Jacques Ier et persécutions 4

Darras tome 36 p. 243

 

   54. « Jacques Ier, dit Mazure, apportait sur le trône un caractère qui fut particulier à ses successeurs. Zélé sectateur de la religion     protestante, de cette religion dont le premier principe est de ne re­connaître aucune autorité que celle de la raison, il affectait cepen­dant la souveraineté par droit divin, souveraineté pleine, entière, sans limites sur les sujets, comme celle de  Dieu sur la nature. Henri VIII, il est vrai, en établissant le schisme dans son royaume, avait attaché à la constitution de l'Église anglicane le dogme de l'obéissance passive. Mais les grands  et le clergé  d'Angleterre obéissaient passivement à sa tyrannie, parce que la révolution re­ligieuse et la spoliation des établissements catholiques se consom­maient tyranniquement à leur profit (1). » Jacques Ier, qui n'avait plus cette dépouille à donner aux anglicans en  échange de leur indépendance, et que l'insuffisance de son revenu mettait  à la dis-

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(1) Mazure, Hist. de la révolution de iG88, t. I.

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crétion des parlements, de jour en jour moins dociles aux préten­tions de la prérogative, ne pouvait affecter avec le même succès les mêmes maximes de monarque absolu. Elles étaient frappées d'im­puissance, par la contradiction établie depuis la réforme entre les dogmes religieux de la nation et la royauté du droit divin. L'esprit de liberté, amorti par la tyrannie des Tudors, se réveillait  d'ail­leurs dans la nation. Dès 1606, le Parlement s'était élevé avec force contre des droits abusifs et contre des monopoles qui concentraient tout le commerce du royaume  dans Londres et le commerce de Londres dans les mains d'environ deux cents personnes. Les com­munes attaquaient justement des abus  notoires, mais en même temps forçaient le roi à les maintenir en refusant de subvenir, par des taxes légales, à l'insuffisance des  revenus  de la couronne. Jacques avait besoin de subsides, il ne pouvait les obtenir de l'écono-mie ou de la mauvaise volonté des communes.  Jacques réunit en un ses trois royaumes, en alléguant  que sa tête ne pouvait suffire à trois corps : les nationalités distinctes ne voulurent pas se fondre dans l'unité. En 1610, le Parlement, pour récompenser le roi de la persécution contre les catholiques, avait voté un assez fort subside ; en même temps, il portait, dans les arcanes du budget royal, les in­vestigations jalouses d'une assemblée : le roi, qui proclamait, avec une forfanterie pédantesque,   ses droits imprescriptibles, cassa le Parlement, mais sans détruire ce système de résistance qu'inaugu­raient les communes. Après la dissolution  du  Parlement,  le  roi pour subvenir à ses besoins,  eut recours  à  divers  expédients. La chambre étoilée imposa des amendes excessives. On vendit des monopoles; on vendit même des titres de noblesse. Le côté précaire de ces ressources obligea, en 1614, à  la  convocation  d'un  autre Parlement. La nouvelle assemblée reprocha au souverain d'avoir levé arbitrairement des subsides et refusa tout ce qu'il demandait. L'assemblée fut dissoute le 7 juin 1614 ; le roi fit même emprison­ner quelques membres des communes : abus imprudent de la pré­rogative royale, propre seulement à irriter le Parlement et à prépa­rer une révolution.

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55. Toutefois, les prévarications des ministres de Jacques n'étaient rien en comparaison des folles prodigalités auxquelles son aveugle passion pour d'indignes favoris entraînaient le monarque. Jacques n'avait pas de maîtresse, mais il avait des mignons. Un jeune Écos­sais, Robert Carr, avait plu au roi par ses manières agréables ; Jacques l'avait créé successivement vicomte de Rochester et comte de Sommerset ; il lui avait laissé prendre, sur son esprit et son gouvernement, un ascendant suprême. La conduite de Sommerset le rendit odieux à la nation; il fut accusé d'empoisonnement, con­damné à mort et gracié en 1623. Mais le faible Jacques avait besoin d'être gouverné. Un jeune gentilhomme, Georges Villiers, prit aus­sitôt la place de Sommerset dans l'affection et dans la confiance du monarque. Créé duc de Buckingham, gouverneur des cinq ports, grand-écuyer, grand-maître de Westminster, connétable de Windsor et grand-amiral d'Angleterre, il se vit en peu d'années chargé d'honneurs excessifs et prématurés qui auraient pu faire la récom­pense de plusieurs hommes illustres. Son goût insensé pour la ma­gnificence, les largesses prodiguées à sa famille indigente, ache­vèrent d'épuiser les faibles ressources de Jacques. Pour se procurer un peu d'argent, il rendit aux Hollandais, sans consulter le Parle­ment, les places de Plessingue, de Rriel et de Ramekens, qu'ils avaient engagées à Elisabeth comme caution des sommes fournies à la République ; il se contenta du tiers environ de ces sommes, qui montaient à plus de 800.000 livres sterling. Cet argent fut promptement dissipé, de même que celui qui provint de l'aliénation des domaines royaux. La couronne possédait dans toutes les provinces des terres immenses, qui étaient toutes affermées à temps, et moyennant une redevance assez modique. Par là, plusieurs des plus puissantes familles du royaume et un grand nombre de bourgs relevaient de la couronne. Le renouvellement des baux lui rappor­tait des sommes considérables. De plus, la crainte qu'elle ne refusât de prolonger les fermages, lorsqu'ils étaient expirés, retenait tous les tenanciers dans sa dépendance. Le roi, ayant obtenu de son parlement l'autorisation de disposer de ces terres par voie de do­nation irrévocable, les vendit sous la simple réserve de l'ancienne

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redevance annuelle, sacrifiant ainsi à sa pénurie une branche im­portante de son autorité. Contre ces dilapidations, deux faits prin­cipaux signalent tristement l'administration de Buckingham : l° La mort de Raleigh, grande victime lâchement sacrifiée ; 2° Un voyage présomptueux en Espagne, d'où sortit une guerre que le roi voulait éviter.

 

56. Dans la politique générale de l'Europe, Jacques abandonna le rôle d'Elisabeth ; il ne soutint pas le protestantisme au dehors ; il laissa même écraser son gendre, l'électeur palatin, aux débuts de la guerre de Trente Ans. A propos de la pêche du hareng sur les côtés de l'Angleterre, il eut une guerre avec la Hollande, qui venait à sa barbe lui voler ses poissons ; il ferma les yeux sur cet atten­tat contre sa souveraineté maritime ; il crut moins important de mettre un frein à l'audace des pécheurs hollandais, qu'à poursuivre de ses arguments et de ses rigueurs un disciple d'Arminius, qui différait d'opinion avec le roi sur une question de la grâce. Jacques trouvait mieux de mettre Vorstius sur le gril que d'y garder les harengs. Timide par caractère, il refusa d'entrer dans les projets de Henri IV contre la maison d'Autriche. Jacques consentit seule­ment à un traité d'alliance défensive entre la France et l'Angleterre en faveur de ces voleurs de harengs : traité qui mit l'Angleterre en paix avec les Provinces-Unies, mais ne l'empêcha point de s'entendre avec le faible successeur de Philippe II. Plus tard, engagé dans une guerre avec l'Espagne, il rechercha l'alliance de la France où le génie de Richelieu commençait à se faire sentir. Jacques mourut en 1625, à l'âge de 59 ans ; son fils doit mourir sur l'échafaud, et sa fille sera un jour, la souche de la dynastie hanovrienne en Angle­terre.

 

57. Tel fut Jacques Ier, persécuteur des catholiques anglais, avec moins de férocité qu'Elisabeth, mais avec la même passion et de plus frivoles illusions. Les catholiques étaient encore nombreux de son temps ; il ne pouvait plus se promettre de les exterminer. Le caractère de ce prince offre, d'ailleurs, des contrastes étranges. « Jacques, dit Ragon, était profondément instruit, sans avoir une seule; connaissance réellement utile à un souverain. Sa conversation

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était semée de maximes de la plus haute sagesse politique, et sa conduite porta souvent l'empreinte de l'ineptie. Très jaloux de son autorité, il se laissait cependant conduire par les plus indignes favoris. Il voulait soutenir sa dignité, et il se dégradait sans cesse par une familiarité triviale qu'il prenait pour de l'affabilité. Il était bel esprit, mais pédant ; savant, mais aimant la conversation des ignorants et des gens sans éducation ; laborieux dans les bagatelles, et frivole quand il fallait se livrer à un travail sérieux. Il avait des sentiments religieux, mais ses discours étaient souvent profanes. Naturellement juste et bienfaisant, il ne savait pas réprimer les injustices de ses favoris ou des dépositaires de son pouvoir. Eco­nome, avare même quand il s'agissait de donner de l'argent de sa propre main, il le prodiguait inconsidérément quand il n'était ques­tion que de signer un mandat sur son trésorier. En un mot, les bonnes qualités qu'il faisait paraître dans certaines occasions par­ticulières, étaient sujettes à trop de vicissitudes pour régler sa conduite générale; et ne se montrant que par intervalle, elles ne lui donnaient droit qu'à cette sorte de réputation mixte que lui a faite le duc de Sully, en le définissant le plus sage fou de la chrétienté. Henri IV, tournant en ridicule son pédantisme et sa timidité, l'appelait capitaine ès-arts et clerc aux armes. Il était plus fait, dit un de nos historiens (Raynal), pour être à la tête d'une université que d'un empire (1).

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon