Grégoire VII 70

Darras tome 22 p 518

 

   23. Les juristes de cour et les théologiens de l'antipape n'eurent garde de laisser sans réplique les deux lettres de saint Anselme et de saint Gébéhard. C'était pour eux l'occasion de se faire grassement payer en beaux bénéfices et en riches investitures une servile et mercenaire éloquence. L'évêque d’Albe Benzo, le pseudo-cardinal Benno, l'auteur anonyme de la Vita Henrici IV, l'annaliste

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1.Cf. chap. n<du présent vol. p. 84.

2. Nous prenons la liberté de recommander au lecteur, comme une curieuse étude rétrospective, l'alinéa fort court consacré par Fleury (Hist. eccl. liv. LXIII, n°10) à l'analyse de la lettre de saint Gébéhard. On y voit non sans surprise que « le pape lui-même avait violé le serment qu'il avait fait au roi Henri. » Quel pouvait bien être le serment que Grégoire VII aurait eu jamais à prêter au roi d'Allemagne, l'historien si judicieux quand le préjugé gallican ne l'aveugle point n'en dit pas un mot. Le texte du saint archevêque de Saltzbourg n'y fait d'ailleurs pas la moindre allusion. Mais Fleury n'est pas plus respectueux pour la personne du pieux métropolitain que pour sa doctrine. Et il conclut en ces termes : « Il parait par cette lettre que Gébéhard n'entendait même pas l'état de la question. »

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p519 CHAP.  V.    SECOND   SIEGE  DE  ROME  PAR  HENRI  IV.

 

également anonyme du recueil des Annales Romani publié par Watterich, l'ancien écolâtre de Bamberg Egilbert, et grand nombre d'autres scribes courtisans se signalèrent alors. Chose singulière, et comme si la conjuration satanique qui poursuivit de son vivant le grand pape se fût prolongée sous les mêmes auspices après sa mort, les diatribes payées des schismatiques eurent presque toutes le privilège de survivre à l'époque qui les avait vu naître, pendant que l'œuvre parallèle des apologistes contemporains demeurait enfouie dans la poussière des bibliothèques, attendant l'heure où l'érudition de notre moderne paléographie viendrait les rappeler à la lumière. Il y eut de la sorte pour le génie à jamais incomparable de Grégoire VII deux postérités : l'une qui ne connut du grand pape que ce qu'en écrivirent ses ennemis ; l'autre qui de nos jours possède enfin la contre-partie de l'acte d'accusation dressé par les schismatiques. Cette remarque nous permet d'apprécier d'une manière équitable certains écrits fort retentissants qui ont compromis au dix-septième siècle la mémoire d'un grand évêque français, digne à tant d'autres égards de figurer au rang des pères de l'Eglise. Bossuet eut le malheur de méconnaître absolument le caractère historique de Grégoire VII; les pages qu'il consacre à ce grand et saint pontife sont certainement les plus déplorables de la fameuse Defensio cleri gallicani, œuvre si déplorable elle-même. Aujourd'hui nous sommes heureux de constater que l'immortel évêque de Meaux n'avait sous la main pour juger Grégoire VII qu'un dossier presque exclusivement composé de pamphlets écrits contre Hildebrand. Nous tenons à signaler ce fait qui constitue pour Bossuet une circonstance vraiment atténuante. Bossuet fut par rapport à Grégoire VII de ce que nous avons appelé «la première postérité, » celle qui dura cinq siècles et répéta l'écho des voix accusatrices. A cette première postérité appartiennent Sigebert de Gemblours, Marianus Scotus, le catalogue de Zwellen, l'école protestante du seizième siècle et le gallicanisme du dix-septième 1. Mais que dire des récents histo-

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1 Les Bollandistes publièrent le tome VI de mai renfermant la notice de saint Grégoire VII, en 1688, six ans après la fameuse déclaration gallicane de 1682.

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p520 PONTIFICAT  DE   GREGOIRE  VII  (1073-1085).

 

riens ou polémistes ecclésiastiques qui, malgré l'ouvrage révélateur de l'allemand Voigt, malgré les immenses découvertes paléographiques de Pertz, de Gfrorer, de Jaffé, de Watterich s'obstinent encore à ressasser des accusations que Bossuet s'il pouvait ressusciter dans sa gloire répudierait comme le produit d'une science incomplète et insuffisante ! La « seconde postérité » pour Grégoire VII, celle qui place son nom au rang des plus grands génies et des plus grands saints que l'humanité ait connus, a commencé avec le dix-neuvième siècle par l'ouvrage du docteur Voigt. A cette époque le vainqueur d'Iéna dit un jour: « Si je n'étais Napoléon, je voudrais être Grégoire VII 1. » Aujourd'hui des monuments que Voigt lui-même n'a point connus sont remis au grand jour; la véritable figure de Grégoire VII se dresse devant nos générations actuelles dans toute sa majesté, pareille à une statue antique dont l'or resplendit enfin sous la rouille qui l'obstruait depuis tant de siècles.

§ IV. Troisième   siège de  Rome par Henri IV.


  24. L'année 1083 ouvrit pour Rome et pour le grand pape une nouvelle série de luttes plus désastreuses que toutes les précédentes. « Le roi saxon Hermann célébra, dit Bernold, la solennité de Noël (1082) en Souabe, d'où il comptait se diriger avec son armée en Lombardie et se porter au secours du seigneur apostolique. Mais une funeste nouvelle survint en ces jours. Le duc Otto de Nordheim, ce très-prudent et très-brave chevalier à qui il avait confié la re-

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Ils n'eurent pas le courage ou peut-être la liberté de réagir contre le courant de l'opinion, en consacrant au grand pape une de ces études historiques approfondies et complètes où leur érudition excellait. Un pareil travail devrait tenter la science de leurs illustres successeurs.

1 Ed.   Langeron, Grégoire  VII et les orig.   de  la doctrine ultramontaine ; 2» édit. Paris, Thorin. 1S74, in S», p. 3C6,

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gence de ses états, était mort inopinément. Cette perte laissait le champ libre aux intrigues de Frédéric de Hohenstaufen. Une guerre civile allait éclater en Saxe ; le roi Hermann dut renoncer à son expédition d'Italie et retourner promptement à Goslar1.» De cecôté donc Henri IV n'avait plus rien à craindre. En Apulie, Robert Guiscard était toujours retenu par l'émeute organisée à son retour de Dyrrachium sous la double influence de la politique tudesque et bysantine. Il faisait alors le siège de la cité de Bari qui lui opposait la plus vive résistance. Une intervention immédiate en faveur de Rome lui était momentanément impossible. Henri profita de cette coïncidence qui paralysait la liberté d'action des deux plus puissants alliés du pontife. A la tête de ses hordes de schismatiques et d'excommuniés, reprend le chroniqueur, il se rapprocha de Rome, passa les fêtes de Pâques à Sainte-Rufine2 (Silva-Candida) et vint, comme les années précédentes, établir son camp dans la prairie de Néron à l'ouest de la basilique Vaticane. Mais plus heureux cette fois, il réussit à s'emparer de la cité Léonine, après un assaut dont Landulf de Milan et Guillaume de Malmesbury nous ont retracé les diverses péripéties.

 

   25. Landulf, clerc milanais, partisan dévoué de l'intrus Thédald, triomphe en racontant cette victoire, à laquelle suivant toute apparence il a assisté en personne et dont il fait honneur à l'habileté et à la vaillance de ses compatriotes. Son dévouement pour le césar tudesque éclate à chaque ligne de son récit. « L'empereur, dit-il, s'était enfin résolu à écraser le foyer de résistance qu'il trouvait depuis si longtemps à Rome, repaire des intrigues sans nombre et des malversations de Grégoire. Les soldats qui vinrent s'enrôler sous ses drapeaux pour cette glorieuse expédition formaient la plus puissante armée qu'on eût encore vue : une couronne d'évêques entourait la majesté impériale et lui faisait escorte. L'archevêque milanais Thédald, ce vénérable seigneur qui avait refusé pour lui-

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1. Bemold. Chrome, Pair. Lat., tom. CXLVIII.col. 1381.

2. Ces derniers détails nous sont fournis par la chronique d'Ekkéard d'Urauge
[Patr. Lat,, tom. CLIV,col. 953). La fête de Pâques tombait cette année le
9 avril.

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même le souverain pontificat et déterminé la promotion de Wibert de Ravenne, se montra encore dans cette nouvelle occasion un digne successeur de saint Ambroise. Il leva et équipa à ses frais mille chevaliers d'élite, pourvut à leur entretien durant tout le temps de l'expédition, et se mettant à leur tête rejoignit dès le mois de décembre la grande armée de César. Le siège de Rome dura plusieurs mois sans résultat. Une nuit deux Milanais, braves entre les braves, tous deux attachés au service du seigneur Thédald, l'un nommé Amizo, boulanger de la mense archiépiscopale, l'autre nommé Hugues, camerlingue chargé de monter la garde à la porte de la camera du pontife, accomplirent alors un exploit héroïque. Tout le camp impérial était plongé dans un profond silence; les soldats teutons aussi bien que ceux des diverses nations étrangères dormaient après les fatigues de la journée. Les deux amis voulurent se rendre compte de la situation des assiégés et savoir par quels moyens ils repoussaient tous les assauts. Couverts d'une cotte de mailles, armés de poignards et tenant en main leur épée, ils gagnèrent furtivement un point des remparts où les balistes avaient fait une brèche. Retenant leur haleine, ils escaladèrent silencieusement les pierres amoncelées. Aucun ennemi ne se présentant, ils se glissèrent le long des remparts et constatèrent que toutes les sentinelles étaient endormies. Tirant alors leurs glaives, ils massacrèrent les uns, jetant par dessus les murailles ceux qui, réveillés en sursaut cherchaient à se défendre. Montant alors au sommet de l'une des tours, ils frappèrent leurs boucliers l'un contre l'autre, signal convenu avec l'empereur pour appeler à la rescousse. Le seigneur Thédald qui se tenait aux aguets courut le premier à la tente impériale pour organiser l'assaut. Mais les Teutons, race jalouse qui détestait les Lombards, ne voulurent pas laisser à ceux-ci l'honneur de la victoire. Ils s'armèrent en grande hâte pour profiter d'un succès auxquel ils étaient étrangers2. »

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1 Allusion à ce qui s'était passé deux ans auparavant au conciliabule de Brixen. Cf. chap. IV du présent vol., n° 7.

2. Landulf. Sen. Catal. ep. Mediol. — Pair. Lat., tom. CXLVII, col. 952.

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p523 CHAP.  V. —  TROISIEME  SIEGE DE  ROUE  PAR HENRI IV.

 

26. « Le porte-étendard de l'empereur, Godefroi de Bouillon, à qui sa récente victoire sur Rodolphe avait valu, dit Guillaume de Malmesbury, l'investiture de tout le duché de Lorraine, se mit à la tête des assiégeants. Les soldats romains éveillés en sursaut étaient accourus en armes sur la brèche et occupaient toute la ligne des remparts. Godefroi de Bouillon réussit le premier à forcer tous les obstacles. Parvenu dans la place, il ouvrit une large poterne , magnam fenestram, et livra ainsi passage aux assaillants. Couvert de sueur, les veines bouillonnantes comme du feu, il trouva dans le souterrain qu'il lui fallut traverser une amphore pleine de vin de Falerne et y but à longs traits. Soit que la réaction de cette fraîche liqueur ait été trop subite, soit que le vin eût été empoisonné (car les Romains et en général tous les habitants de l'Italie auraient, dit-on, la coutume d'empoisonner ainsi des tonneaux entiers qu'ils réservent en cas d'invasion1, soit enfin, comme d’autres l'affirment, que les brouillards qui s'élèvent chaque matin sur le Tibre dans la plaine où le duc avait son camp aient produit une influence épidémique, toujours est-il que Godefroi de Bouillon, après avoir vu mourir à ses côtés tous ses compagnons d'armes, sauf dix seulement qui résistèrent à la contagion, fut lui-même atteint de la maladie. L'accès fut tellement sérieux qu'il perdit les cheveux et les ongles et resta plusieurs mois entre la vie et la mort2. » Il eut ainsi le temps de réfléchir aux événements dans lesquels il avait joué un rôle dont l'héroïsme ne rachetait pas le sacrilège. On dit que, partageant sa maladie et ses remords, un chevalier qui avait dirigé sa jeunesse et lui avait appris l'art des combats se trouvait avec lui sous la même tente dans la prairie de Néron. C'était Pierre d'Achères, Petrus de Acheriis, destiné à conquérir sous le nom plus modeste de Pierre l'Ermite une gloire qui ne s'effacera jamais du souvenir des mortels. Le précepteur et le disciple , le  porte-étendard de Henri IV et le chevalier d'Achères

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1. Quod solcant Romani et illius terne homincs totis infundere toxica tonnit.

2. W'illelm.Maimerb. Gest.reg.Angl.,lib.lV,§ 375.—Pstr.Lat.,tom.CLXXlX, ■col. 1525.

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p524 PONTIFICAT  DE   GRÉGOIRE   VII   (1073-1083).

 

firent vœu de ne plus porter les armes contre le vicaire de Jésus Christ et d'expier leurs précédents attentats par un pèlerinage à Jérusalem. Pierre guérit le premier, passa quelque temps dans un ermitage du territoire d'Amiens et partit pour la Terre-Sainte1. Guillaume de Malmesbury uniquement préoccupé du futur roi de Jérusalem néglige les détails qui concernent Pierre l'Ermite, et continue en ces termes : « Godefroi de Bouillon ne réussit point à se guérir de la fièvre lente mais continue dont il avait pris le germe sous les murs de Rome. Après son retour en Lorraine sa santé resta chancelante; la poitrine même fut attaquée. Cet état maladif dura jusqu'en 1095, époque où l'on prêchait la grande expédition pour Jérusalem. Renouvelant son vœu, Godefroi promit si Dieu lui rendait sa force première de se mettre aussitôt en campagne. Après ce serment, on vit une jeunesse nouvelle succéder à l'épuisement presque sénile du chevalier ; ses membres redevinrent robustes comme les branches noueuses d'un chêne, sa large poitrine reprit son ampleur, sa taille se redressa dans des proportions héroïques ; il se retrouva comme autrefois le plus vaillant des guerriers.2 »

      27. Ce fut le vendredi 3 juin 1083 que Godefroi de Bouillon envahit la cité Léonine et la basilique du prince des apôtres : seize ans plus tard, le vendredi 15 juillet 1099, il devait glorieusement réparer cette victoire sacrilège en arborant l'étendard de la croix sur les murs de Jérusalem. L'heureux coup de main qui permettait à Henri IV de franchir l'enceinte du sol sacré ne lui livrait qu'une très-faible partie de la ville éternelle. L'armée tudesque n'occupait que la cité Léonine proprement dite. Le quartier du Transtévère, le château Saint-Ange sur la rive droite du Tibre tout l'intérieur de la cité sur la rive gauche demeuraient au pouvoir du pape. Le roi excommunié voulut cependant donner à ce succès partiel si longtemps attendu le caractère d'un triomphe complet. « Le III des calendes de juillet (29 juin 1083), reprend l'historio-

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1 Vian, Pierre l'Ermite et tes Croisades, p. 143-221.

2.Willem. Malinesb., loc. cit.

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p525 CHAP.   V.    TROISIEME   SIEGE  DE  ROME  PAR  HENRI IV.

 

graphe milanais Landulf, une cérémonie imposante eut lieu. L'empereur récompensa avec magnificence par des honneurs, des dignités nouvelles, des dons en argent, le seigneur Thédald, les princes, les chevaliers et les soldats milanais. Il leur rendit grâces de la victoire et leur donna congé de retourner dans leur patrie, gardant seulement près de lui ses troupes teutoniques avec lesquelles il s'installa dans le palazzuolo des Césars 1. » La cérémonie à laquelle Landulf se borne à faire allusion, sans la décrire, était l'intronisation de l'antipape sur la chaire profanée de saint Pierre. « Wibert de Ravenne, cet apostat parjure tant de fois excommunié et déposé, dit Bernold de Constance, fut conduit processionnellement par les évêques simoniaques à la basilique du Vatican 2. » Les cardinaux d'Ostie, d'Albano et de Porto qui ont le privilège exclusif de présider soit à l'installation soit au sacre des papes étaient, le premier, c'est-à-dire Odo de Lagery, retenu captif par Henri, les deux autres hors du pouvoir des schismatiques. Odo refusa de prêter son ministère à une intrusion sacrilège. Deux évêques depuis longtemps déposés et excommuniés, celui de Modène et celui d'Arezzo, mirent le comble à leur damnation en couronnant l'antipape et en faisant asseoir l'abomination de la désolation dans le lieu saint. Toutefois,

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1 Landulf. Hist. Mediol., loc. cit., col. 952. L'expression latine dont se sert Landulf pour désigner la nouvelle résidence de Henri est celle de palatium caesarianum. Le chroniqueur allemand Ekkéard d'Urauge moins familiarisé que Landulf avec la topographie de Rome et imaginant que le palais césarien ne pouvait être que celui d'Auguste, de Tibère et de Néron sur le mont palatin près du Capitule et du Colysée, écrit tout simplement qu'Henri IV siégeait dès lors in monte Palatino. (Ekk. Uraug. Chron. Patr. Lot., tom. CL1V, col. 953). Mais Bernold de Constance rétablit la véritable situation des lieux en ces termes : Statim igitur juxta Sanctum Petrum quemdam monticulum, nomine Palaceolum, Henricus incastcllavit. (Bernold. Chron. Patr. Lat., tom. CXLVIII, col. 1381.) Ce fut donc non loin de Saint-Pierre et en vue du château Saint-Ange appelé alors «Tour de Crescentius, » sur la rive droite du Tibre, que s'établit Henri IV sur l'emplacement d'un ancien palais de Néron dit Palaceolum (Palazzuolo, petit palais), dont les ruines se retrouvent maintenant dans la Vigna Barberini. (Cf. Watterich, tom. I, p. 454, not. 6. — Héfélé, Hist. des conc, tom. VI, p. 621, not. 1. — Papencordt, Gesch. der Stadt Rom., § 221.)

2. Bernold. Const. Chron., loc. cit.

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p526 PONTIFICAT  DE   GREGOIRE  VII  (1073-1085).

 

selon la judicieuse observation de Muratori 1 comme une installation pontificale pour être régulière devait être précédée d'une élection à Saint-Jean de Latran, la cérémonie du 29 juin 10S3 ne fut encore même dans la pensée de l'antipape que provisoire, il ne la crut pas suffisante pour être autorisé à prendre officiellement son nom pontifical de Clément. Quant à Henri IV, se souciant fort peu de cette parodie, il subordonnait le sort de l'intrus aux chances militaires et aux besoins ultérieurs de sa politique.

 

   28. « Le siège de Rome fut continué 2 reprend Bernold. Le roi excommunié fit élever sur la rive droite du Tibre sur un monticule appelé Palaciolum une forteresse où il établit une garnison de trois cents hommes sous le commandement d'Udalric de Gozehem. Mais les Transtévérins leur opposèrent partout une invincible résistance. Henri eut alors recours à ses moyens ordinaires de séduction. Les Romains étaient fatigués d'un siège qui durait depuis trois ans 3. » Des émissaires habiles exploitèrent cette disposition des esprits, ils semèrent l'or et les promesses, achetèrent les consciences vénales et obtinrent la signature d'un pacte resté jusqu'à nos jours complètement inconnu et découvert par M. Pertz dans un manuscrit de British Muséum, n° 390 du fond Arundel. Voici ce curieux document où la trahison s'étale, avec une naïve brutalité. « Serment, » Sacramentum. — « Nous vous disons à vous, roi Henri, que dans un délai qui ne pourra se prolonger plus de quinze jours après que vous aurez pris possession de toute notre ville, nous forcerons le pape Grégoire,

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1 Muratori, Annal. Mal. 1083.

2. M. Villemain place ici un conciliabule présidé à Saint-Pierre de Rome par l'antipape. L'éminent académicien mourut, on le sait, sans avoir mis la dernière main à son ouvrage, ou du moins sans avoir assumé de son vivant la responsabilité de le publier tel qu'on l'a trouvé après sa mort. Ce n'est donc point à lui mais à ses éditeurs posthumes qu'il faut imputer l'anachronisme que nous signalons en cet endroit. Le conciliabule assigné à la date du mois de juin 1083 n'eut lieu qu'en 1089, quatre ans après la mort de Grégoire VII. (Villemain, ffisL deGrég. VIIr tom. II, pag. 330-333. — Cf Jaffé, Regest. rom. pontif., tom. I, p. 445.)

3. Bernold., loc. oit., col. 1381.

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p527 CHAP.  V.   —  SIMULACRE  DE PAIX.

 

au cas où il serait encore vivant et où il n'aurait pas pris la fuite, de vous conférer la couronne impériale. Si Grégoire était mort ou que fugitif il refusât sur notre requête de revenir procéder à votre couronnement dans le délai précité, nous élirons avec votre assentim­ent et selon les lois canoniques un autre pape, que nous déter­minerons en toute bonne foi à vous décerner la couronne. Pareillement en toute bonne foi nous veillerons à ce que la ville de Rome vous jure et  garde fidélité. Toutes ces  choses  nous les observerons envers vous sans fraude ni mal-engin, sans y rien rejeter ni diminuer que d'un commun accord de vous et de nous 1. »

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon