La foi chrétienne hier et aujourd’hui 46

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   Peut‑être le principe de la physique moderne nous sera‑t‑il d'un meilleur secours que la philosophie aristotélicienne. Le physicien nous dira que, pour parler de la structure de la matière, il faut procéder par approximations, à partir de points de vue différents.

 

Il sait que le résultat de ses expériences dépend de la position respective de l'observateur. Cela ne devrait‑il pas nous aider à concevoir de façon toute nouvelle la recherche théologique?

 

Dans la question de Dieu, il ne faut pas vouloir, à la manière aristotélicienne, trouver un dernier concept, englobant le tout; il faut s'attendre, au contraire, à rencontrer une pluralité d'aspects, dépendants de la position respective de l'observateur;

 

il n'est plus possible d'embrasser tous ces aspects d'un seul regard, nous ne pouvons simplement que les accepter ensemble, sans arriver à exprimer la réalité dernière.

 

Nous voyons ici l'interaction cachée de la foi et de la pensée moderne. Que la physique moderne, dépassant le déterminisme de la logique aristotélicienne, s'oriente dans ce sens, n'est‑ce pas une répercussion de la nouvelle dimension introduite par la théologie chrétienne, obligée de penser par complémentarités?

 

   A ce propos, je voudrais encore évoquer brièvement deux données de la physique, qui peuvent aider notre réflexion.

 

E. Schroedinger a défini la structure de la matière comme des «paquets d'ondes », introduisant ainsi l'idée d'un être, non pas substantiel, mais purement actuel, dont la «substantialité” apparente ne résulte en réalité que de la combinaison des mouvements d'ondes superposées.

 

Une telle proposition, dans le domaine de la matière, est sans doute très discutable du point de vue physique et, en tout cas, du point de vue philosophique. Mais elle offre une comparaison

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intéressante pour l'actualitas divina, pour l'être purement actuel de Dieu;

 

elle fait entrevoir que l'être le plus dense ‑ Dieu ‑ peut consister dans une pluralité de relations, qui ne sont pas des substances mais des « ondes”, et constituer pourtant une réalité unique, la plénitude même de l'être.

 

Nous aurons à reprendre plus à fond cette idée déjà formulée, en fait, par Augustin, lorsqu'il développe l'idée de l'Existence qui est Acte pur ( paquet d'ondes »).

 

   Voyons d'abord la deuxième donnée des sciences expérimentales, qui pourrait aider notre réflexion. Il est un fait connu aujourd'hui que, dans l'expérimentation physique, l'observateur lui-même fait partie de l'expérience, il doit y entrer, s'il veut arriver à la perception d'une donnée physique.

 

Cela prouve que, même en physique, l'objectivité pure n'existe pas, dans ce domaine aussi, le résultat de l'expérience, la réponse de la nature, dépend de la question qu'on lui adresse.

 

Dans la réponse, se trouve toujours quelque chose de la question posée et de la personne même qui questionne; la réponse ne reflète pas seulement la nature dans son être‑en‑soi, dans sa pure objectivité, elle restitue aussi quelque chose de l'homme, de notre être propre, quelque chose du sujet humain.

 

Il en va de même, mutatis mutandis, pour la question de Dieu. L'observateur pur et simple ne saurait exister. L'objectivité parfaite n'existe pas.

 

On peut même dire: plus un objet a rapport à l'homme, plus il l'affecte en son centre et engage l'être propre de l'observateur, et plus il devient difficile de prendre ses distances dans une pure objectivité.

 

Quand donc quelqu'un prétend apporter une réponse objective, pure de toute passion, une réponse qui dépasse enfin les préjugés des gens pieux, une information purement scientifique, disons qu'il se leurre lui‑même.

 

Ce genre d'objectivité est en dehors des possibilités de l'homme. Il ne peut questionner et exister comme simple observateur. Comme tel, il n'apprendra jamais rien. Pour percevoir la réalité « Dieu”, il faut également s'engager dans l'expérience sur Dieu, expérience que nous appelons foi.

 

C'est seulement en s'y engageant que l'on peut apprendre; ce n'est qu'en participant à l'expérience, qu'il est possible de poser véritablement une question et de recevoir une réponse.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon