Constantin 16

Darras tome 9 p. 173

 

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   32. Ainsi parlait le P. Labbe. Son avis ne prévalut pas. La donation de Constantin est aujourd'hui presque unanimement conspuée. Cependant, deux savants professeurs français, M. Dumont et M. Maupied, ont osé, en ces derniers temps, braver l'impopularité qui s'attache d'ordinaire aux défenseurs des causes regardées comme perdues. On n'a pas répondu à leurs arguments. Les a-t-on lus? Peu importe. La prescription est interrompue et la tradition de quatorze siècles nous apparaît maintenant environnée d'assez de preuves, de raisons et de témoignages, pour que nous ayons le droit de dire à notre tour qu'on ne l'a pas encore sérieusement entamée sur sa base séculaire. Les motifs que l'on avait crus jusqu'ici péremptoires pour reléguer l'édit de Constantin au rang des apocryphes, étaient de deux sortes : les uns extrinsèques, les autres intrinsèques. On disait : Constantin ne persécuta point le pape saint Sylvestre ; il ne fut jamais atteint d'une maladie quelconque ressemblant à la lèpre ; il n'eut donc point à en être guéri. Constantin ne fut point baptisé à Rome par le pape Sylvestre, mais à Nicomédie par l'évêque arien de cette ville. Constantin n'eut donc point à expier l'injustice d'une persécution précédente; il n'eut point à témoigner sa reconnaissance pour une guérison fabuleuse, à la suite d'une maladie chimérique et d'un baptême imaginaire dans la piscine impériale du Latran. La piscine existe, il est vrai; elle porte aujourd'hui, pour nous comme pour Ammien Marcellin, le nom de lavacrum Constantinianum. Mais, puisque c'est Constantin qui l'a fait construire, rien n'empêche qu'on lui ait donné le nom de son fondateur, sans être obligé de croire qu'il y ait été baptisé. Tout ce groupe de légendes a été échafaudé d'après le récit des Actes de saint Sylvestre. Or ces Actes sont un tissu de mensonges. Donc la prétendue donation est du même genre. Voilà pour les arguments extrinsèques. Nous les avons suffisamment réfutés en étudiant la question spéciale du baptême de Constantin. Partant toujours du principe admis comme incontestable que l'édit Constantinien était un décalque frauduleusement inventé par une main posthume d'après les Actes de saint Sylvestre, on ajoutait : Constantin fut baptisé, d'après les Actes, l'an 324, et, d'après

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les mêmes Actes, il fit sa prétendue donation le quatrième jour après son baptême. Or, l'édit Constantinien parle des constructions de la basilique du Latran et de celles des apôtres Pierre et Paul comme déjà faites à cette époque. En quatre jours, depuis son baptême, l'empereur aurait donc achevé ces constructions immenses. Cela est aussi merveilleux pour le moins que la guérison instantanée d'une maladie qu'il n'avait jamais eue. En 324, le concile de Nicée n'avait pas encore eu lieu : ce qui n'empêche pas Constantin d'enregistrer dans son édit la profession de foi dressée dans ce concile. En 324, il n'était point encore question de la cité de Constantinople, où l'empereur n'alla se fixer qu'en 330. Ce qui n'empêche pas Constantin, dans son édit, de parler de Constantinople, laquelle n'existait point encore, de la présenter au monde comme la nouvelle métropole de l'empire et d'assigner un rang à son trône patriarcal. Telle était la plus vigoureuse des fins de non-recevoir qu'on opposait alors, au nom de la chronologie, à l'édit de Constantin.

 

   33. Mais le point de départ de cette argumentation est complètement faux. Je veux dire qu'il est aujourd'hui démontré que l'édit Constantinien est absolument indépendant des Actes de saint Sylvestre. L'un et l'autre monument a son existence propre, son caractère particulier, sa physionomie originale. M. Dumont l'a prouvé ; nous allons le faire à notre tour. Les Actes de saint Sylvestre s'expriment ainsi : «  Le quatrième jour après son baptême, l'empereur Constantin conféra au pontife de l'Église romaine le privilège d'être considéré comme un chef dans l'empire et le constitua juge-roi. Dans ce privilège on lit, entre autres choses, les paroles suivantes : Nous avons jugé utile, de concert avec nos satrapes, le sénat, les grands et le peuple de notre empire, etc. » La citation continue et ne renferme que les deux derniers paragraphes de l'édit Constantinien. Or, dans l'hypothèse d'une supposition posthume de l'édit intégral faite par un faus-saire quelconque, on ne manquait pas de dire que, sur les deux fragments conservés par les Actes, le pseudonyme avait bâti son édifice apocryphe et enchâssé ces deux  débris de provenance

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étrangère dans une pièce de sa façon. Malheureusement pour les partisans de ce système, le prétendu faussaire, au lieu d'assigner, comme les Actes, le quatrième jour après le baptême impérial pour date à son diplôme, lui en donne une autre toute différente. II le place au 30 mars du consulat IV de Flavius Constantin et de Gallicanus, hommes clarissimes. Ce IVe consulat de Flavius Constantin le Jeune, tombe précisément, comme nous l'avons dit, en l'an 329, c'est-à-dire à une époque où le concile de Nicée avait eu lieu, où Constantinople voyait élever ses palais et où les basiliques de Latran et des apôtres Pierre et Paul devaient être en voie d'achèvement. Les critiques du XVIIe siècle savaient aussi bien que nous que ce IVe consulat de Flavius Constantin le Jeune correspondait à l'an 329. Mais telle est la force de l'opinion préconçue et du préjugé dominant qu'ils déclaraient tous que la date assignée par l'édit Constantinien était évidemment erronée, puisqu'elle ne cadrait pas avec celle des Actes de saint Sylvestre. Peu soucieux de la contradiction dans laquelle tombait leur raisonnement, ils argumentaient ainsi : Les Actes de saint Sylvestre sont manifestement faux. Or, l'édit de Constantin reproduit le récit du baptême de ce prince avec des circonstances identiques à celles racontées par les Actes : donc l'édit de Constantin est faux. Cependant, les Actes de saint Sylvestre assignent le quatrième jour du baptême de Constantin, en 324, pour la date de la prétendue donation. Or, l'édit Constantinien porte la date de l'an 329. Donc. l'édit de Constantin est supposé. —Mais, puisque l'on établissait d'abord en principe la fausseté des Actes de saint Sylvestre, de quel droit pouvait-on tirer d'une pièce fausse un argument contre une autre pièce parfaitement indépendante ? La contradiction ici est palpable. On n'y songeait point alors. C'est une raison de plus pour que nous ayons aujourd'hui le droit de nous en préoccuper. Il est donc manifeste que le rédacteur supposé de l'édit Constantinien n'a point copié les Actes de saint Sylvestre. Ceci est grave. Car enfin, ce faussaire prétendu n'a pu tout inventer a priori. S'il l'eût fait, son pastiche ne ressemblerait point à la citation des Actes, et, d'un autre côté, s'il eût copié les Actes en les délayant, son pas-

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tiche ne présenterait pas une différence si notable avec eux. Il faut sortir de ce dilemme, avant de jeter à un diplôme cité par tant de papes et de conciles la note flétrissante de «pieuse fraude» et d'apocryphe intéressé. On n'en est point sorti cependant jusqu'à ce jour ;  voilà pourquoi les commissions romaines, réunies tant de fois et composées des plus doctes personnages, dans les diverses révisions du décret de Gratien, y ont toujours maintenu le texte de la donation Constantinienne. Voilà pourquoi nous-même, en plein XIXe siècle, après tout ce qu'en ont dit les centuriateurs de Maddebourg, Gibbon, Voltaire, sans compter les autres, nous croyons devoir soutenir l'authenticité de la tradition romaine. C'est qu'en effet, l'édit de Constantin, daté de l'an 329, citant par conséquent de plein droit des paroles textuelles du concile de Nicée tenu en 325, mentionnant avec juste raison les constructions des basiliques de Latran, du Vatican et de Saint-Paul extra muros, qui devaient être sinon achevées, du moins fort avancées en 329, exprimant enfin la volonté impériale, réalisée quelques mois après, par rapport à la cité de Constantinople, n'est pas le moins du monde en contradiction chronologique avec les Actes de saint Sylvestre. A trois reprises différentes, l'édit Constantinien de 329 s'en réfère aux décrets précédemment rendus dans le même sens et pour le même objet : haec omnia per alia decreta statuimus atque confirmavimus. Vraisemblablement on n'avait point remarqué ces rappels à des ordonnances identiques et antérieures. Mais ils existent dans l'édit Constantinien; et leur présence est d'autant plus significative que cette fois, le prétendu faussaire qui eût, dans l'hypothèse, fabriqué cette pièce de chancellerie d'après les Actes de saint Sylvestre, ne trouvait rien dans ces Actes qui l'autorisât à parler d'autres décrets maintenant oubliés. On objectera peut-être que le rédacteur anonyme a tout inventé, et qu'il ne lui en coûtait pas plus de mentionner d'anciens décrets inédits que d'en forger de nouveaux. Je demanderai alors comment des diplômes Constantiniens, qui n'eussent existé que dans le cerveau d'un vil plagiaire, ont pu être vus, touchés, lus et examinés dans leur parchemin original, en l'an 948, par Luitprand, évêque de Cré-

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mone. il en est ainsi cependant. Voici le témoignage formel de l'évêque de Crémone, ambassadeur d'Othon le Grand à Constanti-nople. En s'adressant à l'empereur byzantin Nicéphora Phocas, Luitprand disait : «L'auguste César Constantin, fondateur de votre capitale, était de son temps le maître du monde. En cette qualité, il fit à la sainte et apostolique Église de Rome des donations considérables, non-seulement en Italie et dans les principales contrées de l'Occident, mais encore dans les régions de l'Orient, dans les provinces du Midi, telles que la Grèce, la Judée, la Perse, la Mésopotamie, la Babylonie, l'Egypte, la Lybie. Les diplômes, attestant ces privilèges, sont encore entre nos mains. Or, l'empereur Othon, mon maître, soit en Italie, soit en Saxe, soit en Bavière, dans toute l'étendue de sa domination enfin, respecte cette donation et laisse jouir le pape, vicaire des saints apôtres, des biens qui ont été concédés à son siège. J'en jure par le Dieu vivant, jamais mon auguste maître n'en a rien retranché, ni en villes, ni en hommes, ni en terres, ni en serviteurs. Pourquoi donc l'empereur de ConstantinopIe ne fait-il pas de même? Pourquoi refuse-t-il au siège apostolique la jouissance des territoires qui lui ont été concédés dans son royaume 1 ? » — A cette pressante interrogation de l'ambassadeur, Nicéphore Phocas aurait eu, dans l'hypothèse de nos adversaires, une réponse simple catégorique. Je n'ai jamais entendu parler de la donation de Constantin à l'Église de Rome, pouvait-il dire. Voici pourtant ce qu'il faisait répondre, par son premier ministre Basile : « Je m'empresserai d'exécuter ces stipulations aussitôt que l'Eglise romaine aura consenti à ratifier mes demandes2 Tel est le témoignage précis et officiel d'un ambassadeur de l'empire d'Occident près de la cour de Byzance. Essayons d'en faire comprendre toute la portée. L'acte de donation Constantinienne, dans l'énumération des domaines concédés à chaque province par l'empereur à saint Sylvestre, ne nomme que la Judée et la Grèce, l'Asie et la Thrace, l'Afrique, l'Italie et diverses

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1. Luitpr.'in.l, Legatio Constantinopoliiana; Pair, lat., totn. ffiXXXVI, col. 9!6- 917. — 2. Hoc, ait Basilius parukinumenos, faciel, cum ad nulum suwn Homa of 'omana Ecclesia ordinabiiur. (Id., ibid.)

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îles : Judœa, Grœcia, Asia, Thracia, Africa et Italia, vel diversis insulis1. Or, le plénipotentiaire d'Othon le Grand, près de Nicéphore, ajoute à cette nomenclature la Perse, la Babylonie, la Lybie, en Orient; la Saxe, la Bavière, en Occident, et il affirme que les diplômes Constantiniens, renfermant ces privilèges, subsistaient encore et qu'il les a eus entre les mains : ut ipsius testantur privilegia, quœ penes nos sunt. Par ces diplômes, Luitprand n'entendait donc pas seulement l'acte de donation, mais d'autres chartes Constantiniennes, conservées jusqu'à lui tant à Rome qu'en Allemagne. Il y eut donc très-réellement des actes particuliers, des privilèges spéciaux émanés de la chancellerie de Constantin, en dehors du diplôme final qui les résuma tous, en 329, et les confirma d'une manière solennelle, au moment où l'empereur allait transférer le siège de sa puissance ter-restre en Orient, pour laisser, comme il le dit lui-même, la majesté spirituelle des souverains pontifes libre et indépendante à Rome. Or, un de ces privilèges spéciaux, un de ces diplômes particuliers d'investiture , avait parfaitement pu être signé par Constantin dès l'année 324, le quatrième jour après son baptême. Les Actes de saint Sylvestre en ont gardé le souvenir; ils l'ont enregistre fidèle-ment. Il n'y a donc aucune contradiction chronologique entre cette date indiquée par eux et celle de la signature de la donation finale. Voilà un premier point nettement éclairci par le témoignage de l'ambassadeur d'Othon le Grand.

 

   34. Ce n'est pas le seul, ni le plus important. En étudiant, il y a quelques années, la dissertation où Noël Alexandre, avec une vigueur peu commune et un véritable luxe d'érudition, cherche à démontrer la fausseté de la donation Constantinienne, un argument m'avait surtout frappé : je n'y voyais pas de réponse. Il est inouï, disait-il, que les papes aient jamais exercé l'autorité, joui des privilèges, perçu les taxes et touché les revenus des domaines affectés à leur cour par la donation Constantinienne. L'histoire n'en cite pas un seul exemple. Cependant, s'il était vrai que Constantin eût conféré ces privilèges au Saint-Siège, nul

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1. Donatio Constantin. (Labbe, Collect. Concil., tom. I, lot. cil."/,

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doute gue les papes en eussent joui, ou du moins qu'ils les eussent solennellement revendiqués. —J'avoue que cette objection me paraissait décisive. Mais le texte authentique de l'évêque de Crémone, dans son ambassade à Constantinople, ne laisse pas subsister un mot de la thèse de Noël Alexandre. Ce n'est pas seulement en effet l'empereur Othon le Grand qui reconnaît, par la bouche de son négociateur, l'authenticité de la donation Constantinienne pour les provinces de Germanie. Le premier ministre de Phocas l'admet lui-même. Il déclare que son maître est disposé à en observer la teneur, aussitôt que le Saint-Siège aura satisfait à ses réclamations. Voilà donc, d'une part, l'empereur germanique Othon le Grand qui observe scrupuleusement, en 948, les stipulations de la donation Constantinienne, dont il conserve dans ses archives les diplômes authentiques, ipsius privilegia penes nos sunt, et de l'autre, l'empereur byzantin Nicéphore Phocas qui reconnaît l'existence, la valeur, la légitimité de ces mêmes diplômes. Or, il s'agissait ici d'intérêts matériels, de pos-sessions considérables, de revenu importants, de vastes territoires. On sait qu'en pareil cas les pouvoirs civils ne se dessaisissent qu'à bon escient. Une charte apocryphe, un parchemin glissé récemment dans un dossier par la main d'un faussaire, n'auraient pas grande chance de succès et ne tromperaient pas longtemps la perspicacité jalouse des légistes formant le conseil des couronnes. Othon le Grand n'hésite pas néanmoins. « J'en jure par le Dieu vivant, disait son ambassadeur, mon auguste maître n'a pas soustrait, en Saxe ni en Bavière, une seule ville, un seul homme, un seul pouce de terre, des donations faites par Constantin au siège apostolique. » Croit-on sérieusement que l'empereur germain eût agi et parlé de la sorte, s'il n'avait eu dans ses archives autre chose qu'un parchemin tout neuf, forgé par Anastase le Bibliothécaire? Croit-on surtout que Phocas, l'empereur de Constantinople, qui n'avait jamais entendu parler d'Anastase le Bibliothécaire, aurait si facilement concédé ce qu'on lui demandait et admis la charte de cet inconnu comme un titre qui l'obligeait à se dépouiller, en faveur du Saint-Siége, de domaines immenses

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répandus en Perse, en Babylonie, en Mésopotamie, en Lybie? Or, par surcroît d'impossibilités à la fois matérielles et morales, cette charte prétendue d'Anastase le Bibliothécaire ne faisait nulle mention ni de la Bavière ni de la Saxe, ni de la Perse, ni de la Babylonie, ni de la Mésopotamie, ni de la Lybie. Force nous est donc de convenir qu'il existait, en 948, des diplômes Constantiniens parfaitement indépendants de la fraude qu'on voulait attribuer à Anastase le Bibliothécaire, et que des copies authentiques de ces diplômes se trouvaient simultanément dans les archives de Constantinople et dans celles de l'Occident.

 

   35. La question s'élargit et se dégage visiblement des accusations de pieuse supercherie et de fraude obscure sous lesquelles on voulait l'étouffer. Si la donation Constantinienne eût été fabriquée par un imposteur du VIIIe ou du IXe siècle, comme on le disait jusqu'ici, il resterait à expliquer comment les archives d'Othon le Grand en Germanie, celles du Vatican à Rome et celles des empereurs byzantins à Constantinople, pouvaient posséder, en 948, des diplômes originaux de Constantin qui créaient pour le Saint-Siège de véritables titres de possession légalement reconnus et officiellement acceptés. J'ai nommé les archives de Constantinople. On me dira peut-être : C'est là une simple présomption de votre part. Vous interprétez en ce sens la réponse du premier ministre de Nicéphore Phocas. Mais ne la prenez-vous point dans un sens trop large? Qui empêcherait par exemple de supposer que la cour de Byzance, au lieu d'entrer dans le vif de la question, ait à dessein négligé le côté contentieux, pour saisir l'occasion de tenter l'esprit des papes et d'obtenir, par l'appât d'un motif intéressé, la reconnaissance des vieilles prétentions du schisme grec?— Sans doute, répondrais-je, s'il n'y avait pour appuyer ma présomption que le texte seul de Luitprand, je devrais renoncer à la faire prévaloir. Mais nous possédons un document positif, certain, authentique, irrécusable. Nous avons entre les mains deux fragments grecs de la donation de Constantin, lesquels ont été reproduits dans le Nomocanon de Photius. Cette fois, ce n'est plus par conjecture, ce n'est plus par voie d'induction , ni par un système

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d'interprétations arbitraires que nous procédons pour démontrer qu'en 948 les archives de Constantinople renfermaient une copie authentique de la donation de Constantin. Photius, patriarche de Byzance vers 830, un siècle avant l'ambassade de Luilprand, s'était trouvé en présence de ce document solennel, qui mettait à néant toutes les prétentions du schisme grec. Les copistes qu'il avait chargés de recueillir dans les archives impériales le texte des anciennes lois lui apportèrent celui-ci. Il le biffa outrageusement 1. Mais on pouvait toujours lire sous la rature, et quand Théodore Balsamon publiait le Nomocanon de Photius, il y reproduisait la pièce qui avait si fort déplu à l'orgueilleux patriarche. Or, dirons-nous avec M. Dumont, c'est un fait capital que de retrouver à Constantinople, en l'an 830, un texte grec de la donation de Constantin. On avait prétendu que cette donation fameuse était un pastiche fabriqué en Orient, soit par Anastase le Bibliothécaire, soit par Jean le Diacre, soit par Mercator, soit par Gratien. Mais Gratien rédigeait le Decretum, qui a pris et qui conserve la place d'honneur dans le Corpus juris canonici, en l'an 1151. Les Décrétales de Mercator, qu'on a qualifiées du titre injurieux de Fausses et que jusqu'ici nous avons toujours trouvées véridiques, ne parurent point avant l'an 860. Jean le Diacre et Anastase le Bibliothécaire, son contemporain, florissaient en l'an 870. Or Photius, patriarche de Constantinople, qui ne connut ni Gratien, ni Mercator, ni Jean le Diacre, ni Anastase le Bibliothécaire, écrivains occidentaux nés après lui, trouvait en 850, dans les archives byzantines, un texte grec de la donation de Constantin. Ce texte grec est le seul qui nous soit parvenu jusqu'ici. C'est à Photius que nous le devons : l'Occident ne possède que des versions latines du même Acte. Encore une fois, c'est là un fait décisif. Tant qu'on ignora l'existence de ce texte grec, la critique ne tarissait point sur la mauvaise rédaction, sur la basse latinité de la donatio Constantini. Quoi ! disait-on,

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1. Dans un manuscrit de la bibliothèque impériale de Vienne, renfermant un texte grec de la Donation, on lit la note suivante : UafiUO.rflri àicè to* èyioTàtou iraxpiâpxoii KwvstocvTivouttoiEw; xupioû 4><otîou TaÙTa. « Ce texte avait été biffé par le très-saint patriarche de Constantinople, le seigneur Photius. »

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tous les décrets authentiques de Constantin, insérés dans le Droit canonique et civil, sont d'un style élégant et poli. Et l'on veut nous faire accepter, comme une œuvre Constantinienne, le latin plat et barbare de la donatio ! — C'était bien raisonné. Mais le latin de la donatio n'est qu'une version faite par une plume qui n'était nullement cicéronienne. Le texte original était en grec. Or, Constantin savait le grec ; c'était la langue de sa mère sainte Hélène ; c'était la langue qu'il avait parlée pendant toute sa jeunesse au palais impérial de Nicomédie. Aussi le texte grec de la donatio, telle qu'on peut le lire au titre VIII, chap. I du Nomocanon de Photius, est-il d'un atticisme irréprochable 1. Que de monuments de la primitive Église n’avait-on pas répudiés ainsi, parce qu'on n'en possédait plus que des versions incorrectes, ou des abrégés défectueux ! Pour notre part, en traduisant le latin de la donatio, nous sentions, sous la forme inculte de la version latine, les grandes pensées d'un héros tel que Constantin. En vérité, un faussaire quelconque, Mercator, Jean le Diacre, ou tout autre, pouvait-il inventer cette idée sublime de constituer « un juge-roi » judicem regem 2 à la tête de l'univers? Un misérable imposteur, écrivant dans quelque coin obscur une œuvre apocryphe, aurait-il eu des inspirations comme celles-ci, : « Que les nations de la terre viennent fléchir le genou devant le Dieu des miséricordes, en ce lieu où elles ont si longtemps porté le joug des plus, farouches tyrans 3 ! » Et cette autre phrase d'une latinité si déplorable, mais d'une telle élévation : Quoniam ubi principatus sacerdotum et christianœ religionis caput ab imperatore cœlesti constitutum est, justum non est ut illic imperator terrenus habeat potestatem. ! Le texte grec, harmonieux et pur, rétablit la majesté de la forme et dit : « La cité où réside la puissance sacrée et le chef constitué par le ciel pour gouverner l'Église, ne saurait être habitée par un souverain terrestre. » 'Or.w iath àp*u^ Upateta wù ^ xeça).^ rijç XpidTtavixîi; 6pr]<jxE{ac, itô tûv oùp«v<5v 6i5oaévj|, àSixov 4»tiv tva Itiï i yijïvoj

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1 Photii, Nomocanon; Patr. grœc, tom. CIV, col. 1077. — 2.Donat. Constant, Labbe, loc. cit. — 3. Id., t'ôi'rf. — 4. Id., ibid,; Photii, Nomocanon, ibid.

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