Darras tome 27 p. 98
§ I. DOUBLE ÉLECTION.
1. A la mort d’Adrien IV, son persécuteur Frédéric se trouvait avoir en sa puissance plusieurs cardinaux faits prisonniers dans la Cisalpine, au mépris du droit des gens, en haine des immunités de l’Eglise. Parmi les captifs était Adon cardinal évêque de Préneste, un vaillant soutien de la papauté, un adversaire déclaré du Césarisme. César néanmoins, dès la vacance du siège apostolique, les remet tous en liberté, pour qu’ils aillent prendre part à l’élection prochaine. Avant leur départ, il leur prodigue les plus vives démonstrations d’attachement et de déférence. S’il ne craint pas de se contredire ainsi lui-même du jour au lendemain, c’est qu’il désire à tout prix se les rendre favorables dans ce moment décisif ; il espère gagner leurs suffrages pour le candidat de son choix ; et ce candidat n’est autre que le cardinal Octavien. De la réussite de celui-ci dans le conclave dépendent les gigantesques projets de celui-là sur l’Europe centrale, ou même sur le monde entier. Loyal et chevaleresque dans le feu des combats, Frédéric Barberousse, nous l’avons déjà dit, on ne saurait trop le redire, était perfide et dissimulé dans les négociations politiques, au delà de toute expression. L’intrigue paraissait être son élément, aussi bien que le champ de bataille. En cette occasion, son attitude est un modèle de duplicité. Lui-même a saisi l’heure pour graver, à force de dissimulation, son fidèle portrait, dans une lettre à Manuel empereur de Constantinople, et qu’il dut ou voulut adresser, selon le texte, à tous les monarques de son temps. C’est une médaille fort curieuse, conservée par un antiquaire bizantin dans les trésors de l’Eglise grecque. La voici :
2. « Les dissensions et les schismes ont à ce point morcelé l’univers, le veuvage de l'Eglise laisse à l’ancien serpent un champ si libre pour infecter le genre humain de ses poisons, que nous avons consacré toutes nos pensées à sauvegarder par tous les moyens possibles l’intégrité de l’élection et le choix du candidat dans de telles conjonctures. Aussi n’avons-nous rien négligé, ni délégations choisies, ni prières réitérées, pour recommander aux cardinaux
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p99 CHAP. II. — DOUBLE ÉLECTION.
l’exceptionnelle importance de l’acte qu'ils vont accomplir. Voulant ôter tout prétexte aux ennemis du bien, nous avons immédiatement élargi les membres du Sacré-Collége récemment tombés dans nos mains. C’est une chose nouvelle, une chose inouïe, faite pour exciter non la surprise, mais la stupéfaction, que cette lettre vient vous annoncer, ainsi qu’aux autres princes du monde : L’évêque de Préneste, ce prélat si vénéré qui n’a cessé de manifester son opposition à la puissance impériale, au nom même de l’empereur, est immédiatement sorti de sa prison par notre ordre. Une telle générosité, j’en ai la certitude, plongera dans l’étonnement tous les souverains qui savent manier les armes et gouverner avec énergie. On a beau scruter les vieilles annales, interroger les chroniques du passé, considérer les actes et les résolutions de chaque prince, examiner les fastes glorieux des Césars; les plus minutieuses recherches ne découvriront pas un pareil exemple de magnanimité. On peut lire dans l’histoire que beaucoup de rois, nobles jusqu’en leur colère, inspirés par un beau sentiment de clémence et d’humanité, ont détourné le glaive de la justice, n’ont pas frappé des ennemis qu’ils n’avaient plus à craindre ; mais que, devant une hostilité déclarée, quand il s’agit d’un prince de l’Eglise, d’un homme aussi distingué par ses talents, son inébranlable constance et ses autres vertus, qui s’est fait gratuitement notre adversaire et qui le demeurera, qui poursuivra sa résistance et continuera d’entraver nos desseins, — c’est la conviction universelle, c’est la nôtre en particulier — qu’un tel homme, nous l’ayons délivré dans un moment où la plus simple prévoyance et les souvenirs les plus amers nous persuadaient le contraire, voilà ce qui défie toute comparaison. La pitié que nous ressentons pour les malheurs de notre époque, nous a désarmé. Les intérêts de la république chrétienne l’ont emporté dans notre cœur sur nos intérêts privés... Nous compatissons aux maux de l’Eglise, menacée par tant de divisions ; la barque de Pierre, ballottée par les vents et les flots, de toutes parts assaillie par les hérétiques, nous émeut d’autant plus que la foi des hommes est aujourd’hui moins sûre d’elle-même. Votre majesté ne doit pas s’étonnener si moi, le premier fils de cette mère veuve, n’ai pu sans
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attendrissement voir couler ses larmes, écouter ses déchirants soupirs. La prudence humaine m’eût conseillé peut-être de ne point abandonner mes droits ; m’oubliant moi-même, j’ai voulu rendre à la mère son enfant, un frère à ses frères... Chacun des cardinaux qui se tiennent à Rome dans la droiture et la simplicité de leurs intentions, m’a fait la promesse, à la condition que les prisonniers seraient élargis, de nommer un pontife tel que l’exige notre bien et le bien du monde catholique. Fasse le ciel que, pour prix de notre clémence, notre désir soit accompli...»
3. Pendant que Barberousse écrivait son apologie, dont l’imprudence égale la fatuité, dévoilant par ses exagérations mêmes le but nom intéressé qu’il prétendait cacher, avouant en partie ses menées sacrilèges et tyranniques, un nouveau pape était élu ; et ce pape était Roland, le chancelier de l’Eglise Romaine, ce légat qui, dans la diète de Besançon, jouait si froidement sa tête, en soutenant les droits de la papauté, en repoussant les injustes prétentions de l’empire. Ce choix renversait les espérances et détruisait les plans du César germanique. Les prélats rendus à la liberté eurent beau faire diligence, ils arrivèrent après l’élection; mais nous avons la preuve évidente que leur participation n’eut rien changé : l’avenir nous les montre invariablement attachés au Pontife nommé par les autres cardinaux ; ce qui se voit encore par le nombre absolu des suffrages exprimés. Trois jours de prière et de délibération avaient suffi. Tous les membres du Sacré-Collége s’étaient prononcés dans le même sens, à l’exception de trois seulement, Octavien, du titre de Sainte Cécile, Jean, du titre de Saint Martin, Gui, du titre de Saint Caliste. L’élu fut acclamé sous le nom d’Alexandre III. Il appartenait à la famille Paperoni de Sienne, et s’appelait d’abord Laurent Bandinelli. Son père Rainuci n’avait rien épargné pour l’éducation d’un enfant qui manifesta de bonne heure les plus remarquables qualités d’intelligence et de caractère. Pour les antécédents d’Alexandre III et les circonstances de son élection, attachons-nous au manuscrit du Vatican : « Il commença par être chanoine à Pise, et dans ces fonctions il acquit une grande renommée ; il était cher à tout le monde. C’est là que le bienheureux Pontife Eugène III
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sut le distinguer ; il l’attira
sur le champ à Rome, en le nommant chanoine de Latran : première étape dans la
voie des honneurs ecclésiastiques. Bientôt après il le fit cardinal diacre du
litre des Saints Côme et Damien ; puis, cardinal prêtre du litre de Saint-Marc
; enfin, chancelier du siège Apostolique1. » Cette rapide élévation
n’étonnait et n’alarmait que le promu lui-même ; chaque pas devenait un sujet
de confusion, un effrayant mystère pour sa modestie : elle lui fermait les yeux
sur des mérites que tous proclamaient, à part les fauteurs du schisme, les
ambitieux et les jaloux
4. Doué d’une rare éloquence, il était profondément versé dans la science des divines Ecritures et suffisamment instruit dans les lettres humaines. A l’éclat tempéré du discours, à la subtile pénétration des textes, il avait ajouté le travail de l’argumentation, tous les exercices de la scolastique. Au moral, c’était un homme prudent, affable, bon, plein de douceur et de miséricorde, patient, sobre, chaste, généreux : il couronnait la pratique assidue de l’aumône par celle de toutes les autres vertus qui rendent l’homme agréable à Dieu. « Voilà pourquoi le Seigneur le fit croître pour le bonheur de son peuple et l’investit du suprême sacerdoce2. » Aussitôt après les funérailles d’Adrien, la veille des nones de Septembre, le 4 de ce mois, les cardinaux s’étaient réunis dans l’église de saint Pierre ; et, comme nous l’avons dit, au troisième jour, le chancelier Roland était acclamé Souverain Pontife, sous le nom d’Alexandre III, avec l’approbation solennelle du clergé et du peuple romain. Cette élection si parfaitement régulière venait d’avoir lieu, quand deux seuls cardinaux diacres, Jean et Gui, eurent l’audace de nommer pape Octavien, qui prit le nom de Victor IV. Mais le cardinal évêque Jean, ceux d’Ostie, de Porto et de Sabine et tous les autres sans distinction de rang, plaçaient par la main des diacres le manteau papal sur les épaules d’Alexandre,
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Codex Vat. Acta Alexand. Ill ad annum 1159. — Henriquez, dans le Ménologne de l’ordre de Cîteaux, dit que le pape Alexandre avait embrassé la vie religieuse dans le monastère de Chiaravalle près de Milan. Comme il est le seul historien qui rapporte ce fait son témoignage ne saurait prévaloir contre celui de tous les autres, et surtout de l’anonyme que nous citons.
1. Eccli. xlx, 22 ; xlv, 8.
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malgré l’opposition de ce dernier, qui recourait à tous les moyens pour se dérober aux vœux de ses frères et déjouer leurs efforts, se déclarant indigne de monter au trône apostolique. Il y avait longtemps qu’Octavien aspirait à l’occuper. Se voyant frustré dans son attente, fou de honte et de dépit, il se jette sur le Pape légitime et le dépouille de son manteau, qu’il emporte parmi les frémissements et l’indignation de l’assemblée stupéfaite1. Devant un pareil attentat, dans cette scène de désordre, l’un des sénateurs présents, ne pouvant retenir sa colère, se précipite à son tour, et non sans peine arrache le manteau des mains du ravisseur. Alors celui-ci fait signe à son chapelain, comme un frénétique, lui demandant un second manteau dont il l’avait muni d’avance, pour le cas où les suffrages tourneraient contre lui. » La préméditation était flagrante ; elle n’avait rien oublié. D’autres mesures vont la montrer sous des traits plus odieux, mais non plus caractéristiques.
5. « Le chapelain obéit et s’empresse de porter à son maître l’ornement convoité. Dans le trouble auquel l’un et l’autre sont en proie, il arrive que le devant de la chappe est agrafïé sur le dos de l’intrus. Le rire éclate à travers les gémissements et les larmes. Octavien perd tout son sang froid, sa tête s’égare ; voulant échapper trop vite à cette situation, il la rend plus ridicule ; car ses mains, par un mouvement impétueux, ramènent autour de son cou les franges inférieures, en guise de capuchon. Bien que les spectateurs voient le désordre de son âme dans celui de son vêtement2, l’hilarité redouble, puis cesse tout à coup remplacée par l’épouvante. De furibondes clameurs retentissent au dehors. Les portes de la basilique sont enfoncées ; une troupe de sicaires, enrôlés et soudoyés par l’usurpateur, viennent lui faire escorte, à défaut d’évêques et de cardinaux. La vue des armes dans un tel
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1. II faut revenir à l'élection d'Innocent II pour voir à quel point la conduite d'Octavien est calquée sur celle de Pierre de Léon. Cf. tom. XXVI de cette histoire p. 324 et suiv.
2 « In hoc manifeste apparuit quod, sicut erat tortee intentionis et obliqua: ita mantum ex transverso acceperat. »
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p103 CHAP. 11. — DOUBLE ÉLECTION.
lieu et dans de telles mains, fait craindre aux électeurs qu’elles ne servent à les forcer d’adorer la nouvelle idole ; ils se réfugient aussitôt avec l’élu dans la forteresse adjointe à l’église. Octavien les y tient assiégés pendant neuf jours, par le moyen de sa troupe, avec l’aide d’un certain nombre de sénateurs que l’on a gagnés à sa cause. Cependant le peuple romain s’agite et se soulève ; on entend de toutes parts les plus horribles menaces contre les magistrats vendus. Ils prennent alors la résolution de transférer les prisonniers dans une plus forte citadelle, située plus loin, de l’autre côté du Tibre. Cette inique précaution n’a pour effet que d’exaspérer la colère du peuple ; en quelques instants Rome est sur pied. On crie à la trahison, on court aux armes ; l’intrus ne peut se montrer sans que les enfants et les femmes, s’attroupant après lui, fassent entendre ces paroles : Te voilà maudit, fils de maudit ! Ce n’est pas toi qui seras pape; nous voulons Alexandre, que Dieu lui-même a choisi. — Partout les huées l’accompagnent; il est traité d’hérétique et de Judas. Le chant s’en mêle, comme dans toute révolution1. Trois jours se passent, l’irritation grandit; la captivité prolongée du Pontife est un deuil pour le clergé, une ignominie pour la ville.
6. Plusieurs nobles romains, ayant à leur tête Hector Frangipani, donnent une direction et déterminent un but à l’élan populaire. Entraînant la foule avec eux, ils se rendent au lieu de la détention, et somment les sénateurs geôliers de délivrer le Pape. A la vénalité s’allie rarement la valeur; l’ordre est exécuté sans résistance : les prisonniers sont rendus à la liberté. Soudain un immense cortège se forme, les rangs se déploient ; le Pape élu traverse toute la ville, au milieu des acclamations et des chants ; toutes les cloches sont en branle : c’est un triomphe d’autant plus beau qu'il suit une pacifique victoire et qu’il est absolument improvisé. Aucun incident pénible n’obscurcit cette grande journée.
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1 Un étranger débita ces trois vers à l'oreille de l'intrus : Quid facis, insane, patriœ mors, Octaviane? Ctir praesumpsistitunicam dividere Christi ? l'ostmodo pulvis cris., es et modo., cras inorieris. »
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L’opposition travaille dans l’ombre ; on la dirait anéantie. Alexandre sort de Rome avec les siens, se dirigeant vers la terre de Ninfa, près de Vélétri. II atteignait heureusement cette résidence le 20 septembre, veille de saint Matthieu. C’était un dimanche, et le jour fut aussitôt adopté pour la cérémonie du sacre. Parmi les cardinaux qui l’accompagnaient, nous remarquons les évêques d’Ostie, de la Sabine, de Porto, de Ségni, de Terracine et d’Albano. Là se trouvaient beaucoup d’autres dignitaires ecclésiastiques et de magistrats civils, les notaires de l’Eglise Romaine, le primicier du Vatican, l’école des chantres, les représentants des plus nobles familles de Rome, sans compter l’immense multitude des plébéiens. Il semblait qu’on n’eût pas quitté la Ville Eternelle. Au cardinal évêque d’Ostie appartient le droit de sacrer le Souverain Pontife. Comme toujours dans les élections légitimes, il exerça cette haute fonction, en observant de point en point tous les rites de l’Eglise. Aux ornements pontificaux sont unis les insignes de la royauté, la couronne à la tiare. Pendant que les événements suivaient ainsi leur cours, le schismatique Octavien était resté maître de Saint-Pierre, mais comme d’un morne désert.
7. Ses deux complices étaient à peu près seuls aux pieds de cette idole que leurs mains impies avaient érigée dans le temple de Dieu. N’ayant l’un et l’autre que le caractère sacerdotal, ils ne pouvaient procéder au sacre, compléter l’intrusion, avec quelques apparence de validité. Il fallait bien trois évêques ; on ne désespéra pas de les gagner. La naissance et les richesses d’Octavien, secondées par les passions humaines, en viendraient à bout, si l’entreprise était habilement et vigoureusement conduite. Il descendait des puissants comtes de Tusculum : son influence agit d’abord sur l’évêque de cette ville, bien qu’il se fut déjà prononcé pour Roland, dans l’élection même et depuis l’élection. G’était Imar ou Igmar, ancien moine de Cluny, qu’il n’eût jamais dû quitter pour monter aux honneurs ecclésiastiques. Oubliant son passé, mentant à sa conscience, il passe dans le camp de l’intrus et lui porte le concours de son ministère. Cardinal, il n’avait pas même l’ambition pour excuser son apostasie. Aux environs d’Ancône, se tenait
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p105 CHAP. II. — ACTION DES DEUX ÉLUS SUR LE MONDE CATHOLIQUE.
prudemment l’évêque de Melphi, qui pour cause de trahison était exilé du royaume de Sicile : on n’eut que la peine de le découvrir; nulle difliculté pour l’enlacer dans le schisme. L’évêque de Ferentino n’oppose non plus aucune résistance ; ennemi déclaré du chancelier Roland, il se ligua contre le pape Alexandre. Le problème était donc résolu. La consécration de l’antipape, ou plutôt son exécration, comme parle le chronographe romain, eut lieu le dimanche 4 octobre, dans le célèbre couvent de Farfa, non loin de Rome, quinze jours, par conséquent, après le sacre du Pape légitime. Tous les monuments contemporains, sans distinction d’origine ou de nationalité, s’accordent sur ces diverses dates, dont au premier coup d’œil il est aisé de saisir l’importance ; les partisans de César et les fauteurs du schisme ne les ont pas contestées1. Alexandre avait quitté Ninfa pour se rendre à Terracine, observant de près l’attitude équivoque du comte palatin et du seigneur de Biandrate, envoyés par l’empereur au souverain Pontife que la mort venait de soustraire à ses persécutions. Les délégués de Barberousse, témoins de tout ce qui s’était passé, ne pouvaient avoir aucun doute sur la canonicité de l’élection d’Alexandre; mais ils ne voulaient pas encourir le mécontentement de leur maître, qu’ils savaient le protecteur et l’ami d’Octavien : de là leur incertitude et leur dissimulation euvers le nouveau Pape.
§ II. ACTION DES DEUX ÉLUS SLR LE MONDE CATHOLIQUE.
8. Celui-ci résolut, après délibération avec ses frères, d’expédier sans retard des messagers et des lettres apostoliques au despote pempereur allemand, encore retenu par le siège de Crème ; il était animé du sincère désir de le ramener à l’Eglise par la persuasion et la douceur. A celle démarche conciliante et paternelle le Teuton répondit par un superbe dédain. Non-seulement il refusa de lire les lettres, mais il eût maltraité les messagers, si le duc de Bavière et de Saxe ne se fût interposé avec autant de dévouement que de cou-
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1. Rade'-ic. in Frid. h, 65.
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p106 PONTIFICAT d’alexandre III (1159-1181).
rage. Sur son conseil et les instantes prières des autres seigneurs, il permit enfin aux délégués pontificaux de paraître en sa présence et de lire la missive dont ils étaient porteurs ; puis il les renvoya sans leur adresser une parole agréable. Toute son habileté l’abandonnait dans ses accès de dépit et de colère. La lettre d’Alexandre à l’empereur n’a pas été conservée, nous en avons une qui répare à certains égards cette perte, et c’est dans la chronique de Radevic que nous la lisons : « Alexandre évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à son vénérable frère l’évêque Gérard, à ses bien-aimés fils les chanoines de Bologne, aux docteurs en droit et à tous les maîtres demeurant dans cette ville, salut et bénédiction apostolique1. —Le Créateur, dans cette éternelle et immuable sagesse a voulu que dès le commencement l’Eglise immaculée fût gouvernée par un seul pasteur, enseignée par un instituteur suprême, à qui seraient soumis tous les préposés des autres Eglises catholiques ; ils doivent lui demeurer indissolublement unis et pleinement subordonnés, comme dans le corps humain les membres sont unis et subordonnés à la tête. Celui qui, pour affermir à Jamais la foi de ses apôtres, leur a dit : « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècle[1],» ne permettra pas, gardons-nous d’en douter, que son Eglise, où ces mêmes apôtres avaient accepté la magistrature de l’enseignement, soit un jour frustrée de sa divine promesse. Bien que parfois elle paraisse ballottée comme la frêle barque de Pierre, il la maintiendra perpétuellement dans l’ordre et l’état qu’il a lui-même constitués. Trois frères, sortis du milieu de nous, mais qui n’étaient pas réellement des nôtres, se transfigurant en anges de lumière, quand ils sont plutôt ceux de satan, s’emploient de toutes leurs forces à déchirer, à mettre en lambeaux cette robe sans couture que le Sauveur, priant par la bouche du Psalmiste, voulait à l’abri du fer, des lions et des chiens3. Ils ont beau faire ; le Christ, auteur et chef de l’Eglise, la tient sous sa protection et la défend comme son unique épouse ; il
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1 Codex Yat. Acta Alexand. III, ad annum 1159 ; — Radevic in, Frid. 11, 66.
2 Matth. xxvm, 20 ultim.
3. Psalm. xxr, 21, 22.
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p107 CHAP. II. — ACTION DES DEUX ÉLUS SUR LE MONDE CATHOLIQUE.
ne souffrira pas que la barque du Pêcheur, battue par les vents contraires, vienne à sombrer. »
9. Après avoir de la sorte, avec cette inébranlable énergie, affirmé la souveraineté de son droit et celle de son ministère, en face de César, sous le coup d’une révolte intestine, dans un exil anticipé, le Pontife expose les événements qui se sont accomplis, toutes les circonstances de la double élection, presque dans les mêmes termes que le manuscrit du Vatican, au point qu’on se demande si cette dernière relation n’a pas été copiée sur l’acte apostolique, revêtant alors un caractère de véracité supérieur à celui de l’accord et de la ressemblance. Puis il continue : « Pour nous, sachant bien ce qui nous manque de force et de vertu, nous mettons dans le Seigneur toute notre confiance ; sa miséricorde est notre seul appui ; mais il est inébranlable. Nous ne doutons pas qu’étant venu sur la terre dans la substance même de notre mortalité, ayant donné son sang « pour acquérir une Eglise immaculée, sans ride et sans tache1, » le Christ ne lui rende la paix et le bonheur, qu’il ne dissipe les orages dont elle est menacée, et ne renverse les obstacles qu’elle rencontre sur son chemin. Nous défiant donc de nos mérites et comptant sur votre religion, nous implorons le secours de vos prières, en même temps que les suffrages de l’Eglise universelle. Nous demandons instamment à votre charité, par ce rescrit apostolique, de vous placer comme un mur d’airain, un boulevard inexpugnable, en avant de la maison du Seigneur, toujours dévoués à votre auguste mère, cette sainte Eglise Romaine, qui fait votre honneur et votre sécurité. Si l’homme impie vous adressait une communication quelconque, repoussez-la comme elle doit être repoussée, méprisez-la comme une vaine et sacrilège tentative. Nous ne voulons pas vous laisser ignorer que du consentement unanime, par l'expresse volonté de nos frères les évêques et les cardinaux, en présence de tout le clergé réuni dans l’Eglise, chandelles allumées, nous avons lancé l’anathème et prononcé l’excommunication contre ce malheureux Octavien, apostat et schismatique, obstiné
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1 Ephes. v, 27.
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108 • rONTIFICAT d’alexaxdre hi (llo9-1181).
dans sa rebellion : c’est le huitième jour après celui de notre sacre, dernier terme fixé par nous à son retour, que nous avons frappé le contumace. »
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- Matth. xxvin, 20 ultim.