Darras tome 13 p. 209
III. Dernières années de saint Germain d'Auxerre.
19. Vers l'an 446, l'erreur pélagienne, une première fois terrassée par la prédication et les miracles de Germain d'Auxerre et de Lupus de Troyes, releva la tête et menaça d'envahir les églises de la Grande-Bretagne. Les évêques de ce pays, au nombre desquels il faut sans doute placer en première ligne l'apôtre de l'Hibernie, saint Patrick, eurent de nouveau recours au zèle et à la foi héroïque de l'évêque d'Auxerre. Celui-ci répondit à leur appel. Lupus, par des motifs que l'histoire ne nous fait pas connaître, ne put prendre part à cette seconde expédition. Il se fit remplacer par Severus son disciple, récemment promu au siège métropolitain de Trêves. « Les deux évêques, disent les actes, se mirent en chemin et vinrent d'abord à la cité des Parisii, où ils furent reçus au milieu des transports d'allégresse de toute la population. Le bienheureux Germain demanda ce qu'était devenue la jeune fille de Nemetodorum, Genovefa, qu'il avait bénie lors de son premier voyage. Ce n'était pas qu'il ignorât les persécutions qu'avait eu depuis à subir la vierge de Jésus-Christ; Dieu les lui avait révélées. Mais il voulait en obtenir le récit, de la bouche même des témoins oculaires 1. » La mère de Genovefa avait été la première à faire souffrir cette enfant. « Un jour de dimanche, Genovefa avait voulu se rendre à l'église. Sa mère, qui y allait elle-même, lui ordonna de rester à la maison. La jeune fille la supplia avec larmes de révoquer cet ordre cruel. J'ai prêté serment entre les mains du bienheureux évêque d'Auxerre, disait-elle. Je suis l'épouse de Jésus-Christ. Laissez-moi accomplir mon vœu. — La mère impatientée lui donna un soufflet, mais à l'instant elle fut frappée de cécité. Vingt mois s'écoulèrent sans qu'elle recouvrât la vue. Se rappelant alors les étonnantes prédictions de Germain, elle eut un mouvement de repentir, et appelant Genovefa : Ma fille, lui dit-elle, allez prendre de l'eau au puits voisin, et apportez-la-moi. — Genovefa obéit. Faites le
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1 Bolland., Act. S. German. Autissiod., lib. II, cap. i, 31 jul.
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signe de la croix sur cette eau, dit la mère. — L'enfant fit ce qu'où lui demandait. L'aveugle éleva les mains au ciel et pria. Puis, dois fois de suite, elle mouilla ses yeux avec l'eau, et elle recouvra la vue1. Peu de temps après, Genovefa vint, avec deux autres vierges plus âgées qu'elle, se consacrer au Seigneur et prendre le voile des religieuses des mains de l'évêque de Paris 2. Les trois-postulantes furent rangées selon leur âge; mais le pontife, inspiré, de Dieu, fit intervertir l'ordre, et plaçant Genovefa la première: Il est juste, dit-il, qu'elle précède les autres, car sa consécration a déjà été enregistrée au ciel.— Après avoir reçu la bénédiction du saint évêque, Genovefa revint près de ses vieux parents, dont elle secourait la vieillesse. Elle leur ferma les yeux.. Quittant alors Nemetodorum, elle se fixa dans la ville des Parisil, près de sa mère spirituelle 3. Dans ce nouveau séjour, elle mena un genre de vie qui pouvait à lui seul, sembler un miracle. Elle ne mangeait que deux fois la semaine, le dimanche et le jeudi ; sa nourriture ne consistait qu'en un peu de pain, d'orge et quelques fèves cuites à l'eau. Elle passait les jours et les nuits en prières, prosternée, sur le sol qu'elle arrosait de ses larmes. Des austérités si extraordinaires ne pouvaient manquer d'attirer sur elle l'attention, et par conséquent d'éveiller la malignité publique. Sur ces entrefaites, elle fut atteinte d'une paralysie douloureuse qui s'étendit sur tout le corps. Ses membres perclus et privés de vie paraissaient disloqués et prêts à tomber par morceaux. Elle resta, trois jours de suite privée de tout mouvement : sans un reste de rougeur qui colorait ses joues, on l'eût crue morte. Quand elle sortit de ce sommeil, elle était guérie. Elle raconta alors que, durant son extase,
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1. Telle est l'origine de la
dévotion des pèlerins, qui viennent encore de
nos jours au puits de Nanterre prendre l'eau miraculeuse bénie autrefois par
sainte Geneviève.
2 Cet évêque est nommé Velicus ou Vellicus dans les Actes.
Il occupe le onzième rang dans le catalogue officiel des évêques de Paris, où
il est désigné
sous le nom de Félix.
3 Ondonnait le nom de père et mère spirituels à ceux qui avaient levé
un
fiifant des fonts du baptême. C'est ce que
nous appelons aujourd'hui du nom
<de parrain ou marraine,
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un ange l'avait introduite dans le lieu où reposent les justes, et lui avait montré les splendeurs que Dieu prépare aux saints. A partir de ce jour, il lui fut donné de lire dans le secret des consciences. Plus d'une fois il lui arriva de prouver aux pécheurs que rien n'était caché pour elle dans les replis de leur âme 1. »
20. Tels étaient les antécédents de Geneviève, quand le bienheureux évêque d'Auxerre en demandait des nouvelles dans la cité des Parisii. « Père saint, lui fut-il répondu, la jeune fille dont vous parlez est une démoniaque. — Et mille voix s'élevèrent dans la foule, accumulant les griefs les plus odieux contre Genovefa. Le bienheureux les laissa dire et se fit indiquer la demeure de la vierge. Il s'y rendit, escorté par la multitude qui le vit avec une vraie stupeur s’incliner devant Genovefa, comme s'il eût salué un ange de Dieu, ou plutôt comme s'il eût salué la divinité elle-même dont elle était le temple vivant. Se tournant alors vers la foule : Voyez, dit-il, cette humble cellule dont le sol est détrempé par les larmes d'une vierge chère à Dieu, bénie des anges, et qui sera un jour l'instrument de votre salut à tous ! — Le peuple, changeant alors en bénédictions les blasphèmes qu'il proférait naguère, s'écria que Genovefa était digne de l'estime et de l'affection de Germain. Après cette réhabilitation méritée, le saint évêque continua sa route2.»
21. Le reste du voyage et la traversée furent prospères. « En abordant sur les côtes de la Grande-Bretagne, les deux évêques trouvèrent, disent les actes, toute l’île en émoi: Les esprits, évoqués par les druides, annonçaient depuis plusieurs jours leur arrivée. Sur la foi de ces oracles, Elaphius, l'un des princes de la contrée, vint attendre au rivage les deux apôtres. Une foule immense l'entourait. Il avait amené son jeune fils, qu'une maladie cruelle avait frappé dans la fleur de son adolescence. Un rétrécissement de nerfs lui tenait une jambe repliée sur elle-même et lui était la faculté de marcher. A l'approche des saints évêques, la multitude s'agenouilla pour recevoir leur bénédiction. Puis Elaphius s'avança à leur ren-
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1 Bolland., Act. S'. Genovef., 3 jan. Cf. Saintyves, Vie de sainte Geneviève. Append. Concordance des manuscrits, pag. xliv-slix. — 2. Bolland., Act. S. Genovef., 3 jan., et Act. S, Germon. Autissiod., 31 jul..
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contre, et le visage baigné de larmes, sans pouvoir proférer une parole, il leur montrait son malheureux fils. Germain fit asseoir l'adolescent, et passa la main sur toute la longueur de la jambe malade. A ce contact, les nerfs se détendirent subitement, et la jambe reprit son élasticité. Le jeune homme se leva en criant : Je suis guéri! Ce prodige, opéré en présence d'un peuple tout entier, fut salué par des chants d'actions de grâces et de reconnaissance. » Les actes ne nous font pas connaître en détail les mesures prises par les deux évêques pour combattre l'erreur pélagienne, ni les conférences privées ou publiques qui durent avoir lieu entre eux et les chefs de la secte. Ils se contentent de mentionner le résultat définitif. Sauf un petit nombre d'hérétiques obstinés qui furent contraints de quitter l'île, tous les autres abjurèrent le pélagianisme et firent serment de vivre et de mourir dans la foi catholique. Germain, de concert avec les évêques bretons, fit ouvrir, dans les villes principales et dans tous les centres monastiques, des écoles où la jeunesse du pays put étudier les lettres sacrées et profanes. «Cette institution, dit le vénérable Bède, devint le palladium de la foi dans l'île de la Grande-Bretagne, qui depuis cette époque ne retomba plus dans l'hérésie1. » Plût à Dieu que la parole de l'historien anglais fût demeurée vraie jusqu'à nos jours! Quoi qu'il en soit, les efforts de saint Germain furent secondés alors par saint Blaan, évêque des Pictes ; saint Dubrice, évêque de Landaff, dans le South-Wales ; et le prêtre saint Iltut, disciple de saint Cadoc et fondateur du monastère de Llan-Twut, dans le comté de Glamorgan. Sous l'influence de ces illustres apôtres, la Grande-Bretagne allait bientôt mériter son glorieux surnom d'Ile des saints.
22. A peine de retour à Autissiodorum, Germain reçut une députation des habitants de l'Armorique (Bretagne actuelle). « Le magnifique comte Aétius, disent les actes, désespérant d'assujettir au joug romain ce peuple fier et toujours prêt à la révolte, conclut une alliance avec Eocaric, roi des alains, qu'il chargea de dévaster toute la contrée armoricaine. Eocaric, prince féroce et idolâtre,
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2. Beda, Hist., lib. I, cap, xxi.
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accepta volontiers une pareille mission. Il se dirigea, avec ses hordes sauvages, vers le territoire qu'on abandonnait à sa rapacité. Contre cette invasion, l'Armorique ne vit de ressource que dans un homme, un vieillard; mais ce vieillard, fort de la puissance même du Christ, devait triompher des armées de la barbarie. C'était le bienheureux évêque d'Auxerre. Germain accueillit la requête des Bretons; il vola à leur secours et à travers les routes couvertes de bataillons alains, il arriva jusqu'à leur chef suprême. Eocaric était à cheval, à la tête de ses farouches guerriers, quand le vénérable évêque, prosterné devant lui, le supplia de renoncer à sa cruelle expédition. Le roi barbare ne savait pas le latin ; un interprète lui traduisait chacune des paroles du saint évêque. Il écouta cette harangue d'un air distrait et impatient. Quand Germain eut fini, sans même lui répondre, d'un geste dédaigneux il lui fit signe de s'écarter et de le laisser continuer sa route. Germain, saisissant alors la bride du cheval, dit au monarque : « Vous me passerez sur le corps, ou vous m'écouterez. Roi des alains, c'est au nom de Jésus-Christ, roi des cieux, que je vous parle! » — Frappé sans doute de la majesté surnaturelle qui éclatait en ce moment dans la personne du pontife, le barbare descendit de cheval et commanda une halte. Sous la tente d'Eocaric, Germain acheva son message de paix. Il fut convenu que les alains respecteraient l'Armorique, à condition que cette province rentrerait sous la domination romaine. Le traité devait être soumis à la ratification d'Aétius ou à celle de l'empereur Valentinien III, selon que l’évêque d'Auxerre préférerait s'adresser à l'un ou à l'autre.
23. Saint Germain se décida à partir pour Ravenne, soit qu'il n’eût qu une médiocre confiance dans la bonne foi d'Aétius, soit qu'il voulût donner plus de solennité à la convention, et la placer directement sous le couvert de l'autorité impériale. En quittant Autissiodorum, où il ne devait plus rentrer vivant, il s'écarta un peu de sa route pour visiter une dernière fois son illustre et saint ami, Lupus, évêque de Troyes. En approchant de cette ville, le bienheureux trouva sur le bord du chemin un pauvre homme, agenouillé, priant et pleurant sur le cadavre d'un mort. « C'est mon
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frère, disait-il. Il vient de mourir, et je n'ai pas de quoi le farre enterrer ! » Germain descendit de cheval, pria quelques instants près du mort, fit remettre au frère éploré une somme d'argent pour les funérailles, et continua sa route. Bientôt des cris lamentables le rappelèrent. La scène avait été concertée en vue d'une supercherie; mais elle était devenue tragique. Pour tromper la charité du saint évêque, deux mendiants avaient imaginé ce double rôle d'un prétendu mort, gardé par un frère dans l'impuissance de lui rendre les devoirs de la sépulture. Mais la feinte était devenue une réalité. Quand le compagnon du mort voulut réveiller son complice, il ne trouva plus qu'un véritable cadavre. Épouvanté, il courut se jeter aux pieds de Germain, lui confessa son crime, et le supplia de rendre la vie à son compagnon. L'évêque revint sur ses pas, pria le Seigneur, et le mort fut ressuscité. Une église, sons le vocable de saint Germain, élevée depuis à l'endroit où eut lieu ce miracle, devint, au moyen âge, un pelerinage très-fréquenté. Reconstruite au XVe siècle, elle subsiste encore; on y areproduit, dans de remarquables verrières; l'épisode des deux mendiants et le prodige opéré par le thaumaturge1. Les actes ne nous font point connaître les détails de la dernière entrevue de saint Germain et de saint Loup. Vraisemblablement elle fut courte, parce que l'évêque d'Auxerre avait hâte de se rendre à Ravenne ; mais elle dut être touchante, car Dieu lui avait révélé qu'il mourrait dans ce yoyage.
24. En passant à Alesia (Alise), Germain s'arrêta de nouveau chez le vénérable prêtre Senator. On lui présenta une jeune fille de vingt ans, dont la langue était paralysée. Le bienheureux lui traça sur la bouche et le front le signe de la croix, avec de l'huile bénite. Il lui présenta ensuite une coupe dans laquelle il avait fait tremper trois morceaux de pain. Avant de boire, dit-il, récitez à haute voix la prière de la bénédiction 2. — La muette fit un effort;
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1. Le lieu du prodige portait, à l'époque du miracle, le nom de Villa Lincurtis. C'est maintenant le village de Saint-Germain de Linçon, à une lieue et demie sud-ouest de Troys, sur la route d'Auxerre.
2. C'est la plus ancienne mention historique qui nous soit restée, de la formule connue aujourd'hui sous le nom de Benedicite.
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soudain sa langue se délia : elle récita la prière sainte et conserva depuis l'usage de la parole. En quittant Senator, le bienheureux évêque lui baisa le front, la bouche et les yeux, en disant : « Adieu pour l'éternité, bien-aimé frère; adieu, chère moitié de mon âme ! Que le Seigneur nous fasse retrouver dans sa gloire, au jour du ju-gement! Vous ne me reverrez plus sur la terre. » — Il s'achemina vers Augustodunum (Autun), et l'on remarquait dans le bienheureux une attention toujours plus marquée à se recueillii dans la prière et le silence. Cependant on accourait de toutes parts à sa rencontre. « Partout où il s'arrêtait pour bénir les multitudes, leur adresser, la parole et guérir les malades qui lui étaient présentés, la vénération publique éleva des oratoires, ou des croix, qui subsistent encore de nos jours, » dit l'hagiographe. «Les morts eux-mêmes tressaillaient dans leur tombe, ajoute-t-il, et leur voix répondait à la sienne. Entouré de tout le peuple d'Augustodunum, il était venu s'agenouiller sur le tumulus du saint évêque Cassien1. Après avoir longtemps prié en silence, il s'adressa au bienheureux confesseur : Glorieux frère, lui dit-il, que faites-vous dans votre tombeau? — Une voix sortit alors du sépulcre et fut entendue de tous les assistants. Je repose dans la paix du Seigneur, disait-elle, et j'attends l'avènement du Rédempteur. — Mon frère, dit Germain, reposez aussi longtemps qu'il plaira au Christ; mais priez le Seigneur pour ce peuple et pour moi, afin que nous méritions la gloire de la bienheureuse résurrection.— Comme il quittait la tombe miraculeuse, on lui présenta une jeune fille dont les doigts de la main étaient paralysés. Elle était née avec cette infirmité qui désolait ses parents. Le bienheureux évêque prit dans la sienne cette main que la contraction des nerfs tenait fermée; les ongles s'étaient enfoncés dans la chair et y entretenaient une plaie saignante. Après l'avoir ainsi touchée, Germain fit le signe de la croix ; aussitôt les doigts
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1. Les Bollandistes, d'accord avec les auteurs de la Gallia christiana, placent l'épiscopat de saint Cassien à Autun de l'an 320 à 340. Cependant la Vita S. Cassiani Augustodunensis, l'unique que nous possédions, indique la date de 430 comme celle de l'épiscopat de Cassien, et le fait disciple et successeur de Simplicius contemporain de saint Amator. (Cf. Bolland., Act. S. Cas-sian., 5 august.)
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se redressèrent, et les plaies furent guéries. Le bienheureux voulut lui-même couper les ongles qui avaient depuis tant d'années fait souffrir cette jeune fille. — Le bienheureux évêque continua sa route par Lugdunum, et s'engagea à pied dans la chaîne des Alpes Sur le soir, des bûcherons, chargés de bois et retournant à leurs chaumières, se joignirent à l'escorte. Parmi eux, il se trouvait un vieillard que l'âge et les infirmités faisaient chanceler sous le faix. On arriva à un torrent grossi par la fonte des neiges et qu'il fallait franchir nu-jambes. Germain chargea d'abord sur ses épaules le fardeau du pauvre vieillard, et l'alla déposer de l'autre côté du torrent. Puis revenant sur ses pas, il prit à son tour l'infirme et le porta sur l'autre rive. Le bienheureux s'était proposé de traverser incognito la ville de Mediolanum (Milan). Il y arriva le jour de la fête des saints Gervais et Protais (19 juin 448), et entra dans la basilique pendant qu'on y célébrait les divins mystères. Nul ne le reconnut dans la foule, lorsqu'un possédé du démon qui se trouvait à la porte s'écria : «Germain, pourquoi viens-tu nous poursuivre jusqu'en Italie? Ne te suffisait-il pas de nous avoir chassés de la Gaule, et d'avoir traversé l'Océan pour nous bannir de la Grande-Bretagne. » —Au nom de Germain, tous les yeux se fixèrent sur les étrangers qui venaient de mettre le pied dans l'église. Quoique le bienheureux ne portât aucun signe extérieur de sa dignité, on le devina à la majesté sainte de son visage. Il se vit bientôt entouré par les évêques qui le contraignirent de s'asseoir au milieu d'eux, à la place d'honneur. Le démoniaque fut délivré par l'intercession toute-puissante du thaumaturge. A partir de ce jour, le voyage de Germain jusqu'à Ravenne fut une suite non interrompue d'ovations populaires et de miracles quotidiens.
25. Aux portes de la cité impériale, Pierre Chrysologue, avec tout son clergé, vint le recevoir. Quand le bienheureux fut entré dans la maison où il devait loger, il y trouva, sur un vaste plateau d'argent que l'impératrice Placidie lui envoyait, une collation délicatement préparée en maigre. On savait que l'homme de Dieu, fidèle à la loi de rigoureuse abstinence qu'il s'était imposée, ne prenait jamais d'aliments gras. Germain partagea
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entre ses clercs les mets de la table royale; il envoya son diacre vendre le plateau d'argent et en distribua immédiatement le prix aux pauvres, comme une aumône que l'auguste Placidie voulait leur faire par ses mains. Puis, sur l'assiette de bois dont il avait coutume de se servir, il plaça un pain d'orge et envoya ce présent à l'impératrice. La pieuse princesse comprit la valeur de cette humble offrande ; elle fit enchâsser dans un cercle d'or l'assiette de bois et conserva le pain d'orge comme une relique. Valentinien III combla également de marques de respect et d'honneur le saint évêque. Il se montrait tout disposé à ratifier l'arrangement conclu avec le roi des alains. Mais, sur les entrefaites, un message d'Aétius apporta la nouvelle que les habitants de l'Armorique venaient de se révolter encore et d'attaquer les aigles romaines. Cette coïncidence fit échouer la mission pacifique dont le bienheureux évêque s'était chargé. L'échec du négociateur n'enleva rien à la gloire du thaumaturge. A Ravenne comme à Milan, comme à Augustodunum, à Auxerre ou dans la Grande-Bretagne, les miracles se multipliaient sur les pas de Germain. Pierre Chrysologue ne quittait pas l'homme de Dieu. « Ses vertus, disait-il, sont encore plus étonnantes que les prodiges qu'il opère. » Six autres évêques italiens qui se trouvaient alors à Ravenne se faisaient un devoir et un honneur de passer près de lui toutes leurs journées. La résurrection du fils de Volusien, secrétaire du Patrice Sigisvult, la guérison instantanée d'un serviteur de l'impératrice Placidie, furent les derniers miracles de Germain. Un matin, après la célébration de l'office, il dit aux évêques qui l'accompagnaient : «Frères bien-aimés, priez pour moi, car ma mort est proche. Cette nuit, le Seigneur m'est apparu, me disant de me préparer à un grand voyage, et comme je demandais où il me faudrait aller: Ne crains pas, me dit-il, je vais t'appeler à la patrie du bonheur sans fin. » — Le bienheureux tomba en effet malade. Cette nouvelle plongea la ville impériale dans la consternation. La maison où il demeurait fut entourée d'une multitude innombrable qui, jour et nuit, récitait la divine psalmodie, et conjurait le Seigneur de ne pas rappeler à lui ce père des affligés, des infirmes et des
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pauvres. L'impératrice Placidie vint en personne visiter l'illustre malade. Germain la pria de donner des ordres pour qu'après sa mort ses restes fussent transportés dans sa ville épiscopale d'Autissiodorum. Placidie lui en fit la promesse, fort à regret, car elle eût souhaité enrichir l'église de Ravenne de ce pieux trésor. Après sept jours de maladie, il avertit les assistants que sa dernière heure était venue. Il remit à son diacre des eulogies (pain bénit), le chargeant, à son retour dans les Gaules, de les porter à la vierge Genovefa. Puis il rendit à Dieu son âme bienheureuse et sainte (31 juillet 448). Placidie demanda le reliquaire que Germain avait joutume de porter sur sa poitrine. Saint Pierre Chrysologue réclama son cilice. Les autres évêques se partagèrent son pallium, sa tunique et sa ceinture. Le corps, embaumé dans des aromates, enveloppé de voiles de soie et d'or, fut déposé dans un cercueil de cyprès. Valentinien III le suivit à pied jusqu'aux portes de Ravenne. Les relais impériaux furent mis à la disposition du cortège, qui traversa la haute Italie, franchit les Alpes, et n'arriva à Autissiodorum que le 23 septembre. Le convoi funèbre ressemblait à une marche triomphale. Les vierges Magnentia, Talladie, Porcharia, Camille et Maxima suivirent, d'Italie dans les Gaules, le corps du saint évêque. Elles étaient sœurs et appartenaient à une des plus nobles familles de Ravenne. Durant son séjour dans cette capitale, Germain leur avait donné le voile des religieuses. Elles l'avaient assisté sur son lit de mort; elles résolurent d'aller vivre et mourir près de son tombeau 1. La cité d'Autissiodorum voulut garder, huit jours encore, les restes de son saint évêque, avant de procéder à ses funérailles. De tous les points de la Gaule, on accourut pour contempler une dernière fois le visage du bienheureux. Il reçut la sépulture, le 1er octobre 448, dans l'église qu'il
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1 Sainte Magnance est honorée le 26 novembre ; elle mourut près d'Avahon, à quinze lieues d'Auxerre. Sainte Palladie mourut dans le village qui porte maintenant le nom de Sainte-Pallaye, le 8 octobre. Sainte Camille termina ses jours à Écoulives, près d'Auxerre. On célèbre sa fête le 3 mars. Sainte Maxima fut inhumée dans l'église même de Saint-Germain, à Auxerre. Sainte Porcharia mourut dans un ermitage où elle s'était retirée, à cinq ou six lieues de la ville. On ignore la date de sa bienheureuse mort.