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b) La croix: adoration et sacrifice
Il est vrai que tout n'est pas encore dit par là. En lisant le Nouveau Testament du commencement à la fin, on est tout de même obligé de se demander si malgré tout il ne décrit pas l'oeuvre d'expiation de Jésus comme un sacrifice offert au Père, si la croix n'est pas présentée comme le sacrifice offert par le Christ à son Père dans l'obéissance.
Dans toute une série de textes, la croix apparaît bien comme le mouvement ascendant de l'humanité vers Dieu, de sorte que nous voyons resurgir tout ce que nous venons d'écarter. En effet, avec la seule ligne descendante, on ne saurait comprendre toutes les données du Nouveau Testament.
Mais alors comment concevoir la relation entre les deux lignes? Faudra‑t‑il en éliminer une en faveur de l'autre ? Et si nous voulions le faire, quel critère aurions‑nous pour justifier notre choix? Il est évident que nous ne saurions procéder ainsi : ce serait prendre arbitrairement notre propre opinion comme critère de la foi.
Pour progresser, il nous faut élargir la question et essayer de découvrir le point de départ de l'interprétation néo-testamentaire de la croix. Il faut tout d'abord se dire qu'au départ la croix de
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Jésus est apparue aux disciples comme la fin, l'échec de son entreprise.
Ils avaient cru avoir trouvé en lui le roi dont personne ne pourrait jamais triompher et voilà qu'ils étaient devenus, contre leur attente, les compagnons d'un homme exécuté. Certes, la résurrection leur donna l'assurance que Jésus était tout de même roi, mais il leur fallut beaucoup de temps pour comprendre à quoi servait la croix.
La clé de la réponse leur fut fournie par l'Écriture, c'est‑à‑dire par l'Ancien Testament auquel ils empruntèrent les images et les concepts pour essayer d'expliquer l'événement.
Ils recoururent donc aussi aux textes et aux prescriptions liturgiques de l'Ancien Testament, convaincus que tout ce qui était dit là trouvait son accomplissement en Jésus, et même que c'était à partir de Jésus seulement que l'on pouvait réellement comprendre ce dont il s'agissait en réalité dans ces textes.
C'est ainsi que nous trouvons entre autres dans le Nouveau Testament une explication de la croix à partir des idées de la théologie cultuelle de l'Ancien Testament.
La réalisation la plus systématique de cette tentative se rencontre dans l'épître aux Hébreux, où la mort de Jésus en croix est mise en relation avec le rite et la théologie de la fête juive de la réconciliation, et où elle est présentée comme la véritable fête cosmique de la réconciliation.
On pourrait résumer la pensée de l'Épître de la manière suivante: tout l'appareil sacrificiel de l'humanité, tous les efforts dont le monde est rempli, pour se réconcilier Dieu par le culte et les rites, étaient condamnés à rester oeuvre humaine inefficace et vaine, car ce que Dieu veut, ce ne sont ni boucs, ni taureaux, ni aucune autre offrande rituelle.
On peut sacrifier à Dieu des hécatombes d'animaux sur toute la surface du globe; Dieu n'en a que faire, car tout cela lui appartient de toute façon, et l'on n'apporte rien au Maître de l'univers en brûlant cela à sa gloire.
“Je ne prendrai pas de ta maison un taureau, ni de tes bergeries des brebis. Car tout fauve des forêts est à moi, les animaux sur mes montagnes par milliers; je connais tous les oiseaux des cieux, toute bête des champs est pour moi.
Si j'ai faim, je n'irai pas te le dire, car le monde est à moi et son contenu. Vais‑je manger la chair des taureaux, le sang des boucs, vais‑je le boire ? Offre à Dieu un sacrifice d'actions de grâces...” (Ps 50 [49], 9‑14). L'auteur de la lettre aux Hébreux se place dans la ligne spirituelle de ce texte et d'autres semblables. Il souligne de façon encore plus radicale l'inefficacité de ces tentatives rituelles.
Ce ne sont pas des taureaux
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p201 LES ARTICLES CHRISTOLOGIQUES DE LA PROFESSION DE FOI
et des boucs qui intéressent Dieu, mais l'homme; la seule adoration véritable, ce ne peut être que le « oui » inconditionnel de l'homme.
Tout appartient à Dieu, mais il a concédé à l'homme la liberté de dire « oui » ou « non », d'aimer ou de refuser; l'adhésion libre de l'amour, telle est la seule chose que Dieu doive attendre; voilà l'adoration et le «sacrifice » qui seuls peuvent avoir un sens.
Or, ce “oui » donné à Dieu et par lequel l'homme se restitue lui‑même à Dieu, ne peut être remplacé par le sang des boucs et des taureaux. L'Évangile ne dit‑il pas : “Et que peut donner l'homme en échange de sa propre vie? » (Mc 8, 37). Il n'y a qu'une réponse: rien ne saurait être donné en compensation de l'homme lui‑même.