Darras tome 28 p. 321
§ I. LE MANICHÉISME AU TREIZIÈME SIÈCLE.
1. Avant de retracer la guerre contre les Albigeois, il est absolument nécessaire d'exposer d'une manière au moins succincte, leurs doctrines et leurs mœurs. Les premières lignes de ce tableau, si digne d'attirer les méditations du philosophe et d'appeler l'attention du chrétien, se trouvent disséminées dans l'histoire antérieure. Il ne faut pas oublier ce que nous avons nous-même dit, et des Bogomiles ou nouveaux Pauliciens répandus à Constantinople sous l'empereur Alexis Comnène, qui ne se contenta pas de les réfuter avec des arguments théologiques; et de la propagande exercée par Pierre de Bruis, puis continuée par le faux hermite Henri sur divers points de la France, dans le Languedoc en particulier ; et des agitations politiques excitées par le moine tribun Arnaud de Brescia, soit dans les provinces helvétiques, soit dans la capitale même du monde chrétien, jusqu'à mettre en péril l'autorité pontificale ; et des prédications de saint Bernard dans les contrées méridionales, où l'erreur était déjà concentrée1. Un moment interrompue dans sa marche, elle avait repris son cours avec une force qui déjouait les mesures prises par le pouvoir temporel et le zèle déployé par le sacerdoce, quand elle ne parvenait pas à s'en faire un instrument. A l'époque où nous sommes, ce n'était plus un bouleversement religieux, c'était une révolution sociale, un cataclysme universel, qui s'élaborait dans l'ombre et menaçait d'éclater au grand jour. De quelle nature serait la révolution préparée par la secte, les événements le proclameront assez ; mais on peut l'augurer déjà de ses principes. Le dualisme persan, formulé par Zoroastre dans le septième siècle avant Jésus-Christ, adopté sous une forme
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1 Cf, tome XXVI de cette Histoire, passim.
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à peine atténuée par l'hérésiarque Manès, dans le troisième siècle
après, était la base et comme le premier article du symbole albigeois, si
toutefois on peut attribuer un symbole à des sectaires qui procédaient par la
négation au renversement de tout ordre, qui marchaient eux aussi sous
l'étendard habilement caché du nihilisme. Profondément divisés, malgré leur but
commun et leur union apparente, ils formaient une association d'éléments
opposés ou de nuances diverses. Un auteur qui les connaissait bien, ayant lui-même vécu dix-sept ans dans la secte, n'en compte pas moins de soixante dix1.
Mais tous s'entendaient à reconnaître que le créateur ou le formateur du monde
matériel n'est pas le même que celui du monde invisible. Or, si Bossuet a pu
dire avec tant de raison : « le déisme n'est qu'un athéisme déguisé, » que sera
le dualisme? En scindant la divinité, on déchire violemment l'intelligence
humaine ; ce n'est pas le surnaturel seul qui croule et disparaît, c'est toute
idée saine, toute croyance digne de ce nom. Beaucoup parmi les hérétiques, chose
qu'on n'a pas suffisamment observée, n'admettaient pas l'immortalité de l'âme,
ni l’existence d'une autre vie : c'étaient des Manichéens conséquents avec eux-mêmes. Reculant
devant cette logique de l'erreur, d'autres se réfugiaient la dans
Métempsycose, pour échapper au néant.
2. Il n’est plus besoin de rappeler qu'ils niaient tous les sacrements et le pouvoir radical du sacerdoce. Le culte extérieur n'était a leurs yeux qu’un ridicule et vain simulacre, l’autel un monument superstitieux, le temple une maison profane, la croix un signe réprouvé, les images des saints autant d'idoles, les couvents une insulte à l'humanité, les cloches un son dénué de sens, ou mieux les trompettes du diable, la prédication un enseignement d'erreurs, l'Eglise catholique elle-même une caverne de brigands, la prostituée de l'Apocalypse. Qui ne reconnaît le langage anticipé de Luther et de Calvin? Avec de tels principes, que devaient être les mœurs? Ce que la plupart des écrivains rapportent : une dépravation organisée. La vraie logique est ici le garant de l'histoire.
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1 Reiner. Su>m?ia de Catltar. Biblioth. nias. Patr. tom. XXV. fLugduni, 1077.)
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Aucune monstruosité, dans une telle perversion intellectuelle, n'a le droit de nous étonner. Inutiles seraient les détails, et souvent impossibles1. La démoralisation, surtout quand elle atteint certaines limites, verse dans la barbarie ; le débordement du sensualisme conduit à l'effusion du sang : c'est encore la loi psychologique, la nature même du coeur humain. Ceux qui prétendent innocenter les hérétiques du treizième siècle méconnaissent les faits et luttent contre l'évidence. Tous les éléments qui s'agitaient au sein de la grande hérésie et qui la constituent dans son ensemble n'étaient ce- pendant pas corrompus au même degré, ou ne l'étaient pas de la même manière. Les Catharéens représentaient dans la coalition le mouvement doctrinal, la négation dogmatique ; ils procédaient d'Arius par une constante palingénésie, et remontaient à l'antique Gnose, dont les ferments semblent avoir toujours subsisté dans cette ville de Toulouse qui fut la capitale des Visigoths ariens, malgré les victoires remportées par Clovis et le catholicisme. Les Pataréens représentaient plus directement le sensualisme oriental, la perversion morale ; ils avaient leur principal foyer dans le nord de l'Italie, où le mal était venu s'implanter, en passant des Byzantins aux Bulgares ; et ce dernier nom garde le souvenir du fatal itinéraire. Les Manichéens pullulaient à Milan, où leur présence et leur action avaient déjà terni le glorieux passé de la cité lombarde, en trompant ses destinées. Dans les Etats de l'Eglise, la contagion se faisait également sentir ; elle régnait à Viterbe ; elle tenait Orvieto sous le joug, brisant toute résistance : le Pape en était réduit à combattre pour ses autels et ses foyers. Un noble romain2, envoyé par lui dans cette dernière ville pour y rétablir son autorité, venait d'être martyrisé par les hérétiques.
3. L'élément vaudois était le moins corrompu, et par là même le plus dangereux de la vaste conspiration albigeoise. On sait qu'il avait eu pour point de départ un généreux élan vers la pauvreté
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1. Emgelh. Citron, apud Leibn. loin. Il, col. 1113. - Èbrard. cont. Walden-Biblioth. mas. Pair. tom. XXII, col. 152.3. - Cf. Muïatow, Antia. v, 15,
Si.
2. Boua.\d, Vita. S. Parent, a coetaneo scripta, die 2IOIaii.
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chrétienne ; mais en dépassant le but il avait glissé dans le matérialisme et la révolte, portant aux ennemis déclarés du bien une force qu'ils ne pouvaient avoir par eux-mêmes, celle que les honnêtes naïfs donnent toujours aux révolutions politiques ou religieuses. A l'aspect de l'abime ouvert sous leurs pas, plusieurs s'étaient rejetés dans le sein du catholicisme, tels que Durand de Huesca, le continuateur de Pierre Valdo ; le reste se trouvait désormais confondu dans la masse schismatique. Pour propager l'erreur et préparer la réalisation de leurs plans, les sectaires déployaient une activité qui n'avait d'égale que leur hypocrisie. Le secret dont leurs démarches étaient enveloppées, leur persistance implacable et l'habileté de leurs insinuations, nous les avons vus se renouveler dans ces derniers temps : la secte maçonnique, avec tous ses affluents et toutes ses ramifications, ne s'est montrée ni moins habile ni moins opiniâtre. On peut mesurer du regard le travail souterrain accompli pendant un siècle. Désormais elle ne prend plus la peine inutile de cacher son action ; c'est au grand jour qu'elle marche au bouleversement des sociétés, à l'anéantissement des croyances, à la destruction même de l'Etre divin ; car jusque-là va son audace. Ce n'est pas l'unique preuve de sa filiation, le seul point de contact qu'elle ait avec l'ancien manichéisme. Elle a maintenant obtenu, dans une large mesure, ce qu'elle sollicitait timidement alors: la complicité de la science, de cet appareil imposant, j'allais dire imposteur, qu'on nous présente sous ce nom. Les nihilitianistes de la période antérieure avaient des héritiers dans les écoles de Paris. Y avait-il entente préalable ou tacite accord entr'eux et les hérétiques, on peut en douter ; mais une chose indubitable, c'est qu'ils tendaient au même but. Alméric de Bène, ainsi nommé du lieu de sa naissance, dans le diocèse de Chartres, émettait les plus graves erreurs en théologie, après avoir fasciné ses auditeurs par la singularité de ses idées philosophiques ou littéraires. A force de subtiliser et de retourner la question des Universaux, selon la méthode aristotélique, il admettait un tout universel, dont le monde ne serait que la modification éternelle et permanente. C'était renverser par la base l'enseignement chrétien,
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pour y substituer une sorte de panthéisme. Dans une pareille théorie et par une conséquence immédiate, évidemment la Trinité disparaissait, avec l'Incarnation et la Rédemption. N'osant pas encore radier ces dogmes, Alméric les interprétait de façon à les éliminer. Les trois personnes divines se réduisaient à des abstractions correspondant aux trois phases principales de l'humanité. Dieu s'était fait homme, insinuait-il, dans Abraham et Moïse, aussi bien que dans le Christ. Durant la phase actuelle, celui-ci vivait dans tous les objets comme dans le pain eucharistique ; par la foi, chacun de nous est le Christ lui-même. Le royaume du Saint-Esprit, la troisième et dernière phase, l'état de perfection, allait rayonner sur le monde, supprimant tous les moyens extérieurs, rendant toutes les œuvres inutiles, et probablement aussi toutes les vertus : le docteur se déclarait modestement le prophète de cette rénovation spirituelle. Les Manichéens n'en étaient-ils par les précurseurs, ou mieux les initiateurs pratiques?
4. Dénoncé par l'université, qui s'alarma d'une telle doctrine, le novateur fut mandé par Innocent III, qui consentit à l'entendre, et finit par l'obliger à se réfracter. Pour lever entièrement le scandale, Alméric devait renouveler à Paris l'acte de soumission qu'il venait d'accomplir à Rome. Il en conçut un tel chagrin qu'il tomba malade et mourut. Ses disciples ne laissèrent pas mourir sa doctrine. David de Dinan, le principal d'entr'eux, en dégagea les dernières conséquences, ou du moins exprima sans détour ce que le maître avait enveloppé d'un plus captieux langage. Par la contemplation, enseignait-il, l'âme doit retourner à l'essence divine, sans perdre ici-bas sa liberté ; il n'existe aucune différence entre le vice et la vertu ; rien n'est mal pour les adeptes; le péché n'est qu'un mot vide de sens, un vain fantôme, un préjugé suranné. La conduite répondait à ces beaux principes : les Manichéens avaient de dignes associés. Le panthéisme n'était pas la seule des erreurs modernes qui se fût déjà glissée dans l'ancienne université sous le manteau d'Aristote, ni le seul point d'appui offert à l'hérésie ; plus d'une fois le scepticisme était apparu sur ce bruyant théâtre. Il s'y dévoila dans une occasion que nous devons rapporter. Parmi les maîtres
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les plus admirés et les plus suivis au commencement du siècle, était Simon de Tournay, d'autres disent Churnai ; ce qui laisse sur le lieu de sa naissance un doute que n'éclaircit aucun monument contemporain. Après avoir enseigné les arts et les sciences profanes, celui-là s'était également lancé dans la théologie. Un jour qu'il avait fait sur ces matières ardues une leçon éblouissante, où paraissait établie par d'irréfutables arguments la vérité du christianisme, ses auditeurs s'empressèrent autour de lui, le conjurant de leur dicter celte démonstration dont la perte serait irréparable. Simon leva les yeux au ciel avec un dédaigneux sourire. « 0 Jésus, pauvre Jésus? si je voulais attaquer maintenant ta doctrine, qu'il me serait aisé de la renverser aussi bien et mieux encore que je ne l'ai démontrée ! Par ma science, je puis à mon gré.... » Il n'en dit pas davantage; frappé de mutisme et de stupeur, plus jamais il n'aborda sa chaire ; il inspirait le mépris ou la compassion, étant tombé dans un complet idiotisme. Au bout de deux ans seulement avec une peine incroyable et par les constantes leçons de son fils, il parvint à réciter le Pater et le Symbole, mais en balbutiant comme un enfant. Cette punition miraculeuse qui tombait sur un orgueil déjà puni par une sensualité grossière, fit la plus heureuse impression, dans le monde surtout des écoles.
5. Mathieu Paris, de qui nous tenons ce trait, déclare le tenir lui-même d'un témoin oculaire, maître Nicolas de Fuly, qui dans la suite fut évêque de Durham. Thomas de Catimpré le raconte avec certaines variantes, qui n'en garantissent que mieux le fond ; il ajoute qu'on avait beau faire passer sous les yeux de Simon le traité de Boëce sur la Trinité, que le malheureux avait su par cœur d'un bout à l'autre ; il ne savait plus même le nom de l'auteur : un seul nom était resté dans sa mémoire, celui d'une femme perdue ! Si l'erreur produit toujours la corruption, elle n'a jamais d'autre source; et dès lors elle tend à devenir la corruption organisée. De là résulte pour la société la nécessité de se défendre elle-même. Le pouvoir royal, dont le vice-chancelier Guarin, l'un des meilleurs conseillers de Philippe-Auguste et de ses plus vaillants chevaliers, fut en cette occasion le dépositaire, réagit vigoureusement contre
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les disciples obstinés d'Alméric. Dans un synode mixte tenu à Paris en 1210, quatorze seront condamnés à mourir sur le bûcher. Plusieurs obtiendront une commutation de peine ; quelques-uns la subiront. Les ossements du maître seront déterrés et brûlés, avec ses écrits et les livres d'Aristote dont il avait si perversement abusé. Le concile de Latran condamnera sa doctrine, et comme hérétique, et comme insensée. Dans le Midi, la complicité des barons seconda les progrès du Manichéisme beaucoup plus que ne le pouvaient de lointaines aberrations, lentes à s'infiltrer au sein des masses. Les moyens ne manquaient pas aux novateurs pour agir sur le peuple : ils s'introduisaient dans les maisons sous les dehors de la piété, se donnant pour les sincères interprètes et les représentants dévoués du pur esprit évangélique. Ils avaient un langage conventionnel propre à séduire les âmes simples et bien intentionnées. Simulant avec art les inspirations du mysticisme, ils appelaient à leur secours l'intervention même du ciel. Les laboureurs et les pâtres trouvaient parfois dans des lieux isolés un billet plein de sentences équivoques, déposé là, portait-il, par la main d'un ange ; et la suave odeur dont il était imprégné confirmait évidemment son origine. Envers les grands, inutiles étaient de pareilles supercheries, il suffisait de lâcher la bride aux passions. En s'éloignat de l'Eglise, ils aspiraient à s'emparer de ses biens, sans dédaigner d'anéantir sa puissance : calcul, jalousie, sensualisme, c'était là toute leur incrédulité.
6. Le comte de Toulouse, Raymond VI, marchait à leur tête. Il était fils de Raymond V, qui n'avait cessé de prouver son amour pour l'Eglise et sa haine contre les Albigeois, et de Constance, sœur du roi Louis VIl; Philippe-Auguste était donc son cousin. Dès son avènement, en 1194, il était reconnu comme le protecteur de l'hérésie qui s'était propagée dans ses belles provinces ; et ses mœurs ne valaient pas plus que sa foi. Au nombre des seigneurs hérétiques, figuraient Raymond Roger, vicomte de Béziers et seigneur de Carcassonne ; Gaston VI, vicomte de Béarn, descendant des anciens ducs de Gascogne sous les Mérovingiens : Bernard VI, comte de Comminges; Géraud IV, comte d'Armagnac, un constant persécuteur des évêques ; Raymond Roger, comte de Foix, celui de tous
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peut-être qui se montrait l'ennemi le plus acharné du catholicisme. Le mot d'ordre général parait avoir été de calomnier les prêtres et les évêques, afin de ruiner leur action sur le peuple chrétien. Nier le caractère surnaturel du sacerdoce, le présenter comme une usurpation et le déclarer inutile, ce n'était pas assez; il fallait l'accabler d'insultes et l'étouffer dans la boue, selon la formule adoptée dans ces derniers temps. Parmi les prêtres, plusieurs se laissèrent entraîner et se rangèrent ouvertement du côté des hérétiques. Dans le Languedoc et les provinces environnantes, il restait peu de localités où la contagion n'eût infecté les âmes et désolé le troupeau ; dans un certain nombre déjà le ministère paroissial n'était plus exercé, ou ne l'était que d'une manière dérisoire : les églises restaient dans l'abandon, quelques unes tombaient en ruines, d'autres passaient aux mains des seigneurs et servaient aux plus vils usages, quand elles ne devenaient pas des châteaux-forts. La plupart des évêques opposaient à la démoralisation une généreuse résistance ; mais il en était aussi qui semblaient paralysés par le découragement ou la crainte, ou simplement par le défaut d'esprit ecclésiastique, de vertu conforme à leur vocation. L'archevêque de Narbonne, Bérenger II, malgré quelques actes de bienfaisance ou de réelle charité, donnait le triste exemple d'un cumul scandaleux et d'une incurie désastreuse. Mandé d'abord par les légats, par le Pape ensuite, il promit de s'amender, demeura cependant incorrigible et fut solennellement déposé. Pour de semblables causes, Guillaume de Viviers subit la peine de la suspension,
7. L'évêque de Toulouse était un intrus, et dès lors un mercenaire incapable de guider le troupeau, beaucoup plus encore de le défendre lorsque tant de loups étaient entrés dans la bergerie; il s'honora du moins en donnant sa démission, à la prière et sur les recommandations des légats. Le doyen du chapitre, l'un des principaux auteurs de l'intrusion, fut déposé par l'ordre direct du Pape. C'est alors qu'on élut le célèbre Foulques de Marseille, qui doit jouer un si grand rôle dans les événements que nous allons exposer. Né dans une famille enrichie par le commerce, mais entraîné vers la poésie, Foulques avait déserté le comptoir de son
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père pour se lancer dans l'aventureuse et brillante carrière de troubadour, dans laquelle il recueillit moins d'applaudissements que de déceptions. Après avoir chanté dans les cours de Richard d'Angleterre, d'Alphonse d'Aragon, du comte Raymond V, de Toulouse, de Guillaume de Montpellier, il ressentit un profond dégoût pour le monde, où la mort avait en peu d'années fait tant de vides autour de lui. Le frivole poëte n'aspira plus qu'à devenir un fervent religieux : il courut s'ensevelir dans le monastère cistercien de Toronelle, accompagné de ses deux fils. Sa conversion était complète ; bientôt après on le voit abbé de cette maison ; en 1206, il passe à l'évêché de Toulouse. Nul mieux que lui ne pouvait arracher ce diocèse aux périls dont il était menacé, rétablir l'aulorilé spirituelle, et restaurer les intérêts matériels également en décadence. C'était l'homme que les circonstances exigeaient. Il montra dès le début une vigueur qui parut excessive, et qui n'était que nécessaire ; elle ne se démentit jamais. Les prédications de Foulques contre l'hérésie respiraient, avec le zèle de la discipline et le sentiment de la foi, l'amour sincère des âmes. Pierre de Catelnau ne s'était pas trompé, lorsque, apprenant cette élection, cloué sur son lit par la maladie, il avait levé les mains au ciel dans un transport de reconnaissance, bénissant Dieu d'avoir donné ce pasteur à son peuple. Ni les insultes ni les persécutions n'arrêtaient l'évêque dans l'accomplissement de ses devoirs. Quand il visitait son diocèse, pour se mettre à l'abri des embûches du comte Raymond, il recourait à la protection des seigneurs catholiques. Mais il ne se tenait pas renfermé dans son palais, où la tyrannie du reste ne le laissait pas toujours en sûreté. Telle était en général la situation des provinces méridionales, si nous en exceptons celle de Montpellier, dont le comte se déclarait en toute occasion l'ennemi des hérétiques. C'est avec bonheur qu'on retrouve dans le passé l'explication et les sources de l'attachement que les peuples montrent à la foi : ces traditions anciennes rapprochées du présent sont leurs titres de noblesse.