St Germain et St Loup 2

 

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Darras tome 12 p. 541

 

21. Les deux évêques missionnaires se dirigèrent aussitôt vers les côtes de la Grande-Bretagne. Ils emmenaient avec eux un certain nombre de prêtres et de clercs, les plus distingués par leur science et leurs vertus. «Partout, disent les Actes, ils recueillaient les hommages des populations groupées sur leur passage. Traversant la ville des Parisii (Paris) sans s'y arrêter, ils arrivèrent sur le soir au village de Nemetodorum (Nanterre), où ils comptaient passer la nuit. Tous les habitants de la petite bourgade, prévenus de leur approche, s'étaient portés au-devant d'eux. Les deux saints se trouvèrent entourés d'une foule d'hommes, de femmes et d'enfants qui demandaient leur bénédiction, et voulaient avoir l'honneur de les escorter. Le bienheureux Germain, touché de leur empressement, monta sur un tertre et adressa quelques paroles à cette foule pieuse. En ce moment, ses regards dirigés par l'Esprit céleste se portèrent sur une jeune filic d'une dizaine d'années. Il l'appela à lui, et la baisant au front : Comment se nomme cette enfant? dit-il; quels sont ses parents? — C'est Genovefa, répondirent aussitôt mille voix. Et fendant la foule, Severus et Gerontia son père et sa mère s'approchèrent des deux évêques. Le bienheureux Germain leur dit : Béni soit le jour où une telle fille vous a été donnée ! Sa naissance fut saluée par les anges. Le Seigneur la réserve à de grandes choses. — Puis s'adressant à l'enfant : Genovefa, ma fille, lui dit-il. — Père saint, répondit-elle, parlez. Votre servante écoute. — Dites-moi, ma fille, n'avez-vous pas la volonté de vous consacrer un jour au Seigneur et de devenir l'épouse de Jésus-Christ? — Père saint, dit Genovefa, soyez béni, vous qui lisez dans mon cœur. Telle est en effet la pensée que j'ai déjà eue souvent, et j'ai prié le Seigneur de l'accomplir. — Ayez confiance, ma fille dit Germain; demeurez ferme dans votre pieuse résolution. Le Seigneur vous donnera force et courage. — La procession se dirigea ensuite vers l'église. On y chanta none et vêpres 1 : le bien-

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1 Pervenienles ergo ad ecclesiam, nonam et duodecimam célébrantes. (Bollandv S. Genovef. Act., 3 jan.) Le mot duodecima, employé ici pour signifier les vêpres, prouve qu'on commençait déjà dans les Gaules à mettre de côté la division horaire des Romains, pour employée la division diurne et nocturne

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heureux Germain avait placé l'enfant à ses côtés; il tint durant tout le temps la main droite étendue sur cette jeune tête. Les deux évêques prirent ensuite un peu de nourriture, et ayant chanté l'hymne d'actions de grâces, Germain remit l'enfant à son père Severus, en l'avertissant de se trouver avec elle le lendemain matin, dès l'aube, pour assister au départ. Le lendemain, parmi la foule qui avait envahi l'église, le bienheureux évêque distingua une seconde fois l'enfant bénie. Il s'approcha d'elle et lui dit : Salut, Genovefa, ma fille. Vous souvenez-vous de la promesse que vous m'avez faite hier? — Père saint, répondit-elle, c'est à Dieu et à vous que j'ai fait cette promesse. Je ne l'oublierai jamais. —Or, il se trouva à terre un nummus d'airain qui portait sur une de ses faces le signe de la croix. Germain s'inclina pour le prendre, et le remettant à la jeune vierge : Suspendez ce signe sacré à votre cou, lui dit-il, et portez-le en mémoire de moi. Qu'il vous tienne lieu de toutes les parures et de tous les ornements du siècle. — Puis, se recommandant à ses prières, il la bénit et reprit sa route1. » L'enfant que l'œil de Germain avait ainsi discernée, dans le petit village de Nemetodorum, appartenait à l'une des plus pauvres familles de ce hameau. Ainsi que les autres jeunes tilles, ses compagnes, elle gardait les troupeaux de son père. C'était elle pourtant qui devait, sous le nom immortel de Geneviève, devenir la sauvegarde de Paris et la patronne de la France.

 

   22. Les deux saints évêques s'embarquèrent avec leur suite probablement à Gessoriacum (Boulogne), dont le port était à cette époque le plus fréquenté par les voyageurs qui passaient des Gaules dans la Grande-Bretagne. La première partie de la traversée s'accomplit heureusement. Mais, au milieu du détroit, une violente tempête assaillit le navire. « Sans doute, disent les Actes, le démon, que les apôtres du Seigneur allaient combattre, voulait arrêter dès le début une expédition qui devait arracher tant d'âmes à son empire. Les voiles furent brisées par le vent, les

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en douze heures égales. La duodecima était la douzième et dernière heure du jour naturel., prise à l'époque des équinoxes. 1 Bolland., S, Cenovef. Act., i. jan.

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vagues menaçaient d'engloutir la frêle embarcation, et les matelots, ne pouvant lutter contre l'orage, levaient les mains au ciel et abandonnaient le vaisseau à la dérive. Cependant Germain, épuisé par la fatigue des jours précédents, s'était endormi. Le bienheureux Lupus l'éveilla; tous les passagers lui crièrent, comme autrefois les apôtres au Seigneur : « Sauvez-nous, nous périssons 1 ! » Germain considéra d'un visage calme et tranquille les éléments déchaînés. Puis, invoquant le nom de Jésus-Christ, il prit l'huile sainte et en versa quelques gouttes à la surface des flots. « A genoux! dit-il, et prions. » L'équipage obéit à cette voix révérée. Quelques instants après, le vent changeait de direction, chassait les nuages, et le navire voguait en sûreté sur une mer paisible. Les deux apôtres étaient attendus sur les côtes de la Grande-Bretagne. A leur débarquement, ils furent accueillis par une foule immense qui les conduisit à Verolamium (Verulam), où Germain réunit un concile. Les chefs de la secte pélagienne y furent nommément invités; mais ils s'abstinrent longtemps de paraître. Germain et Lupus mirent à profit ce délai pour parcourir les cités, les bourgades et jusqu'aux plus pauvres hameaux. « Ils prêchaient, disent les Actes, dans les rues, dans les carrefours, dans les champs, en plein air, partout où ils rencontraient une âme à éclairer, un hérétique à convertir. » Les miracles qui éclataient sur leurs pas, et le prodige permanent de leur sainteté personnelle étaient des arguments plus persuasifs encore que leurs discours. La foi catholique eut bientôt triomphé des sophismes de l'erreur, et le retour du peuple breton à l'orthodoxie était déjà un fait accompli, lorsqu'enfin le pélagien Agricola et ses adeptes se résolurent à accepter la conférence qui leur était proposée. Nous n'avons plus le procès-verbal de la discussion théologique qui s'engagea en cette circonstance. L'histoire ecclésiastique de Bède nous apprend qu'elle s'ouvrit avec une solennité extraordinaire, au milieu d'un immense concours de clergé et de peuple. Les bienheureux évêques Germain et Lupus laissèrent d'abord les pélagiens exposer aussi longuement qu'ils voulurent leur système du libre arbitre subs-

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1 Matth., vin, 23. —2. Bed., Hist. eccles., lib. 1. cap. ïvu.

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titué à la grâce. Puis reprenant une à une toutes leurs propositions, ils les réfutèrent par les témoignages de l'Écriture sainte, que les lecteurs produisaient sur leur ordre d'après des exemplaires authentiques. L'erreur fut mise à découvert et la vérité catholique démontrée avec tant d'évidence que la foule, battant des mains, acclama la foi contenue dans la Confession de Troyes1. » — « En ce moment, ajoute le vénérable Bède, un tribun breton s'approcha des bienheureux évêques et leur présenta sa fille, jeune enfant de dix ans, aveugle de naissance, les suppliant de la guérir. Adressez-vous aux pélagiens, lui dirent-ils. Si leur doctrine, comme ils le croient, est véritable, le Seigneur la confirmera par un miracle. — Mais les pélagiens eux-mêmes joignirent leurs instances à celles du tribun et de tout le peuple, conjurant les deux saints d'avoir pitié de cette enfant. Rempli de l'Esprit de Dieu, le bienheureux Germain invoqua la Trinité, puis détachant le reliquaire qu'il portait au cou, il l'approcha des yeux de la jeune infirme, qui s'ouvrirent aussitôt à la lumière. A la vue de ce prodige, le saisissement de la foule fut immense. Des larmes de joie coulaient sur tous les visages, la profession de foi catholique s'échappait de toutes les lèvres. Germain et Lupus, suivis de la multitude, se rendirent au tombeau de saint Alban, pour rendre grâces à Dieu sur le sépulcre du martyr. Après y avoir récité la prière solennelle, Germain fit ouvrir cette tombe glorieuse. Il y déposa respectueusement les reliques qui venaient d'opérer le miracle, et remplit son reliquaire de la poussière encore teinte de sang qu'il trouva dans la tombe du martyr breton 2. » Il voulait, par ce fra-

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1 Omnes enhn prorsus ad fidem Trecassinœ Confessionis populos adduxere. (Bolland., S. Lupi Act. antiq., 29 jul.)

1 Quibus deposilis honorifice atque sociaiis, de loco ipso ubi beali marlyrit ejfusus crat snuguis massant pulveris secum poriaturus cbstulit, in qua appa-rebut, cruore servato, rubuisse marlyrum cœdem. (Bed., Hist. eccla., lib. I, cap. xvm.) Nous avons, dans ce texte, une nouvelle preuve de la pieuse sollicitude avec laquelle, durant les siècles de persécution, les fidèles sur tous les points du monde recueillaieut le sang versé par les martyrs et jusqu'à la terre que ce sang avait rougie. Les chrétiens de la Grande-Bretagne, de même que ceux de Rome, plaçaient donc le sang dans le tombeau de leurs saints, comme uu témoignage incontestable de martyre.

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ternel échange, donner au peuple un témoignage sensible de l'unité de la foi pour laquelle les saints de Bretagne, comme ceux des gaules, avaient répandu leur sang. Plus tard il construisit à Autissiodorum une église en l'honneur de saint Alban, et y déposa la terre sacrée recueillie au tombeau du martyr.

 

 23. « Cependant, continue le vénérable Bède, les Saxons1 et les Pictes, associant leurs forces, venaient de franchir la grande muraille. Les guerriers bretons prirent les armes et marchèrent à leur rencontre. Ils prièrent les deux saints évêques de les accompagner, sûrs que leur présence serait un gage de victoire. On vit donc le Christ, en la personne de ces deux hommes apostoliques, commander une armée et présider un camp. Or, ou était aux jours de la sainte quadragésime (carême). Ceux des Bretons qui étaient encore païens se convertissaient en foule et demandaient le baptême. A l'approche du dimanche de la Résurrection, on dressa au milieu du camp une église de branchages verts, décorée des premières fleurs du printemps. Les guerriers catéchumènes y furent baptisés le samedi-saint, et l'on célébra la fête pascale avec une ferveur, une solennité et un recueillement admirables. Les barbares, informés de cette circonstance par leurs espions, crurent l'occasion favorable et se mirent en marche pour attaquer le camp. Dès que leur mouvement fut signalé, Germain, l'ancien duc d'Autissiodorum, prit le commandement en chef. A la tête d’une troupe de cavalerie légère, il poussa une reconnaissance sur les hauteurs voisines. Dans une gorge étroite , entourée de hautes montagnes, et qui formait comme la clef de ces passages, il posta le gros des troupes. Lui-même, au point le plus exposé, il attendit l'ennemi de pied ferme. Quand les Saxons et les Pictés débouchèrent dans la vallée, d'une voix retentissante il donna le signal du combat en ordonnant à tous ses soldats de le répéter après

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1 Les Soxones, Saxons, peuplade germanique qui devait plus tard dominer toute l'île, apparaissent ici pour la première fois dans l’histoire de la Grande Bretagne. Vraisemblablement ils avaient été appelés à titre d'auxiliaires par les Pictes les Scots, pour prendre part à l'expédition projetée et en assurer le succès.

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lui. C'était l’alleluia, qu'il avait choisi pour cri de guerre. Trois fois répétée par la multitude immense des soldats chrétiens, et répercutée par tous les échos des montagnes, cette clameur jeta l'épouvante au sein des barbares. Ils crurent un instant que les rochers s'écroulaient et que les échos se renvoyaient le bruit de la chute. Profitant de cette panique, Geimain lança sur eux ses guerriers; l'ennemi s'enfuit en jetant ses armes. Un torrent, que les Saxons et les Pietes venaient de franchir sur un pont de bois, barrait maintenant le passage aux fuyards. Dans leur terreur, ils se dépouillaient de la peau de mouton qui leur servait de tunique, et se précipitaient à la nage. Un grand nombre y périt. En quelques heures, de cette nuée de barbares il ne restait plus que des lances, des boucliers, des dépouilles de tout genre éparses sur le sol et couvrant tous les sentiers des montagnes. Les Bretons, vainqueurs sans combat et sans effusion de sang, recueillirent ces richesses abandonnées, et les dressèrent au milieu de leur camp comme le trophée d'une pâque triomphale 1. » Le lieu du combat s'appelle encore aujourd'hui : Maës Germon (Champ de Germain). Il est situé dans le comté de Flint, près de la bourgade anglaise de Mould, nommée en breton Guid-Cruc [Dux Crux). «Quand la paix civile et religieuse eut été ainsi rendue aux Bretons, reprend le vénérable Bède, les deux évêques retournèrent dans leur patrie, emportant les bénédictions et les regrets de la Grande-Bretagne. Le navire qui les portait, grâces à leur mérite et à l'intercession du glorieux martyr Alban, eut une heureuse traversée 2. » Germain revint à Autissiodorum. Lupus, de retour dans la cité des Tricasses, y établit un monastère qui porta son nom jusqu'à la révolution française, et qui donna dès l'origine de nombreux évêques aux églises des Gaules et de la Germanie. Alpinus (saint Alpin), l'un des premiers disciples de saint Loup, fut élevé sur le siège épiscopal de la cité Cathalaunique (Châlons-sur-Marne), pendant qu'un autre, Severus (saint Sever), allait s'asseoir sur la chaire métropolitaine des Treviri (Trêves)3 (429).

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1 Bed., Ilist. eccles., lib. [, cap. xs.— s Bed., Hist. eccles., lib. I, cap. a,-* . B*lluntl., S. Lup. Acl. antiq., 29 jul.

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