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95. Il ne serait pas convenable d'oublier, dans cette histoire, les restitutions que Marie fit faire à l'Eglise. Si elle sanctionna imprudemment, dit encore Cobbett, par son silence les spolations des réformateurs, elle était bien résolue, pour ce qui la concernait personnellement, de ne rien garder du pillage. C'est ainsi qu'au mois de novembre 1555, elle restitua à l'Eglise les dixièmes et les premiers fruits de tous les bénéfices ecclésiastiques, qui. avec les dîmes dont ses prédécesseurs s'étaient également emparés, produisaient à la couronne un revenu net de plus de soixante-trois mille livres sterling, somme qui aujourd'hui représenterait environ .vingt-cinq millions de francs. Elle renonça également à jouir d'une grande quantité de biens composant à son avènement au trône le domaine de la couronne, mais originairement acquis au préjudice de l'Eglise, des hospices ou de quelques particuliers. Les scrupules de conscience qui portèrent Marie à renoncer à ces divers revenus sont d'autant plus louables, qu'à cette époque c'était la couronne elle-même, qui, du produit de ses propres domaines, salariait tous ses officiers, comme ambassadeurs, juges ou autres, et qui fournissait les fonds nécessaires pour acquitter les pensions qu'elle accordait à d'anciens serviteurs. Marie régna, d'ailleurs, plus de deux ans et demi sans prélever sur son peuple un seul denier en taxes quelconques. L'abandon volontaire fait par cette princesse des dixièmes et des premiers fruits ne fut donc que le résultat de sa haute piété et
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1 La persécution religieuse en Angleterre, p. 61.
2 Lettre IX.
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de la générosité naturelle à son cœur. Elle agit en cela contrairement aux remontrances de son conseil, et le bill voté dans cette circonstance par le parlement éprouva dans les deux chambres la plus vive opposition. On craignit, en effet, et avec raion, qu'il ne réveillât la haine et l'indignation du peuple contre les brigands de la réforme. « Marie ne borna point à cette mesure le cours de sa justice réparatrice : elle restitua bientôt après aux églises et aux couvents toutes celles de leurs terres et autres propriétés tombées depuis la révolution dans le domaine de la couronne. En général, son désir était de les rendre autant que possible à leur destination primitive. Elle rétablit ainsi l'abbaye de Westminster, le couvent de Greenwich, les moines noirs de Londres et une foule d'hôpitaux et d'hospices, qu'elle dota en outre fort richement. Comme l'exemple de la reine aurait naturellement produit beaucoup d'effet sur les esprits, il serait difficile de dire jusqu'à quel point la noblesse l'aurait imité si elle avait vécu encore quelques années de plus1. »
96. Les anglicans aiment à comparer Marie et Elisabeth. Quand ils parlent de l'une, c'est Marie la sanglante, la sanguinaire, une Caïn femelle prenant la couronne et se complaisant aux pensées folles et terribles de Caligula; quand ils parlent de l'autre, c'est la bonne Bess, la reine vierge, la belle vestale assise sur le trône de l'Occident, la femme sous laquelle Albion a filé des jours tissés d'or et de soie. A voir la contradiction de ces jugements et les termes qui les expriment, il est clair que l'équité, l'intelligence, le discer-nement n'ont rien a y voir. D'un côté, tout est monstrueux, de l'autre, tout est parfait. « En premier lieu, dit Macaulay, les raisons qu'on allègue en faveur d'Elisabeth, militent avec plus de force en faveur de Marie. A l'avènement d'Elisabeth, les catholiques ne prirent pas les armes pour placer un prétendant sur le trône. Cette tentative et ensuite l'insurrection de Wyat fournirent un prétexte tout aussi bon pour brûler les protestants, que de fureur, pour pendre et écarteler les papistes, les conspirations contre Élisabeth. » Ainsi parle Macaulay; qu'on entende maintenant l'arche-
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1. CoBBett, Lettre VIII.
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p412 JULES 111, MARCEL II ET PAUL IV (1549-1555-1559).
vêque de Baltimore : « Marie et Elisabeth, dit-il, employèrent la persécution, et toutes deux le firent principalement, sinon toujours, pour des raisons d'Etat. Mais il y a, entre l'une et l'autre, des différences à noter. Marie ne persécuta pas tout à fait l'espace de quatre ans, Elisabeth pendant plus de quarante-quatre années. La persécution de Marie eut son principe dans des menées de trahison fomentées par les chefs du parti réformé pour l'exclure du trône ; celle d'Elisabeth eut lieu tout d'abord sans provocation de ce genre, et en fait sans provocation aucune de la part des catholiques. Marie fut poussée aux moyens violents par ses conseillers sur de fortes raisons gouvernementales, liées à la sécurité de son trône ; Elisabeth n'eut pas besoin de tels mobiles et c'est de gaieté de cœur qu'elle se mît d'un seul trait à son œuvre sanglante. Marie persécuta une infime minorité de ses sujets, lesquels cherchaient à ruiner par la violence l'ancien ordre de choses dans l'Eglise comme dans l'Etat, et à dépouiller et à continuer de dépouiller l'Eglise et les anciennes familles du pays, des biens religieux qui leur avaient été garantis, à quelques courtes interruptions près, par une possession tranquille de dix siècles environ ; Elisabeth persécuta l'immense majorité de ses sujets, dans la vue de les forcer à abandonner tous ces droits chéris, et de les priver, par la confiscation et les amendes, des biens qu'ils avaient si longtemps possédés en paix. La persécution de Marie, c'est possible, fut plus sévère et plus sanglante dans le même espace de temps ; celle d'Elisabeth, parce qu'elle fut dix fois plus longue, fut de beaucoup plus inquiétante, plus investigatrice, plus générale. Elle s'adressa même plus aux libertés et aux biens de ses sujets qu'à leur vie ; elle torturait le corps et l'âme, tout en anéantissant la liberté personnelle et les droits de propriété. Elle avait en vue et mettait à exécution tout un système de confiscation et d'emprisonnement. Les prisons pestilentielles et encombrées de victimes, ainsi que les amendes énormes pour la non-assistance au service réformé, infli- geaient des tortures et des ruines bien plus considérables que les plus cruelles douleurs occasionnées par la question et la fille du boueur que la bonne Bess fit constamment travailler. L'horrible ma-
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p413 CHAP. XIII. — S. JEAN DE DIEU.
nière dont on massacrait les condamnés comme traîtres étaient également plus affreuse que la mort par le bûcher. Les deux persécutions furent certes deux choses lamentables ; mais tout homme de sens droit avouera que celle d'Elisabeth dépassa de beaucoup en atrocité et en durée celle de Marie, et la première de ces deux reines a devers elle moins de raisons pour excuser ou atténuer son intolérance1. »
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S IV. LA PERSÉCUTION EN ANGLETERRE SOUS ELISABETH.
La persécution religieuse en Angleterre sous Elisabeth montre, comme la révolution dans les Pays-Bas et la guerre civile en France, l'esprit anti-social du protestantisme. Là où les protestants sont en minorité, ils conspirent contre le trône, excitent des séditions et allument les incendies de la guerre civile ; là où ils espèrent former bientôt une majorité, ils se mettent en état de révolte, établissent leur âpre domination et se livrent aux plus affreux brigandages ; là où ils possèdent le pouvoir absolu, ils dressent les échafauds et versent à flots le sang des catholiques. Ici et là, c'est au nom du libre examen qu'ils oppriment et qu'ils persécutent; c'est pour réformer, à ce qu'ils disent, la sainte Église de Jésus-Christ, qu'ils mettent le désordre partout et perpètrent partout les plus abominables crimes.
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82. Sous le règne de Marie, Elisabeth était entrée prudemment dans les intrigues et les complots contre sa sœur ; elle avait noué des rapports avec les principaux chefs du parti protestant et s'était rendue, pour le moins, suspecte (1). A la mort de sa sœur, la digne fille d'Henri VIII et d'Anne Bouleyn, pour ceindre la couronne d'Angleterre, promit de vivre dans la religion catholique et s'engagea même à la défendre contre ses ennemis. « Si je ne suis pas en toute sincérité catholique romaine, s'écrie Elisabeth, je prie Dieu d'entrouvrir la terre sous mes pieds et de m'ensevelir toute vivante. » Les trois ordres de l'Etat se prononcèrent en sa faveur. Le clergé d'Angleterre, en particulier, se déclara publiquement pour la jeune souveraine ; cette adhésion pleine et entière enlevait jusqu'au moindre prétexte à la défiance. Aussitôt proclamée, Elisabeth garda quelques conseillers de son père, de son frère Edouard et de sa sœur Marie ; mais elle fit entrer dans son conseil des hommes que leurs antécédents dénonçaient comme partisans des innovations religieuses et même de l'apostasie nationale. Elisabeth, on le comprend, tenait avant tout à sa légitimité et plus encore à sa couronne. On lui représenta donc que l'acte par lequel on l'avait déclarée illégitime était encore en vigueur ; que la cour de Rome, après avoir condamné le mariage d'Henri VIII avec Anne Bouleyn, ne la considérerait jamais elle-même que comme une fille bâtarde de ce prince ; que, par conséquent, l'unique moyen d'établir ses droits au trône et la légitimité de sa naissance, c'était de casser l'acte du Parlement et de ne point reconnaître la suprématie de l'Église romaine. Elisabeth, préoccupée de son mariage avec Philippe II, n'accéda point d'abord à l'idée de se mettre à la tête du protestantisme ; la hardiesse d'un tel dessein pouvait d'ailleurs effrayer la jeune princesse. Pour diminuer ses craintes, on ne lui présenta cette mesure que comme un expédient provisoire, sur lequel il serait toujours aisé de revenir. Les ministres, en annonçant son avènement au trône, diversifièrent leur langage, suivant le sentiment présumé des cours auxquelles ils s'adressaient : près des souverains catholiques, ils protestaient de leur fidélité ; près
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(1) Cf. L. Wisexer. La jeunesse d'Elisabeth, passim.
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des souverains protestants, ils promettaient des alliances ; au Pape, ils assuraient qu'aucune violence ne serait exercée contre les catholiques d'Angleterre. En son privé, Elisabeth suivait les rites catholiques ; aux funérailles de sa sœur, elle fit observer ponctuellement les pratiques et les cérémonies du rite romain. Cependant ses ministres poussaient sous main leurs partisans. Des prêtres catholiques étaient insultés, des autels renversés, le culte interrompu et même remplacé par la liturgie calviniste. Sous prétexte de réprimer ces désordres, Elisabeth lança une proclamation où, tout en flétrissant les attentats, elle défendait aux prêtres de prêcher et aux fidèles d'assister aux instructions... jusqu'à ce qu'on eût réglé les affaires du culte. Cette proclamation blessa les évêques ; ils se réunirent à Londres pour veiller à la défense de leurs troupeaux respectifs. L'évêque de Londres fut cité en justice ; l'évêque de Carlisle reçut défense d'élever l'hostie à la messe. Les évêques signifièrent qu'ils n'assisteraient pas au sacre, si le couronnement devait avoir lieu contrairement à toutes les traditions de la Grande-Bretagne. Pour ménager les susceptibilités de son peuple, Elisabeth ne témoigna aucun mécontentement ; elle ne requit point, pour son sacre, les évêques protestants, et, sacrée par les évêques orthodoxes, prononça sous les voûtes de Westminster, le serment qu'avaient prêté, de temps immémorial, les rois catholiques d'Angleterre.
83. Ce serment était un défi jeté à la face de Dieu même. Pendant qu'Elisabeth sauvait Ies apparences, ses conseillers poursuivaient un travail souterrain contre Rome. Un plan fut dressé par les ministres pour la réformation de l'Église et remis à Elisabeth en décembre 1558. On propose de commencer au Parlement prochain. On prévoit la résistance du Pape, de la France, de l'Ecosse et des différentes classes de la société anglaise ; on recherche les moyens de les vaincre et la manière d'appliquer ces moyens avec succès. On dresse la liste des exécuteurs de ce coup d'État, on fixe leur nombre, leurs appointements (1). Ce plan détaillé et équivoque existe encore dans les archives du royaume, On reste stupéfait
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(1) Dodd's Church History, t. II, p. 230 ; et Camdden, Annales p. 37.
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devant l'audace de quelques hommes sans mission, sans caractère, qui, entraînés par leur égoïsme despotique, imposent arbitrairement à des millions de compatriotes et à leur innombrable postérité, une foi et un culte contraires à leur conscience. Tel est pourtant l'origine de cette Église anglicane, dont le joug absurde pèse depuis trois siècles sur le peuple anglais. Pour s'acheminer à l'accomplissement de cet exécrable projet, les ministres eurent recours à la calomnie ; ils prêtèrent, à Paul IV, cette réponse : «Qu'Elisabeth étant illégitime et bâtarde, ne pouvait succéder à la couronne d'Angleterre ; qu'en montant sur le trône, elle avait insulté le siège Apostolique ; que, néanmoins, si elle consentait à soumettre au jugement pontifical, ses prétentions et sa personne, le Pape était disposé à l'indulgence que la justice pourrait demander. » Cette calomnie, répétée sur tous les tons, se répandit dans la chrétienté; cette imposture était nécessaire pour aider au renversement de l'autorité pontificale et de la religion catholique en Angleterre ; et l'on s'y prit si adroitement pour la vulgariser, qu'elle a surpris, je ne dis pas Fra Paolo et à sa suite tous les historiens anglicans, mais Sponde, le continuateur de Baronius, Pallaviani, l'historien du concile de Trente, Fleury, Bossuet et Lingard. Or, des découvertes faites récemment par Howard de Corby, de l'examen des lettres de l'ambassadeur Carne à lord Cécil et de Cécil à Carne, il résulte, pour tout homme de bonne foi, la preuve manifeste de la calomnie. Le Pape Paul IV félicita Elisabeth de son avènement, et, malgré les sollicitations de l'ambassadeur français, il refusa toujours de recourir, contre la reine d'Angleterre, à des mesures de sévérité qui n'étaient ni dans son esprit, ni dans sa mission. Un complot ministériel, basé sur une calomnie, servi par l'hypocrisie et triomphant par la violence : ce sont là les titres de l'Église établie par les lois anglaises.
84. Le 25 janvier 1559, s'ouvrait le nouveau Parlement. Après la messe d'ouverture, qui fut dite pour la dernière fois, le garde du sceau royal, Nicolas Bacon, proclame que, de l'aveu unanime, « Elisabeth est, de droit divin, de droit civil des Anglais et conformément aux statuts, reine légitime, incontestable et très certaine
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d'Angleterre, était en droite ligne et légitimement du sang royal, selon l'ordre de succession prescrit par les ordres de l'État en la trente-cinquième année du règne de Henri VIII. Quiconque niera ce titre de la reine, désirera sa mort, ou sa déposition ou celles des héritiers de son rang ; il perdra ses biens, terres et domaines, si le délit consiste en paroles ; s'il y a écrit ou acte public, le coupable sera regardé comme criminel de haute trahison. » A cette déclaration, le chancelier ajouta quelques commentaires menaçants ; pas une voix ne s'éleva pour protester contre ces insolences du pouvoir. Aussi, dès le 25 février, la Chambre des lords reçut un acte pour restituer à la couronne son ancienne juridiction sur l’Etat ecclésiastique et spirituel et pour abolir tous les pouvoirs étrangers en opposition avec la couronne. Ce titre impliquait l'abolition du culte catholique et l'établissement légal du protestantisme. Le rapport annexé à l'acte, exigeait formellement cette révolution religieuse et la plaçait sous la foi d'un serment à prêter à la suprématie de la reine aussi bien dans les causes spirituelles que dans les causes temporelles. Le serment était suivi d'une série de pénalités. Les ecclésiastiques qui le refusaient perdaient leur place ; ceux qui agissaient contre, perdaient, la première fois leurs biens, la seconde, étaient frappés de peines personnelles ; la troisième, condamnés à mort. Comme pour joindre à l'odieux le ridicule, on ajoutait que le jugement du Parlement en matière de doctrine doit jouir du privilège de l'infaillibilité, prétention qui était juste, si le Parlement était, en matière doctrinale, juge compétent et suprême. L'archevêque d'York, homme dont Cambden loue la prudence et la modestie, expose que cet acte rejettait les quatre conciles généraux et toute la législation de l'Église, qu'il rompait la sainte unité et mettait l'Angleterre en contradiction avec tous les siècles de l'histoire ; il demanda comment le Parlement s'y prendrait pour conférer, à la reine, le pouvoir de remettre et de retenir les péchés, de gouverner l'Église de Jésus-Christ, de confirmer les pasteurs et les troupeaux, enfin de porter des sentences d'excommunication. Les évêques et plusieurs puissants seigneurs appuyèrent ce discours. A défaut de raisons pour répondre, les membres du conseil recou-
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rurent aux artifices; ils provoquèrent un colloque entre catholiques et protestants, mais, la présidence de l'assemblée restant à Bacon, Bacon imposa un ordre de discussion qui interdisait la réplique et mettait lui-même les conclusions à l'avantage du protestantisme. Pour accroître l'effet de ces indignités, il fit mettre en prison et au domicile forcé, les évêques anglais : il refit, dans ces caprices d'arbitraire, les traditions expressives du libre examen. Quand le bill revint à la Chambre, il y rencontra les protestations du clergé secondaire, unanime dans l'affirmation de sa fidélité. L'abbé de Westminster, Feckenham, confirmant l'opposition de l'archevêque d'York, demanda laquelle des deux religions était la plus catholique et apostolique, laquelle était la plus stable dans ses doctrines et ses préceptes, laquelle formait les meilleurs sujets. Discours, avertissements, protestations, résistances, tout fut inutile. Un acte schismatique rejeté par le clergé et les fidèles fut imposé à la nation par une assemblée de laïques, déjà protestants dans le cœur; une femme allait prendre en main le gouvernement de l'Église. Cette monstruosité, comme l'appelle Macaulay lui-même, était l'œuvre de l'hérésie, au service des peines temporelles (1). Le pouvoir que Jésus-Christ avait confié aux princes des Apôtres et à ses successeurs, les lords le décernaient à Elisabeth. Dès lors commença à peser sur l'Angleterre le triple joug de l'erreur, de la misère et de la démoralisation, châtiment inévitable de toute révolte contre l'autorité visible de Dieu sur la terre.
84 bis. A peine revêtue de cette suprématie usurpée, Elisabeth voulut en exercer la fonction. Sous l'impulsion de sa nature féminine, faible mais astucieuse, elle déclara d'abord qu'elle ne voulait point exiger des catholiques la destruction des sculptures, peintures et images rétablies sous le régime de sa sœur; mais le fanatisme des sectaires ne devait pas laisser aux catholiques cette consolation dérisoire. Ensuite, elle commanda aux prêtres d'observer scrupuleusement le livre de commune prière édité sous Edouard VI; statua sur leur mariage et édicta plusieurs règlements disciplinaires qui devaient prendre la place du droit canon. Aux prêtres,
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(1) History of England, t. I, p.56.
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elle adjoignit trois ou quatre paroissiens pleins de zèle schismatique
pour veiller à l'observance de ses lois; là où les prêtres lui manquèrent, elle
créa, de sa propre autorité, des sous-prêtres, laïques chargés de remplir quelques
fonctions pastorales. Pour remplacer le collège des cardinaux, la papesse nomma
une commission chargée de la visite des diocèses ; son choix ne tomba que sur
des laïques, leur mandat était de remplir toutes les fonctions épiscopales et
sacerdotales, excepté l'ordination, la consécration et l'administration des
sacrements, et encore on ne voit pas pourquoi cette exception, puisque la reine
s'arrogeait l'autocratie spirituelle. Ces mesures ne firent point fléchir les
consciences. Tous les évêques, excepté un, douze doyens de chapitres, quatorze
archidiacres, une soixantaine de prébendiers, six abbés et abbesses, cent
recteurs de collège, déclarèrent qu'ils préféraient la prison, l'exil ou la
mort à l'apostasie. Beaucoup avaient déjà pris volontairement le chemin de
l'étranger, plusieurs prêtaient le serment avec l'espoir de le rétracter
bientôt. Les deux universités du royaume donnèrent le même exemple de fidélité
; vainement pour y faire pénétrer l'erreur, on employa les séductions et les
menaces ; maîtres et élèves s'éloignèrent de ces chaires où il n'était plus
permis d'enseigner que l'hérésie. Le peuple, de son côté, ne témoignait pas
moins de répugnance pour la réforme ; en beaucoup d'endroits, cette opposition
se produisait d'une manière énergique. Le pape Pie IV, informé de ces attentats
d'Elisabeth et de la fidélité courageuse du peuple anglais, ne négligea rien
pour ramener la reine à résipiscence; il lui écrivit avec un accent paternel ;
il lui dépêcha les nonces Parpaglia et Martinengo ; il l'appela au concile de
Trente. Les ministres, pour expulser les nonces et rejeter toutes les demandes
du Saint-Siège, se bornèrent à exploiter la vieille calomnie contre Paul IV. Tout espoir était donc
évanoui; les catholiques, condamnés à vivre sous un pouvoir schismatique,
devaient subir la tyrannie des consciences; l'égoïsme, qui sacrifie à
l'ambition, à la cupidité, à la luxure, les devoirs les plus sacrés, triomphait
en Angleterre. Quand on vit que les tentatives du Pape et des princes avaient échoué, les sectaires, un
instant contenus, se ruèrent encore une
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fois sur les églises et les monastères, ils enlevèrent ou brisèrent tout, jusqu'à l'emblème sacré de la Rédemption. Elisabeth céda au fanatisme, mais ne dissimula pas toujours son désappointement (1). Par un acte du 9 août 1561, elle expulsa les femmes des universités. Un jour qu'elle avait été reçue par l'archevêque de Cantorbéry, elle le remercia de ses bonnes grâces; puis, se tournant vers sa femme : « Vous, dit-elle, je ne puis vous appeler madame et j'aurais honte de vous appeler maîtresse, ainsi je ne sais quel nom vous donner. » L'évêque intrus de Londres, Ridley, traduisait ainsi cette incartade : « La lâcheté, l'oppression, l'orgueil, la sensualité, la haine et le mépris de la religion sont généralement répandus parmi le peuple et surtout parmi ceux du plus haut rang »; il n'osait pas spécifier qu'il parlait des gens de son église.