VIème Concile oecuménique 5

Darras tome 16 p. 315

 

30. La huitième actio s'ouvrit avec les formalités ordinaires, le 7 mars. L'empereur dit : « Les très-saints archevêques Georges et Macaire, ainsi que les évêques leurs suffragants, ont à déclarer s'ils admettent la teneur intégrale des lettres dogmatiques envoyées par le très-saint pape Agathon et par son concile. — Très-pieux sei­gneur, répondit Georges, après avoir examiné selon toute leur teneur, irâmp, t% 5uviu.si, les lettres d'Agathon et du concile romain, j'ai trouvé leurs citations entièrement conformes aux textes des pères conservés dans les archives de ce patriarcat ; je les accepte

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donc complètement, amyjà àurac;; je professe et je crois ce qu'elles professent et enseignent, xa! oOtu; ogo).oYw xaî 7k<jteûù>. » Le lecteur vou­dra bien noter cette approbation générale, s'appliquant à tout le contenu des lettres de saint Agathon et du concile romain par Georges de Constantinople. Les termes de la déclaration sont tellement explicites qu'on ne saurait y entrevoir l'ombre d'une réserve ni d'un sous-entendu. Théodore d'Éphèse, interrogé immé­diatement après, restreignit davantage le sens de son approbation. « Je professe et je crois, dit-il, ce que les lettres du très-saint pape Agathon enseignent, savoir, deux volontés et deux opérations en Notre-Seigneur Jésus-Christ. » Sisinnius d'Héraclée en Thrace fut un peu plus large. « En entendant la lecture des lettres du très-saint pape Agathon, dit-il, je n'y ai rien trouvé qui ne fût conforme à la doctrine des pères. Je professe et je crois le dogme de deux volontés et de deux opérations. » — Georges de Cysique, plus expressif encore, dit : «J'accepte tout ce qui est contenu dans les lettres de saint Agathon. Leur doctrine et leur foi sont ma foi et ma doctrine. Dès le jour où elles furent lues dans cette assem­blée, j'eus ce sentiment et je le conserve. » Jean de Chalcédoine mentionna seulement dans son approbation le point dogmatique ; il professa la croyance aux deux volontés et anathématisa le monothélisme. Sisinnius d'Hiérapolis en Phrygie déclara qu'il recevait les lettres d'Agathon et professait leur doctrine. Georges de Byzias en Thrace donna à son approbation un plus grand développement. « Je professe, dit-il, les deux volontés et les deux opérations natu­relles en Jésus-Christ, je reçois les lettres du très-saint pape Aga­thon et je les adopte en tout, xaî iv xàaiv àxo).o'.i!)û àu-raïç. » Grégoire de Mitylène, André de Méthymne, Sergius de Sélimbric s'expri­mèrent en termes analogues. Domitius de Prusias accentua avec plus d'énergie encore son approbation : « Les lettres du pape Agathon notre père, dit-il, sont à mes yeux dictées par l'Esprit-Saint. Je les accepte comme émanées de la bouche de Pierre prince des apôtres ; je les reçois et j'en admets toute la doctrine. » Genesius d'Anastasiopolis se contenta de dire : «Selon la teneur des lettres pontificales, je crois et professe deux  volontés et deux

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opérations naturelles en Jésus-Christ. » Théodore de Mélitène en Arménie, interrogé à son tour, quitta son rang, et venant au milieu de l'assemblée, il dit à Constantin: «Seigneur, je n'ai aucune préten­tion à la science. Je suis un homme des champs. Mais je demande qu'on veuille bien lire cet écrit. » —En même temps, il présentait un parchemin dont le secrétaire impérial, le magnifique Jean, donna lecture. En voici la substance : «Les deux partis invoquent chacunde leur côté le témoignage des saints pères. Cependant il est positif que les conciles généraux n'ont point défini le terme numérique de une ou deux volontés et opérations en Jésus-Christ. Ils établissent seu­lement le principe des deux natures dans une seule personne. Il faudrait s'en tenir là, et ne condamner ni ceux qui ont soutenu l'opi­nion d'une seule volonté ni leurs adversaires. » — Après cette lec­ture, Constantin s'adressant à Théodore : « Le vénérable évêque de Mélitène, dit-il, veut-il nous faire connaître ceux qui ont pris part avec lui à la rédaction de cette pièce?» — Théodore nomma aussitôt Pierre de Nicomédie, Salomon de Clanée, Antoine d'Hypœpe, le diacre et archiviste Georges, le diacre et notaire Anas­tase, le diacre et chancelier Etienne, les archimandrites Anastase de Constantinople et Etienne d'Antioche. On se trouvait donc en face d'une vigoureuse opposition organisée au sein même des suffragants du patriarcat byzantin, comptant des fauteurs parmi les clercs et les moines de Constantinople, ayant sous la main l'archi­viste officiel et un notaire ; chose grave et menaçante pour l'inté­grité des procédures et l'authenticité des pièces. L'empereur ne parut pas fort satisfait de cette découverte, autant du moins qu'on le peut conjecturer par la forme assez brève de la seconde interro­gation : «Qui vous a remis cette pièce?» dit-il à Théodore. L'évêque de Mélitène, désignant du doigt l'archimandrite d'Antioche, Etienne, qui se tenait debout derrière le siège occupé par le patriarche Macaire : « C'est lui, » répondit-il. — Avant de prononcer sur l'inci­dent, Constantin fit continuer l'opération du vote, si inopinément interrompue. Georges évêque de Camuliana en Cappadoce et Platon évêque de Cinna dans la Galatie Ire déclarèrent accepter tout le contenu des lettres pontificales. Théodore évêque de Vérissa en

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Arménie exprima le même sentiment. « Je reçois, dit-il, les lettres de notre père Agathon pape de l'antique Rome. De science certaine j'accepte les citations des pères qui y sont contenues. Je crois ce qu'il croit et je professe en Jésus-Christ deux volontés et deux opérations naturelles. » Cette franche et nette déclaration souleva l'enthousiasme des autres suffragants du patriarcat byzantin. En­semble, tant ceux qui avaient déjà voté individuellement que ceux qui n'avaient point encore donné leur voix se levèrent, et tous s'adressant à l'empereur : « Nous aussi, très-pieux prince, dirent-ils, nous adhérons pleinement aux lettres du très-saint et trois fois bienheureux pape Agathon et à celles du concile romain. Nous les acceptons dans toute leur teneur et force, xaî t^ h àviat; êpupepopivin ouvâiiEi ëuéfievoi; nos sentiments y sont conformes; nous confessons et croyons deux volontés et deux opérations naturelles en Jésus-Christ; nous anathématisons tous ceux qui ont enseigné ou ensei­gnent qu'il n'y a qu'une seule volonté, une seule opération dans les deux natures du Christ notre Dieu 1. »


   31. Ce vote par acclamation, précédé des suffrages conformes individuellement exprimés, tranchait les positions au sein de l'assemblée. Ceux des évêques qui venaient d'y prendre part relevaient tous du patriarcat de Constantinople. Sur les cinquante pères dont le concile se composait, ils formaient un total de vingt-six voix, lesquelles ajoutées à celles des onze membres de la députation romaine et des deux prêtres délégués d'Alexandrie et de Jérusalem, portaient au chiffre de trente-neuf la majorité orthodoxe. Restait donc y compris Macaire, onze membres sur lesquels ce patriarche comptait encore, savoir, outre les six qui, d'après l'affirmation de Théodore de Mélitène, niaient l'opportunité d'une décision, quatre autres suffragants du patriarcat d'Antioche, les seuls arrivés jus­qu'alors, Macrobe de Séleucie, Eulalius de Zénonopolis, Constantin de Dalisande et Théodore d'Olba dont on n'avait pas recueilli les suffrages. Comme on le verra bientôt, les espérances que Macaire pouvait fonder sur le concours de ces quatre évêques étaient illu-

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1. Labbé, tom. VI, col. 725-736.

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soires. Du reste, l'infériorité numérique des suffragants d'Antiocbe relativement à ceux de Constantinople, ne devait pas elle-même durer longtemps. Quelques semaines après, de nouveaux membres arrivèrent par groupes successifs, la relation numérique changea en sens inverse et produisit dans le concile une déviation con­sidérable. Pour le moment, trente-neuf pères sur cinquante venaient d'adopter, pour le fond comme pour la forme et dans toute sa teneur, le tomus dogmaticus de saint Agathon. Il restait donc soit à convaincre les opposants, si leur intelligence et leur cœur s'ouvraient à la vérité, soit à les retrancher de la commu­nion catholique, s'ils persistaient dans une obstination coupable. La séance continua dans cette voie. Une motion adressée à l'em­pereur se produisit immédiatement en ces termes : « S'il plaît à votre piété, Théodore de Mélitène, et ceux qu'il a désignés comme ses adhérents, seront de suite appelés à rendre compte de leurs sentiments. — Qu'il soit fait ainsi que le demande le saint synode, » répondit Constantin. — Aussitôt Pierre de Nicomédie, Salomon de Clanée, Antoine d'Hypœpe, le diacre et archiviste Georges, le diacre et notaire Anastase, le diacre et chancelier Etienne, l'ar­chimandrite byzantin Anastase vinrent se placer debout au milieu de la salle. A l'exception de l'archimandrite d'Antioche Etienne, le disciple obstiné de Macaire, c'étaient tous ceux que l'évêque de Mélitène avait désignés. Tous ensemble, évêques et clercs, ils dirent : « Théodore évêque de Mélitène a menti et nous a calomniés, mentitus est adversus nos, l^eOsavo xa6' +,\lS>i. C'est à notre insu qu'a été rédigée la pièce remise par lui au très-pieux empereur notre maître. Nous sommes prêts à confesser la foi orthodoxe.» Ce démenti était-il aussi vrai qu'il fut retentissant? Nous ne pouvons le savoir. L'assemblée ne l'accueillit qu'avec réserve. « Le très-pieux empe­reur et le saint synode, ajoutent les actes, dirent aux inculpés : La suspicion dont vous êtes l'objet ne nous permet point d'accepter comme suffisante une déclaration verbale. Vous devrez donc, à la prochaine session, nous remettre une profession de foi écrite et signée, dont vous jurerez la vérité sur le livre des saints Évangiles. » L'incident ainsi terminé dut faire évanouir les dernières espérances

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de Macaire et de son disciple Etienne. Ce dernier n'avait ni expliqué sa conduite, ni désavoué sa participation à la démarche de l'évêque de Mélitène. L'ordre logique appelait donc l'assemblée à statuer définitivement sur le maître et sur le disciple. On allait y procéder lorsque le patriarche Georges de Constantinople ouvrit un second in­cident, et présenta à l'empereur une requête que celui-ci ne pouvait manquer d'accueillir. Le lecteur n'a point oublié que, dans sa lettre au pape, Constantin se plaignait de la pression exercée sur lui par l'ex-patriarche Théodore et par Macaire à l'effet d'obtenir la radia­tion du nom de saint Vitalien sur les diptyques de l'église de Byzance. Ainsi que nous l'avons dit, l'empereur résista longtemps à cette mesure, en reconnaissance des services que lui avait rendus saint Vitalien lors de l'expédition de Sicile. A la fin pourtant il céda, et la radiation eut lieu. Georges, s'avançant au milieu de l'assemblée, réclama le rétablissement immédiat du nom de Vitalien sur les diptyques. « Qu'il soit fait, répondit l'empereur, selon la requête du très-saint patriarche de notre impériale cité. » A ces mots, le saint synode, d'une voix unanime, fit entendre des acclamations mille fois répétées. «Longues années à Constantin , à l'empereur orthodoxe, au défenseur de la vraie foi, au nouveau Constantin, au nouveau Théodose, au nouveau Marcien, au nouveau Justinien ! Longues années au pape orthodoxe de Rome Agathon ! Longues années à Georges patriarche orthodoxe ! Longues années au sénat orthodoxe1 ! » Par ces transports de reconnaissance et de joie, le VIe concile général saluait le rétablissement de la communion avec le saint-siége et la fin du schisme monothélite.


   32. Quand l'explosion fut calmée, le saint synode dit à l’empereur : « Si votre piété le juge opportun, il conviendrait d'interro­ger le vénérable archevêque d'Antioche, Macaire, sur les points suivants : Croit-il aux deux volontés et opérations naturelles en Jésus-Christ? Reçoit-il les lettres adressées à votre majesté par notre père Agathon, le très-saint pape de Rome? Admet-il les cita­tions des pères qui y sont contenues ? — Le vénérable Macaire

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1 Labbe, tooi. VI, col. 736-739.

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vient d'entendre les vœux du concile, dit l'empereur. Qu'il expose son sentiment. » —Macaire, de sa place, répondit sans hésiter : «Je ne reconnais en Jésus-Christ ni deux volontés ni deux opérations, mais une seule volonté, une seule opération théandrique. » — Les pères du concile dirent alors : « Puisque le vénérable Macaire rejette les lettres orthodoxes du très-saint pape Agathon, telles qu'elles ont été lues dans cette assemblée, telles que nous les rece­vons avec joie et reconnaissance, nous demandons que le patriar­che quitte son trône, et vienne au milieu de l'assemblée répondre à un interrogatoire canonique. » — En ce momentles quatre suffragants d'Antioche : Macrobe de Séleucie, Eulalius de Zénonopolis, Constantin de Dalisande et Théodore d'Olba, protestant contre l'atti­tude de leur patriarche, sans attendre l'interrogation individuelle qui ne leur avait pas encore été adressée, se levèrent ensemble. L'un après l'autre ils professèrent la doctrine des deux volontés et deux opérations, recevant les lettres du très-saint pape de Rome, les tenant, disaient-ils, en même vénération que les définitions de Chalcédoine et le tomus dogmaticus de Léon le Grand. Après cette pro­fession solennelle d'orthodoxie, Macaire restait seul avec son dis­ciple l'archimandrite Etienne. Il ne parut ni plus déconcerté par son isolement, ni moins obstiné dans son erreur. Constantin, pour éta­blir un ordre régulier dans la procédure, émit la proposition
d'examiner les volumes précédemment scellés, dans lesquels Ma­caire avait réuni les citations des pères en faveur de son système théologique. Le secrétaire impérial, Photinus, apporta les volumes, Macaire en reconnut les sceaux qu'il déclara intacts, et Constantin s'adressant à la fois au patriarche et à l'archimandrite : «Dans quel but avez-vous fait cette collection? dit-il. — Pour démontrer, répon­dit Macaire, qu'il n'y a qu'une volonté en Jésus-Christ, la même volonté qui est celle du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Telle est, ajouta-t-il, la foi dont j'ai précédemment remis à l'empereur une formule détaillée. C'est la foi de tous les conciles généraux, c'est la foi du pape Honorius inspiré de Dieu, c'est la foi des patriarches de Constantinople Sergius, Paul, Pierre, et des autres docteurs dont les témoignages sont cités dans ce recueil.» Macaire venait de faire
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allusion à une profession de foi détaillée, écrite par lui et remise entre les mains de l'empereur. Constantin en fit donner lecture par le secrétaire impérial Diogène. Ce document fort long était inti­tulé :   "Exthèsis (un nom malheureux) « Ecthèse ou profession de foi de Macaire. »Le patriarche y maintenait l'unité de volonté et d'opération, pour ne pas, disait-il, diviser le Christ en deux per­sonnes, et tomber ainsi dans le nestorianisme. De ce que toutes les actions divines et humaines en Jésus-Christ avaient pour auteur une personne unique, il concluait que l'action ou opération était unique elle-même. Ce n'est pas comme Dieu que le Christ a opéré divine­ment, ni comme homme humainement, mais en vertu d'une seule opération théandrique commune aux deux natures. Après avoir compendieusement développé ce thème, jadis si éloquemment ré­futé par la dialectique de saint Maxime, le patriarche finissait par anathématiser ce grand homme comme l'un des plus dangereux fau­teurs du nestorianisme. Il reproduisait les fameux éloges tant de fois prodigués par les monothélites à Honorius. « Ce pape, disait-il, de concert avec Sergius et Cyrus a flétri le dogme impie de la division dans le Christ, » et il associait dans le même concert de louanges l'empereur Heraclius de pieuse mémoire, « cet héroïque défenseur de l'orthodoxie, disait-il, qui dans sa légitime indignation condamna l'hérésie des Maximiens. » On nous permettra de faire observer ici que saint Maxime, le fléau du monothélisme, le martyr de la vérité, traité d'hérétique par l'hérésiarque Macaire, devait mieux savoir que ce dernier si le pape Honorius son contemporain était oui ou non monothélite. Or saint Maxime appelait ce pape le «divin Honorius. » Saint Maxime attestait qu'Honorius avait épuisé tous les efforts de son zèle et de sa sollicitude pontificale pour extirper le monothé­lisme en Orient. Entre l'affirmation de saint Maxime et celle de Macaire, quelle conscience impartiale pourrait hésiter? Après la lecture de cette ecthèse nouvelle, l'empereur demanda au patriarche s'il persévérait dans les mêmes sentiments. «Oui, répondit-il. — "Voulez-vous, dirent les pères, professer avec nous deux opérations et deux volontés? — Non, dût-on me couper en morceaux ou me jeter à la mer, je ne le ferai jamais ! » Constantin laissa passer ces

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énergiques réponses d'un esprit orgueilleux et dévoyé, sans mani­fester la moindre impatience. « Qu'on ouvre, dit-il, le premier volume des textes présentés par le vénérable Macaire archevêque d'Antioche, afin de collationner les citations sur les codices authen­tiques des pères, ainsi que l'ont proposé les légats du siège apostolique. Le diacre et archiviste Georges apportera de la bibliothèque patriarcale les ouvrages dont il pourrait être be­soin. » Cet archiviste Georges était le même que Théodore de Mélitène, bientôt démenti du reste, avait nommé parmi ses complices. Il produisit d'abord un exemplaire des œuvres de saint Athanase, et le remit au patrice Pierre, qui fut chargé de contrôler une citation empruntée par Macaire à ce grand docteur 1. Vérification faite, il se trouva que le patriarche d'Antioche avait tronqué le passage aux trois endroits les plus importants comme doctrine. « Le véné­rable Macaire voudrait-il nous dire, demanda l'empereur, pourquoi il a supprimé ainsi des paroles qui déterminaient le vrai sens de saint Athanase? — Je n'ai pris dans ce passage que ce dont j'avais besoin, répondit le patriarche. » — La seconde citation, tirée du même ouvrage de saint Athanase, portait en propres termes : « Le Verbe, créateur du premier homme, pour sauver l'humanité, a ressuscité dans l'incarnation la forme primitive d'Adam, c'est-à-dire qu'il a pris une chair qui n'avait ni les appétits ni les con­cupiscences charnels, car sa volonté était uniquement celle de la divinité , -t fàp 63.r,<7tç 6eôT»]To; (jlôvt,? » On remarquera que ce texte isolé de saint Athanase est exactement conforme à celui d'Honorius, dans les fameuses lettres de ce pape au patriarche Sergius. Saint Athanase, de même qu'Honorius, opposait ici une fin de non recevoir à l'opinion erronée qui voudrait établir le dualisme de l'esprit et de la chair dans la personne du Verbe incarné. Honorius et Athanase emploient une expres­sion identique ; le premier dit ïv UXtulx; le second : eo.risiç eeônyre; liôvTK. Les termes £v et u6vr,ç sont donc en apparence favorables au

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1    Ce passage était extrait du traité de saint Athanase contra Apollinarem,
lib. II, cap. i et H ; Pair, grœc, tom. xxvi, coi. 1131.

2    Contr. Apollinar., lib. II, cap. IX et x ; Pair, grcec, tom. cit., col. 1148.

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monothélisme. Mais, ainsi que les pères le firent remarquer, l'expres­sion seule, non le sens réel, s'adaptait à l'opinion de Macaire. Le con­texte établissait dans son intégrité la doctrine orthodoxe du docteur alexandrin. « Le saint synode en effet, ajoutent les actes, s'adressant à l'empereur: Très-bienveillant prince, dit-il, voici encore que Macaire a tronqué les paroles d'Athanase. Qu'on achève de lire dans les œuvres de ce père le paragraphe mutilé. » On reprit donc la lecture, et on trouva les paroles suivantes : « Le nou­vel Adam, Jésus-Christ, a possédé tout ce que possédait l'ancien avant sa chute, par conséquent une volonté humaine sans la concupiscence, et c'est ainsi que la pure justice de la divinité a pu se manifester en lui. » Le recueil de Macaire et d'Etienne avait tout naturellement supprimé ces paroles significatives. L'assemblée commençait à s'indigner de tant de supercheries. « Vous avez donc encore tronqué ce passage! dit le synode à Macaire. Un tel procédé est indigne des orthodoxes; c'est le propre des hérétiques de muti­ler le texte des pères. — J'ai déjà dit, riposta le patriarche, que dans chaque auteur j'avais pris uniquement ce qui me convenait. » — A ces mots, une exclamation indignée sortit de toutes les bouches. « Il vient de se proclamer lui-même hérétique, dit le concile. Anathème au nouveau Dioscore! Qu'il soit déposé. Chassez le Dioscore. Malédiction sur le nouvel Apollinaire. Il ne saurait être plus long­temps évêque. Qu'on lui arrache le pallium 1. » Il fut fait ainsi, ajoutent les actes, et le patriarche dépouillé demeura debout au milieu de l'assemblée, avec son disciple l'archimandrite Etienne. » On se rappelle que le Liber Pontificalis, plus explicite en ce point, nous donne le nom de Basile évêque de Gortyne en Crète, lequel sur l'ordre collectif de l'empereur et de l'assemblée, arracha le pallium des épaules de l'hérésiarque.

