avait entendu discuter, toujours avec une correction et une exactitude irréprochables. Il voulait donc savoir de la bouche même du grand docteur comment il pourrait justifier la classification que le tableau présenté par Otric lui attribuait. Une occasion favorable ne tarda guère à s'offrir. En 980, Othon II ayant entrepris une expédition en Italie, se trouvait à Ticinum (Pavie) avec Otric, lorsque l'archevêque de Reims Adalberon, accompagné de Gerbert, traversa cette ville pour se rendre à Rome. Othon accueillit l'archevêque magnifiquement, s'embarqua avec lui sur le Pô et le conduisit à Ravenne. Là, dans une des salles du palais, se réunirent par son ordre, à un jour fixé, les plus savants personnages de l'Italie et de l'Allemagne. Le vénérable Adso, abbé de Montiérender, Adalberon de Reims, et une foule de scolastiques, accourus de toutes parts, assistèrent à la lutte solennelle qui s'engagea entre Gerbert et Otric. Ce dernier ne manquait pas de partisans qui, d'avance, lui assuraient la victoire L'empereur lui-même semblait pencher pour le professeur saxon. Il eût voulu que Gerbert fût pris à l'improviste, et il avait recommandé à Otric de multiplier les questions sans laisser à son adversaire le temps d'en résoudre aucune.

 

   23. Telles étaient les impressions diverses des esprits, lorsqu'au milieu d'un profond silence, Othon  prit la parole en ces termes : La science humaine ne saurait, je crois, progresser qu'à

=============================

 

p102   PONTIFICAT DE  BENOIT  VII  (974-983),

 

la double condition d'une étude attentive de la part des savants et d'une discussion approfondie des divers systèmes, en telle sorte que la classification de chaque science, et sa définition soient irréprochables. Nous avons tous besoin, pour ne pas laisser alourdir notre intelligence, d'être stimulés par la controverse. Les objections, en exigeant de l'esprit un nouvel effort pour les résoudre, lui ouvrent des horizons nouveaux. Telle fut la pratique constante des philosophes de l'antiquité. Ils nous ont ainsi laissé un héritage de savoir qui constitue le fonds de notre richesse intellectuelle. Mais nous-mêmes nous avons le devoir de le féconder et de l'agrandir. Voilà pourquoi je vous propose d'examiner la classification générale qui, depuis un an, a été soumise à notre appréciation. Que tous veuillent bien l'étudier avec la plus grande attention, et que chacun exprime son sentiment pour ou contre. Si elle est exacte, sanctionnez-la par votre approbation unanime; si, au contraire, elle est incorrecte, qu'on la réprouve ou qu'on la rectifie. —Après avoir ainsi parlé, l'empereur donna ordre que le tableau contenant cette classification fût mis sous les yeux de l'assemblée. Otric s'empressa d'apporter la pièce de conviction. Il déclara que ce tableau, recueilli fidèlement par les disciples de Gerbert et extrait de ses leçons, avait une origine authentique. Il le remit à l'empereur, qui en fit donner lecture par un de ses officiers; après quoi Gerbert demanda à l'examiner. Il le parcourut soigneusement et constata que son enseignement avait été altéré. Il en fit immédiatement l'observation en indiquant ce qui était réellement la reproduction de sa pensée et ce qu'on lui attribuait faussement. Invité par l'empereur à exposer son sentiment sur le rang qu'il entendait donner à la physique dans la classification générale des sciences humaines, il dit : Puisque vous l'ordonnez, César auguste, je parlerai, sans plus m'inquiéter de la malveillance qui a travesti mon enseignement et dénaturé, par une rédaction complètement vicieuse, la division très-exacte de la philosophie telle qu'elle a été dressée par moi. Je dis donc et je professe que les mathématiques, la physique et la théologie sont des sciences d'une même ancienneté, qu'elles doivent être classées

