Elizabeth et persécutions 1

Darras tome 34 p. 410

 

95. Il ne serait pas convenable d'oublier, dans cette histoire, les restitutions que Marie fit faire à l'Eglise. Si elle sanctionna impru­demment, dit encore Cobbett, par son silence les spolations des ré­formateurs, elle était bien résolue, pour ce qui la concernait per­sonnellement, de ne rien garder du pillage. C'est ainsi qu'au mois de novembre 1555, elle restitua à l'Eglise les dixièmes et les pre­miers fruits de tous les bénéfices ecclésiastiques, qui. avec les dîmes dont ses prédécesseurs s'étaient également emparés, produisaient à la couronne un revenu net de plus de soixante-trois mille livres sterling, somme qui aujourd'hui représenterait environ .vingt-cinq millions de francs. Elle renonça également à jouir d'une grande quantité de biens composant à son avènement au trône le domaine de la couronne, mais originairement acquis au préjudice de l'Eglise, des hospices ou de quelques particuliers. Les scrupules de cons­cience qui portèrent Marie à renoncer à ces divers revenus sont d'autant plus louables, qu'à cette époque c'était la couronne elle-même, qui, du produit de ses propres domaines, salariait tous ses officiers, comme ambassadeurs, juges ou autres, et qui fournissait les fonds nécessaires pour acquitter les pensions qu'elle accordait à d'anciens serviteurs. Marie régna, d'ailleurs, plus de deux ans et demi sans prélever sur son peuple un seul denier en taxes quelcon­ques. L'abandon volontaire fait par cette princesse des dixièmes et des premiers fruits ne fut donc que le résultat de sa haute piété et

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1  La persécution religieuse en Angleterre, p. 61.

2  Lettre IX.

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p411 CHAP.   XIII.   —   L'ANGLICANISME   SOUS   ÉDOl'AKD   VI.      

 

de la générosité naturelle à son cœur. Elle agit en cela contrairement aux remontrances de son conseil, et le bill voté dans cette circonstance par le parlement éprouva dans les deux chambres la plus vive opposition. On craignit, en effet, et avec raion, qu'il ne réveillât la haine et l'indignation du peuple contre les brigands de la réforme. « Marie ne borna point à cette mesure le cours de sa justice réparatrice : elle restitua bientôt après aux églises et aux couvents toutes celles de leurs terres et autres propriétés tombées depuis la révolution dans le domaine de la couronne. En général, son désir était de les rendre autant que possible à leur destination primitive. Elle rétablit ainsi l'abbaye de Westminster, le couvent de Greenwich, les moines noirs de Londres et une foule d'hôpitaux et d'hospices, qu'elle dota en outre fort richement. Comme l'exem­ple de la reine aurait naturellement produit beaucoup d'effet sur les esprits, il serait difficile de dire jusqu'à quel point la noblesse l'au­rait imité si elle avait vécu encore quelques années de plus1. »

 

96. Les anglicans aiment à comparer Marie et Elisabeth. Quand ils parlent de l'une, c'est Marie la sanglante, la sanguinaire, une Caïn femelle prenant la couronne et se complaisant aux pensées folles et terribles de Caligula; quand ils parlent de l'autre, c'est la bonne Bess, la reine vierge, la belle vestale assise sur le trône de l'Occident, la femme sous laquelle Albion a filé des jours tissés d'or et de soie. A voir la contradiction de ces jugements et les termes qui les expriment, il est clair que l'équité, l'intelligence, le discer-nement n'ont rien a y voir. D'un côté, tout est monstrueux, de l'au­tre, tout est parfait. « En premier lieu, dit Macaulay, les raisons qu'on allègue en faveur d'Elisabeth, militent avec plus de force en faveur de Marie. A l'avènement d'Elisabeth, les catholiques ne pri­rent pas les armes pour placer un prétendant sur le trône. Cette tentative et ensuite l'insurrection de Wyat fournirent un prétexte tout aussi bon pour brûler les protestants, que de fureur, pour pendre et écarteler les papistes, les conspirations contre Élisabeth. »   Ainsi parle Macaulay; qu'on entende maintenant l'arche-

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1.         CoBBett, Lettre VIII.

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p412      JULES  111,   MARCEL  II  ET  PAUL  IV  (1549-1555-1559).

 

vêque de Baltimore : «  Marie et Elisabeth,   dit-il, employèrent la persécution, et toutes deux le firent principalement, sinon toujours, pour des raisons d'Etat. Mais il y a, entre l'une et l'autre,  des dif­férences à noter. Marie ne persécuta pas tout à fait l'espace de quatre ans, Elisabeth pendant plus de quarante-quatre années. La persé­cution de Marie eut  son principe dans  des menées de trahison fomentées par les chefs du parti réformé pour l'exclure  du trône ;  celle d'Elisabeth eut lieu tout d'abord sans provocation de ce  genre,  et  en  fait  sans provocation aucune de la part des catholiques.  Marie fut  poussée  aux   moyens violents  par ses conseillers sur de  fortes raisons gouvernementales, liées à la sé­curité de son trône ; Elisabeth n'eut pas besoin de tels mobiles et c'est de gaieté de cœur qu'elle se mît d'un seul trait à son œuvre sanglante. Marie persécuta une infime minorité de ses sujets, les­quels cherchaient à ruiner par la violence l'ancien ordre de choses dans l'Eglise comme dans l'Etat, et à dépouiller et à continuer de dépouiller l'Eglise et les anciennes familles du pays, des biens reli­gieux qui leur avaient été garantis, à quelques courtes interruptions près, par une possession tranquille  de dix siècles environ ; Elisa­beth persécuta l'immense majorité de ses sujets, dans la vue de les forcer à abandonner tous ces droits chéris, et de les priver, par la confiscation et les amendes, des biens qu'ils  avaient si  longtemps possédés en paix. La persécution de Marie, c'est possible, fut plus sévère et plus sanglante dans le même espace de temps ; celle d'Eli­sabeth, parce  qu'elle  fut dix fois plus longue, fut de beaucoup plus inquiétante, plus investigatrice, plus  générale. Elle s'adressa même plus aux libertés et aux  biens de ses sujets qu'à leur vie ; elle torturait le corps et l'âme, tout en anéantissant la liberté per­sonnelle et les  droits de propriété. Elle  avait en vue et mettait à exécution tout un système  de confiscation et  d'emprisonnement. Les prisons pestilentielles et encombrées de victimes, ainsi que les amendes énormes pour la non-assistance au service réformé, infli- geaient des tortures et des ruines bien plus  considérables que les plus cruelles douleurs  occasionnées par la question et la fille du boueur que la bonne Bess fit constamment travailler. L'horrible ma-

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p413 CHAP. XIII.   —   S.   JEAN   DE   DIEU.      

 

nière dont on massacrait les condamnés comme traîtres étaient également plus affreuse que la mort par le bûcher. Les deux persé­cutions furent certes deux choses lamentables ; mais tout homme de sens droit avouera que celle d'Elisabeth dépassa de beaucoup en atrocité et en durée celle de Marie, et la première de ces deux reines a devers elle moins de raisons pour excuser ou atténuer son intolérance1. »

 

Darras tome 35 p. 155

 

S IV. LA PERSÉCUTION EN ANGLETERRE SOUS ELISABETH.

 

La persécution religieuse en Angleterre sous Elisabeth montre, comme la révolution dans les Pays-Bas et la guerre civile en France, l'esprit anti-social du protestantisme. Là où les protestants sont en minorité, ils conspirent contre le trône, excitent des sédi­tions et allument les incendies de la guerre civile ; là où ils espèrent former bientôt une majorité, ils se mettent en état de révolte, éta­blissent leur âpre domination et se livrent aux plus affreux brigan­dages ; là où ils possèdent le pouvoir absolu, ils dressent les échafauds et versent à flots le sang des catholiques. Ici et là, c'est au nom du libre examen qu'ils oppriment et qu'ils persécutent; c'est pour réformer, à ce qu'ils disent, la sainte Église de Jésus-Christ, qu'ils mettent le désordre partout et perpètrent partout les plus abominables crimes.

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p156       PONTIFICAT   DE  SAINT  PIE V  (1566-1572).

 

   82. Sous le règne de Marie, Elisabeth était entrée prudemment dans les intrigues et les complots contre sa sœur ; elle avait noué des rapports avec les principaux chefs du parti protestant et s'était rendue, pour le moins, suspecte (1). A la mort de sa sœur, la digne fille d'Henri VIII et d'Anne Bouleyn, pour ceindre la couronne d'Angleterre, promit de vivre dans la religion catholique et s'enga­gea même à la défendre contre ses ennemis. « Si je ne suis pas en toute sincérité catholique romaine, s'écrie Elisabeth, je prie Dieu d'entrouvrir la terre sous mes pieds et de m'ensevelir toute vivante. » Les trois ordres de l'Etat se prononcèrent en sa faveur. Le clergé d'Angleterre, en particulier, se déclara publiquement pour la jeune souveraine ; cette adhésion pleine et entière enlevait jus­qu'au moindre prétexte à la défiance. Aussitôt proclamée, Elisa­beth garda quelques conseillers de son père, de son frère Edouard et de sa sœur Marie ; mais elle fit entrer dans son conseil des hommes que leurs antécédents dénonçaient comme partisans des innovations religieuses et même de l'apostasie nationale. Elisabeth, on le comprend, tenait avant tout à sa légitimité et plus encore à sa couronne. On lui représenta donc que l'acte par lequel on l'avait déclarée illégitime était encore en vigueur ; que la cour de Rome, après avoir condamné le mariage d'Henri VIII avec Anne Bouleyn, ne la considérerait jamais elle-même que comme une fille bâtarde de ce prince ; que, par conséquent, l'unique moyen d'établir ses droits au trône et la légitimité de sa naissance, c'était de casser l'acte du Parlement et de ne point reconnaître la suprématie de l'Église romaine. Elisabeth, préoccupée de son mariage avec Phi­lippe II, n'accéda point d'abord à l'idée de se mettre à la tête du protestantisme ; la hardiesse d'un tel dessein pouvait d'ailleurs effrayer la jeune princesse. Pour diminuer ses craintes, on ne lui présenta cette mesure que comme un expédient provisoire, sur lequel il serait toujours aisé de revenir. Les ministres, en annon­çant son avènement au trône, diversifièrent leur langage, suivant le sentiment présumé des cours auxquelles ils s'adressaient : près des souverains catholiques, ils protestaient de leur fidélité ; près

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(1) Cf. L. Wisexer. La jeunesse d'Elisabeth, passim.

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p157 CHAP. XV. — LA PERSÉCUTION EN ANGLETERRE SOUS ELISABETH.     

 

des souverains protestants, ils promettaient des alliances ; au Pape, ils assuraient qu'aucune violence ne serait exercée contre les catho­liques d'Angleterre. En son privé, Elisabeth suivait les rites catho­liques ; aux funérailles de sa sœur, elle fit observer ponctuellement les pratiques et les cérémonies du rite romain. Cependant ses ministres poussaient sous main leurs partisans. Des prêtres catho­liques étaient insultés, des autels renversés, le culte interrompu et même remplacé par la liturgie calviniste. Sous prétexte de répri­mer ces désordres, Elisabeth lança une proclamation où, tout en flétrissant les attentats, elle défendait aux prêtres de prêcher et aux fidèles d'assister aux instructions... jusqu'à ce qu'on eût réglé les affaires du culte. Cette proclamation blessa les évêques ; ils se réunirent à Londres pour veiller à la défense de leurs troupeaux respectifs. L'évêque de Londres fut cité en justice ; l'évêque de Carlisle reçut défense d'élever l'hostie à la messe. Les évêques signifièrent qu'ils n'assisteraient pas au sacre, si le couronnement devait avoir lieu contrairement à toutes les traditions de la Grande-Bretagne. Pour ménager les susceptibilités de son peuple, Elisabeth ne témoigna aucun mécontentement ; elle ne requit point, pour son sacre, les évêques protestants, et, sacrée par les évêques ortho­doxes, prononça sous les voûtes de Westminster, le serment qu'avaient prêté, de temps immémorial, les rois catholiques d'An­gleterre.

