Darras tome 33 p. 556
138. « En fait, dit Cantu, la Réforme n'était parvenue qu'à arracjer les âmes au Pape, pour les donner soit à un roi, soit à un consistoire, soit à un pasteur. Le Socinianisme seul implanta l'autonomie de la raison : c'est de lui que sortent Descartes, Spinoza, Bayle, Hume, Kant, Lessing, Hegel, Bauer, Fauerbach. Strauss et ses adeptes, en niant le Christ positif et en y substituant un Christ
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1 Bebgier, Dictionnaire de Théologie, édition .Vivès-Lenoir, t. XI, p. 513.
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idéal, ne firent qu'ajouter, au plan socinien, l'élaboration scientifique, laquelle est le propre de l'âge moderne : les blasphèmes arcadiques de Renan et les propos de carrefour de Bianchi Giovini et d'autres Italiens n'ont pas d'autre origine. Ce sont eux qui ont supprimé d'un seul coup la question suprême, la clef de voûte de l'histoire, celle de la vie, de la mort, de l'avenir, l'intelligence du monde mystérieux1. » Oui, en fait, Socin est le père du rationalisme impie et destructeur ; mais entre son apparition et l'apparition de ses disciples, plus ou moins directs, il y a une solution de continuité. C'est à de moins célèbres barbouilleurs qu'échut la vulgarisation des idées naturalistes de Socin. Le nombre des adeptes de Socin se multiplia même beaucoup, mais jamais la renommée de leurs chefs ne s'éleva très haut et ne porta très loin. C'est une communion de huit-clos, où l'on déclame entre soi, comme dans les autres sociétés secrètes. On se félicite à chaque réunion de ses progrès, mais la multitude des adhérents s'évanouit au soleil. On cite cependant, après Socin, Pucci, Stancari, Lucas, Lismanin et Paléologue. Pucci, issu d'une famille florentine, qui avait donné à l'Eglise trois cardinaux, étant dans le commerce à Lyon, fréquentait les lettrés : il prit goût au commerce, fut imbu des opinions protestantes et abandonna les affaires pour la théologie. Dans l'espoir d'une plus grande liberté, il se rendit en Angleterre et se fit recevoir docteur d'Oxford. Dans un traité sur la nature de la foi en Dieu, il combattit les Calvinistes ; de là des persécutions qui l'obligèrent à se réfugier à Bâle. Là, lié d'amitié avec Faust Socin, il publia une thèse dont l'argument était : « Que tout homme, dès le sein de sa mère, est réellement participant des bienfaits du Christ et de la bienheureuse immortalité. » Les opinions émises dans cette thèse, le forcèrent de quitter Bâle. Bien loin de trouver plus de tolérance qu'à Bâle, il fut mis en prison; de même en Hollande. Pucci ne put pas davantage s'entendre avec Socin et les coreligionnaires sans religion. A Cracovie, deux alchimistes anglais, annonçant que Dieu allait opérer une grande réforme de son Eglise, lui
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1 Camu, Les hérétiques d'Italie, t. III, p. SOI.
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persuadèrent qu'ils pouvaient, au moyen du commerce qu'ils entretenaient avec certains esprits, découvrir des choses ignorées du reste des hommes. Pucci y crut, chercha à le faire croire aux autres, mais revint bientôt de ses folies, pour se rapprocher de l'Eglise. En 1592, il avait publié en Hollande, un livre où il soutenait que ni l'ignorance, ni l'incrédulitée, ni le manque de baptême ne forment empêchement au salut de l'homme : cette thèse fut réfutée par les Catholiques, les Luthériens et les Calvinistes. On a affirmé que Pucci fut arrêté sur l'ordre de l'évêque de Salzbourg, envoyé à Rome et brûlé. — Stancari de Mantoue, professeur d'hébreu dans une académie établie par Bernardin Partenio à Spilimberg, en Frioul, avait manifesté des idées hétérodoxes qui l'obligèrent à se réfugier à Bâle. Tandis qu'Osiander enseignait que l'homme est justifié par la justice essentielle de Dieu et que Jésus-Christ est notre justice selon sa nature divine, Stancari soutenait que Jésus-Christ est notre médiateur, seulement selon la nature humaine. Le concile de Genève, présidé par Calvin, l'excommunia pour avoir professé que Jésus-Christ a été notre médiateur près du Père Eternel, comme homme et non comme Dieu: ses doctrines exhorbitantes lui suscitèrent partout des adversaires. A Cracovie, où il fut appelé pour enseigner l'hébreu, il fut arrêté par l'évêque et n'obtint sa liberté que par l'entremise des seigneurs. Encouragé par ce succès, Stancari proposa d'abattre les images des saints et de renverser l'antique culte ; il donna cinquante règles pour la réforme des nouvelles églises. La doctrine fut anathématisée par les synodes polonais, et l'Eglise de Pologne resta en proie à une vive agitation, jusqu'à ce que Stancari vint mourir à Stobnitz. Stancari était peut-être moins un unitaire, qu'un de ces sophistes querelleurs qui passent la mesure à force d'exagération dans la critique. Dans son livre contre les ministres de Genève et de Zurich, il a pourtant écrit une phrase que l'histoire doit enregistrer, c'est que Pierre Lombard vaut à lui tout seul mieux que cent Luther, deux cents Mélanchthon, trois cents Bullinger, quatre cents Pierre-Martyr et cinq cents Calvin, car, en supposant qu'on les pilât tous dans un mortier, il n'en sortirait pas une once de vraie théologie.—
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Grille Lucas,
originaire de Candie, avait été instruit de la réforme en Italie et en
Allemagne. Il dissimula ses opinions, jusqu'à ce que parvenu, de dignités en
dignités, au patriarchat d'Alexandrie et de Constantinople, il se mit à
répandre les nouveautés. Les évêques et les prêtres, s'en étant aperçus, le
firent reléguer dans l'île de Rhodes ; mais rétabli dans sa charge, grâce à
l'appui de l'Angleterre et de la Hollande, il publia un catéchisme avec lequel
il excita de grands troubles, que la Porte ne put étouffer qu'en le faisant
étrangler. Divers synodes anathématisèrent sa personne et sa doctrine. — Lismanin de Corfou, moine franciscain, confesseur
de Bona Sforza, reine de Pologne, répandit sans bruit les doctrines
réformées dans la ville de Cracovie et sa conduite passa inaperçue, tant que
Lélio Socin ne lui conseilla pas d'aller dans les pays dissidents. Voyant le
roi Sigismond-Auguste incliner vers la réforme, il demeura en Pologne pour
l'affermir dans ces dispositions et reçut de ce prince l'ordre de voyager, pour
étudier la marche des nouvelles croyances. Il visita l'Italie, la Suisse,
Genève, Paris, sous le prétexte d'acheter des livres pour la bibliothèque du
roi ; il entretint des relations épistolaires avec les principaux chefs de la
réforme, puis se maria, et le roi de Pologne, indigné, ne voulut plus entendre
parler
de Protestantisme. La secte s'était néanmoins répandue en Pologne et les
membres du premier synode qui s'y tint, écrivirent à Lismanin, alors en
Suisse, pour le prier de revenir. Il revint, en effet, l'an 1556, et resta
caché jusqu'à ce qu'il eut obtenu sa grâce. En 1563, il se suicida, en se jetant dans un puits. — Jacques Paléologue, né à
Chio, en 1320, fut initié en Italie aux opinions nouvelles et alla professer en
Allemagne. Mais il ne fut bien reconnu comme hétérodoxe qu'après avoir fixé son
séjour en Transylvanie : en 1569, il succéda à Jean Sommer en qualité de
recteur du gymnase de Clausenbourg. Faust Socin lui fit une querelle pour avoir
embrassé les doctrines subversives de Budnée : comme il persistait dans cette
voie, il fut arrêté par les magistrats et consigné à l'Inquisition de Rome, où
il fut condamné au bûcher, le 22 mars 1585. — Tels
sont les noms peu éclatants des coryphées de la doctrine socinienne ; à leur
mort, elle parait s'enfoncer sous terre, pour re-
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jaillir plus tard dans d'autres régions et former graduellement ce grand fleuve du rationalisme impie, qui menace de tout emporter.
139. C'est l'opinion de plusieurs auteurs graves, que la doctrine socinienne, à sa disparition comme communion proscrite, se réfugia dans les sociétés secrètes et produisit la Franc-Maçonnerie. Telle est en particulier l'opinion de Feller dans son Dictionnaire historique, et de l'abbé Lefranc, tombé sous la hache des assassins à Paris, le 2 septembre 1792. Dans le Voile levé pour les curieux ou Histoire de la Franc-Maçonnerie son origine jusqu'à nos jours, voici ce que dit l'abbé Lefranc :
« Vicence fut le berceau de la Maçonnerie en 1546. Ce fut dans la société des athées et des déistes, qui s'y étaient assemblés pour conférer ensemble sur les matières de religion qui divisaient l'Allemagne en un grand nombre de sectes et de partis, que furent jetés les fondements de la Maçonnerie: ce fut dans cette académie célèbre que l'on regarda les difficultés qui concernaient les mystères de la religion chrétienne comme des points de doctrine qui appartenaient à la philosophie des Grecs et non à la foi.
« Ces décisions ne furent pas plutôt parvenues à la connaissance de la République de Venise qu'elle en fit poursuivre les auteurs avec la plus grande sévérité. On arrêta Jules Trévisan et François de Rugo, qui furent étouffés. Bernardin Ochin, Lœlius Socin, Péruta, Gentilis, Jacques Chiari, François Lenoir, Darius Socin, Alicas, l'abbé Léonard, se dispersèrent où ils purent ; et cette dispersion fut une des causes qui continuèrent à répandre leur doctrine en différents endroits de l'Europe. Lœlius Socin, après s'être fait un nom fameux parmi les principaux chefs des hérétiques qui mettaient l'Allemagne en feu, mourut à Zurich, avec la réputation d'avoir attaqué le plus fortement la vérité du mystère de la Sainte Trinité, de celui de l'Incarnation, l'existence du péché originel et la nécessité de la grâce de Jésus-Christ.
« Lœlius Socin — qu'on nous permette de le redire — laisse dans Fauste Socin, son neveu, un défenseur habile de ses opinions ; et c'est à ses talents, à sa science, à son activité infatigable et à la
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protection des princes qu'il sut mettre dans son parti, que la Franc-Maçonnerie doit son origine, ses premiers établissements et la collection des principes qui sont la base de sa doctrine.
« Fauste Socin trouva beaucoup d'opposition à vaincre pour faire adopter sa doctrine parmi les sectaires de l'Allemagne ; mais son caractère souple, son éloquence, ses ressources, et surtout le but qu'il manifestait de déclarer la guerre à l'Église romaine et de la détruire, lui attirèrent beaucoup de partisans. Ses succès furent si rapides que quoique Luther et Calvin aient attaqué l'Église romaine avec la violence la plus outrée, Socin les surpassa de beaucoup. On a mis pour épitaphe sur son tombeau, à Luclaire, ces deux vers :
Tota licet Babylon destruxit tecta Lutherus Muros Calvinus, sed fundamenta Socinus.
Qui signifient que, si Luther avait détruit le toit de l'Église catholique, désigné sous le nom de Babylone, si Calvin en avait renversé les murs, Socin pouvait se glorifier d'en avoir arraché jusqu'aux fondements. Les prouesses de ces sectaires contre l'Église Romaine étaient représentées dans des caricatures aussi indécentes que glorieuses à chaque parti ; car il est à remarquer que l'Allemagne était remplie de gravures de toute espèce, dans lesquelles chaque parti disputait la gloire d'avoir fait le plus de mal à l’Église.
« Mais il est certain qu'aucun des sectaires ne conçut un plan aussi vaste, aussi impie, que celui que forma Socin contre l'Église ; non-seulement il chercha à renverser et à détruire, il entreprit, de plus, d'élever un nouveau temple, dans lequel il se proposa de faire entrer tous les sectaires, en réunissant tous les partis, en admettant toutes les erreurs, en faisant un tout monstrueux de principes contradictoires ; car il sacrifia tout à la gloire de réunir toutes les sectes pour fonder une nouvelle église à la place de celle de Jésus-Christ, qu'il se faisait un point capital de réserver, afin de retrancher la foi des mystères, l'usage des sacrements, les terreurs d'une autre vie, si accablantes pour les méchants.
«
Ce grand projet de bâtir un nouveau temple de fonder une nou-
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velle religion a donné lieu aux disciples de Socin de s'armer de tabliers, de marteaux, d'équerres, d'aplombs, de truelles, de planches à tracer comme s'ils avaient envie d'en faire usage dans la bâtisse du nouveau temple que le chef avait projeté ; mais dans la vérité ce ne sont que des bijoux, des ornements qui servent de parure plutôt que des instruments utiles pour bâtir.
« Sous l'idée d'un nouveau temple, il faut entendre un nouveau système de religion conçu par Socin, et à l'exécution duquel tous les sectateurs promettent de s'employer. Ce système ne ressemble en rien au plan de la religion catholique établie par Jésus-Christ ; il y est même diamétralement opposé, et toutes les parties ne tentent qu'à jeter du ridicule sur les dogmes et les vérités professées dans l'Eglise qui ne s'accordent pas avec l'orgueil de la raison et de la corruption du cœur. Ce fut l'unique moyen que trouva Socin pour réunir toutes les sectes qui s'étaient formées dans l'Allemagne, et c'est le secret qu'emploient aujourd'hui les francs-maçons pour peupler leurs loges des hommes de toutes les religions et de tous les systèmes.
« Ils suivent exactement le plan que s'était prescrit Socin de s'associer les savants, les philosophes, les déistes, les riches, les hommes, en un mot, capables de soutenir leur société par toutes les ressources qui sont en leur pouvoir ; ils gardent au dehors le plus grand secret sur leurs mystères : semblables à Socin, qui apprit par expérience combien il devait user de ménagements pour réussir dans son entreprise. Le bruit de ses opinions le força de quitter la Suisse en 1579, pour passer en Transylvanie et de là en Pologne. Ce fut dans ce royaume qu'il trouva les sectes des Trinitaires et des Antitrinitaires, divisées entre elles. En chef habile, il commença par s'insinuer adroitement dans l'esprit de tous ceux qu'il voulait gagner : il affecta une estime égale pour toutes les sectes ; il approuva hautement les entreprises de Luther et de Calvin contre la Cour romaine ; il ajouta même qu'ils n'avaient pas mis la dernière main à la destruction de Babylone, qu'il fallait en arracher les fondements pour bâtir, sur ses ruines, le temple véritable.
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« Sa conduite répondit à ses projets. Afin que son ouvrage avançât sans obstacle, il prescrivit un silence profond sur son entreprise, comme les francs-maçons le prescrivent dans leurs loges en matière de religion, afin de n'éprouver aucune contradiction sur l'explication des symboles religieux dont leurs loges sont pleines ; et ils font faire serment de ne jamais parler, devant les profanes, de ce qui se passe en loge, afin de ne pas divulguer une doctrine qui ne peut se perpétuer que sous un voile mystérieux. Pour lier plus étroitement ensemble ses sectateurs, Socin voulut qu'ils se traitassent de frères et qu'ils en eussent les sentiments. De là sont venus les noms que les Sociniens ont portés successivement de Frères-Unis, de Frères-Polonais, de Frères-Moraves, de Frei-Maurer, de Frères de la Congrégation, de Frée-Murer, de Freys-Maçons, de Frée-Maçons. Entre eux, ils se traitaient toujours de frères et ont les uns pour les autres l'amitié la plus démonstrative.
« Socin tira un grand avantage de la réunion de toutes les sectes des Anabaptistes, des Unitaires et des Trinitaires, qu'il sut ménager. Il se vit maître de tous les établissements qui appartenaient à ces sectaires ; il eut permission de prêcher et d'écrire sa doctrine; il fit des catéchismes, des livres, et serait venu à bout de pervertir, en peu de temps, tous les catholiques de la Pologne, si la diète de Varsovie n'y avait pas mis obstacle. En effet, jamais doctrine ne fut plus opposée au dogme catholique que celle de Socin. Comme les Unitaires, il rejetait de la religion tout ce qui avait l'air de mystère ; selon lui, Jésus-Christ n'était fils de Dieu que par adoption et par les prérogatives que Dieu lui avait accordées, d'être notre médiateur, notre prêtre, notre pontife, quoiqu'il ne fût qu'un pur homme. Selon Socin et les Unitaires, le Saint-Esprit, n'est pas Dieu, et, bien loin d'admettre trois personnes en Dieu, Socin n'en voulait qu'une seule, qui était Dieu. Il regardait comme des rêveries le mystère de l'Incarnation, la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, l'existence du péché originel, la nécessité d'une grâce sanctifiante. Les Sacrements n'étaient, à ses yeux, que de pures cérémonies établies pour soutenir la religion du peuple. La tradition apostolique n'était point, à ses yeux, une règle de foi ; il
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ne reconnaissait point l'autorité de l'Eglise pour interpréter les Saintes Écritures. En un mot, la doctrine de Socin est renfermée dans deux cent vingt-neuf articles qui ont pour objet de renverser la doctrine de Jésus-Christ1.»
140. Cette opinion sur l'origine de la Franc-Maçonnerie peut s'admettre, mais avec réserve. Dans les temps qui sont de l'autre côté de la croix, il n'y avait pas lieu à société secrète, parce que la vie publique admettait et glorifiait toutes les turpitudes ; elle les revêtait même d'un caractère sacré. Lorsque Jésus-Christ eut, par son Église, transformé le monde, ce grand nombre d'âmes faibles qui entendent respecter le décorum sans s'astreindre scrupuleusement aux lois morales, dut se cacher. La société secrète devint le refuge de tout ce qui était dépravé, l'égoût collecteur de la corruption. Des sectes, plus particulièrement corruptrices, se formèrent bientôt pour enlever à l'Église ces âmes vouées à la prévarication et inaugurèrent, chacune de son côté, des sociétés secrètes. « Le chevalier, disait Weishaupt, est bien spécialement averti que c'est par l'étude des anciens Gnostiques et des Manichéens, qu'il pourra faire de grandes découvertes sur cette véritable Maçonnerie. » Ragon, dans son Cours d'initiation aux grades maçonniques, renvoie souvent aux Gnostiques et à la Gnose pour compléter ou mieux faire ressortir le sens des rites et des symboles. Les Gnostiques s'appelaient généralement enfants de la lumière. L'enseignement de leur doctrine était partagé en plusieurs grades. Tous associés aux anciens mystères, tous maçons d'élite, aussi remarquables, dit Rédarès, par la science que par le talent, les Gnostiques divisèrent les travaux maçonniques en deux catégories : l'une, sous la dénomination d'ancien rite, prit pour bannière l'étoile flamboyante, indiquant, sous son voile mystérieux, l'unique et vraie lumière qui éclaire le monde intellectuel ; l'autre, connue sous le nom de rite chrétien, met la croix sur sa bannière, indiquant la vie d'immortalité et la régénération du genre humain. « Les Gnostiques, dit Matter, croyaient à un principe général d'amour, à une vie répandue dans
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1 Lefranc, Voile levé pour les curieux, p. 21.
