Fin de Louis XIV 1

Darras tome 38 p. 343

 

II. LA FIN DU RÈGNE DE LOUIS XIV.

Nous avons parlé des commencements du règne de Louis XIV et de ses relations contentieuses avec le Saint-Siège ; nous avons parler maintenant de la fin de son règne, des résultats qui le caractérisent, des troubles qui éclatent dans les Cévennes, et du jugement définitif à porter sur Louis XIV. L’histoire de l'Église ne s'occupe de ces choses qu'indirectement et sans entrer dans les détails.

 

   22. Louis XIV, qui avait vu les mauvais jours de la Fronde, prend, à la mort de Mazarin, d'une main ferme, les rênes de l'Etat, impose une obéissance absolue à son conseil, confie le mi­nistère des finances à Colbert et celui de la guerre à Louvois, et commence sa carrière publique par la conquête de la Flandre et de la Franche-Comté, en vertu du droit de dévolution que lui con­fère son mariage avec l’infante d'Espagne. Cette conquête alarme la Hollande, qui appelle à son aide l'Angleterre et la Suède. La paix est faite avant la guerre à Aix-la-Chapelle, en 1668. Mais Louis XIV garde rancune à la Hollande; quatre ans après la guerre éclate.  Le Stathouder sauve la Hollande en la couvrant

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d’eau et arme contre la France l'Europe entière. Après des années de guerre où Turenne, Condé, Créqui se couvrent de gloire ; la paix est signée à Nimègue, en 1078. La France acquiert la Franche-Comté et les Pays-Bas. Louis parvient alors au plus haut point de sa gloire ; il dicte ses lois à l'Europe, commande la déclaration du clergé, révoque l'édit de Nantes, et voit les lettres, les sciences, les arts lui offrir leur tribut. En 1686, le Stathouder, Guillaume, prince d'Orange, arme une seconde fois l'Europe continentale contre la France. Louis oppose à la ligue Luxembourg, Catinat, Tourville, Jean Bart, Duguay-Trouin. Une lutte opiniâtre s'engage sur terre et sur mer jusqu'à ce que les puissances belligérantes, fatiguées de la guerre, fassent la paix au château de Riswick, en 1697. Trois ans après meurt le roi d'Espagne, Charles II. Son trône passe à Philippe V et Louis XIV l'envoie en Espagne en lui disant : « Il n'y a plus de Pyrénées. » L'Europe craint alors que la France n'aspire à la monarchie universelle ; elle forme une troi­sième coalition. La guerre recommence plus désastreuse que jamais. Les armées françaises sont accablées de revers pendant dix ans. Villars, à Denain, ramène la victoire sous nos drapeaux, et la paix est signée à Utrecht, en 1713. Et tels sont les maux que cause à toute l'Europe l'ambition d'un seul homme, dès qu'il n'est plus de juge ici-bas aux contestations des princes.


    23. Pendant que de grands capitaines remportaient des victoires au dehors, de grands ministres tenaient en main, au dedans, l'administration de la fortune publique. Louvois et Colbert furent, à coup sûr, des serviteurs pleins d'activité et de zèle pour le ser­vice du roi, des hommes habiles en économie sociale ; mais leurs vues ne s'étendirent guère au-delà. Cependant on consacrait dans le gouvernement intérieur des principes révolutionnaires, les prin­cipes même du Bas-Empire et des Césars allemands du moyen âge. Ne nous laissons donc pas éblouir par l'éclat du règne et ne con­fondons pas surtout le respect du roi avec le respect de l'autorité. Au-dessus du roi, il y a la vérité, la vertu, l'obéissance envers l'Église, la justice envers ses sujets, et le roi le premier doit se soumettre à ces grandes choses. Si non, il faut en appeler contre

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lui à la vindicte de l'histoire. La France, depuis longtemps, était partagée en trois classes : la noblesse, le clergé et le tiers-état. Ces classes exerçaient leurs droits et remplissaient leurs devoirs sous l'égide de la royauté. Leurs pouvoirs superposés, non rivaux, étaient limités par les droits du souverain, par les droits de l'Église et par les libertés des provinces. Louis XIV méconnut tout cela et viola les principes fondamentaux de l'ancienne constitution française, si religieuse et si libérale. Se considérant comme un Dieu corporel, comme le propriétaire des âmes, des corps et des biens de ses sujets, il corrompit et anéantit systématiquement la noblesse ; confisqua toutes les franchises provinciales et les libertés communales ; augmenta l'impôt d'une manière effrayante pour alimenter des guerres égoïstes et nourrir un luxe babylonien ; donna des encouragements à la résurrection du paganisme avec ses images lascives et ses maximes rationalistes dans la littérature, la peinture, la sculpture, dans les théâtres, à Paris, à Versailles, à Compiègne, à Fontainebleau, à Saint-Germain, partout; et tra­vailla incessamment à faire revivre, avec la centralisation romaine, une civilisation qui, énervant la France, devait la livrer comme une proie au joug du despotisme royal. Après une pareille révolu­tion, une contre-révolution politique était inévitable ; l'explosion n'était plus qu'une question de temps.

 

   24. Ces critiques de principe ne nous font pas oublier les traits glorieux de l’administration sous Louis XIV. Lorsque Colbert fut nommé contrôleur général des finances, le désordre était aussi grand qu'à l'époque où Sully releva le crédit de la France. A ce désordre, Colbert opposa d'abord une chambre de justice, qui fit restituer, aux agents des finances, des sommes énormes. Huit mil­lions de rentes, acquises à bas prix, furent remboursées au prix d'achat : c'était une banqueroute partielle, Colbert la compensa en supprimant pour quatre millions de tailles et en remettant toutes les obligations au Trésor. Colbert acheva de rétablir les finances en supprimant une foule de charges inutiles qui enlevaient autant de contribuables à l'impôt, en multipliant dans le royaume tous les moyens de travail, et par conséquent de richesse, en sur-

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veillant attentivement la levée des taxes, en simplifiant la méthode et les frais de perception, et surtout en administrant avec probité et économie. Le roi, recevant désormais la totalité de son revenu et n'acquittant que les obligations exactement dues, se trouva un excédant de recette qui monta à 45 millions en 1662, et qui ne cessa de s'accroître jusqu'au temps de la guerre de Hollande. D'importantes réformes, d'heureuses améliorations, d'utiles éta­blissements signalèrent chaque année le ministère de Colbert, noblement inspiré ou secondé par le monarque. La circulation inté­rieure fut facilitée par la réparation des grands chemins, alors presque impraticables, et qui, désormais soigneusement entrete­nus, devinrent un moyen de prospérité pour le royaume et un sujet d'admiration pour les étrangers. On fit de sages règlements sur la population : les mariages dans les campagnes furent encouragés par une exemption de tailles pendant cinq années pour ceux qui se marieraient à l'âge de vingt ans ; et tout père de famille qui avait dix enfants était exempt pour toute sa vie, parce qu'il donnait plus à l'état par le travail de ses enfants qu'il n'eût pu donner en payant la taille. Les Français étaient tributaires de l'industrie des Anglais et des Hollandais. Colbert entreprit de les tirer de cette servitude. Les draps fins, qu'on achetait auparavant en Angleterre et en Hol­lande, furent fabriqués dans Abbeville. Le roi avançant au manu­facturier 2.007 livres pour l'établissement de chaque métier, outre des gratifications considérables, on compta, dés l'année 1669, quarante-quatre mille deux cents métiers en laine dans le royanme. Les fabriques de Sedan, celles des tapisseries d'Aubusson, dégénérées et tombées, furent rétablies. Les tapis de Turquie et de Perse furent surpassés à la Savonnerie. Dans le magnifique établissement des Gobelins, la navette, rivale du pinceau, reproduisit les tableaux des plus grands maîtres. Les manufactures de soie furent perfec­tionnées, et produisirent un commerce de plus de cinquante mil­lions de ce temps-là ! La culture du mûrier et du ver à soie fournit aux manufacturiers la matière première qu'ils allaient demander auparavant aux étrangers. Les riches étoffes, où la soie se mêle avec l'or et l'argent, se fabriquèrent à Lyon, à Tours, avec une

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nouvelle industrie. On acheta des Anglais, moins éclairés ou moins jaloux de leurs découvertes qu'ils ne l'ont été depuis, le secret de cette machine ingénieuse avec laquelle on fait les bas dix fois plus promptement qu'à l'aiguille. Le fer blanc, l'acier, la belle faïence, qu'on avait toujours fait venir de loin, furent travaillés en France. On fit à Paris du point et des dentelles qui le disputaient à celles du Brabant. On commença, dès 1666, à fabriquer d'aussi belles glaces qu'à Venise, et bientôt on en fit dont les étrangers n'ont pu imiter ni la grandeur ni la beauté. Des édifices qui s'élevèrent de toutes parts, aux frais du roi et des particuliers, dans les villes et dans la capitale, attestèrent l'accroissement de la richesse publi­que. Paris devint la plus brillante résidence de l'Europe, et la splendeur de cette grande cité fut encore relevée par l'ordre qu'y fit régner, depuis 1667, cette police vigilante créée par La Reynie, et ensuite perfectionnée par d'Argenson.

 

Tandis que la France étonnait les nations par le rapide dévelop­pement de sa prospérité intérieure, elle étendait au loin son com­merce sur toutes les mers. Jusqu'alors, les Anglais et les Hollandais faisaient par leurs vaisseaux presque tout le commerce de France. Les Hollandais surtout chargeaient dans nos ports nos denrées, et les distribuaient dans l'Europe. Le roi, en 1662, exempta ses sujets d'une imposition nommée le droit de fret, que payaient tous les vaisseaux étrangers, et donna aux Français toutes les facilités de transporter eux-mêmes leurs marchandises à moins de frais. Alors naquit le commerce maritime ; le conseil de commerce fut établi, et le roi le présida lui-même tous les quinze jours. Les ports de Marseille et de Dunkerque furent déclarés francs, et bientôt cet avantage y attira le commerce du Levant et du Nord. Les com­pagnies des Indes orientales et occidentales furent créées en 1664, et celle du Nord cinq ans après. Le roi fournit des fonds considé­rables à toutes ces communautés, invita toutes les personnes riches à s'y intéresser, et donna un édit en 1669, portant que le commerce de mer ne dérogeait point à la noblesse. On envoya une colonie dans l'île de Cayenne ; on forma des établissements à Madagascar, et successivement sur les côtes de Malabar et de Coromandel. La

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marine marchande devint une pépinière de matelots et une école pour les marins. En même temps, pour vivifier le commerce inté­rieur, Colbert reprit le projet, déjà formé sous François Ier et sous Henri IV, de lier l'Océan et la Méditerranée. Le superbe canal de Languedoc fut commencé en 1664, sous la direction de Riquet, fermier-général de cette province; il ne fut terminé qu'en 1680.

 

Nous regrettons que Golbert ait été obligé de rétablir, vers l'an 1672, ce qu'il avait voulu d'abord abolir pour jamais : impôts en parti, rentes, charges nouvelles, augmentations de gages, expédients qui soutiennent l'état pour quelque temps, et qui l'obèrent pour des siècles. Mais il ne doit encourir aucun blâme pour ce rétablisse­ment forcé, contraire à ses principes, et que la nécessité lui arra­cha. La guerre était déclarée, et les besoins pressants; il fallait des moyens prompts, et Colbert recourut en gémissant à des ressour­ces que réprouvait sa sagesse. Il mourut avant d'avoir pu réparer ce mal. Après lui, les finances retombèrent dans le chaos d'où il les avait tirées. Son successeur, pour faire face aux dépenses de la guerre suscitée par la ligue d'Augsbourg, emprunta, créa des rentes, altéra les monnaies, fit des refontes inégales. Tous ces moyens furent plus nuisibles à l'état que profitables au trésor. Le dérange­ment des finances fit établir, en 1695, la capitation, qui fut suppri­mée à la paix de Ryswick, et remise en vigueur pendant la guerre de la succession. Le contrôleur-général Pontchartrain vendit des lettres de noblesse, moyennant 2,000 écus, en 1696. En 1710, on imposa la taxe du dixième sur tous les revenus territoriaux ; mais cet impôt, venant après plusieurs autres contributions onéreuses, excita un tel mécontentement, qu'on n'osa pas l'exiger à la rigueur, et le gouvernement n'en retira guère que vingt millions annuels. Enfin, malgré l'augmentation des taxes, le déficit était si grand chaque année, que Louis XIV laissa à sa mort deux milliards six cents millions de dettes ; ce qui fait environ cinq milliards de notre monnaie actuelle.