 

83. Ce serment était un défi jeté à la face de Dieu même. Pen­dant qu'Elisabeth sauvait Ies apparences, ses conseillers poursui­vaient un travail souterrain contre Rome. Un plan fut dressé par les ministres pour la réformation de l'Église et remis à Elisabeth en décembre 1558. On propose de commencer au Parlement pro­chain. On prévoit la résistance du Pape, de la France, de l'Ecosse et des différentes classes de la société anglaise ; on recherche les moyens de les vaincre et la manière d'appliquer ces moyens avec succès. On dresse la liste des exécuteurs de ce coup d'État, on fixe leur nombre, leurs appointements (1). Ce plan détaillé et équivoque existe  encore  dans les  archives  du  royaume, On reste stupéfait

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(1) Dodd's Church History, t. II, p. 230 ; et Camdden, Annales p. 37.

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p158       PONTIFICAT   DE   SAINT   T1E  V  (1566-1572).

 

devant l'audace de quelques hommes sans mission, sans caractère, qui, entraînés par leur égoïsme despotique, imposent arbitraire­ment à des millions de compatriotes et à leur innombrable postérité, une  foi et un  culte contraires à leur conscience. Tel est pourtant l'origine de cette Église anglicane, dont le joug absurde pèse depuis trois siècles sur le peuple anglais. Pour s'acheminer à l'accomplis­sement de cet exécrable projet,  les ministres eurent recours à la calomnie ; ils prêtèrent,  à  Paul IV, cette réponse : «Qu'Elisabeth étant illégitime  et  bâtarde, ne pouvait succéder à la couronne d'Angleterre ; qu'en montant sur le trône, elle avait insulté le siège Apostolique ; que, néanmoins, si elle  consentait à soumettre au jugement pontifical, ses prétentions et sa personne, le Pape était disposé à l'indulgence que la justice pourrait demander. » Cette calomnie, répétée sur tous les tons, se répandit dans la chrétienté; cette imposture était nécessaire pour aider au renversement de l'autorité  pontificale et de la religion catholique en Angleterre ; et l'on s'y prit si adroitement pour la vulgariser, qu'elle a surpris, je ne dis pas Fra Paolo et à sa suite tous les historiens anglicans, mais Sponde, le continuateur de Baronius, Pallaviani, l'historien du con­cile de Trente,  Fleury,  Bossuet et Lingard.  Or, des découvertes faites récemment par Howard de Corby, de l'examen des lettres de l'ambassadeur Carne à lord Cécil et de Cécil à Carne, il résulte, pour tout homme de bonne foi, la preuve manifeste de la calomnie. Le Pape Paul IV félicita Elisabeth de son avènement, et, malgré les sollicitations de l'ambassadeur français, il refusa toujours de recou­rir,  contre la reine d'Angleterre,  à des mesures de sévérité qui n'étaient ni dans son esprit, ni dans sa mission. Un complot minis­tériel, basé sur une calomnie, servi par l'hypocrisie et triomphant par la violence :  ce sont là les titres de l'Église établie par les lois anglaises.

 

   84. Le 25 janvier 1559, s'ouvrait le nouveau Parlement. Après la messe d'ouverture, qui fut dite pour la dernière fois, le garde du sceau royal, Nicolas Bacon, proclame que, de l'aveu unanime, « Elisabeth est, de droit divin, de droit civil des Anglais et confor­mément aux statuts, reine légitime, incontestable et très certaine

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159 CHAP. XV. — LA PERSÉCUTION EN ANGLETERRE SOUS ELISABETH.      

 

d'Angleterre, était en droite ligne et légitimement du sang royal, selon l'ordre de succession prescrit par les ordres de l'État en la trente-cinquième année du règne de Henri  VIII. Quiconque niera ce titre de la reine, désirera sa mort, ou sa déposition ou celles des héritiers de son rang ; il perdra ses biens, terres et domaines, si le délit consiste en paroles ; s'il y a écrit ou acte public, le coupable sera regardé comme criminel de haute trahison. » A cette déclara­tion, le chancelier ajouta quelques commentaires menaçants ; pas une voix ne s'éleva pour protester contre ces insolences du pouvoir. Aussi, dès le 25 février, la Chambre des lords reçut un  acte pour restituer à la couronne son ancienne juridiction sur l’Etat ecclésiasti­que et spirituel et pour abolir tous les pouvoirs étrangers en opposi­tion avec la couronne. Ce   titre impliquait l'abolition du culte catholique et l'établissement légal du protestantisme. Le rapport annexé à l'acte, exigeait formellement cette révolution religieuse et la plaçait sous la foi d'un serment à prêter à la suprématie de la reine aussi bien dans les causes spirituelles que dans les causes temporelles. Le serment était suivi d'une série de pénalités. Les ecclésiastiques  qui le refusaient perdaient leur place ; ceux qui agissaient contre, perdaient, la première fois leurs biens, la seconde, étaient frappés de peines personnelles ; la troisième, condamnés à mort. Comme pour joindre à l'odieux le ridicule, on ajoutait que le jugement du Parlement en matière de doctrine doit jouir du pri­vilège de l'infaillibilité, prétention  qui était juste, si le Parlement était, en matière doctrinale, juge compétent et suprême. L'arche­vêque d'York, homme dont Cambden loue la prudence et la mo­destie, expose que cet acte rejettait les quatre conciles généraux et toute la législation de l'Église, qu'il   rompait  la  sainte unité et mettait l'Angleterre en contradiction avec tous les siècles de l'his­toire ; il demanda comment le Parlement s'y prendrait pour confé­rer, à la reine, le pouvoir de remettre et de retenir les péchés, de gouverner l'Église de Jésus-Christ, de confirmer les pasteurs et les troupeaux,  enfin de porter des sentences d'excommunication. Les évêques et plusieurs puissants seigneurs appuyèrent ce discours. A défaut de raisons pour répondre, les membres du conseil recou-

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p160        PONTIFICAT   DE   SAINT   PIE  V   (loCG-1572).

 

rurent aux artifices;  ils provoquèrent un colloque entre catholi­ques et protestants, mais, la présidence de l'assemblée restant à Bacon, Bacon imposa un ordre de discussion qui interdisait la ré­plique et mettait lui-même les conclusions à l'avantage du protes­tantisme.  Pour accroître l'effet de ces indignités, il fit mettre en prison et au domicile forcé, les évêques anglais : il refit, dans ces caprices d'arbitraire, les traditions expressives du libre examen. Quand le bill revint à la Chambre, il y rencontra les protestations du clergé secondaire, unanime dans l'affirmation de sa fidélité. L'abbé de Westminster, Feckenham, confirmant l'opposition de l'archevêque d'York, demanda laquelle des deux religions était la plus catho­lique et apostolique, laquelle était la plus stable dans ses doctrines et ses préceptes, laquelle formait les meilleurs sujets. Discours, avertissements, protestations,  résistances, tout fut inutile. Un acte schismatique rejeté par le clergé et les fidèles fut imposé à la nation par une assemblée de laïques, déjà protestants dans le cœur; une femme allait prendre en main le gouvernement de l'Église. Cette monstruosité, comme l'appelle Macaulay lui-même, était l'œuvre de l'hérésie, au service des peines temporelles (1). Le pouvoir que Jésus-Christ avait confié aux princes des Apôtres et à ses succes­seurs, les lords le décernaient à Elisabeth. Dès lors commença à peser sur l'Angleterre le triple joug de l'erreur, de la misère et de la démoralisation, châtiment inévitable de toute   révolte   contre l'autorité visible de Dieu sur la terre.


   84 bis. A peine revêtue de cette suprématie usurpée, Elisabeth voulut en exercer la fonction. Sous l'impulsion de sa nature fémi­nine, faible mais astucieuse, elle déclara d'abord qu'elle ne voulait point exiger des catholiques la destruction des sculptures, pein­tures et images rétablies sous le régime de sa sœur; mais le fana­tisme des sectaires ne devait pas laisser aux catholiques cette con­solation dérisoire. Ensuite, elle commanda aux prêtres d'observer scrupuleusement le livre de commune prière édité sous Edouard VI; statua sur leur mariage et édicta  plusieurs règlements  discipli­naires qui devaient prendre la place du droit canon. Aux prêtres,

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 (1) History of England, t. I, p.56.

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elle adjoignit trois ou quatre paroissiens pleins de zèle schismatique pour veiller à l'observance de ses lois; là où les prêtres lui manquèrent, elle créa, de sa propre autorité, des sous-prêtres, laïques chargés de remplir quelques fonctions pastorales. Pour remplacer le collège des cardinaux, la papesse nomma une com­mission chargée de la visite des diocèses ; son choix ne tomba que sur des laïques, leur mandat était de remplir toutes les fonctions épiscopales et sacerdotales, excepté l'ordination, la consécration et l'administration des sacrements, et encore on ne voit pas pourquoi cette exception, puisque la reine s'arrogeait l'autocratie spirituelle. Ces mesures ne firent point fléchir les consciences. Tous les évêques, excepté un, douze doyens de chapitres, quatorze archidiacres, une soixantaine de prébendiers, six abbés et abbesses, cent recteurs de collège, déclarèrent qu'ils préféraient la prison, l'exil ou la mort à l'apostasie. Beaucoup avaient déjà pris volontairement le chemin de l'étranger, plusieurs prêtaient le serment avec l'espoir de le rétracter bientôt. Les deux universités du royaume donnèrent le même exemple de fidélité ; vainement pour y faire pénétrer l'er­reur, on employa les séductions et les menaces ; maîtres et élèves s'éloignèrent de ces chaires où il n'était plus permis d'enseigner que l'hérésie. Le peuple, de son côté, ne témoignait pas moins de répugnance pour la réforme ; en beaucoup d'endroits, cette oppo­sition se produisait d'une manière énergique. Le pape Pie IV, informé de ces attentats d'Elisabeth et de la fidélité courageuse du peuple anglais, ne négligea rien pour ramener la reine à résipis­cence; il lui écrivit avec un accent paternel ; il lui dépêcha les nonces Parpaglia et Martinengo ; il l'appela au concile de Trente. Les mi­nistres, pour expulser les nonces et rejeter toutes les demandes du Saint-Siège, se bornèrent à exploiter la vieille calomnie contre Paul IV. Tout espoir était donc évanoui; les catholiques, condamnés à vivre sous un pouvoir schismatique, devaient subir la tyrannie des consciences; l'égoïsme, qui sacrifie à l'ambition, à la cupidité, à la luxure, les devoirs les plus sacrés, triomphait en Angleterre. Quand on vit que les tentatives du Pape et des princes avaient échoué, les sectaires, un instant contenus, se ruèrent encore une
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fois sur les églises et les monastères, ils enlevèrent ou brisèrent tout, jusqu'à l'emblème sacré de la Rédemption. Elisabeth céda au fanatisme, mais ne dissimula pas toujours son désappointement (1). Par un acte du 9 août 1561, elle expulsa les femmes des univer­sités. Un jour qu'elle avait été reçue par l'archevêque de Cantorbéry, elle le remercia de ses bonnes grâces; puis, se tournant vers sa femme : « Vous,  dit-elle, je ne puis vous appeler madame et j'aurais honte de vous appeler maîtresse, ainsi je ne sais quel nom vous donner. » L'évêque intrus de Londres, Ridley, traduisait ainsi cette incartade : « La lâcheté, l'oppression, l'orgueil, la sensualité, la haine et le mépris de la religion sont généralement répandus parmi  le  peuple et  surtout  parmi ceux du plus haut  rang  »; il n'osait pas spécifier qu'il parlait   des gens de son  église.

 

 

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