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toute la création. De ce principe fondamental, il résulte que les Gnostiques n'eurent pas d'autre morale que celle que la nature a gravée dans nos consciences et qui, née avec le monde, ne peut périr qu'avec lui. » Après les Gnostiques, les manichéens ouvrirent, à la Franc-Maçonnerie, une seconde source. «Comme les Gnostiques, dit encore Matter, Manès porta sur les codes sacrés des Juifs et des chrétiens un jugement de théosophie supérieure et se fit des codes suivant sa doctrine... Il entendait la révélation dans le sens le plus large et attribuait aux sages et aux prophètes du paganisme des révélations si sublimes, qu'il les préférait à celles des juifs. Il proscrivait le mariage, tout en permettant les plaisirs. » Manès se disait, comme les Gnostiques, enfant de lumière ; il divisait ses adeptes en trois grades : les croyants, les élus et les parfaits. Les initiés pratiquaient gaiement le parjure ; ils se reconnaissaient à des paroles, à des mots de passe, à des attouchements de mains et de seins. Saint Léon les caractérisait ainsi : « Ils n'ont pour loi que le mensonge, pour religion que le démon, pour sacrifices que des turpitudes. » Au XIIIe siècle, les Albigeois reprirent la tradition impie et libertine des Manichéens et des Gnostiques. Condorcet nous les représente cherchant un Christianisme plus épuré, ou l'homme, soumis à la vérité seule, jugerait d'après ses propres lumières ce qu'elle a daigné révéler dans des livres émanés d'elle. La vérité est qu'ils avaient fait du midi la Judée de la France, avec Sodome et Gomorrhe, en attendant que la vengeance du ciel lui donnât une Mer morte. Toutes les croyances orientales, le dualisme persan, le Manichéisme, le Gnoticisme avaient pénétré dans ce malheureux pays. Toute doctrine fausse y avait prise ; mais le manichéisme, la plus odieuse de toutes dans le monde chrétien, faisait oublier les autres. Les Albigeois avaient aussi une initiation avec trois grades : les apprentis, les croyants et les parfaits. Les parfaits étaient les hypocrites de la secte ; les autres étaient infâmes. Après les Albigeois vinrent les Templiers. « Les Templiers, dit Itagon, reçurent en Asie l'initiation avec les formules et le voile judaïques. Initiés, dès l'institution du Temple, ils propagèrent en Europe les mystères maçonniques et, sans doute, la pratique se-
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crête de ces mystères aura servi de fondement à l'accusation d'athéisme et d'irréligion qui a causé leur fin tragique. Ceux qui échappèrent à ce désastre, trouvèrent dans les mystères même, en Suède et en Ecosse, un refuge, des consolations et des douceurs. Jusque là les initiations se transmettaient oralement, rien ne s'écrivait ; ensuite les rituels se formulèrent et s'écrivirent... Les croisés, pendant leur séjour en Orient, ont étudié toutes les variantes qui caractérisaient les sectes chrétiennes. Ils se sont attachés aux doctrines des Gnostiques et des Manichéens, moins altérées que celles des prêtres de Rome. Les Templiers renoncèrent à suivre la religion de saint Pierre, adoptèrent celle de l'Apôtre bien-aimé et devinrent Johannites. Il y eut schisme secret, et, selon quelques auteurs qui rapportent ces faits, c'est ce schisme joint aux mystères recueillis en Orient et conservés par eux, qui fut une des causes de leur condamnation par la cour de Rome et un motif d'accueil par les Francs-maçons ou initiés de Suède, d'Ecosse et de France1. » Ainsi d'après les interprètes accrédités du Grand-Orient, la Franc-Maçonnerie se rattache à la tradition Gnostique et Manichéenne, introduite en Occident par les Templiers et les Albigeois. La Franc-Maçonnerie existait donc avant que Socin parut ; seulement le troupeau Socinien, expulsé de la vie publique, se jeta dans les sociétés secrètes et forma un nouvel affluent, ou mieux, une nouvelle source de la Franc-Maçonnerie.