 

33. Un dernier effort fut tenté pour ramener à l'orthodoxie ce génie inflexible. Le vénérable Théophane, abbé du monastère sici­lien de Baïa, l'un des membres de la députation latine, s'adressant à Macaire et à son disciple, leur posa cette question : « Admettez-

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1.  Labbe, tom. VI, col. 740-759.

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vous que Notre-Seigneur Jésus-Christ ait eu une volonté humaine, mais impeccable? — Nous ne reconnaissons point de volonté hu­maine en Jésus-Christ, dirent-ils. Il n'eut qu'une volonté divine sans les volontés charnelles, sans les pensées humaines. C'est le mot déjà cité de saint Athanase, si ràp durais OeôTïitoç (jlôvtiî. — Mais, reprit Théophane, qu'entendez-vous par « volontés charnelles » et par « pensées humaines ?» — Nous entendons, dirent-ils, les vo­lontés et pensées telles que nous les avons, nous autres hommes. Or, le Christ n'en eut point de semblables. » On pouvait croire que Macaire et son disciple s'obstinaient à confondre, par une dé­plorable équivoque, la concupiscence suite du péché originel avec la volonté humaine pure et inclinée au bien, privilège d'Adam avant la. déchéance. Théophane essaya de leur faire com­prendre cette distinction. « Le mot d'Athanase que vous détachez de son contexte, dit-il, est suivi immédiatement d'une explication dans laquelle ce saint docteur établit qu'il entend par « volontés charnelles et pensées humaines » les appétits et les instincts de la concupiscence. Or, je dis, moi aussi, que Notre-Seigneur n'a point eu la concupiscence humaine, à Dieu ne plaise ! Mais il eut la volonté naturelle que Dieu donna à Adam avant le péché. Admet­tez-vous qu'Adam fut doué d'une âme raisonnable?— Oui, répon­dirent-ils. — Donc, reprit Théophane, il eut une volonté naturelle. — Ne dites pas naturelle, riposta l'archimandrite Etienne, mais seulement libre, car avant la prévarication Adam partageait la volonté divine, il était amW.r\zfii (convoluntarius, d'une même volonté) avec Dieu. » — A ces mots, Domitius évêque de Prusias intervînt : «Voyez à quelle absurdité vous mènerait ce système impie, dit-il. Si Adam eût été cvv8efoyuri; avec Dieu, avec Dieu aussi il eût été concréateur ! » Les trois légats apostoliques prirent la parole. « Si Adam avant la chute avait eu la volonté divine, dirent-ils, Adam aurait été consubstantiel à Dieu, et dès lors sa volonté enracinée dans l'immutabilité divine eût été immuable elle-même et inconvertible. Comment donc Adam a-t-il pu changer depuis, transgresser la loi, succomber à la mort? Le sunthélètès entraîne le consubstantiel. C'est le mot de saint Cyrille: é3ïadest consubstantialis, Ha et convoluntarius proprio genitori.n

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Théophane insistant de nouveau demanda aux deux hérétiques : «Maintenant ne reconnaissez-vous pas qu'Adam eut une volonté natu­relle?— Non, répondirent-ils, mais seulement une volonté libre. » Il n'y eut pas moyen d'ébranler leur conviction. Vainement Théophane leur cita des passages décisifs de saint Athanase et de saint Augus­tin, établissant qu'avant la chute Adam jouissait de la volonté hu­maine sans la concupiscence. Enfin le concile termina la discussion en ces termes : « Il est clair comme le jour, et les textes cités par Théophane le démontrent, qu'Adam innocent avait la volonté hu­maine. Or le second Adam, Jésus-Christ Notre-Seigneur, s'étant fait en tout semblable au premier moins le péché, il s'ensuit qu'il eut comme homme la volonté humaine. Comme Dieu il avait cer­tainement la volonté divine. Donc, tous les orthodoxes sont obligés de reconnaître en lui deux volontés naturelles divine et humaine. » Après cette déclaration de principes, on reprit l'examen des textes composant le premier volume de la collection de Macaire et d'Etienne. Deux passages de saint Ambroise, un texte emprunté au traité de Divinis nominibus de saint Denys l'Aréopagite, et un extrait de saint Chrysostome furent successivement vérifiés. On constata que les paroles citées en faveur du monothélisme étaient sépa­rées de leur contexte par le procédé habituel de mutilation déjà signalé. Après quoi, l'empereur leva la séance, en disant : « Il suffit pour ce jour. A la prochaine session, l'examen du libellus de Macaire sera continué 1. »

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