Grégoire VII 23

Web Darras  tome 21 p. 618

 

     48. « Henri IV saisit l'occasion, dit le chroniqueur, et les fit inviter à une conférence à Oppenheim. Des otages furent donnés  de part et d'autre comme garantie mutuelle de sécurité et l'entrevue eut lieu. Le roi prosterné à leurs pieds, pedibus eorum provolutus, les conjura de lui rendre leur ancienne fidélité. « Souvenez-vous, leur dit-il, du serment que devant Dieu vous m'avez prêté, songez à la justice suprême de ce grand Dieu qui a enregistré vos pro­messes; ne m'abandonnez pas au moment où je suis malheureux. Si j'ai commis des excès, pardonnez-les à la fougue d'une jeunesse sans expérience et trop facile à séduire. Instruit par l'infortune, corrigé par l'âge et la raison, j'abjure aujourd'hui mes funestes éga­rements: vous ne trouverez plus en moi d'antres préoccupations que celles d'un roi sage et vertueux. » Mais les seigneurs lui ré­pondirent qu'en vain il redemandait leur allégeance : « Jusqu'ici, dirent-ils, vous n'avez tenu aucun de vos engagements ni envers Dieu ni envers les hommes. Sous votre règne on ne sait si l'on doit

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1 Lambert. Herïfeld. loc. cit. col. 1144.

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désirer la paix ou la guerre, si vos amis n'ont pas plus à craindre de vous que vos ennemis. Naguère encore à Wurtzbourg où nous étions réunis pour aviser à votre salut et à celui de l'État, vous armiez en secret la main des bourreaux qui devaient nous égorger. Si vous avez quelque moyen de vous justifier de tant d'accusations et de prouver qu'elles sont autant de calomnies mises en avant par une faction rebelle, pourquoi vous opposer au combat singulier d’Hudalric de Cosheim avec Reginger? Laissez les deux champions vider ce défi par les armes. Si Udalrie est vainqueur, nous ne fe­rons plus difficulté de vous obéir et vous serons à jamais fidèles. » Henri accepta avec empressement cette condition. Il déclara que le mardi après l'octave de l'Epiphanie (14 janvier 1074) la lutte en champ clos aurait lieu dans une île du Rhin nommée Marowa au­jourd'hui Marsaw) et que des deux côtés on s'en remettrait à cette épreuve solennelle du jugement de Dieu. Mais quelques jours avant le terme fixé, Reginger expira dans d'atroces convulsions. » Etait-ce un nouveau crime à imputer au roi? Les adversaires de Henri n'en doutèrent point et attribuèrent au poison une mort venue si à propos; la version de ses partisans n'est pas de nature à dissiper les soupçons : ils prétendirent qu'en punition de son parjure Re­ginger avait succombé à une possession démoniaque. Dans l'un et l'autre parti ce tragique épisode fut exploité comme un argument pour ou contre le roi.

 

   49. Sur ces entrefaites arriva en Allemagne une lettre de Grégoire VII datée du 20 décembre précédent. Elle était adressée à l'archevêque Wozelon de Magdebourg, à l'évêque Burchard d'Alberstaldt, au marquis Leto ainsi qu'à tous les autres premiers seigneurs saxons. Le pape évoquant à son tribunal suprême la cause du roi Henri, ordonnait de suspendre toutes les hostilités jusqu'à de que les légats apostoliques envoyés de sa part en Germanie eus­sent pris connaissance des faits et éclairé par des informations pré­cises la conscience du pontife. « De toutes les angoisses qui pèsent sur notre âme au milieu de l'immense naufrage qui menace l'É­glise et le monde, dit-il, la plus douloureuse est sans contredit celle que nous cause le conflit engagé entre vous et le roi Henri votre

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seigneur. La discorde et la fureur ont enfanté des crimes sans nom­bre, massacres, incendies, dévastation des provinces et des églises, ruine universelle de votre malheureuse patrie. Nous avons à ce sujet fait partir une légation pour avertir le roi, de la part des apôtres Pierre et Paul, d'avoir à suspendre toutes les hostilités, toutes les expéditions militaires jusqu'à ce que les nonces aposto­liques que nous envoyons en Germanie aient pu faire une sérieuse enquête sur les motifs d'une division si funeste et trouvé avec l'aide de Dieu le moyen de rétablir par une sentence équitable la concorde et la paix. Nous vous prions donc également et vous aver­tissons en vertu de notre autorité apostolique d'observer de votre côté cet armistice et de ne mettre aucun obstacle à nos efforts pour consolider la paix. Vous le savez, un mensonge dans notre bouche serait un sacrilège, trahir la justice serait le naufrage de notre âme. Dès lors nul de vous ne saurait douter de l'impartialité avec laquelle, après mûr examen, nous prononcerons la sentence selon les règles de l'équité. Ceux que nous reconnaîtrons avoir été lésés dans leurs droits, victimes d'oppression et d'injustes violences peuvent être assurés que l'autorité apostolique ne leur fera pas dé­faut 1. »

