La Cité de Dieu 68

tome 24 p. 337

 

CHAPITRE XXVIII.

 

Du changement des noms d'Abraham et de Sarra; fécondité miraculeuse.

 

Après cette magnifique promesse faite à Abraham en termes si clairs : « Je t'ai fait le père de peuples nombreux, je te rendrai très puissant, je t'établirai sur les nations et des rois sortiront de toi; je te donnerai de Sara un fils, je le bénirai aussi, il sera le père de plusieurs nations et des rois sortiront de lui. » (Gen. xvii, 6 etc.) Après cette promesse, dis‑je, dont nous voyons maintenant l'accomplissement dans le Christ, les deux époux ne sont plus appelés dans l'Écriture, comme ils l'étaient auparavant, Abram et Sara, mais, comme nous les avons appelés d'abord, parce qu'on les appelle ainsi partout, Abraham et Sarra. Pourquoi le nom d'Abraham a‑t‑il été changé? l'Écriture en donne la raison . « Parce que, » dit‑elle au nom de Dieu, « je t'ai fait le père de beaucoup de nations. » (Ibid. 5.) C'est donc là le sens du mot : « Abraham. » Abram, son premier nom, signifie « père illustre. » L'Ecriture ne donne pas de raison du changement de nom de Sara; mais, d'après ceux qui se sont occupés d'interpréter les noms hébreux, contenus dans les saintes Lettres, Sara veut dire ma princesse, et Sarra, vertu. Et de là vient cette parole de l'épître aux Hébreux : « C'est aussi par la foi que Sara reçut la vertu de concevoir. » (Hébr. xi, 11.) Tous deux, en effet, comme l'atteste l'Ecriture, étaient très‑avancés en âge et de plus, Sara était stérile et déjà privée du flux menstruel; aussi, quand bien même elle n'aurait pas été stérile, elle eût été incapable d'enfanter. Or, une femme déjà âgée, mais qui a conservé ses règles, peut encore avoir des enfants d'un jeune homme et non d'un vieillard, bien que le vieillard lui‑même puisse en avoir aussi d'une jeune femme; ainsi Abraham, après la mort de Sara, put avoir des enfants de

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Céthura. parce qu'il trouva en elle, toute la vigueur dé la jeunesse. Aussi, c'est ce que l'Apôtre a soin de relever comme un grand miracle en disant que le corps d'Abraham déjà mort, pour toute femme arrivée aux extrêmes limites de l'âge, ne laissa pas d'engendrer de Sarra. El, nous devons bien comprendre que le corps du patriarche n'était mort que pour certaines choses, autrement ce n'eût plus même été un vieillard, mais un cadavre. Souvent, il est vrai, on donne à cette difficulté une autre solution, ainsi on dit qu'Abraham put encore engendrer de Céthura, parce que, même après la mort de sa femme, il conserva le don qu'il avait reçu du Seigneur. Mais la solution que j'ai donnée, me parait préférable, car si, de nos jours un vieillard centenaire serait incapable d'engendrer, il n'en était pas de même alors où la longévité des hommes les exemptait de la décrépitude, quand ils n'avaient que cent ans.

 

CHAPITRE XXIX.

 

Des trois hommes ou anges sous la figure desquels le Seigneur apparut à Abraham au chêne de Mambré,.

 

Dieu apparut encore à Abraham, au chêne de Mambré, en la personne de trois hommes qui, sans doute, étaient des anges (Gen. xviii, 1), bien que plusieurs croient que l'un d'eux était Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, et prétendent qu'il a été visible même avant de s'être revêtu de notre chair. Il dépend, à la vérité, de la puissance divine, dont la nature est invisible, incorporelle, immortelle, immuable, d'apparaître même aux regards des mortels, sans changer sa nature, et, par conséquent, non par lui‑même, tel qu'il est, mais par le ministère de quelques-unes des créatures qui lui sont soumises; et quelle créature n'est pas soumise à Dieu? Cependant, si l'on maintient que l'un des trois était le Christ, parce que, bien qu'Abraham vit trois personnes, il ne parla qu'au seul Seigneur, selon ce qui est écrit : (( Et voici que trois hommes se tenaient auprès de lui, et les voyant, il s'avança, de la porte de sa tente, au‑devant d'eux, et se prosternant jusqu'à terre, il dit : Seigneur, si j'ai trouve grâce devant vous, etc. » (Ibid. 2, etc.) Pourquoi ne pas remarquer aussi que deux de ces hommes, s'étaient éloignés, pour aller détruire Sodome, quand Abraham, parlant à un seul, l'appelait Seigneur et le suppliait de ne pas envelopper dans la ruine de Sodome, le juste avec l'impie? Du reste, Lot lui‑même, s'adressant aux deux autres, leur parle comme s'il n'y avait qu'un seul Seigneur.

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Car, après leur avoir parlé au pluriel: « Daignez, Seigneurs, entrer dans la maison de votre serviteur, etc., » (Gen. xix, 2) et le reste, rapporté en cet endroit, l'Écriture continue ainsi : « Et les anges le prirent par la main et ils prirent aussi les mains de sa femme et de ses deux filles, parce que le Seigneur lui faisait grâce. Et aussitôt qu'ils l’eurent conduit hors la ville, ils lui dirent : Sauvez‑vous, ne regardez pas en arrière et ne vous arrêtez en aucun lieu de cette contrée ; retirez‑vous sur la montagne, de peur que vous ne soyez victime. Et Lot leur dit : Je vous prie, Seigneur, puisque votre serviteur a trouvé grâce devant vous, » (Ibid. 16) et le reste. Et après ces paroles, le Seigneur, en la personne des deux anges, lui répondit comme s'il était seul : « J'ai admiré votre visage, etc. » (Ibid. 21.) Il est donc beaucoup plus probable, qu'Abraham, dans les trois, et Lot, dans les deux hommes, reconnaissaient le Seigneur et ne parlaient qu'à lui seul, bien qu'ils fussent persuadés que ces personnages étaient des hommes; ils les reçurent donc seulement comme de simples mortels aux besoins desquels on pourvoit par un aliment réparateur; mais il y avait en eux quelque chose de si supérieur à l'homme, que ceux qui leur donnaient l'hospitalité ne pouvaient s'empêcher de croire que le Seignneur ne fût présent en leur personne, comme il l'était ordinairement dans les prophètes; et c'est pourquoi tantôt ils leur parlaient pluriel, et tantôt au singulier, s'adressant au Seigneur seul. Mais l'Ecriture atteste que c'étaient des anges, non‑seulement au livre de la Genèse, où ces faits sont rapportés, mais encore dans l'épître aux Hébreux, où, pour faire l'éloge de l'hospitalité et la recommander, l'apôtre dit : « Par cette vertu, plusieurs, même sans le savoir, ont donné l'hospitalité à des anges. » (Hébr. xiii, 2.) Ce fut donc, par le ministère de ces trois hommes que Dieu, réitérant à Abraham la promesse de lui donner un fils de Sarra, lui fit parvenir cet oracle : «Abraham sera le père d'une grande et nombreuse nation, et en lui toutes les nations de la terre seront bénies. » (Gen. xviii, 18.) Ici, se trouve exprimée une double promesse très complète, malgré sa brièveté, du peuple d'Israël, selon la chair, et de toutes les nations, selon la foi.

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CHAPITRE XXX.

 

Lot sauvé de Sodome; destruction de cette ville par le feu du ciel; la chasteté de Sara n'a rien à souffrir de la passion d'Abimelech.

 

Après cette promesse et Lot étant sorti sain et sauf de Sodome, une pluie de feu tomba du ciel et réduisit en cendres toute cette ville impie, (Gen. xix, 24) où les abominations contre nature étaient aussi communes que les actions permises par les lois. Mais ce châtiment est une image du dernier jugement de Dieu. Car, pourquoi cette défense faite à ceux qui sont délivrés par les anges de ne point retourner en arrière ; sinon qu'il ne faut pas retourner de cœur à l'ancienne vie, dont la grâce de la régénération nous a dépouillés, si nous voulons éviter les rigueurs du dernierjugement ? Enfin, à l'endroit même où la femme de Lot se retourna, elle demeura fixée et changée en statue de sel, pour apprendre aux fidèles quel assaisonnement de sagesse leur est nécessaire, s'ils veulent profiter de cet exemple. Ensuite, Abraham renouvela à Gérara, auprès d'Abimelech, ce qu'il avait fait en Égypte, par rapport à sa femme, qui lui fut, comme alors, rendue intacte. Et quand le roi lui eut reproché de n'avoir pas fait connaitre Sara pour sa femme et de l'avoir fait passer pour sa sœur; Abraham, après avoir expose ses craintes, ajouta : « Elle est d'ailleurs vraiment ma soeur de père et non de mère; » (Gen. xx, 12) elle était, en effet, sa sœur du côté de son père, et, par conséquent, sa plus proche parente. Or, elle était d'une si grande beauté, que malgré son âge, elle pouvait encore être recherchée.

 

CHAPITRE XXXI.

 

Naissance d'Isaac, selon la promesse; le nomn qu'il recut lui vient du rire de son père et de sa mère.

 

Ensuite, selon la promesse, Abraham eut un fils de Sarra, il le nomma Isaac, mot qui signifie ris. Car, son père avait ri, dans la joie que lui causait cette étonnante promesse; sa mère aussi avait ri, mais dans la joie de la défiance, quand ces trois hommes lui renouvelèrent la promesse; mais l'ange lui en fit le reproche (Gen. xviii, 13), car si ce rire fut celui de la joie, il n'annonçait pas une foi entière? Plus tard, le même ange l'affermit dans la foi. C'est donc de cette circonstance, que l'enfant prit son nom. Car, ce rire, n'était pas pour se moquer, mais c'était la marque d'un grand contentement.

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puisqu'après la naissance d'Isaac et l'avoir appelé par son nom, Sarra s'écria: «Le Seigneur m'a fait rire, et quiconque saura ceci, se réjouira avec moi. » (Gen. xxi, 6.) Mais, peu de temps après, la servante est chassée de la maison avec son fils; c'est ici, d'après l'Apôtre, la figure des deux testaments, l'ancien et le nouveau (Gal. iv, 4): Sara représente la Jérusalem céleste ou la Cité de Dieu.

 

CHAPITRE XXXII.

 

Obéissance et loi d'Abraham éprouvées par l'ordre qu'il recoit de sacrifier son fils; mort de Sarra.

 

Cependant, pour ne pas rapporter tous les faits en détail, ce qui serait trop long, Abraham est tenté, il reçoit l'ordre d'immoler Isaac, son fils bien‑aimé, afin de faire connaître, non à Dieu, mais à tous les âges, la pieuse obéissance du patriarche; car il ne faut pas réprouver toute tentation, mais plutôt remercier Dieu de celle qui sert de témoignage à la vertu. Et souvent l'esprit humain n'a pas d'autre moyen de se connaître lui‑même, qu'en répondant, non par la parole, mais par la preuve de sa force, à la tentation qui le consulte, pour ainsi dire; si l'homme reconnaît la faveur divine, alors il est pieux, il s'établit sur le solide fondement de la grâce, il ne s'enfle point de vaine présomption. Sans doute Abraham n'aurait jamais cru que des victimes humaines pussent plaire à Dieu, bien que, quand l'ordre divin se fait entendre, il s'agisse d'obéir et non de discuter; mais Abraham crut que Dieu était assez puissant pour ressusciter son fils immolé; c'est pour cela qu'il est digne de louanges. En effet, quand, malgré les sollicitations de sa femme, il refusait de consentir à renvoyer la servante et son fils, Dieu lui dit : « C'est d'Isaac, que ta postérité tirera son nom; » (Gen. xxi, 12) et cependant il ajoute aussitôt : « Je ferai le fils de la servante, chef d'une grande nation, parce qu'il est de ta race. Pourquoi donc cette parole : c'est d'Isaac que ta postérité, tirera son nom, puisque Dieu dit aussi qu'Ismaël est de sa race? L'Apôtre lève la difficulté par cette explication « C'est d'Isaac que ta postérité tirera son nom c'est‑à‑dire que les enfants d'Abraham selon la chair ne sont pas les enfants de Dieu, mais ceux‑là seuls qui sont les enfants de la promesse, parce qu'ils sont vraiment de sa race. » (Rom. ix, 8.) Et, par conséquent, les enfants de la promesse, pour être de la race d'Abraham, doivent sortir d'Isaac, et se réunir en Jésus‑Christ par la grâce qui les appelle. Aussi, le saint patriarche s'en

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tenant fidèlement à la promesse qui devait s'accomplir par celui que Dieu lui ordonnait d'immoler, ne douta point que Dieu ne pût lui rendre ce fils, qui lui avait été donné contre toute espérance. Ainsi l'entend et l'explique l'Apôtre dans l'épitre aux Hébreux : « Abraham tenté en Isaac, s'élève par la foi; il offre ce fils unique, après avoir reçu les promesses et avoir entendu cette parole : d'Isaac sortira ta postérité : pensant bien que Dieu est assez puissant pour le faire sortir de la mort. Et c'est pour cela, ajoute l’Apôtre, que Dieu nous l'a donné comme figure; » (Heb. xi, 17 etc.) figure de qui? sinon de celui dont le même Apôtre dit: « Dieu n'a pas épargné son propre fils, mais il l'a livré à la mort pour nous tous.» (Rom. viii, 32.) Aussi, comme le Seigneur porta sa croix, de même Isaac a porté lui‑même jusqu'au lieu du sacrifice, le bois dont il fut chargé. Enfin, Dieu ayant arrêté le bras d'Abraham prêt à frapper et Isaac ne devant pas mourir, quel était ce bélier, dont le sang figuratif devait servir à l'accomplissement du sacrifice? Quand Abraham le voit, il était embarrassé par ses cornes dans un buisson. De qui était‑il donc la figure, sinon de Jésus qui, avant d'être immolé, fut couronné d'épines par les Juifs?

 

2. Mais écoutons plutôt les paroles divines par la bouche de l'Ange :« Abraham, dit l'Écriture, étendit la main pour prendre le glaive qui devait immoler son fils. Et l'ange du Seigneur l'appela du haut du ciel et lui dit : Abraham! Et il répondit : Me voilà. Et l'Ange dit : ne porte pas la main sur ton fils, et ne lui fait point de mal; car maintenant je sais que tu crains Dieu, puisque tu n'as pas épargné ton fils bien‑aimé, pour l'amour de moi. » (Gen. xxii, 10 etc.) « Je sais maintenant, » comme s'il y avait, maintenant j'ai fait savoir, car Dieu le savait bien auparavant : Ensuite, le bélier étant immolé à la place de son fils Isaac,« Abraham appela ce lieu le Seigneur a vu, » comme on dit aujourd'hui « Le Seigneur est apparu sur la montagne. » Ainsi il est écrit : « Je sais maintenant » pour « maintenant j'ai fait savoir; »et de même « le Seigneur a vu, » pour : « le Seigneur est apparu, c'est‑à‑dire, s'est fait voir. Et l'ange du Seigneur, du haut du ciel, appela une seconde fois Abraham et lui dit : J'ai juré par moi‑même, dit le Seigneur, parce que tu as obéi à ma parole et que tu n'as pas épargné ton fils bien‑aimé, pour l'amour de moi; je te comblerai de bénédictions et je multiplierai ta postérité, comme les étoiles du ciel

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et les grains de sable sur le rivage de la mer. Et ta postérité aura en héritage les villes de ses ennemis; et toutes les nations de la terre seront bénies dans ta race, parce que tu as obéi à ma voix. » (Gen. xxii, 16 etc.) C'est ainsi qu'après l'holocauste qui figure le Christ, Dieu confirma même par serment, la promesse de la vocation des Gentils dans la race d'Abraham. Souvent déjà Dieu avait promis, mais il n'avait pas encore fait serment. Et qu'est‑ce que le serment du Dieu vrai et qui est la vérité par essence, sinon la confirmation de sa promesse et comme un reproche aux incrédules?

 

3. Ensuite, Sarra termina ses jours, à l'âge de cent vingt‑sept ans (Gen., xiii, 1) et dans la cent trente‑septième année de son mari. Car il avait dix ans de plus que sa femme, selon qu'il le dit lui‑même, quand Dieu lui promit qu'elle lui donnerait un fils : « J'aurai donc un fils à cent ans et Sara enfantera à quatre‑vingt‑dix ans? » (Gen. xvii, 17.) Abraham achète un champ où il ensevelit sa femme. Et ce fut alors, comme le rapporte saint Etienne (Act. vii, 4), qu'il se fixa dans cette contrée , parce qu'il commença à y posséder une terre; c'était après la mort de son père, que l'on place deux ans plus tôt.

 

CHAPITRE XXXIII.

 

Rébecca petite‑fille de Nachor, épouse Isaac.

 

  Un peu plus tard (Gen. XxIv, 67), Isaac, âgé de quarante ans, la cent quarantième année de son père, et trois ans après la mort de sa mère, épousa Rebecea, petite‑fille de Nachor, son oncle paternel. Or, avant de l'épouser, son père envoyant son serviteur en Mésopotamie, lui dit: « Pose ta main sur ma cuisse et fais‑moi le serment, par le Seigneur du ciel et de la terre, de ne pas choisir une épouse à mon fils Isaac parmi les filles des Chananéens. » (Ibid. 2.) Qu'est-ce que cela signifie, sinon que le Seigneur Dieu du ciel et de la terre devait se revêtir, un jour, d'une chair tirée des flancs du patriarche ? Sont-ce là de faibles preuves de la vérité annoncée d'avance, et dont nous voyons l'accomplissement dans le Christ.

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p344 LIVRE XVI. ‑ CHAPITRE XXXIII.

 

CHAPITRE XXXIV.

 

Ce qu'il faut entendre par l'union d'Abraham avec Céthura, après la mort de Sarra.

 

Mais que signifie cette nouvelle alliance qu'Abraham contracte avec Céthura, après la mort de Sarra? (Gen. xxv, 4.) Loin de nous de soupçonner d'incontinence cet homme si recommandable par sa foi et déjà si avancé en âge! Est‑ce qu'il désirait avoir encore des enfants, lui dont la foi éprouvée lui faisait tenir pour certaine la promesse de Dieu, qui l'assurait par Isaac d'une postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel et les grains de sable de la terre? Mais si, selon la doctrine de l'Apôtre (Gal. iv , 211), Agar et Ismaël sont certainement la figure des hommes charnels de l'Ancien Testament, pourquoi Céthura et ses fils ne figureraient‑ils aussi ces hommes charnels, qui croient appartenir au Testament nouveau? Toutes deux, en effet, sont appelées femmes et concubines d'Abraham; Sarra, au contraire, n'est jamais appelée que sa femme. Car lorsqu'Agar est donnée à Abraham, l'Écriture parle ainsi : « Et Sarra épouse d'Abraham, prit sa servante, l'Égyptienne Agar, dix ans après l'entrée d'Abram dans la terre de Chanaan et la donna pour femme à Abram, son mari. » (Gen. Xvi, 3.) Quant à Céthura, qu'il épousa après la mort de Sarra, l'Écriture dit : « Abraham prit une nouvelle femme, nommée Céthura. » (Gen. xxv, 1.) Toutes deux viennent d'être appelées femmes; nous allons les trouver appelées toutes deux concubines; ainsi l'Écriture dit peu après : « Abraham donna tout son bien à son fils Isaac, et il fit des présents aux fils de ses concubines et, de son vivant, les éloigna de son fils Isaac, en les envoyant à l'Orient, vers les contrées de l'Orient. » (Ibid. 5.) Les enfants des concubines reçoivent bien quelques présents, mais ils n'entrent pas en partage du royaume promis, pas plus les hérétiques que les Juifs charnels, parce qu'il n'y a pas d'autre héritier qu'Isaac; « et ceux qui sont les fils de la chair, ne sont pas les enfants de Dieu; mais les fils de la promesse font seuls partie de la postérité, » (Rom. ix, 8) dont il est dit : « Ta postérité sortira d'Isaac. » (Gen. xxi, 12.) Et en vérité, je ne vois pas pourquoi Céthura épousée après la mort de Sarra, serait appelée concubine, sinon à cause de ce mystère: Mais si on ne veut pas accepter ces significations figuratives, qu'au moins on n'accuse pas calomnieusement Abraham. Qui sait

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d'ailleurs, si Dieu n'a pas permis cette alliance, pour confondre les hérétiques futurs, ennemis des secondes noces, en leur montrant que le père de tant de nations a pu, sans pécher après la mort de sa femme, contracter une nouvelle union (1)? Abraham mourut à l'âge de cent soixante‑quinze ans; il laissa donc âgé de soixante‑quinze ans, son fils Isaac, qu'il avait engendré étant centenaire.

 

CHAPITRE XXXV.

 

Quel est le sens de la réponse du Seigneur, au sujet des deux jumeaux encore renfermés dans le sein de leur mère, Rebecca.

 

Voyons maintenant quels ont été les progrès de la Cité de Dieu, chez les descendants d'Abraham. Depuis le commencement de la vie d'Isaac, jusqu'à sa soixantième année, époque où il eut des enfants, on remarque surtout que Dieu exauça sa prière, en rendant féconde sa femme qui était stérile. Mais, après qu'elle eût concu, deux jumeaux luttaient déjà dans son sein, et comme elle éprouvait de grandes douleurs, elle consulta le Seigneur qui lui fit cette réponse : « Deux nations sont dans ton sein; et deux peuples en sortiront pour se diviser; l'un surmontera l'autre et l'aîné sera le serviteur du plus jeune. » (Gen. xxv, 23.) L'Apôtre saint Paul veut voir ici un grand enseignement, par rapport à la grâce, car, avant leur naissance, quand ils n'ont encore fait ni bien, ni mal, sans aucun mérite précédent, le plus jeune est élu, et l'aîné est rejeté. Sans doute, quant au péché originel, tous deux étaient également coupables; mais, quant au péché personnel, ils n'en avaient commis ni l'un ni l'autre. Mais le but que je me suis proposé dans cet ouvrage, ne me permet pas d'en dire plus long là‑dessus, du reste, j'ai traité ailleurs cette question, d'une manière assez étendue. Quant à cette parole : « l'aîné sera le serviteur du plus jeune, » presque tous nos interprètes l'entendent du peuple Juif, le peuple aîné, qui doit être soumis au jeune peuple chrétien. Et en effet, bien que ces paroles semblent être accomplies dans le peuple des Iduméens, qui sont sortis de l'ainé, appelé Ésau et Edom, d'où les Iduméens; et qui devaient être assujettis au peuple issu du plus jeune, c'est‑à‑dire, le peuple Israëlite; cependant il est plus probable que cette prophétie: « un peuple surmontera l'autre et l’ainé sera le serviteur du plus jeune, » a un sens plus élevé. Et quel serait‑il, sinon ce que nous

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(1) Les Cataphrygiens, hérétiques, qui subsistaient encore du temps de saint Augustin, considéraient les secondes noces comme coupables. (Voyez le livre du saint docteur adressé à Quodvultdeus sur les Hérésies, chap. xxvi.)

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p346 DE LA CITÉ DE DIEU.

 

voyous s'accomplir clairement entre les Juifs et les Chrétiens?

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