 

Les finances, restaurées par Colbert, fournirent au roi les moyens de créer une marine. D'abord, le peu de vaisseaux qui se trouvaient dans les ports furent réparés ; on en acheta en Hollande, en Suède ;

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et dès la troisième année de son gouvernement, Louis XIV envoya ses forces maritimes s'essayer contre Gigeri, sur la côte d'Afrique. Le duc de Beaufort purgea les mers de pirates en 1665 ; et, deux ans  après, la France eut dans ses ports soixante vaisseaux de guerre. Elle en eut cent en 1672, deux cent trente en 1681. Cinq arsenaux de marine furent bâtis à Brest, à Rochefort, à Toulon, à Dunkerque, au Hâvre-de-Grâce. Le nombre des hommes enclassés pour les divers services maritimes fut porté jusqu'à cent  soixante mille. Les gardes-marines furent institués en 1672.  Ce corps a été l'école d'où sont sortis les meilleurs  officiers de vaisseaux.   Ces forces navales protégeaient le commerce. Elles tinrent l'empire de la mer jusqu'à la bataille de La Hogue (1692).   Malgré l'échec que la marine française reçut dans cettte journée,  elle  se  soutint tou­jours dans la guerre de la succession. Elle fut depuis négligée par le cardinal de Fleury, et ne s'est relevée que sous Louis  XVI. Avant Louis XIV, on ne connaissait point les habits  uniformes dans le militaire. Chaque soldat s'habillait sur sa paie  comme il l'entendait, de sorte que les troupes ressemblaient moins  à une armée qu'à une cohue. Ce fut lui qui, la première année de son ad­ministration, ordonna que chaque régiment fût  distingué par la couleur des habits, ou par différentes marques ; règlement  adopté bientôt par toutes les nations. Il mit le corps de la maison  du roi sur le pied où ils furent depuis. Par des inspections sévères, il  fit cesser dans l'armée l'abus des passe-volants, ou soldats fictifs, au moyen desquels la fraude des officiers déguisait,  aux jours de revue, le vide de leurs compagies incomplètes. Il institua les gre­nadiers, d'abord au nombre de quatre par compagnie dans le régi­ment du roi ; ensuite, il forma une compagnie de grenadiers dans chaque régiment d'infanterie. Il créa un régiment de bombardiers et un de hussards : avant lui, on ne connaissait les  hussards que dans les armées ennemies. Il augmenta le corps des dragons. L'établissement des haras (1667) fut par la suite d'une grande res­source pour remonter la cavalerie. Louis XIV rendit général l'usage de la baïonnette au bout du fusil; on s'était déjà servi de cette arme, mais seulement dans quelques compagnies. ----------

 

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27. Le règne de Louis XIV, avant de finir, donne à l'histoire de l'Église un dernier fait, la révolte des Camisards. En 1688, un vieux calviniste, nommé Duserre, de Dieu-le-Fit, en Dauphiné, fréquentait, à Genève, des ministres protestants sortis de France. Ces ministres lui firent lire le livre de Jurieu, De l'accomplissement des prophéties ou la délivrance prochaine de l'Église. « Il paraît, dit un protestant, qu'en méditant l'ouvrage de Jurieu dans sa soli­tude, il tomba dans l'extase et que l'extase, contagieuse de sa nature, passa du vieillard dans ses enfants, qui, en se dispersant lors de la migration des troupeaux, la propagèrent dans le Dau­phiné, dans le Comtat, et la Provence. Voilà comment Duserre se trouva le père spirituel d'une multitude de petits prophètes, dont il aurait organisé une école sur la montagne (2). » Cette libéralité porta des fruits, car, de juin 1688 à février 1689, il s'éleva dans le Dauphiné, et ensuite dans le Vivarais, dit Brueys, cinq ou six cents religionnaires de l ‘un et de l'autre sexe, qui se vantaient d'être prophètes et inspirés du Saint-Esprit. « La secte des inspirés devint bientôt nombreuse, les vallées en fourmillèrent et les mon­tagnes en furent couvertes... Pendant sept ans entiers, j'ai vu dans le Velay, quantité de personnes qui tombaient dans des agitations de corps extraordinaires, pendant lesquelles ils disaient diverses choses. » Parmi les disciples de Duserre, trois jeunes bergers de huit, de quinze et de vingt ans, Bompart, Mazet et Pascalin, se distinguèrent d'abord. Ces enfants présidaient des assemblées, citaient à leur tribunal les apostats, prêchaient, baptisaient, ma­riaient, dirigeaient les peuples et déployaient dans toutes ces fonc­tions l'autorité des Pères de l'Église. Ils furent incarcérés, mais remplacés aussitôt par une multitude d'autres inspirés, entre les­quels brillèrent principalement Isabeau  Vincent  et Gabriel As-

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(1) Ragon, Histoire générale des temps modernes, t. II, p. 587. <2) Peyrat, Hist. des Pasteurs du désert, t. I, p. 188.

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tier (1). » Gabriel avait reçu le don de la parole ; nul n'eut à un aussi haut degré cette vive et entraînante éloquence qui fait bouil­lonner tumultueusement les masses populaires. Un calme apparent sembla pourtant se rétablir ; mais le feu couvait sous la cendre. « Une vieille fille, tailleuse ambulante d'habits, travaillant dans les hameaux de l'Ardèche, fut la première qui, vers l'automne de 1700, importa l'extase dans les Cévennes. Des jeunes gens des deux sexes la reçurent d'elle et la communiquèrent au peuple des mon­tagnes, où ils allaient récolter des châtaignes, de sorte que, pen­dant cet hiver, il se répandit comme un incendie, des cîmes de la Lozère jusqu'à la mer (2). »   Quatre mois durant,  de nouveaux prophètes surgirent dans les diocèses d'Alais, de Mende, de Mont­pellier, de Nîmes, d'Uzès et de Viviers. Les âmes y étaient telle­ment disposées,  qu'il ne fallait  plus,  pour leur communiquer l'esprit, aucun rit. Daniel Raoul s'érige lui-même en prophète, Etienne Goût reçoit le Saint-Esprit dans le baiser d'un vieillard. Marguerite Armand, la première prédicante du Gévaudan, exerce tant d'influence, que son auditoire devient un séminaire de pro­phètes  et de prophètesses.  Ainsi  l'inspiration  gagnait tous les jours, et tandis que, d'un côté, des milliers de femmes ne cessaient de prophétiser, de l'autre, les prisons regorgeaient de gens qu'on y renfermait pour leur rafraîchir un peu le cerveau et défendre la société contre l'incendie.

 

      28. Bientôt s'engagea, entre le prêtre et le prophète, une lutte d'une terrible énergie. Daniel Raoul fut le premier chef de ce nou­veau mouvement dans le diocèse d'Uzés. Non content de l'abjura­tion et du repentir de la foule, il exigea d'elle qu'elle abolit les objets de son adoration. En plein midi, il se mit à sa tête, la con­duisit à l'église de Vallerargue, rompit le tabernacle et foula aux pieds le Saint-Sacrement. Ces mêmes excès se renouvelèrent par­tout avec des excès identiques ; partout les insurgés poursuivirent la destruction du catholicisme. On pouvait donc prévoir qu'une lutte prochaine s'engagerait entre les catholiques et les protestants»

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(1)Théâtre sacré des Cévennes, passim.

(2)Peyrat, op. cit. 1,193.     

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   Le premier acte de l'insurrection, effectué par les protestants, fut le massacre de l'archiprêtre Du Chayla, à Pont-de-Montvert. Ce pas fait, les meurtres et les massacres ne coûtèrent plus rien aux révoltés ; ils se succédèrent jusqu'à la fin de la guerre des Cévennes. Constatons, avant de passer outre, que toutes ces atro­cités procédaient, de l'aveu même des inspirés, de l'Esprit qui les animait. « Tout ce que nous faisions, dit Durand Fage, c'était toujours par ordre de l'Esprit. Devions-nous attaquer l'ennemi? Étions-nous poursuivis ? La nuit nous surprenait-elle ? Craignions-nous des embuscades ? Nous nous mettions d'abord en prières. Aussitôt l'Esprit nous répondait et l'inspiration nous guidait en tout. La mort ne nous effrayait point ; nous ne faisions aucun cas de notre vie (et de celles des autres, devrait-on ajouter), pourvu qu'en la perdant pour la querelle de notre Sauveur, nous remis­sions nos âmes entre ses mains. » — « Il faudrait, dit Elie Marion, de gros livres pour contenir l'histoire de toutes les merveilles que Dieu a opérées par le ministère des inspirations. Ce sont nos inspi­rations qui nous ont mis au cœur de quitter nos proches, pour suivre Jésus-Christ et faire la guerre à Satan et à ses compagnons. Ce sont elles qui ont donné, à nos vrais inspirés, le zèle de Dieu, l'horreur pour l'idolâtrie, le mépris pour les vanités du siècle et pour les richesses iniques... Ce sont les inspirations qui ont élu nos chefs et les ont conduits ; elles ont été notre discipline militaire ; elles nous ont appris à essuyer le feu de l'ennemi à genoux, et à les attaquer en chantant des psaumes pour porter la terreur dans leur âme (1). » Ainsi, tout ce que les Camisards ont fait dans cette guerre civile, c'est par ordre du Saint-Esprit, du moins à ce qu'ils disent, et pour faire la guerre aux compagnons de Satan, c'est-à-dire aux catholiques français.

 

29. Cependant les pratiques nouvelles ne s'étaient pas développées seulement dans les Cévennes. Un prophète qui avait enfanté un grand nombre de prophètes, âgés seulement de dix à douze ans,  avait apporté ses pratiques à Calvisson,  et bientôt les nouveaux pro­phètes de la Van-Nage étaient convenus de se joindre à leurs frères

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(1) Théâtre sacré des Cévennes, p. 79 et 117.

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des Cévennes. Roland donne la main à Catanet; tous deux poursui­vent l'œuvre commencée de destruction des églises et des prêtres. De leur côté, Salomon et Abraham détruisent, dans les hautes Cévennes, tous les monuments catholiques, croix, églises, presby­tères. Gouderc, dit la Fleurette, qui avait assisté au massacre de l'archiprêtre de Chayla, devint le fléau des prêtres. Cavalier pa­raît, à son tour sur la scène. Boulanger à Genève, il est revenu en France à vingt et un ans, pour accomplir la mission de délivrer ses frères, mission qu'il disait avoir reçue de Genève. Cavalier laisse partout de sanglants vestiges de son passage. D'abord contenus, les révoltés deviennent bientôt plus hardis. Les succès partiels qu'ils ont remportés, ne leur font plus garder de ménagements : ils ne doutèrent plus, assure un de leurs historiens, que le ciel ne se déclarât pour eux et qu'il n'approuvât leur dessein. Dès lors ils continuent sur une large échelle l'œuvre de dévastation des églises catholiques. Leurs cruautés grandissent avec leurs succès, au point d'apporter la terreur jusque dans Nîmes. L'étranger est attentif à leurs mouvements. L'Angleterre se signale surtout par les encoura­gements qu'elle donne aux Camisards ; elle essaie de leur envoyer de l'argent, des armes et des munitions. « Les partisans qu'ils avaient à Londres ou dans d'autres lieux, dit Court, ne les per­daient pas de vue. » (1) Ils n'oubliaient rien pour les faire recourir contre Louis XIV par les ennemis de la France. Pendant ce temps, l'insurrection continuait, la Rouergue devenait l'objet des entre­prises des Camisards, et, là comme ailleurs les mêmes scènes se répétaient. Catinat sortant des forêts qui lui servaient de repaire, se ruait sur les borages des environs, au cri de : Mort aux prêtres ! abattait la croix, incendiait les églises. Malgré quelques succès partiels, l'étoile des Camisards commençait à pâlir ; l'esprit qui conduisait leur entreprise, ne put les mettre à l'abri de la confu­sion générale, ou plutôt les y jeta. Les chefs ne surent se concer­ter ; les dispositions prises pour profiter des secours de l'étranger, ne purent aboutir; les vaisseaux parurent sans aborder sur une plage non gardée, ou occupée par les Camisards, qui ne secouru-

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(1) court de gébelin, Hist. des troubles des Cévennes t. I,p. 126

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rent pas leurs auxiliaires. Roland cependant tenta, de son côté, i'insurrection du Vivarais. Les Camisards commencèrent leur cam­pagne en incendiant les maisons des traîtres et des lâches, afin qu'à défaut d'enthousiasme, la terreur les décidât à prendre les armes. Puis ils détruisirent les insignes et les monuments du catholicisme dans les bourgades. Toutefois l'année 1704 vit la fin de leur éléva­tion passagère. Cavalier, le grand chef, se soumit, traita avec le maréchal de Villars, puis, manquant de confiance dans le gouver­nement de Louis XIV, se sauva avec ses compagnons jusqu'à Ge­nève.

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