 ===============================

 

 p103  CHAP.   II.  — GEEBERT,    

 

sous le même genre et nullement subordonnées les unes aux autres. Telle est ma doctrine. Si quelqu'un trouve des objections à y faire, qu'il les produise, et qu'il nous fasse comprendre ce que la raison naturelle n'a jusqu'ici appris à personne. — Sur un signe de l'empereur, Otric prit la parole et dit à Gerbert : Puisque vous avez une division générale de toutes les branches de la philosophie exposez-la dans son intégrité. Ce sera le meilleur moyen de nous faire connaître si la classification défectueuse qu'on vous attribue entre réellement ou non dans votre système. — À cette demande, Gerbert répondit : il importe, en effet, au plus haut point non-seulement pour la science humaine proprement dite, mais pour la science divine elle-même, c'est-à-dire pour la théologie, d'établir une classification générale embrassant toutes les branches de nos connaissances. Celle que j'ai adoptée n'est autre que celle de Vi-truve et de Boèce. Ces deux grands hommes enseignent que la philosophie est un genre qui se divise en deux espèces, la pratique et la théorie; la pratique se subdivise elle-même en dispensative, dis-tributive et civile. La théorie comprend la physique, les mathématiques et la théologie. Or, nous croyons, non sans raison, qu'il convient de donner à la physique le premier rang avant les mathé-matiques. — Il allait en faire la démonstration, mais Otric l'interrompit brusquement. Je m'étonne, dit-il, que vous n'ayez pas fait attention qu'il y a entre la physique et les mathématiques un genre intermédiaire, la physiologie, dont vous ne parlez pas. — Il y aurait bien plus à s'étonner, répliqua Gerbert, si j'avais présenté les mathématiques comme une des espèces de la physique ; puisque la physique et les mathématiques sont deux sciences indépendantes et d'égale ancienneté. La physiologie n'est pas plus un genre par rapport à la physique, que la philologie n'en est un par rapport à la philosophie. — Cette digression avait interrompu l'exposé de la classification générale commencée par Gerbert. Les scholastiques, en grand nombre dans l'assemblée, murmuraient et demandaient à l'empereur qu'on y revint. Mais Otric répliqua qu'on avait le temps et qu'il fallait d'abord résoudre une question préliminaire de la plus haute importance. S'adressant donc à Gerbert, il lui de-

 =============================

 

p104  PONTIFICAT DE  BENOIT  Vil (974-983).

 

manda quelle était la cause de la philosophie. — De quelle cause parlez-vous? répondit Gerbert. Est-ce la cause qui a produit la philosophie, ou la cause à laquelle elle doit d'avoir été produite? — Je demande pourquoi elle a été produite, dit Otric. —Maintenant que je saisis nettement le sens de votre question, reprit Gerberl, je puis y répondre. La philosophie a été produite pour que nous puissions par elle arriver à la connaissance des choses divines et humaines. — Voilà beaucoup trop de paroles, objecta Otric, pour définir une cause qui pouvait l'être en un seul mot. Les véritables philosophes sont plus concis. — Toutes les causes ne sont pas, répliqua Gerbert, susceptibles d'être définies par un seul mot. Ainsi, lorsque Platon eut à définir la cause de la création du monde, il lui fallut non pas un seul mot mais trois, et il posa sa définition en ces termes : Le bon vouloir de Dieu. Il est constant qu'il n'aurait pu supprimer une seule de ces trois paroles, car s'il eût dit que la « volonté» était la cause de la création, c'eût été un non-sens. — Otric, sans attendre que Gerbert eût achevé sa phrase, l'interrompit en ces termes : Il eût suffi à Platon de dire simplement la «volonté de Dieu » sans ajouter de qualificatif, puisque la volonté en Dieu est essentiellement bonne. Je pense que nul ne le contestera. —Et moi moins que personne, dit Gerbert ; mais veuillez pénétrer mieux dans la pensée de Platon. Encore qu'il soit constant que Dieu soit substantiellement bon, il n'en est pas moins vrai que certaines créatures le sont par participation. Platon a voulu, par l'adjonction de l'attribut bona, exprimer la qualité essentielle et absolue qui est le propre de Dieu seul et n'appartient à aucune créature. Quoi qu'il en soit, il est incontestable qu'on ne pourrait définir en un seul mot toutes les causes indistinctement. Par exemple, quel est, a votre avis, la cause de l'ombre? Pourriez-vous la définir d'un mot? — Otric garda le silence, et Gerbert reprit : Je dis moi que la cause de l'ombre est un corps interceptant la lumière, et je soutiens qu'on ne peut supprimer un seul mol de cette définition. Je conviens pourtant qu'il y a des causes qu'il suffit de nommer pour rendre raison de leurs effets, par exemple les genres qui sont, comme nul ne l'ignore, des causes par rap-

 ================================

 

 p105  CHAP.   II.   — GERBERT.  

 

port aux espèces, ainsi la substance, la quantité, la qualité. Mais il en est d'autres qui ne comportent pas cette brièveté tel par exemple que le « rationnel » par rapport au «mortel.»—Quoi! s'écria Otric. Est-ce que vous subordonnez le « mortel » au rationnel. » Qui ne sait que le «rationnel» ne renferme que trois classes, Dieu, l'ange et l'homme, tandis que le «mortel», contenant tout ce qui doit périr, est un genre beaucoup plus étendu et dont les subdivisions se peuvent multiplier à l'infini?— Si vous aviez, répliqua Gerbert, médité les enseignements de Porphyre et de Boëce sur la division générale de la substance, pour descendre par une répartition graduelle jusqu'aux individus, vous sauriez que le «rationnel» est beaucoup plus étendu que le «mortel.» La « substance » est, en effet, le genre le plus général, d'où, par les intermédiaires ou subalternes, on arrive graduellement jusqu'aux individus. Parmi ces subalternes, les uns s'énoncent d'un seul mot, par exemple, les « corps, » d'autres ne peuvent être exprimés si brièvement, par exemple « l'animé sensible » ; le subalterne « animal raisonnable » , contient une autre catégorie «l'animal raisonnable mortel.» — Gerbert continua cette exposition, ajoute Richer, avec une abondance de paroles et de pensées qui semblait couler de source. Il parlait encore lorsque, la nuit étant venue, Othon mit fin à la conférence. L'illustre écolâtre de Reims fut comblé de présents par l'empereur, et, couvert de gloire, il revint en France avec son archevêque1. »

 

   24. « Otric fut moins heureux, dit M. Olleris. Adalbert, archevêque de Magdebourg1, mourut l'année suivante (981), disant à ceux qui l'entouraient que Dieu ne laisserait pas occuper son siège par Otric. Le clergé et les fidèles du diocèse, qui avaient des pensées bien différentes, envoyèrent à l'empereur des moines, des comtes, des chevaliers, pour appuyer leur candidat. Les députés s'adressèrent d'abord au chancelier Giseler, évêque de Mersebourg, qui leur donna les meilleures  espérances.  Les amis  d'Otric ne

----------------------

1. Richer. Historiar. Lit). III, cap. LVHI-LXV. col. 106-109.

2. Thietmar., Chronkon., Lib. 111, cap. vin. Pair. Lat., tom. CXXXIX, coi. 1233.

 ================================

 

 p106 PONTIFICAT DE  BENOIT  VII (974-983).

 

doutaient pas du succès, quand ils apprirent que l'évèque, s'étant jeté aux pieds de l'empereur, avait obtenu pour lui-même le siège Vacant1.» Une translation d'un siège épiscopal à une métropole était alors chose si  rare et paraissait tellement exorbitante que l'évêque Thietmar, qui nous a conservé ce détail dans sa Chronique n'a pas assez d'anathèmes pour flétrir la facilité avec laquelle on obtint à Rome l'autorisation nécessaire. « Les principaux membres du  clergé romain, dit-il,  furent au préalable corrompus à prix d'argent.  Car on sait que  pour eux tout est vénal. On s'adressa, ensuite au pape Benoît VII, qui remit  la décision au synode romain. L'assemblée eut lieu et ratifia sans difficulté la translation de Giseler 2. » Otric ne survécut pas longtemps à cette mésaven-lure, reprend M. Olleris. Il tomba malade à Bénévent, où il mourut peu de jours après; en exprimant de vifs regrets d'avoir jamais quitté son monastère. « C'était l'homme le plus disert de   son siècle,  un vrai Cicéron, dont la mémoire brille  encore dans la Saxe, » dit un de ses contemporains3. Il n'a laissé, d'après Thietmar4, personne qui l'égale en savoir et en éloquence5.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon