Pascal II et Henri IV 17

Darras tome 25 p. 470

 

   68. Ces deux lettres, si artificieusement combinées, furent soumises à une épreuve qui nous dispense de relever chacun des mensonges historiques qu’elles contiennent et de répondre de nouveau à leurs calomnieuses imputations. L'immense majorité, pour ne pas dire l'universalité des princes qui avaient assisté à la diète de Mayence et pris part à la conférence d'Ingelheim se trouvaient réunis au camp du jeune roi sous les murs de Cologne. C'est le pseudo-empereur lui-même qui en fait la remarque : « Vous y étiez presque tous, dit-il, et grand nombre d'entre vous semblaient mani-

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1. Ekkeard. Uraug., Chrome, Patr. la/., tom. CLIV, col. 1010.

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tester un sentiment de douleur et d'affliction 1. » Les princes ainsi interpellés savaient donc très-exactement ce qui s'était passé à la diète et à la conférence; ils le savaient non-seulement comme té­moins mais comme acteurs ; ils avaient conscience de leur attitude et de leurs actes, de la légalité ou de l'illégalité de la procédure suivie et de la sentence prononcée par eux. Ils savaient si la douleur et la tristesse que l'ex-empereur avait cru lire sur le visage de quel­ques-uns d'entre eux était autre chose que le sentiment naturel de commisération que tout juge peut éprouver, en appliquant les sé­vérités de la justice et des lois à un grand et jadis auguste criminel. Ils savaient de même tout le détail des conférences de Bingen entre le pseudo-empereur et son fils; ils savaient la vérité sur les préten­dues tortures, les menaces de mort, les souffrances barbares infli­gées au soi-disant captif de Bœckelheim. Et non-seulement eux, mais tous les seigneurs, tous les chevaliers leurs vassaux, et l'im­mense multitude de catholiques qui les avaient escortés à la diète de Mayence, possédaient sur chacun de ces faits les notions les plus précises. Enfin tout le peuple des provinces germaniques en avait été informé par les proclamations du jeune roi. C'est encore le pseudo-empereur qui nous apprend cette particularité dans sa lettre à saint Hugues, qu'il termine par ces paroles : « Mon fils envoie partout des circulaires déclarant que j'ai spontanément renoncé à tous mes droits souverains; sache votre sainteté que le fait est absolu­ment faux 2. » L'heure était venue de confronter solennellement les allégations diamétralement opposées du pseudo-empereur et de son fils, jamais peut-être dans toute la suite de l'histoire on ne trouverait l'exemple d'une pareille contre-épreuve. Cependant le jeune roi n'hésita point. Malgré l'insuccès actuel de ses armes et les découragements de l'heure présente, il saisit cette occasion unique de soumettre de nouveau la cause à la sanction des mêmes juges qui  l'avaient tranchée une première fois en sa faveur.

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1   « Ubi cum ferme omnes essetis, magna pars vestrivisa est dolere et tristari.»

2   «Praeterea eonquerimus pietati tuœquod films nosterlitteris suismaudat uni­que regalia ouinia sponte nos reddidisse, quoduoverit sanctitas tua oninino verum non esse. » (Henrie IV, Epist. ad Hugon. Cluniac. Pair, lai., t. CLIX,

col. 937.

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   « Il fît lire devant toute la multitude, dit Ekkéard, la double missive de son père, aussi bien la première qui lui était personnellement adressée, que la seconde, spécialement destinée aux évêques, princes et seigneurs 1. » Pour risquer une pa­reille démarche et affronter une pareille publicité, il fallait que les impostures exposées dans les lettres du césar déchu fussent de notoriété universelle au sein de l'armée catholique. En effet, loin de provoquer la moindre adhésion au parti du pseudo-empe­reur, cette lecture valut au jeune roi d'unanimes protestations de fidélité 5. « Par le conseil des princes, dit Ekkéard, un mani­feste collectif fut rédigé en réponse au double message venu de Liège; l'archevêque de Magdebourg en donna publiquement lec­ture. Il était conçu en ces termes : «Depuis quarante ans, le schisme a désolé l'empire romain, bouleversé et presque anéanti toutes les lois divines et humaines. A force de massacres et d'assassinats, de sacrilèges et de parjures, de pillages et d'incendies, il a réduit notre royaume en une vaste solitude, et lui a imposé l'apostasie presque universelle de la foi catholique, une sorte de retour au paganisme. Enfin, après tant de désastres, Dieu a jeté un regard de clémence sur son Église. Nous, les fils de cette épouse du Christ, par la grâce de l'Esprit-Saint nous sommes venus à résipiscence ; d'un cœur una­nime, nous sommes rentrés dans l'unité de la foi. Par zèle pour Dieu, par obéissance aux lois apostoliques, nous avons prononcé une sentence de déposition contre le chef incorrigible de tant de schismes, Henri soi-disant empereur, et avons élu pour nous gouverner un roi vraiment catholique, bien que fils de cet apos-

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1    « Post lectas coram multitudine tam has quam alias litteras, filii personœ
spécialité!' directas.» (Ekkéard. Uraug., C/ironic, Pair, lai., t. CL1V, col. 1010). 

Nous avons déjà dit que le chroniqueur s'est borné à reproduire le texte de la lettre aux princes, et ne donne pas celui de la lettre au jeune roi. Il se con­tente de faire l'observation que les deux messages étaient rédigés dans le même sens : Parum vérins, nihil autem sensu vil intentions dissonante

2    M. de Montalembert ne parait pas avoir remarqué le fait si important de la lecture publique, coram multitudine, des deux lettres adressées par Henri IV à son fils et aux princes germains, campés sous les murs de Cologne. Il semble croire que la seule pièce dont il fut alors donné connaissance à l'armée ait été la réponse du jeune roi et des princes au double message. (Cf. Moines d'Occi­dent, tom. VII, p. 376.)

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tat. Cette élection marquait la fin du régne du père. Ce der­nier le comprit. Il se présenta devant nous, et de sa pleine vo­lonté, (en apparence du moins, car il proteste aujourd'hui dans ses lettres n'avoir agi qu'à grand regret et à contre-cœur), il nous féli­cita de notre choix, fit abandon des insignes royaux, recommanda en pleurant à notre fidélité le sort de son fils et du royaume, décla­ra renoncer pour l'avenir à toutes les pompes de la royauté, promet­tant de consacrer désormais tous ses efforts au salut de son âme. Et maintenant voici que, reprenant ses habitudes invétérées de four­berie, il se plaint à toute la terre d'avoir été injustement spolié. Il s'apprête à nous faire égorger par le glaive des Gaulois, des Anglais, des Danois, de toutes les nations septentrionales. II nous demande réparation des injustices dont il se prétend victime; il jure de s'en rapporter à nos conseils, d'y déférer sans hé­sitation ; mais en réalité tous ses efforts ne tendent qu'à renver­ser le camp d'Israël, à dissoudre l'armée du Christ, à dévas­ter de nouveau la vigne à peine renaissante du Seigneur, «à la ra­vager lui-même, selon l'expression de l'Écriture, comme un sanglier farouche, » à la livrer, comme à une troupe de renards, à ses infâmes adhérents, à la faire retomber sous le poids de l'anathème en la rendant aux sacrilèges profanations de ses prêtres de Bélial : pour tout dire enfin, à crucifier une seconde fois, en la personne de son Église, le Christ maintenant ressuscité dans le cœur de tous les Germains. En conséquence, et pour lui enlever tout prétexte d'élever avec quelque apparence de justice la moindre plainte contre nous, il a plu au roi, à tous les princes du royaume, ainsi qu'à l'armée orthodoxe tout entière, d'appeler le seigneur susdit à venir, ut idem senior veniat 1, sous telle sauvegarde qui lui conviendra, en tel lieu qu'il voudra choisir, plaider sa cause devant ce présent sénat et tout le peuple, pour y recevoir pleine et entière justice. La discussion s'ouvrira approfondie et complète,

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1 Cette expression senior avait souvent, au moyen âge, la signification de « seigneur. » (Cf. Ducange. Glossar. med. el infini, latinitalis.) Elle est employée ici dans ce sens, comme une protestation significative contre le titre de Romanorum imperator augustus, inscrit en tête de son double mes­sage.

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comme si rien n'avait encore été jugé et défini, sur les causes des bouleversements survenus depuis l'origine du schisme. Entre le fils et le père, le droit seul prononcera. Ainsi sans les ater­moiements indéfinis que suivant son habitude l'ex-empereur propose encore, la querelle sera immédiatement vidée: l'Église et l'État, affermis dans la paix, ne seront plus exposés à des oscilla­tions continuelles 1. »

 

   69. Tel est le manifeste rédigé, sous les murs de Cologne, par les princes qui avaient siégé à la diète de Mayence et déposé Henri IV à la conférence d'Ingelheim. Son importance, au point de vue historique, est capitale. Nous déplorions précédemment la perte des procès-verbaux officiels de ces deux assemblées. Le manifeste de Cologne nous en offre un résumé authentique, une sorte de se­conde édition. Il confirme avec une autorité irréfragable le récit d'Ekkéard d'Urauge et des Annales d'Hildesheim ; il atteste que « le chef incorrigible du schisme, le soi-disant empereur Henri, » cou­pable « des massacres et assassinats, sacrilèges et parjures, pillages et incendies, qui avaient réduit matériellement le royaume germa­nique en une vaste solitude, et spirituellement à une apostasie pres­que universelle, avait été déposé par la sentence des princes, revenus sincèrement à l'unité de la foi, au respect de la loi divine et à l'obéissance du siège apostolique. » Telle avait été en effet, on se le rappelle, l'œuvre de la diète de Mayence, réunion mixte, ayant le double caractère d'un concile et d'une assemblée d'État. La sen­tence de déposition qui y fut prononcée s'appuyait sur des consi­dérants à la fois religieux et civils : d'une part, l'atroce persécu­tion infligée à l'Église depuis près de quarante ans par le pseudo­-empereur; de l'autre, une série de crimes effroyables et le boule­versement complet de l'État.— Le manifeste ajoute qu'après l'élec­tion du jeune roi à la diète de Mayence, «l'ex-empereur s'était pré­senté en personne devant les princes, qu'il les avait spontanément, en apparence du moins, félicités de leur nouvelle élection; qu'il avait fait cession des insignes royaux ; qu'il avait recommandé en pleu­rant à leur fidélité le sort de son fils et celui du  royaume, dé-

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' Ekkéard. Uraug,, Chronic, Pair. lat. t. CLIV, col. 1010.

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clarant renoncer pour l'avenir à toutes les pompes de la royauté, pour consacrer le reste de sa vie au salut de son âme1. » Tout cela, en ellet, s'était réellement passé à la conférence d'Ingelheim, dont ces paroles, reproduites presque identiquement par l'annaliste d'Hildesheim et la chronique d'Ekkéard et même par

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1 Le temps a sans doute manqué à M. de Montalembert pour étudier plus à fond le manifeste de Cologne. Il n'en donne qu'une traduction écourtée, dans laquelle les passages les plus caractéristiques sout omis. (Moines d'Occident, t. VII, p. 376-377.) Pour ceux des lecteurs qui désireraient vérifier l'exactitude de notre observation, nous reproduisons intégralement le texte latin du ma­nifeste de Cologne. « Post inveteratam, id est per aunos circiter quadrnginta, discissionem iinperii Romani,qua: tain divinas quant humanas jam pêne leges abolevit, et exceptis mortibus omnimodis, sacrilegiis,perjuriis, rapiniset incen-diis, ipsumregnum ùostrum non tantuminsolitudinem, sed etiam ad apostasiam catholicae iidei, sive in ipsum pagauismum, propemodum redegit,respicieute tan­dem suam Ecclesiam divina clementia, nosejusdem Cbristi spousœ filii,per Spi-ritumSanctum in uuitatem fldeiaaquauimes resipuimus, ipsum que incorrigibile scbismatum illorum caput, Henricum scilicet dictum imperatorem nostrum, zelo Dei et apostolicœ fidei obedientia abdicavimus, catbolicum uobis, licet ip-sius de semine natum, regem eleginius. Cujus regni principium, sui fînemesse conspiciens, etiam ipse tanquam voluntarius, sed, ut jam ejus fatentur litterae, nimis invitas, collaudavit, regalia reddidit, filii curam cum rcgno nostrœ fidei lacrymando commisit, de reliquo nullain se regni pompam, sed auiinar potius suas medelam ulterius affectaturum spopoudit. Àt nuncecce pristiuis se reddens tergiversationibus, prœjudicium se passum per orbem terrarum conqueritur. Gallorum, Anglorum, Danorum cœterarumque finitimarumgentiumgladios cor, dibus noslris iufigere moditatur. Super illatis etiam injuriis recuperari sibi jus-litiam precatur, consiliis se quoque nostris amodo promptius obedire pollice-tur; re autem vera, solitis argumentis castra haec Domiui dispergere, Christi exercitum exarmare couatur, et, ut in propatulo est, vinearn Douiini quav jam sero florescere cœpit tuni per se singularem utique ferum denuo depascere, quam per vulpes, îllos nimirum qui sibi adbœrent pestilentes boulines, démo liri, ac pcr sacrilegia saccrdotum Reliai anatliemati reeidivo reddere, imo, quod dictu nefas est, Christum jam iterum in Ecclesia sua resurgentem iu omnium cordibus cruciSgere meditatur. Quapropter placet tam régi quam uuiversis regni principibus, imo cuncto exercitui ortbodoxo, quod seuior idem, ne ulla sibi pateat adversum nos justa querela, quacumque elegerit securitate, qua-cumque maluerit statione, coramprajsentisenatu simul et populo causam suam agat, justitiam suscipiat, justitiam et reddat, quatenus ab ortu sebisniatis om­nibus seditionum causis, acsi nil inde jam fuerit difflnitum, undique discussis, tam tilio quam patri sua justifia respondeat, Ecclesiœ vero regnique status, non ut ipse more suo proponit post longas inducias, sed imprœsentiarum, bis cou-troversiis diremptis vacillare desinat.» (Cf. Ekkeard., Chronicon, et Baronii An­nal. Eccl., ann. 1106.)

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p476      PONTIFICAT  DU   B.   PASCAL   II   (1099-1118).

 

l'auteur de la Vita Henrici, peuvent être considérées comme un procès-verbal rétrospectif. Non-seulement les princes, qui tous avaient pris part et à la diète de Mayence et à la conférence d'Ingelheim, attestaient dans leur manifeste que très-réellement les choses s'étaient passées ainsi, au vu et au su de tout le peuple de Germanie, mais ils s'offraient à en faire la preuve devant le pseudo­-empereur lui-même, ou plutôt devant «  le seigneursusdit, » comme ils l'appellent, en tel lieu qu'il lui conviendrait de choisir pour plai­der sa cause devant « le sénat et le peuple assemblés. » Nous avons donc dans le manifeste de Cologne la réponse péremptoire à toutes les impostures semées dans la correspondance du pseudo-empereur avec Philippe I et saint Hugues de Cluny. Tout cet échafaudage de mensonges calculés, de récits attendrissants, de fourberies contra­dictoires, qui avait eu jusqu'ici l'incroyable fortune de faire illu­sion à presque tous les historiens, s'écroule enfin pour faire place à la réalité historique. Les calomnies accumulées à cette occasion contre l'Hglise et contre les papes ont été répétées, depuis tant de siècles, avec une telle persévérance, qu'aujourd'hui encore des publications populaires, tirées à plusieurs centaines de mille, les répandent impunément au sein des masses. On comprendra dès lors l'importance exceptionnelle que nous avons attachée à la ré­futation de ces erreurs, et l'étendue qu'il nous a fallu donnera l'é­tude d'une question qui n'avait jamais été complètement élu­cidée.

 

§ XI. Mort de Henri IV.

 

   70. Plus le manifeste de Cologne mettait la vérité en lumière, plus il devait soulever la rage de Henri IV. « On choisit pour le lui transmettre une députation composée de graves et prudents personnages : les deux prêtres Albuinus,  Rikwin, et quelques laïques pleins de zèle et de religion. Ils furent accrédités comme représentants du roi, de tous les princes et de l'armée entière, près de l'ex-empereur. Mais à peine admis en sa présence, comme ils faisaient      connaître en quelques mots l'objet de leur mission, Henri IV les fît

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p477 II.   —   MORT   DE   HENRI   IV.    

 

saisir et jeter dans un cachot. Sommés d'embrasser la communion des schisnia tiques, ils refusèrent héroïquement, et payèrent cet acte de courage et de foi par des tortures qui mirent leur vie en grand  

péril. Après six jours de captivité, comme ils n’attendaient plus que la mort, un grand tumulte se fit entendre autour de leur cachot. Ce n'était point, comme ils le crurent d'abord, une manifestation hostile, mais au contraire une démonstration du peuple catholique de Liège réclamant leur mise en liberté. L'ex-empereur ne s'y opposa point : il les fit sortir de prison et les renvoya avec ordre de signifier aux princes qu'ils eussent à déposer sur-le-champ les ar­mes, et que plus tard il indiquerait une diète nationale où la cause serait définitivement jugée 1.» Le siège de Cologne durait encore, quand les courageux députés apportèrent cette réponse au camp royal. « Mais sur les entrefaites, continue Ekkéard, on apprit que l'ex-empereur et l'ex-duc Henri de Lorraine réunissaient des forces considérables pour se précipiter sur l'armée catholique. Le jeune roi et les princes craignirent d'être attaqués sous les murs de Co­logne, et de se trouver exposés aux sorties des habitanls et à l'agres­sion des nouveaux ennemis. Ils levèrent donc le siège, et se jetè­rent sur la Lorraine dont ils envahirent le territoire, emportant d'assaut les forteresses et pillant les domaines des rebelles. En même temps ils envoyèrent sommer l'ex-empereur d'avoir à se pré­senter dans un délai de huit jours à Aix-la-Chapelle; pour y subir son jugement; sinon, il devait s'attendre à être attaqué sur-le-champ par toute l'armée catholique. Cette fois encore, les envoyés chargés du message furent retenus prisonniers durant quelques jours. L'ex-empereur voulait de la sorte gagner le plus de temps possible pour achever ses préparatifs de guerre. Cependant il eut soin de re­mettre en liberté les captifs avant l'expiration du délai, et les renvoya porteurs d'une lettre au moyen de laquelle il comptait prolonger indéfiniment les négociations 1. »

 

   71. Celte lettre était ainsi conçue : « Henri, par grâce de Dieu

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1     EkkearJ. Urang., Chrome., Pair, lat., tom. CLIV, col. 1010.

2   Ib. ibid., col. 1011.

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p478   PONTIFICAT   IJU   B.   PASCAL  II   (1090-1H 8).

 

empereur auguste des Romains, aux archevêques, évêques, ducs, comtes et à tous les autres princes du royaume, grâce et dilection, s'ils daignent les agréer.— J'avais demandé à mon fils, je vous avais instamment priés vous-mêmes de licencier votre armée, afin qu'on pût convenir de l'époque et du lieu où se réunirait, dans des con­ditions dignes et convenables, la diète chargée de statuer sur mes justes réclamations et de rétablir la paix. Il vous a plu de me ré­pondre par une nouvelle injure, plus grave encore que toutes celles dont j'avais jusqu'ici à me plaindre. Vous prétendez que sous huit jours je me rende dans votre camp, pour assister à une con­férence où mon sort et celui de mes chevaliers fidèles serait tranché. Mais jamais, vous le savez bien, nul homme de quelque condition que ce soit, ne fut assigné à si bref délai même pour l'affaire la plus minime. A plus forte raison, quand il s'agit d'une question si importante, ce terme est-il dérisoire. Il constitue une violation de toutes les lois divines et humaines. Il faut en effet un sursis qui permette de convoquer à la future diète les ar­chevêques de Mayence, de Trêves et de Brème ; les évêques de Frisingen, d'Augsbourg, de Coire et de Bâle ; les ducs Magnus de Saxe, Frédéric 1 de Hohenstaufen, Boriwoï de Bo­hême ; les comtes Robert de Flandre , Guillaume II de Bour­gogne (Franche-Gomté) et tous les autres princes dont la pré­sence, comme vous ne sauriez le nier, est indispensable pour la va­lidité des délibérations. Je ne puis donc que vous renouveler ma prière et mes instantes supplications, vous conjurant au nom de Dieu, pour le salut de votre âme, par respect pour l'appel interjeté par moi au seigneur pape Pascal et à l'église Romaine, pour l'hon-

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1. Le texte imprimé porte par erreur Theoderico, au lieu de Frederico. Frédé­ric de Hohenstaufen créé duc d'Alémanic par Henri IV, était l'un de ses par­tisans les plus dévoués. Magnus de Saxe, plus qu'octogénaire, ne pouvait plus assister à aucune dièle. Il mourut quelques semaines après la rédaction de cette lettre. Le duc de Bohême Boriwoï avait, on se le rappelle, prêté un concours
énergique au pseudo-empereur, après la rupture de Fritzlar. Du reste, la pré­tention de rendre obligatoire la présence à la diète de tous les évêques, princes, et comtes sans exception, sous peine d'invalidité des sentences, était aussi absurde qu'impraticable. Mais elle fournissait au pseudo-empereur un moyen dilatoire, qui lui permettait d'éterniser la question.

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p479 CHAP.   II.  MORT   DE   HENRI   IV.

 

neur du royaume, d'intervenir près de mon fils afin qu'il licencie son armée et qu'il cesse de me poursuivre. Ainsi l'on pourra prendre les dispositions nécessaires pour la tenue d'une diète, dans laquelle en toute sécurité et paix, sans nulle fraude ni surprise, en présence de tous les ayants-droit, nous pourrons discuter la cause et ré­tablir l'ordre au sein du royaume. Si mon fils s'obstine dans ses précédents refus, je renouvelle et renouvellerai jusqu'à la fin mes protestations à Dieu, à la vierge Marie, au bienheureux Pierre notre patron, à tous les saints, à la chrétienté entière et à vous tous plus spécialement, vous adjurant de cesser l'injuste persécution dont je suis victime. Pour la troisième fois j'en appelle au seigneur pontife romain Pascal , au saint-siége apostolique , à la ca­tholicité entière. Que si la majesté inviolable de cet appel sacré ne suffit point à obtenir de mon fils la suspension de ses pour­suites, il ne me restera plus qu'à confier ma cause à la toute-puis­sante Trinité, Père, Fils et Esprit Paraclet, à la bienheureuse Marie toujours vierge, aux bienheureux Pierre et Paul, à saint Lambert (patron de la ville de Liège) et à tous les saints, afin que la miséri­corde divine, par l'intercession des saints du ciel, daigne jeter un regard favorable sur mon humilité et défendre mon innocence contre une oppression tyrannique. Amen1. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon