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34. La mort de l'impératrice ne détourna qu'un instant Justinien de ses préoccupations théologiques. Il accablait le pape de récri- minations et d'instances. Vigilius lui répétait sans cesse que la question de foi était distincte de celle des personnes; qu'on ne pouvait les confondre sans attaquer directement le concile de Chalcédoine, et par conséquent inaugurer dans l'Église un véritable schisme. L'empereur répondait que les ouvrages incriminés de Théodore de Mopsueste, Ibas et Théodoret étaient intrinsèquement condamnables et que dès lors il fallait les condamner. « Oui, disait Vigilius, lorsque ces ouvrages auront été l'objet d'un examen canonique, on les condamnera s'ils sont répréhensibles. Mais il faudra toujours réserver la question de personnes, puisque ces personnes sont mortes, l'une avant même le concile de Chalcédoine, et les deux autres depuis que le concile les avait réhabilitées. » Une distinction, qui nous paraît aujourd'hui si équitable, n'entrait point dans l'esprit de Justinien. Toute sa pénétration échouait devant cette pierre d'achoppement. Vigilius réunit les évêques qui se trouvaient alors à Constantinoplc au nombre de soixante-dix, examina avec eux sous le point de vue doctrinal les
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1 Cf. n° 6 de ce chapitre.
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trois Chapitres, et rendit une sentence appelée Judicium, dans laquelle il les condamnait solennellement, mais toutes réserves faites sur la question de personnes, et « sauf l'autorité en toutes choses du concile de Chalcédoine : Salvâ in omnibus reverentiâ synodi Chalcedonensis. » — «Désormais, ajoutait le pape, il ne saurait plus y avoir de confusion. Les livres que nous proscrivons renferment manifestement des erreurs déjà vingt fois condamnées. Mais leurs auteurs sont morts, l'un avant le concile de Chalcédoine, les deux autres après s'être rétractés et après avoir obtenu de ce concile leur réhabilitation. Qu'on cesse donc une querelle désormais inutile et sans but. Nous défendons de renouveler à l'avenir la controverse des trois Chapitres, et enjoignons à tous les fidèles de s'en tenir à notre présente décision, qui est celle du siège apostolique 1. » A la suite de cette mesure, et comme un miséricordieux corollaire, le pape ajoutait que tout le passé devait être oublié. Il rétablissait dans sa communion le patriarche Mennas et les signataires du décret impérial (11 avril 349).
33. C'était bien là en effet le dernier mot de la question doctrinale, et nul depuis ne lui a fait faire un pas en avant. Mais les esprits étaient tellement échauffés que le Judicatum de Vigilius ne satisfit personne. Chose singulière! Les deux premiers dissidents furent les diacres romains Sebastianus et Rusticus. Ce dernier était le propre neveu du pape. Son oncle lui avait fait lire plusieurs fois le rescrit, avant d'en adopter la teneur définitive. Il l'avait complètement approuvé, de même que Sebastianus, et tous deux le transcrivirent de leur main pour en adresser les exemplaires aux métropolitains d'Orient et d'Occident. Sebastianus fit plus encore. En lisant l'acte pontifical devant le clergé et le peuple réunis à Sainte-Sophie, il alla jusqu'à dire que ce « jugement était celui du ciel même. » Cependant quelques semaines après, Rusticus et lui, cédant peut-être à l'influence des eunuques de la cour, firent
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1 Nous n'avons plus le texte intégral du Judicatum. Il fut anéanti dans des circonstances que le lecteur remarquera plus loin. L'analyse sommaire que nous en donnons est empruntée aux histoires contemporaines de Théophane, de Facundus d'Hermias, du diacre Liberatus et de Victor de Tunnone.
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volte-face et écrivirent en leur nom une contre-lettre aux évêques, pour flétrir ce qu'ils appelaient « la grande trahison du pape Vigilius. » Nous avons encore, sous le titre de Disputatio contra Acephalos 1, un traité en forme de dialogue, où Rusticus cherche à démontrer que l'autorité du concile de Chalcédoine suffisait seule pour terminer la controverse, et que la condamnation doctrinale des trois Chapitres était sinon abusive au moins inopportune. On comprend l'effet produit sur le monde catholique par cette résistance émanée de la famille même du pontife. Les protestations se succédèrent rapidement. La plus éclatante fut celle de Facundus d'Hermias2, un évêque africain, non moins célèbre par sa vertu que par son éloquence. Il était alors réfugié à Constantinople, à la suite des invasions et des émeutes de sa province. Fidèle à l'autorité du concile de Chalcédoine, il avait rejeté avec horreur le décret de Justinien. Dès cette époque, il travaillait à une apologie des trois Chapitres. Soit prudence, soit crainte, il ne publia point alors son livre. Mais quand le Judicatum pontifical eut paru, il intervint à son tour, n'épargnant à Vigilius ni les reproches, ni les outrages 3. La Gaule elle-même ressentit le contre-coup de l'agitation universelle. Le bruit s'y répandit que le pape Vigilius, à son arrivée à Constantinople, avait déserté la cause de la foi, et sacrifié l'autorité du concile de Chalcédoine. Dans une lettre adressée à Aurelianus d'Arles, le pape proteste contre ces perfides insinuations. «Non, dit-il, je ne me suis pas écarté un seul instant de la foi orthodoxe, telle que les quatre conciles œcuméniques de Nicée, Constantinople, Éphèse et Chalcédoine l'ont proclamée. La foi du bienheureux Cyrille d'Alexandrie, celle de notre prédécesseur Léon d'illustre mémoire, n'a jamais cessé d'être la nôtre. Nous avons condamné des écrits condamnables; nous avons réprouvé des erreurs déjà flétries avant nous; mais nous avons soigneusement réservé la question de personnes et l'autorité du concile de Chalcédoine. Il vous appartient donc, à vous, frère bien-
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1 Rusticus, Disputât, contr. Acepk.; Patr. lat., tom. LXVII, col. 1167. — 2. Ilerœias était un évêché africain de la Cyzacène. — 3 Facund. llermian., Defensio trium capUulorwn ; Pair, lat., totu. LXVII, col. 527-852.
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aimé, en votre qualité de vicaire apostolique dans les Gaules, de prémunir les évêques et les fidèles de votre pays contre les fausses nouvelles, contre les lettres apocryphes et autres rumeurs calomnieuses qui pourraient arriver jusqu'à eux. « Notre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, tourne autour de nous, cherchant qui dévorer 1. » J'emploie donc les expressions mêmes du docteur des Gentils, saint Paul : « Je vous supplie, frères, de vous tenir en garde contre ceux qui sèment la dissension et fomentent les troubles au sein de l'Église 2. » Lorsque notre fils et seigneur, le très-clément Justinien, jugera à propos, avec l'aide de Dieu qui tient dans sa main le cœur des rois, de nous rendre, ainsi qu'il l'a promis, la liberté de revenir en Occident, nous vous enverrons un légat qui vous instruira de toute notre conduite. Pour le moment, notre fils, le prêtre Anastase, que nous chargeons de cette lettre, vous donnera les explications nécessaires. Nous vous prions en attendant, d'intervenir près du glorieux roi Childebert, notre fils, en faveur de la malheureuse Italie. Nous souhaitons qu'il écrive au roi des Goths pour le conjurer d'épargner la ville de Rome, et de cesser la persécution contre l'Église 3. » Dans une lettre à Valentinien, évêque de Tomi en Scythie, Vigilius renouvelait les mêmes protestations contre les calomnies dont le Judicatum était l'objet 4. Enfin, par un décret solennel qu'il hésita longtemps à publier, «parce que, dit-il, son cœur ne pouvait renoncer à une dernière espérance, » le pape excommunia nominativement son neveu Rusticus et le diacre Sebastianus 5.
30. Mais si le Judicatum pontifical éveillait les défiances des catholiques d'Orient et d'Occident, par la crainte mal fondée qu'il n'affaiblît l'autorité du concile de Chalcédoine, nul ne s'en montrait plus mécontent que Justinien lui-même, précisément à cause de la réserve judicieusement formulée par Vigilius : Salvâ in omnibus reverentiâ synodi Chalcedonensis. Cette clause exaspérait l'empereur. Il eût souhaité une ratification pure et simple
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1 I Peir., v, 8. — s Hom., xvi, 17. — 3 Vigil., Epist. ad Aurelian. Arelat.; Patr. bit,, t. LXIX, col. 40. —4. Vigil., Epist. ad Valentiniun., tom. cit., col. 51. — 5. Vigilius, Epist. ad liustic. et Sébastian., tom. cit., col. 43.
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de son fameux décret. Le Judicatum lui donnait raison pour le fond, mais il voulait avoir raison même dans la forme. Cette folle obstination le poussa à des extrémités tellement en dehors de son caractère, qu'on ne saurait s'empêcher d'y reconnaître la main occulte de Théodore de Gésarée, son mauvais génie. Vigilius épuisait tous les moyens de conciliation, et les voyait échouer l'un après l'autre. Il mit en avant l'idée d'un concile œcuménique où les évêques grecs et latins, réunis sous sa présidence, jugeraient en dernier ressort. « Les évêques de la langue latine ont vu dans la condamnation des trois Chapitres, disait-il à l'empereur, une atteinte portée au concile de Chalcédoine. De votre côté, vous n'admettez pas la réserve qui sauvegarde l'autorité de cette illustre assemblée. Convoquez donc à la fois les évêques d'Orient et ceux d'Occident, ou du moins les principaux métropolitains de ces deux parties du monde. Vous nous laisserez pleine et entière liberté de délibérer canoniquement, et la sentence solennelle terminera ces discussions trop orageuses. » Justinien agréa cette proposition. Au moment où elle lui fut faite, en présence du patriarche Mennas, de l'archevêque de Milan Dacius, et de plusieurs autres évêques grecs et latins, il s'écria : « Voici qui mettra fin à tous les débats. Qu'on expédie les lettres de convocation pour le futur concile. » Le pape, profitant de cette disposition favorable, ajouta : « Puisque le jugement définitif est renvoyé au futur concile œcuménique, il convient dès maintenant d'interdire toute discussion sur la matière. De part et d'autre, on devra donc suspendre les débats. Pour ma part, j'observerai fidèlement cette réserve. Le Judicatum que j'ai porté précédemment vous déplaît. Rendez-moi l'exemplaire que vous avez entre les mains. Je l'anéantirai et il n'y aura plus d'autre sentence que celle de tous les évêques réunis sous ma présidence. » Justinien accepta ; il promit de rester de son côté dans la même réserve, et rendit l'exemplaire du Judicatum qui fut anéanti. C'est grâce à cette circonstance que le texte n'en a point été conservé jusqu'à nous (o31).
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37. Le pape, fidèle à sa promesse, s'abstint complétement, dans l'attente du prochain concile, de rien préjuger sur la question. Il n'en fut pas de même de Justinien. Circonvenu par les intrigues de l'évêque de Césarée, ce prince ordonnait enquête sur enquête pour savoir si le nom de Théodore de Mopsueste avait été maintenu dans les diptyques de cette ville. Un synode de huit évêques, sous la présidence de Jean d'Anazarbe (Justinianopolis), se réunit en vertu d'une lettre spéciale de l'empereur 1, à l'effet d'éclaircir ce point de fait. Une autre épître impériale était adressée pour cet objet à Cosmas évêque de Mopsueste, afin qu'il eût à présenter les diptyques de son église à l'examen de ses collègues 2. Le résultat des investigations fut équivoque. Les archivistes produisirent les anciens exemplaires des diptyques. Sur les uns on trouvait le nom de Théodore, «mais, disaient les archivistes, nous ignorons en quel temps ce Théodore a vécu. » Sur d'autres exemplaires, à la place du nom de Théodore on lisait celui de Cyrille. «Or, reprenaient les archivistes, nous n'avons jamais entendu dire que l'église de Mopsueste ait eu un évêque de ce nom. » Le synode d'Anazarbe, sans se préoccuper d'éclaircir la difficulté historique, envoya le procès-verbal à Justinien, lui laissant le soin d'en user comme il l'entendrait. Le but des eutychéens était d'empêcher à tout prix la réunion du futur concile. En jetant l'empereur dans ces recherches archéologiques, ils espéraient le faire manquer à sa promesse d'abstention, et l'amener à reprendre un rôle agressif. Théodore de Césarée qui conduisait toute cette manœuvre, eut la joie de la voir réussir. Justinien, interprétant à son avantage l'enquête d'Anazarbe, écrivit une nouvelle lettre 3 pour en publier le résultat. Cette lettre fut lue au palais par l'évêque de Césarée, en présence de Vigilius. En vain, le pape protesta contre la violation flagrante des conventions arrêtées
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1 Nous avons encore la lettre de l'empereur Justinien ordonnant à Jean d'Anazarbe de réunir tous les évêques de sa province en synode, et de se faire représenter les diptyques de l'église de Mopsueste, à l'effet de savoir si le nom de Théodore s'y trouvait encore, ou à quelle époque il aurait pu en être effacé. (Justinian., Epist. adJoan. Anaz.; Patr. lut., tom. LXIX, col. 119.)
2. Justinian., Epist. ad Cosm. Mopsuest., ibid. — 3 Justinian., Epist. advers, Iheodor. Mopsuest. propugnatores; Patr. yrœc, tom. LXXXVI, col. 1042.
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de part et d'autre. Le lendemain, Théodore de Césarée affichait lui-même aux portes des principales églises de Constantinople le rescrit impérial (14 juillet 531). Il se terminait par l'ordre d'effacer des diptyques sacrés le nom des auteurs des trois Chapitres et de leurs adhérents. A cet acte d'insolence de l'évêque de Césarée, Vigilius répondit par une sentence de déposition. Nous en avons encore le teste qui fut souscrit par Dacius de Milan, Jean de Marsique, Zachée de Scylla, Valentinus de Sylva-Candida, Florentius de Matellica, Julien de Singidon, Romulus de Numance, Dominique de Calliopolis, Primasius d'Adrumète, Verecundus de Luna, Etienne de Rimini, Paschasius d'Alaternum (Alatri) et Jordanes de Crotone. « Vous Théodore, jadis évêque de Césarée en Cappadoce, disait le pape, jamais depuis votre ordination vous n'avez résidé une seule année dans votre ville épiscopale. Instigateur de tous les troubles qui désolent l'Église, vous êtes resté dans cette capitale de Constantinople pour y semer la division et la zizanie. Enfin, comblant la mesure de vos excès, vous venez d'enfreindre le serment que vous aviez fait entre mes mains. Sans attendre la réunion du futur concile, vous avez publié et affiché un nouveau libelle sur les controverses présentes. II est temps de mettre un terme à vos attentats multipliés. En vertu de l'autorité du bienheureux apôtre Pierre, dont je suis malgré mon indignité le légitime successeur, je vous déclare, vous Théodore, jadis évêque de Césarée en Cappadoce, déposé de toute dignité épiscopale ou sacerdotale, et séparé de la communion catholique1. » (14 août 551.)
38. Cet acte de vigueur irrita tellement Justinien que ce prince ordonna immédiatement d'aller saisir Vigilius et de le jeter dans un cachot. Heureusement Dacius de Milan, et les autres évêques dévoués au pontife avaient prévu l'orage. Le pape s'était réfugié avec eux dans l'église de Saint-Pierre, qui jouissait du droit d'asile. On vint en informer l'empereur. « Mort ou vif, s'écria Justinien, qu'on s'en empare ! » et il envoya un préteur à la tête d'une troupe de soldats cerner la basilique. On vit alors à
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1 Vigil., Fragment, deposil. Theodor. Cœsarea in Cappadoc. episc; Patr. tat., tom. LXIX, col. CO.
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Constantinople une scène de barbarie telle que Rome, envahie par les Goths, n'en avait point eu de semblable. L'épée nue à la main, les gardes prétoriennes entrèrent dans la basilique. Le pontife éperdu se précipita sur les colonnes de l'autel et les tint étroitement embrassées. Les évêques, les prêtres, les diacres, les clercs furent renversés par la soldatesque, traînés par les cheveux et emmenés captifs. Vigilius, de ses mains convulsives, serrait tellement les colonnes sacrées qu'il les ébranla. En ce moment, les satellites impériaux se ruèrent sur le pontife, le tirant par la barbe et les cheveux, l'accablant d'outrages. « Vous pouvez me réduire en captivité, s'écriait le pontife, mais vous n'enchaînerez pas le bienheureux apôtre Pierre ! » Cependant quelques-unes des colonnes de l'autel se rompirent. Le pape allait être écrasé sous les débris. A ce spectacle de brutalité sauvage, le peuple et quelques soldats même intervinrent : le préteur, craignant une sédition, fit retirer sa troupe. Justinien, prévenu du mouvement populaire, se hâta de faire porter au pontife l'expression de ses regrets pour ce qu'il appelait un malentendu. Il lui promettait que sa personne et sa vie seraient à l'avenir mieux protégées. Les mêmes assurances étaient données à Dacius, qui avait en cette circonstance partagé tous les périls du pape. Sur la foi de ces protestations réitérées, Vigilius consentit à quitter la basilique, et rentra au palais de Placidie, où jusque-là il avait eu sa résidence. Mais il s'y vit bientôt retenu dans une étroite captivité. Des gardes se tenaient à chaque issue, et empêchaient toute communication avec le pontife. L'avant-veille de Noël (23 décembre 551), Vigilius, au péril de sa vie, réussit à s'évader durant la nuit. Il franchit la muraille de clôture sans être aperçu par les sentinelles, monta sur une petite barque qui le conduisit à Chalcédoine, où il se réfugia dans la basilique de Sainte-Euphémie 1. Dacius et quelques autres évêques fidèles vinrent bientôt l'y rejoindre.
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1 Le lecteur se rappellera ce que nous avons dit précédemment, au sujet de la notice du Liber Ponlificalis relative au pape Vigilius. L'auteur de cette notice confond la basilique de Saint-Pierre de Constantinople avec celle de Sainte-Euphémie de Chalcédoine. Il attribue à l'impératrice Théodora des
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39. Les scènes de violence, les outrages dont le pape était victime, produisirent dans le monde catholique une impression d'horreur contre Justinien. Ce prince entretenait à cette époque des relations suivies avec le roi mérovingien Théodebert, dans le but de s'assurer son alliance contre Totila et les Goths d'Italie. Des ambassadeurs francs, envoyés à Constantinople pour cette négociation, furent chargés de faire cesser la persécution dirigée contre le pontife, et de s'exprimer nettement à l'empereur sur ce triste sujet 1. Justinien n'avait pas attendu leur arrivée pour essayer de calmer les justes ressentiments du pape et le déterminer à revenir à Constantinople. Le dimanche des calendes de février (1er février 532), six des plus illustres personnages de la cour reçurent l'ordre de se transporter à Chalcédoine ; c'étaient Bélisaire, le vainqueur des Vandales et des Goths, l'ex-consul Cethegus, Pierre maître des milices, le curopalate Justin et le questeur Marcellinus. Ils se présentèrent devant le pontife, le conjurant de rentrer à Constantinople, et s'offrant de jurer sur les saints Évangiles qu'on n'attenterait plus à sa liberté. « Ce n'est point par des considérations de sécurité personnelle que je suis venu me réfugier dans cette basilique de Sainte-Euphémie, répondit le pape. J'ai voulu mettre fin au scandale qui afflige la catholicité. Je n'ai donc pas besoin du serment que vous me proposez. Si le très-pieux empereur est déterminé à imiter l'exemple de son oncle Justin d'heureuse mémoire, s'il rend la paix à l'Église, je quitterai immédiatement cet asile et je retournerai à Constantinople. Autrement, non. » Les envoyés impériaux ne purent obtenir d'autre réponse. Quatre jours après, une encyclique datée des nones de février (5 février 532) et adressée par le pontife à l'Église universelle [ad universam Ecclesiam), portait à la connaissance de tous les
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faits qui sont uniquement à la charge de Justinien. Enfin il commet involontairement toutes les inexactitudes de détail qu'un historien tel qu'Anastase le Bibliothécaire aurait évitées, mais dans lesquelles un romain, contemporain de Vigilius, sans communications aucunes avec l'Orient, devait nécessairement tomber.
1 Epistola legatis Francorum Constantinopolim proficiscentibus ab ltaliœ de-ricis directa ; Patr. lat., tom. LX1X, col. 114.
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évêques et de tous les fidèles la série des lamentables événements dont Byzance venait d'être le théâtre. « C'est au bienheureux Pierre apôtre que Jésus-Christ a confié le ministère pastoral, disait Vigilius. C'est à Pierre et à ses successeurs qu'il appartient de « paître les brebis, » de condamner les erreurs, de frapper avec les armes spirituelles, et de maintenir l'intégrité de la vraie foi. Nous ne faillirons point à ce devoir de notre charge. Aucune considération ne saurait nous en détourner. Le soin de nos parents, de nos proches, de nos amis, toute la puissance du très-pieux empereur lui-même, ne nous empêcheront pas de sauver notre âme, fût-ce en nous dévouant à la mort 1. » Étonnés de la fermeté de Vigilius, l'évêque de Césarée et les autres eutychéens se virent dans la nécessité de faire un acte de soumission. Peut-être y furent-ils contraints par l'empereur lui-même, désireux de mettre fin à un éclat qui nuisait aux desseins de sa politique extérieure. Quoi qu'il en soit, un acte de soumission absolue au pape, à son autorité doctrinale et administrative, fut rédigé par le patriarche Mennas. Tous les évêques présents à Constantinople, Théodore de Césarée lui-même, le souscrivirent. « Nous déclarons nul et non avenu, disaient-ils, le dernier formulaire concernant les trois Chapitres, rédigé en opposition avec les ordres de votre béatitude. Nous déplorons les outrages faits à votre personne et au siège apostolique. Bien que nous soyions personnellement étrangers à ces violences, nous en demandons pardon à votre béatitude, comme si nous les avions commises nous-mêmes. Ceux d'entre nous que votre béatitude a naguère suspendus et même séparés de sa communion, implorent votre clémence. Enfin nous jurons de n'avoir d'autre foi que celle des quatre conciles œcuméniques, jadis présidés par les légats du saint-siége2. » Cet acte fut apporté au pape et lu publiquement par les signataires eux-mêmes dans la basilique de Sainte-Euphémie. Vigilius accepta ces protestations, rétablit Théodore de Césarée dans la communion du saint-siége et consentit à revenir à Constantinople (mai 552).
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1 Vigil., Encyclica ad univers, ecc'es.; Pair, lat., tom. LXIX, col. 53-59. —2. Professio fidei fada ad Sanclœ Euphemiœ lemplum; Patr. lat., tom. LXIX, col. G7.