St Damase 2

Darras tome 10 p. 235

 

7. Ursicinus protesta contre la nomination de Damase; il indiqua, de sa propre autorité, pour le 23 octobre suivant, une nouvelle réunion électorale dans la basilique de Sicinius, près du marché de Livie. C'était l'église que Liberius avait consacrée au culte de la sainte Vierge 1, et qui prit ensuite le nom de basilique Libérienne, pour l'échanger encore avec ceux de Sanctœ Mariœ ad Neves, et de Sainte-Marie Majeure, sous lequel elle est aujourd'hui universellement connue. L'intervalle de près d'un mois qui devait s'écouler entre la première élection canonique et le conciliabule subreptice d'Ursicinus ne fut pas perdu pour les dissidents. «Tandis que des agents éhontés parcouraient, dit M. A. Thierry, les quartiers infâmes de Rome, soulevant les passions et achetant les suf-

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Cf. tom. IX de cette Histoire, pag. 435-413.

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p236 ro.vriFiCAT pe saint damase (36G-3S-5J.

 

frages, d'autres plus indignes encore frappaient à la porte des palais, pour y semer l'outrage et la calomnie contre le nouveau pontife. Alors fut reprise et amplifiée l'accusation, depuis longtemps démentie, d'un adultère commis par Damase dans sa jeunesse. Les diacres Amantius et Lupus se faisaient les colporteurs de ces diffamations. Ursicinus leur donna pour acolytes deux personnages dont l'histoire est bien obligée de parler, puisqu'ils s'y sont fait une place par l'infamie, et que d'ailleurs leur immixtion dans un débat d'élection épiscopale est un trait assez curieux des mœurs du temps. L'un était un juif espagnol, nommé Isaac, converti au christianisme, puis relaps, lequel, suivant le langage d'un concile romain qui le condamna, avait profané par sa rechute les mystères sacrés 1. Ce misérable affichait des prétentions à la théologie ; on lui attribua un assez mauvais livre sur le Saint-Esprit, écrit à l'époque de sa conversion. Ennemi personnel de Damase, qui était originaire d'Espagne comme lui, et peut-être avait censuré son ouvrage, Isaac prétendait avoir en sa possession les preuves de cet adultère imputé au prêtre de Saint-Laurent; mais, sommé plus tard de les reproduire devant les juges, il se reconnut lui-même pour un imposteur. L'autre était un eunuque, appelé Paschasius, d'une vie impure, fourbe, avare, perfide comme ses pareils, et qui dans la suite osa porter jusqu'à l'empereur Gratien, à titre de mémoire explicatif, un libelle plein d'obscénités qui lui valut d'être chassé de la présence du prince et exilé 2. Grâces à leurs efforts, la réunion du 25 octobre à la basilique Libérienne fut nombreuse. On y cassa l'élection précédente, et Ursicinus fut proclamé par une foule schismatique. Paulus, évêque de Tibur, «homme d'une simplicité agreste et d'une ignorance sans égale, » dit Rufln 3, s'était laissé

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Sic denique factio profecit Ursini, ut Isaac luilao sttbornalo, qui, facto adty-nagognm recursu, cœleslia mysleria profanavil. (Concil. Roman., Epist. ad Grat^ •t Valenhn., ap. Gothofred.; Cod. Theod., append., tom. VI, pag. 18. — Note de M. A. Thierry.)

1 Voirie Libellus precum des prêtres Faustin et Marcellin, loc. citât.

8 Longe alienus ab omni verecundiâ, jtr abscissum hominem, Paschasium signi-ferum furoris sui, missis litteris... {E/>isl. l Concil. Aquil. ad Gratian., ubi «apra ; A. Thierry, S. Jérôme, tom. I, pag. 107, 108.)

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p237 chap. ii. — l'élection pontificale.

 

surprendre par les factieux et se tenait prêt à sacrer l'antipape. » On avait compté sur une surprise. Mais les partisans de Damase étaient sur leurs gardes. Le préfet de la ville envoya une escouade de soldats pour dissoudre le conciliabule. La foule se joignit à eux. Les schismatiques se barricadèrent dans l'église. Avec des haches et des leviers, les assiégeants essayèrent de forcer les portes. Cette tentative demeura sans succès. En un clin d'œil, la multitude exaspérée grimpa sur la toiture de l'édifice, et fit pleuvoir à l'intérieur une grêle de poutres, de tuiles, de pierres et de décombres. Cependant les soldats pratiquaient une brèche dans les murailles latérales, et par cette ouverture lançaient des javelots et des flèches. Dans le désordre de cette attaque tumultueuse, une main inconnue jeta, parmi les monceaux de la charpente démolie, une torche allumée qui mit le feu à la basilique. Ce fut alors un sauve-qui-peut général. La flamme et le sang ruisselaient à la fois. Cent cinquante cadavres jonchaient le champ de bataille. Groupés en masse et disputant leur vie dans un effort désespéré, les assiégés parvinrent à s'ouvrir une route à travers les rangs ennemis, et gagnèrent les rues voisines. Ursicinus s'était dérobé l'un des premiers, avec l'évêque Paulus, par une issue secrète. Retiré dans une maison amie, il reçut une sorte de consécration à huis-clos. Cependant la flamme, se propageant sans résistance, menaçait d'envahir tout le quartier. Les troupes urbaines réussirent à conjurer ce nouveau sinistre. Mais la fermentation populaire était au comble. Le préfet de Rome Juventius et le préfet de l’annona 1 Maximinus, également détestés, le premier pour la mollesse et l'indécision de son caractère, le second pour sa rigueur impitoyable et la dureté de son administration, prirent tous deux le parti de quitter la ville, abandonnant la révolution à elle-même.

 

8. Rome ainsi délaissée par les fonctionnaires civils, trouva dans son légitime pontife un pasteur, un monarque et un père. Damase intervint près du peuple et réussit à calmer les esprits. Ursicinus  

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1. Fonctionnaire impérial chargé de l'approvisionnement de Rome et de la distribution des vivres.

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profita du calme et de l'apaisement pour s'emparer des principales basiliques. Pressé d'étaler son autorité d'emprunt, il multipliait chaque jour les ordinations, sans s'inquiéter de la règle alors en vigueur qui fixait au mois de décembre, c'est-à-dire au samedi qui précède Noël, l'époque des ordinations canoniques. L'antipape avait hâte de s'adjoindre, par ces faveurs intempestives, des évêques, des prêtres et des diacres de son choix, qui pussent grossir les forces du parti. Il est remarquable que saint Damase, le pape légitime, suivit une conduite diamétralement opposée. « En dix-huit ans de règne, dit le Liber Pontificalis, il ne fit que cinq ordinations, et toutes au mois de décembre. » Cependant, grâces à l'intervention de Damase et à son esprit de paternelle mansuétude, l'ordre s'était peu à peu rétabli dans la cité; les deux préfets urbis et annonae rentrèrent à Rome. Juventius, préfet de la ville, laissa à son collègue de l’annona, Maximinus, le soin de poursuivre, au nom de l'autorité civile, les partisans de l'antipape, auteurs de tant de troubles. Maximinus, Pannonien d'origine, avait du sang barbare dans les veines. II aimait la cruauté pour elle-même; il se plaisait aux exécutions sanglantes, au spectacle des tortures, aux cris des victimes. Une nouvelle guerre recommença dans les basiliques, dont les partisans d'Ursicinus furent expulsés de vive force; le siège de Sainte-Agnès-hors-des-Muts dut se faire en règle; les prêtres et les diacres schismatiques, arrêtés par Maximinus, étaient soumis à la flagellation. Enfin Rome vit, durant ces trois mois, une succession de scènes déplorables  « dont l'odieux retombait, dit Rufin, sur le saint et innocent pontife Damase, lequel déploya vainement tout son zèle pour arrêter les fureurs du cruel préfet 1. » Cette situation nous explique parfaitement les récriminations d'Ammien Marcellin à ce sujet. Le récit de ce païen est trop curieux pour que nous le passions sous silence. «Une sédition populaire, dit-il, ensanglanta la ville de Rome. Elle fut excitée par la rivalité de Damase et d'Ursicinus, lesquels faisaient alors, chacun de son côté, des efforts surhumains pour être mis en possession du siège épiscopal. Ils luttèrent

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1. RuflD., Hist. occ/cs., lit». Il, cap. x.

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p239 CHAP.  II.  — L'ÉLECTION   PONTIFICALE.

 

avec une âpreté inouïe ; leurs partisans se livrèrent des combats à outranse, le sang coula, et l'on eut à déplorer de nombreuses victimes. Juventius, le préfet de Rome, impuissant à réprimer ces désordres et ne voulant pas les autoriser par sa présence, réunit les troupes urbaines et sortit de la ville avec elles. Damase resta vainqueur dans la lutte, par l'énergie de ses adhérents. En un seul jour, la basilique de Sicinius, où les chrétiens célèbrent leurs conventicules, se vit jonchée de cent trente-sept cadavres. Il fallut plusieurs mois pour calmer l'effervescence du peuple. En vérité, quand je considère le faste qui environne la dignité des pontifes chrétiens à Rome, je ne m'étonne pas des brigues qui surgissent entre les prétendants. S'ils parviennent à ce but tant désiré, leur sort est digne d'envie; les Offrandes des matrones les enrichissent; portés en litière, ou assis sur des chars somptueux, vêtus de pourpre, on les voit traverser la ville avec une pompe royale; leurs repas sont des festins qui égalent les magnificences de la table des empereurs. Combien ne seraient-ils pas plus heureux si, moins épris de la majesté de leur ville épiscopale, dont ils se font un prétexte pour excuser leur splendeur, ils consentaient à vivre comme certains évêques de province, dont la frugalité, la simplicité dans le vêtement, la douceur et l'humilité sont l'unique parure ! Ceux-là se montrent réellement les adorateurs de la Divinité suprême, et ont droit au respect de ses serviteurs fidèles 1. »

   9. On a beaucoup disserté sur ce texte d'Ammien Marcellin. Quoi! disait-on, les pontifes de Rome, au IVe siècle, s'environnaient extérieurement d'une pompe vraiment royale ! Ils se faisaient porter dans une litière, véritable sedia gestatoria; ils se montraient vêtus de pourpre à la foule qui les saluait; leurs chars étaient aussi somptueux que ceux des empereurs; leur table elle-même avait des magnificences qui rappelaient le luxe des Césars! Fleury n'était pas médiocrement embarrassé de ce témoignage d'un auteur païen, décrivant, de la manière la plus désintéressée et la moins suspecte, l'éclat et la majesté qui entouraient alors la dignité pon-

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1.  Amin. Marcell., lib. XXVII.

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p240 FOXTIFICAT  DE  SAIXT  DAMASB   (3U6-ù8i).


tificale. Dans le système adopté par l'historien gallican, la Donation de Constantin était, sinon une imposture des papes, du moins une légende apocryphe, misérablement acceptée par l'ignorance du moyen âge. En présence d'un texte aussi clair que celui d'Ammien Marcellin, Fleury ne sait quel parti prendre; il inclne à croire que l'auteur païen a menti; il se rabat complaisamment sur l'éloge accordé aux évêques des provinces, dont l'humilité, la modestie, la simplicité commandaient tous les hommages. «Ces dernières paroles d'Ammien, disait Fleury, méritent plus de créance que ce qu'il raconte des papes. Il fallait toutefois que leur vie eût quelque éclat extérieur, puisqu'au rapport de saint Jérome, Prétextât, qui fut depuis préfet de Rome, disait par plaisanterie au même pape Damase : «Faites-moi évêque de Rome, et aussitôt je me ferai chrétien 1! » — La citation empruntée par Fleury à l'épitre de saint Jérôme à Pammachius est exacte -. Elle aurait dû frapper davantage l'esprit de l'historien français. II est certain qu'Ammien Marcellin n'exagérait pas, lorsqu'il parlait du luxe de la cour pontificale au IVe siècle. Dans mille autres passages des lettres de saint Jérôme, nous en avons la preuve. Secrétaire du pape Damase dont il partagea durant trois ans les labeurs et les sollicitudes, Jérôme n'avait rien voulu changer à la simplicité de son habit monastique. « C'était, dit-il, aux yeux de tous les prêtres romains, vêtus de soie, un grief irrémissible. La foule elle-même, en me voyant passer avec ma tunique brune, criait: A bas l'imposteur! A bas le Grec ! — Il semble, ajoute-t-il, que la dignité du sacerdoce ou de la diaconie ne consiste plus que dans l'éclat des vêtements, l'exquise senteur des parfums, ou la correction de la chaussure. II leur faut des cheveux frisés avec art, des diamants au doigt ! A les voir renouveler à chaque heure les coursiers fringants de leur attelage,

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1 Fleury, Hist. ecclés., lib. XVI, cap. vin.

1 Voici les piroles mêmes de S. Jérôme : Miserabilis Prœtextatus, qui rfesj-ffxatus censul est morluus, homo sacrilegui, et idolorum cultor, folebat luilens beato pupee Damaso dicere : Facile me Romance urbis episcopum, et ero pro'.ùn, / cfoistianus. (S. Hieronytn., Lib. contra Joann. aierosolymitaii., ad fimmacti. Pair, lat., tom. XXIII, coi 381.)

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p241 CHAP.  II.  — L'ÉLECTION PONTIFICALE.

 

on les croirait cousins-germains du roi de Thrace. Pour ne m'être pas comme eux habillé de soie; pour n'avoir jamais partagé leurs  festins, ils me traitent de hibou et me poursuivent de leurs sarcasmes. Libre à eux de digérer les turbots et les faisans dont on charge leurs tables : une poignée de fèves suffit à mon repas de chaque jour 1. » Après de pareils témoignages, il nous semble impossible de ne pas prendre au pied de la lettre la citation d'Ammien Marcellin; il nous semble impossible de la réduire, comme le voulait Fleury, au sens mitigé « d'un certain éclat extérieur qu'avait dès lors la vie des papes. » Quand saint Jérôme affirme que de simples prêtres étalaient le luxe de leurs attelages dans les rues de Rome, nous pouvons facilement croire ce qu'Ammien Marcellin nous dit des papes, « lesquels, vêtus de pourpre, assis dans une litière ou dans un char somptueux, traversaient la ville avec une pompe royale. » Ce luxe extérieur était devenu, depuis Constantin, le privilège officiel des souverains pontifes et de leur cour. Ce luxe extérieur est encore le même aujourd'hui. Il excite de nos jours les récriminations des rationalistes, comme il excitait alors celles d'Ammien Marcellin. Il créait autour des papes et parmi leurs familiers des abus que signalait saint Jérôme, et que plus tard Pierre Damien, saint Bernard, et les papes eux-mêmes n'ont cessé de combattre et de flétrir. Cependant les papes n'ont point renoncé à cet éclat extérieur, malgré les abus dont il pouvait être l'occasion ou le prétexte, pas plus que les souverains ou les chefs de république n'abdiquent leur pouvoir, malgré les abus qui se glissent sous son couvert. Il faudrait ne rien comprendre aux

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1 Sos quia sericà veste non utimur, monachi judkamur... Si tunica non can-dueril, statim illud e trivio : Imposlor et Grœcus est. (Ilieron., Epist. xxxvm ; Pair, lat., tom. XXII, col. 465.) Sunl alii qui ideo presb'jteratum et diacona* turn ambiant. Omnis his cura délestions, si tene o/eant, si pes. laxa pelle, non pdleni, Çrims calamistri vestigio rotantur; di/jiti de annulis radiant... Equi pef horarum momenia mutanlur tant nitiili, (unique féroces, ut Thracii regiL jllum riulcs esss germanum. (Epist. xxil ; ibid., col. 414, 415.) Egoprobrosus, ego vers^ peliis, ego btbricvs, ego mendox. Numquid vie vestes sericœ-, nitenies gemmai, vicia jnciei, nuri rapuH ambitio?... Tu attngenem ructas, et de comeso nri/^nierç ■jli-nurii ; eyo fa/ia venlrem imp.eo. (Epist. xlv ; ibid., col. 481, 4S2.)

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p242   PO.NTIFICAT  DE  SAIST  DAMASE   (366-384).

 

choses de ce monde et à la faiblesse innée de l'humaine nature, pour afficher ici un rigorisme exagéré. Le pape Damase, au milieu d'une cour si brillante et si somptueuse, était personnellement, c'est encore saint Jérôme qui nous l'apprend, le plus simple, le plus frugal, le plus mortifié de tous les hommes. Un jour, saint Grégoire de Nazianze écrivant à Basile de Gésarée, le plaisantait ironiquement sur les splendeurs de sa table archiépiscopale. Basile lui répondait : « Il est vrai que je donne des repas à toute la province ; c'est mon devoir de métropolitain. Mais tu sais mieux que personne que je suis le plus détestable de mes convives, et qu'un peu de pain, quelques légumes ou des fruits, de l'eau pure, rarement une goutte de vin, forment toute mon alimentation. » Ainsi, l'Église, puissance sociale universellement reconnue dès le IVe siècle, avait et devait avoir la splendeur et l'éclat qui environnent toutes les grandes institutions. Elle n'était sortie des catacombes que pour s'asseoir sur un trône. On pourra la forcer par la persécution à redescendre aux catacombes; mais tant qu'on lui laissera le grand air, ou le soleil, elle sera reine : Nolite timere, pusillus grex, quia complacuit Patri vestro dare vobis regnum.

   10. Loin donc de répudier le texte d'Ammien Marcellin, nous l'acceptons au contraire comme un renseignement précieux, qui confirme tout ce que la tradition de l'Eglise romaine nous avait déjà appris sur la situation honorifique faite aux souverains Pontifes par les édits de Constantin le Grand. Que l'auteur païen laisse planer également sur saint Damase, comme sur son compétiteur Ursicinus, le soupçon d'intrigues ambitieuses et d'ardeurs passionnées; qu'il ne distingue pas entre le pape légitime et l'antipape, nous n'aurons pas la simplicité de lui en faire un reproche. Étranger à l'Église, ignorant sa constitution, ses règles et sa vie intime, Ammien Marcellin n'était frappé que du fait extérieur, c'est-à-dire de la lutte sanglante dont Rome venait d'être le théâtre, à propos d'une élection pontificale. Il ne se prononce ni pour l'un ni pour l'autre des partis; il les blâme tous deux. Un païen ne pouvait moins faire. Mais nous avons un autre monument émané d'une source chrétienne, où les accusations contre saint Damase sont plus nettement et plus vigoureusement articulées. C'est le Libellus

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p243 chap. ii. — l'élection pontificale.

 

precum, adressé à l'empereur par les deux prêtres Faustin et Marcellin, partisans de l'antipape. A côté de ce réquisitoire dont nous allons donner l'analyse, nous voudrions pouvoir placer sous les yeux du lecteur le mémoire justificatif qui dut être envoyé par Damase lui-même à la chancellerie impériale. Malheureusement il ne nous a pas été conservé. La parole accusatrice a seule survécu au naufrage des siècles. La défense s'est perdue; et cependant la résultat du procès, solennellement jugé non-seulement par les empereurs, pour ce qui concernait le côté politique de la question, mais par trois conciles successifs, au point de vue spécial du droit ecclésiastique, fut toujours favorable au pape Damase. Ursicinus, banni de Rome par les deux préfets Juventius et Maximinus, ne renonça ni à ses prétentions ni à son titre usurpé. L'empereur Valentinien était alors dans les Gaules, où des soulèvements continus rendaient sa présence nécessaire. Il venait de remporter, à Châlons-sur-Marne, un succès décisif contre les Allemanni (366). Ces barbares avaient été rejetés de l'autre côté du Rhin. La veille de la bataille, Valentinien avait reçu un message de Constantinople lui annonçant qu'une insurrection dirigée par Procope, compagnon et parent de Julien l'Apostat, venait d'éclater en Orient et menaçait d'enlever à Valens le trône et la vie. « Valens éperdu, réclamait des secours en toute hâte. "Valentinien hésita quelque temps sur le parti qu'il avait à prendre ; puis du ton d'un vieux Romain : Je n'irai point en Orient, dit-il. Procope n'est que l'ennemi de ma famille, les Germains sont les ennemis de l'empire 1. » —Telles étaient les préoccupations de Valentinien, quand les députés d'Ursicinus vinrent pour la première fois le trouver à Reims et lui apprirent les événements de Rome. Un soulèvement populaire dans la capitale de l'Occident pouvait compliquer d'une manière fâcheuse la situation déjà si troublée. Valentinien, sans se fier entièrement au rapport intéressé des schismatiques, crut pourtant que les circonstances demandaient quelques ménagements. Il remplaça le préfet de Rome Juventius par le païen Prétextât, celui-

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1.M. de Broglie, L'Église et l'Emp.Tom., tom; V, pag. SI

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p244 .fO.MIFiCAT DE  SAISI   DAMASE   (36Ô-384).

 

là même dont nous avons cité la parole ironique au pape Damase,
en lui donnant pour instructions de maintenir la validité de l'élection
légitime, et de rappeler les schismatiques détenus ou exilés, « à la
condition, ajouta-t-il, qu'ils ne recommenceraient point à troubler
la paix. » Le rappel eut lieu, mais la condition ne fut pas exécutée.
Ursicinus rentra en triomphe, à la tête de ses partisans, et reprit son
système de diffamation et de calomnies. « Ce n'est pas seulement
devant l'empereur, disait-il, que j'accuse Damase, c'est devant
tous les évêques de la chrétienté. Il faut qu'il soit jugé par un concile. Jusque-là il ne saurait accomplir légitimement aucun acte de
juridiction pontificale. » Valentinien, cette fois mieux renseigné,
comprit qu'il fallait sévir contre des esprits rebelles et opiniâtres.
Ursicinus fut exilé à Cologne et tous ses adhérents durent quitter la
ville éternelle. Cette rigueur avait certainement l'avantage d'assurer la tranquillité publique à Rome, mais elle avait aussi l'inconvénient de répandre dans l'empire des fanatiques qui promenaient partout leur mécontentement et les germes du schisme;
troublant les églises, et provoquant dans toutes les villes la répression  des  fonctionnaires  impériaux.   Le  Libellus precum fut publié dans ces circonstances. Il énumère à sa façon les prétendus martyrs qui se dévouèrent à la cause d'Ursicinus. C'est d'abord un prêtre de Rome, Macarius, qui avait transformé sa demeure en un lieu de réunion où les schismatiques venaient pendant la nuit célébrer les mystères. Les soldats de Prétextât dispersèrent le conventicule et Macarius lui-même fut cité au tribunal du préfet. On lui enjoignit d'avoir à entrer dans la communion de Damase, il refusa et fut exilé à Ostie. II n'y a rien là de fort exorbitant. Mais comme le prêtre rebelle mourut en exil, la secte prétendit qu'il avait succombé à de prétendues blessures que lui auraient faites les partisans du pape Damase : dès lors Macarius devint un martyr 1. Les partisans de saint Damase auxquels l'accusation reproche les forfaits les plus épouvantables, n'étaient pas seulement, dit le Libellus precum, «des prêtres, des diacres, ou des mi-

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1.Libellai precum, cap, XXII j Pair, lat., toru, XIII, col. 98.

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p245 CHAP.   II.   — L'ELECTION   PONTIFICALE.

 

nistres de l'ordre inférieur. Ils se recrutaient également parmi les arenarii et les fossores des catacombes, lesquels étaient tous vendus corps et âme à l'ambitieux pontife 1. » Au point de vue de l'archéologie romaine, la mention des arenarii et des fossores est importante : elle confirme le récit du Liber Pontificalis et des Gesta Liberii qui s'accordent à nous faire connaître la sollicitude du pape Damase pour les catacombes; mais, au point de vue de la justification même du légitime pontife, elle offre un intérêt capital. Les fossores, les arenarii, passaient leur vie dans l'obscurité et le silence des nécropoles chrétiennes. Les agitations extérieures de la cité leur étaient d'ordinaire complètement indifférentes. Ils savaient à peine le nom des ambitieux qui promenaient leur oisiveté intrigante dans les palais et les places publiques de Rome. Pour se montrer en cette circonstance aussi dévoués à l'élection de Damase, il avait donc fallu que le saint pontife leur fût depuis longtemps personnellement connu. Dès lors, Damase avait dû, lui aussi, aimer et pratiquer antérieurement la retraite dans les hypogées chrétiens, la prière sur la tombe des martyrs, la vie solitaire et ensevelie dans les noirs souterrains. Quoi qu'il en soit, le Iibellus precum continue la liste de ses martyrs Lucifériens et schimatiques. En Espagne, dans la capitale de la Bétique, Granata, (aujourd'hui Grenade), le prêtre Vincentius avait réuni un petit groupe de dissidents, qui, refusant d'embrasser la communion catholique, s'étaient séparés de leurs évêques légitimes. Le proconsul de la province fit fermer la maison particulière où se tenaient les assemblées clandestines, et expulsa de la cité le prêtre récalcitrant. Vincentius transporta dans une campagne voisine son schisme et son autel. Quelques jours après, les schismatiques recommencèrent leurs réunions. Le proconsul les fit encore disperser par ses soldats, et Vincentius fut définitivpment banni de la province. Le Libellus precum ne nous apprend pas ce qu'il devint dans la suite 2. A Trêves, le prêtre Bonose pour une tentative du même genre, fut emprisonna par le magistrat ; un évêque, Paulin, fut exilé pour la même cause 3.

St Damase 2

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