 

   50. Henri IV ne vit dans cette lettre pontificale qu'un moyen de servir ses projets tyranniques. II résolut de rompre lui-même la désastreuse trêve et de profiter de l'armistice observé par les Saxons pour les attaquer à l'improviste. Cependant les archevêques Sigefrid de Mayenne, Annon de Cologne, les évques de Strasbourg et de Worms; les seigneurs de Bavière, de Souabe, de Lorraine de la province Mosellane et de la Carinthie, les abbés de Fulda et d'Hersfeld près desquels il réclama les contingents militaires fixés par le

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1 S. Greg. VII, Epist. xxxix, Lib. (Hist. de-Greg. I, col. 320. Cette admirable lettre ne trouve pas grâce devant M. Villemain. « Le pape, dit-il, y promettait la plus impar­tiale justice ; mais de cela seul qu'il ne blâmait pas les évêques allemands armés contre leur souverain, ses dispositions étaient manifestes. » VII, tom. I, p. 412.) Que n'eut pas dit le critique si avant tout examen Grégoire VII se fût prononcé entre les deux parties qui invoquaient son arbitrage?

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droit féodal, lui opposèrent un refus formel. «Jamais, dirent-ils, nous ne prendrons les armes pour vous aider à opprimer des inno­cents 1. » Le roi se vit donc réduit à la petite mais vaillante armée mise à sa disposition par les bourgeois de Worms. Mais l'occasion lui semblait tellement favorable qu'il ne s'arrêta point à cette dif­ficulté. » D'ailleurs, ajoute l'annaliste, il préférait la mort dans un combat inégal à la perte du trône dont il se voyait menacé 2. » Il sortit flèrement de Worms à la tête de ses soldats citoyens. Pour exciter leur enthousiasme on avait représenté sur les boucliers et les étendards les héroïques exploits de leurs ancêtres. Le 27 janvier 1074 la troupe royale arriva sous les murs de l'abbaye d'Hersfeld. « Il faisait un froid terrible, dit le moine chroniqueur, tous les cours d'eau, les grands fleuves eux-mêmes étaient gelés et ne for­maient qu'un bloc de glace. Les réserves de farine ayant été épui­sées, on ne put se servir des moulins pour en faire d'autres et la famine régnait dans le camp. Les soldats, plus avides de butin que de combats, se dispersèrent dans les villages voisins d'Hersfeld ; sous prétexte d'y chercher des aliments, ils se livraient au pillage et à l'incendie, ne laissant aux malheureux habitants que la vie pour pleurer sur leurs maisons en ruine. Le roi témoin de ces scènes de barbarie n'osait les réprimer de peur de s'aliéner l'esprit des troupes. Les domaines appartenant aux monastères de Fulda et d'Hersfeld furent tellement ravagés et la disette devint si af­freuse dans ces deux abbayes, que les religieux furent sur le point de les abandonner pour ne pas mourir de faim3. » Cependant les Saxons en apprenant que le roi avait rompu la trêve s'étaient portés au nombre de quarante mille sur les bords de la Verra, aux frontières de la Hesse et de la Thuringe. La rivière gelée comme toutes les autres leur eût laissé un libre passage et ils eussent pu sans obstacle venir jusqu'à Hersfeld anéantir l'armée royale démo­ralisée et débandée ; mais fidèles observateurs de l'armistice si ou­trageusement violée par Henri, ils ne voulaient nullement prendre l'offensive.

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1. Lambert. Hersfeld. Annal. 1174; Patr.Lat. Tom. CXLYI.col. 1149, « IJ. ibid. — s id. col. 1150.

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   51. De son côté le roi déplorait amèrement sa folle présomption. Il dépêcha l'abbé d'Hersfeld, Hartwig, au camp ennemi pour de­mander si les Saxons permettraient à ses négociateurs d'arriver jusqu'à eux sans risquer de perdre la vie. « Nous ne sommes point des barbares, répondirent les Saxons, nous respectons le droit des gens. Les ambassadeurs ont toujours été pour nous inviolables. Si nous sommes en ce moment sous les armes, c'est que nous y avons été contraints par une agression aussi injuste que menaçante. Nous préférons la paix à la guerre ; que l'on cesse de nous atta­quer et nous remettrons volontiers l'épée au fourreau. » Cette ré­ponse fut accueillie avec grande joie au camp royal. Quatre évêques furent aussitôt envoyés au nom de Henri pour négocier la paix aux conditions qui seraient trouvées de par et d'autres raison­nables. » Nous ne demandons rien de plus que ce qui a toujours fait jusqu'ici l'objet de nos requêtes, dirent les Saxons. Le roi devra donner immédiatement l'ordre de raser les forteresses élevées en Saxe et en Thuringe dans un but d'oppression et de tyrannie; il restituera à chacun les biens violemment usurpés, le duc Othon injustement spolié rentrera en possession de son duché de Bavière ; les princes de Germanie ne seront point inquiétés à raison de leur attitude dans les derniers événements; le roi cessera de vivre dans une molle et coupable indolence, il parcourra les diverses provinces de ses états pour y faire fleurir la justice, rétablir les églises et les monastères, secourir les pauvres et les orphelins, et marchant enfin sur les traces de ses pères il honorera par ses mœurs et sa vertu la majesté royale. A ces conditions qu'il ratifiera par son serment personnel et garantira par otages, nous ferons la paix : sinon nous sommes prêts à mourir jusqu'au dernier pour la défense de notre foi, de notre patrie et de notre liberté. » Quand les évêqnes rap­portèrent ces propositions au roi, il entra dans une véritable fureur. « Y aurait-il un seul d'entre vous s'écria-t-il, qui me conseillerait de signer un pacte aussi déshonorant? Jamais je ne consentirai à raser mes forteresses, pas plus qu'à rétablir dans leurs dignités les traîtres que je voudrais voir tous livrés au supplice. » En même temps il donna l'ordre à son corps d'armée de se tenir prêt le len-

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demain matin pour engager le combat. Ses officiers parcoururent toutes les tentes, y promulguèrent cet ordre contre lequel aucune réclamation ne s'éleva. Seulement le lendemain pas un soldat ne parut sous les armes, et de plus la nouvelle se répandit que les Saxons désespérant de recevoir une réponse favorable avaient of­fert la couronne au duc Othon de Bavière leur généralissime, et le pressaient de se mettre à leur tête pour en finir avec le tyran de la Germanie. L'exaspération de Henri allait jusqu'à la rage : im­puissant à engager le combat, il parlait d'entamer des négocia­tions sur de nouvelles bases, d'imaginer quelques subterfuges et de gagner du temps ; mais ses plus intimes conseillers lui déclarè­rent nettement qu'il fallait se soumettre ou périr. « Si vous faites sonner la charge, lui dirent-ils, tous vos soldats prendront la fuite et passeront à l'ennemi. Un seul espoir de salut vous reste encore. Souscrivez à toutes les conditions qui vous sont faites : vous échap­perez au péril qui vous presse et vous vous réserverez pour un meilleur avenir 1. » Cédant à la nécessité bien plus qu'à la force de leurs raisons, Henri consentit enfin à ce qu'ils démandaient de lui. Quinze évêques et tous les chefs de son armée se portèrent caution pour le roi, jurant de l'abandonner tous et de se joindre contre lui aux Saxons s'il manquait à un seul de ses engagements. Le roi prêta lui-même serment sur l'Évangile et  les reliques des saints, (2 février 1074). Il licencia son armée, la renvoya à Worms et es­corté par les Saxons qui croyaient à une paix éternelle entra triomphalement à Goslar.

 

52. Si son cœur n'eut point été fermé à tous les sentiments d'hu­manité, de justice et de reconnaissance, l'explosion de joie qui retentit dans la Saxe tout entière, le dévouement et la fidélité que lui témoignait ce peuple si longtemps victime de son implacable tyrannie l'auraient ému jusqu'au fond des entrailles. Il avait à peine vingt-trois ans; sa promesse même portait en elle avec l'ex­cuse des fautes passés l'espérance d'un généreux retour à l'hon­neur et à la vertu. Mais Henri IV était vraiment un monstre. Pen-

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1. LauiJjeiL. liei'iil'eld. lot: czt. col. iloil.

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dant qu'il donnait le baiser de paix à tous les chefs saxons, qu'il signait des diplômes pour confirmer leurs anciens privilèges et leur en accorder de nouveaux, qu'il envoyait ostensiblement l'ordre de s'abstenir de toute hostilité et de se préparer à l'évacuation des forteresses, il se reprochait amèrement le pacte de Hersfeld et cherchait tous les moyens de l'éluder. La garnison laissée par lui à Hartsbourg avait jusque-là résisté aux incessantes attaques des Saxons. Toute la campagne entre ce château fort et Goslar, sur un espace d'environ deux milles, était parsemée de trophées qui mar­quaient une victoire des troupes royales. Les officiers montraient à Henri ces gages de leur vaillance et lui reprochaient un traité aussi ignominieux pour lui que déshonorant pour eux. Leurs dis­cours réveillaient dans son âme tous les instincts de férocité native et aiguillonnaient ses désirs de vengeance. Bientôt il jeta le masque et déclara qu'il lui était impossible de pousses plus loin la condes­cendance, que les nombreux intérêts engagés dans la question ne pouvaient être satisfaits que dans une dièle nationale à laquelle prendraient part tous les princes du royaume. Il proposait de la fixer à Goslar même pour le 10 mars suivant. Une pareille propo­sition faite de nos jours par un roi vingt fois parjure serait immé­diatement suivie d'une émeute. Mais telle était dans la constitution de l'Europe chrétienne le respect pour le caractère sacré des rois et la confiance en la justice du saint-siége, arbitre souverain dans toutes les crises sociales, que les Saxons acceptèrent sans hésiter ce nouvel ajournement. « Henri expédia aussitôt à tous les princes du royaume, dit le chroniqueur, l'ordre de se rendre à Goslar pour le jour fixé.» Cette convocation était dérisoire. Il fallait vraiment que le jeune roi se fit un jeu des serments les plus solennels pour oser re­venir à quelques jours d'intervalle sur le pacte d'Hersfeld juré par lui, sanctionné par quinze évêques, garanti par tous les chefs de son armée et tous les seigneurs ses partisans avec la clause for­melle que la violation par le roi d'une seule de ses promesses les dégagerait tous de leur allégeance à son égard. « Aussi, ajoute l’annaliste, dans toute l'Allemagne, sauf les deux provinces de Thu-ringe et de Saxe directement intéressées, l'abstention fut unanime.

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Seuls les princes et seigneurs thuringiens et saxons parurent à Goslar le 10 mars 1074. Ils étaient accompagnés d'une véritable armée, infinita multitudine, ce qui prouvait de leur part une sage prévoyance, mais ce qui augmentait l'embarras du monarque. Celui-ci prétexta tout d'abord l'absence des autres princes pour surseoir aux négociations; battu sur ce point il proposa d'effacer du traité d'Hersfeld l'article relatif à la démolition des forteresses, promettant d'accomplir fidèlement toutes les autres stipulations. L'archevêque de Brème, les deux évêques de Zeitz et d’Osnabruck ses intermédiaires, car il n'assistait pas en personne aux délibérations, furent chargés le troisième jour de présenter cet ultimatum
à la diète. L'effet en fut terrible. Toute l'armée des Thuringiens et des Saxons se précipita sur le palais, déclarant que désormais Henri IV avait cessé d'être leur roi et qu'ils allaieut en élire un autre. La consternation fut au comble parmi les courtisans, ils se jetèrent aux pieds de leur maitre le suppliant de ne pas s'obstiner davantage dans une résolution qui allait lui coûter le trône et peut-être la vie. Comme ils parlaient ainsi, les Saxons forçant les portes du palais avaient déjà envahi les appartements. Henri s'exécuta. Il promit qu'avant un an le duc Othon serait remis en possession de la Bavière et il autorisa la destruction immédiate des forteresses.
Les Saxons accueillirent cette parole avec une explosion d'enthou­siasme. La paix fut conclue. Sur tous les points du territoire, on se mit à l'œuvre, la population ivre de joie livrait aux flammes les repaires exécrés de la tyrannie. Henri quitta aussitôt Goslar (13 mars 1074). On dit qu'en sortant il s'écria : «Ce peuple ne me reverra plus qu'à la tête d'une armée. Je lui ferai payer cher tant d'injures et d'outrages! » On ajoute que préoccupé surtout du sort de Hartzbourg, la plus puissante de ses forteresses, il s'était se­crètement concerté avec quelques chefs saxons lesquels lui promi­rent de n'en laisser abattre que les murs extérieurs et de sauver le reste des constructions. Cette négociation occulte si elle eut lieu n'engageait que les consciences vénales de quelques traîtres. Elle
devint pourtant, ainsi que nous le verrons plus tard, le prétexte
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d’une guerre d'extermination sans trêve ni merci. Le roi se rendit à Worms pour préparer sa prochaine vengeance.


V. CONCILE ROMAIN DE L’AN 1074


53. A la date même de la diète de Goslar, le lundi de la pre­mière semaine de carême (10 mars) Grégoire VII ouvrit dans la basilique de Saint Jean de Latran le premier concile romain tenu sous son pontificat. Une multitude considérable d'évêques des di­verses provinces du monde était réunie, dit le catalogue de Cencius. L'archevêque Wibert de Ravenne prit séance à la droite du souve­rain pontife. La noble comtesse Mathilde, Azzo marquis d'Esté et le prince de Salerne Gisulf étaient venus rehausser de leur pré­sence l'éclat de cette solennelle assemblée 1. » Bonizo de Sutri don­ne cette indication presque dans les mêmes termes 2. Les actes du concile n'ayant point été conservés, il est impossible de déter­miner le nombre exact des pères et de savoir en quelle proportion les évêques de France, d'Angleterre et d'Allemagne avaient répondu à l'appel du pape. Mais à défaut du procès-verbal officiel, les docu­ments contemporains permettent de restituer dans son ensemble la physionomie générale de cette importante assemblée. Henri IV s'y était fait représenter par des ambassadeurs, ainsi que nous le ver­rons bientôt en racontant, d'après la chronique de Hugues de Flavigny, l'épisode de la consécration épiscopale de saint Anselme de Lucques et du nouvel élu de Die. Les ambassadeurs royaux eurent une attitude de tout point conforme à celle que leur maître avait prise lui-même dans sa fameuse lettre de soumission au saint-siége. Le fait est implicitement constaté par le catalogue de Gencius et par Bonizo de Sutri, lesquels disent tous deux que le vénérable pontife en ouvrant le concile « était entièrement rassuré sur les favorables dispositions  du roi3. »Cette circonstance qui a jusqu'ici échappé à l'attention des

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1 Codex Archiv. Vatican, ap. Watterich, Tom. I,.p. 312.

2. Bonizo Sutr. Ad amie. Lib. VII; Patr. Lat. T. CL, col. 837.

3. iuierea nihil malt de rege Henrico suspicans Gregoiius papa Romam gène-

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historiens nous explique pourquoi dans ce premier concile Gré­goire VII ne crut pas devoir encore soulever la question des inves­titures, mais se borna doctrinalement à renouveler contre la simo­nie et les scandales des clercs les ordonnances de ses prédécesseurs. Nous verrons encore par les rescrits pontificaux datés soit du con­cile même, in synodo, soit des jours qui le suivirent immédiatement, qu'un certain nombre d'évêques ou de députés des églises d'Espagne, de France et d'Angleterre furent présents au concile. Nous ne savons en quel nombre les églises de Lombardie presque toutes occupées par des titulaires schismatiques y furent représentées. Tout porte à croire que le fameux évêque d'Albe Benzo, nommément invité dans les lettres de convocation, s'abstint de comparaître 1 ; mais il est certain que celui de Crémone également suffragant de la métropoie milanaise, s'y trouvait ainsi que Denys de Plaisance. Un débat dont nous ne connaissons pas l'objet s'éleva au sein du concile entre ces deux évêques. « Wibert de Ravenne prit parti contre les habitants de Crémone, dit Bonizo, il les calomnia outrageusement; mais un jeune laïque citoyen de cette ville, nommé Dodo, réfuta ses assertions et prouva qu'elles n'étaient qu'un tissu de men­songes 2. » De l'ensemble de ces indications de provenance diverse mais toutes incontestables, il résulte que malgré les haines schis­matiques des anciens partisans de Cadaloüs, aucune récrimination ne se fit entendre contre la légitimité de Grégoire VII. La présence de Wibert de Ravenne, la part active qu'il prit aux délibéra­tions ne laisse aucun doute sur ce point3.

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raie concilium convocavit (Cod. Arch. Rom. loc. cit.) Interea venerabilis Gre~ gorius nikil mali de rege suspicuns, synodum congregavit. (Bonizo Sut. loc. cit col. 837. i Cf. N° 44 du présent Chapitre.

2.Bonizo Sutr. loc. cit.

3.M. Villemain ne paraît pas avoir su que Wibert de Ravenne assistait au concile de 1014. Il semble de même avoir ignoré que le roi de Germanie y fut représenté par des ambassadeurs. « La réunion du concile fut nombreuse, dit-il; on remarquait cependant l'absence des évêques allemands, présage de la division prochaine de l'Eglise et de l'empire. Il manquait aussi presque tous les évoques de Lombardie. » (Hist. de Greg. VII, T. I, p. 420.) Ce sont là, comme on vient de le voir, des hypothèses purement gratuites. Que les évêques alle-

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