Arius (St Athanase) 30

N. B. Quand Constantin légalisa la religion chérienne, l’empire ne comptait pas plus de 5.5% de chrétiens. Alors, quand Julien l’Apostat se déclara grand pontife des dieux païens, il trouva beaucoup d’appuis.

Je reprend maintenant le récit de ses successeurs qui, sous des dehors chrétiens, menaient une vie surtout païenne, persécutant les chrétiens comme ennemis de l’unité de l’État et du genre humain.


Darras tome 10 p. 194

 

Comme saint Athanase s'était tenu caché à Alexandrie, durant tout le règne de Julien, le bruit avait couru en Orient qu'il était mort victime des embûches de l'Apostat. En expédiant son message, Jovien ne savait donc pas si l'on trouverait Athanase encore vivant. Il avait donné l'ordre de faire toutes les enquêtes nécessaires et de l'informer immédiatement du résultat. La recherche ne fut pas longue. Les messagers impériaux trouvèrent Athanase tranquillement établi dans le palais épiscopal. Un jour, le lendemain de celui où l'on avait appris la mort de Julien, le peuple étant rassemblé dans l'église, le patriarche avait paru tout à coup, était monté à sa place ordinaire, et avait fait continuer l'office comme d'habitude, sans paraître partager ni comprendre l'émotion que causait sa présence. La foule l'avait reconduit en triomphe dans l'ancienne demeure des patriarches, occupée durant la persécution par un avocat ami de Julien. Le sol d'Alexandrie ne se ressentait déjà plus de la pluie d'orage dont la petite nuée passagère de l'impiété l'avait un instant recouvert. Jovien, en lisant la lettre synodale du concile d'Alexandrie, déclara que la foi de Nicée était celle dont il voulait personnellement faire profession et dont il assurerait le triomphe. Ce même jour, ii renouvela le décret de Constantin le Grand, aboli par Julien, relativement aux distributions annuelles de froment faites aux églises par le trésor impérial. Toutefois, la pénurie générale et le manque presque absolu de récoltes qui se perpétuait depuis le règne de Constance, ne permirent pas à Jovien de rétablir cette dotation dans son intégrité. Il la réduisit au tiers, promettant de faire davantage aussitôt que l'état financier et agricole serait consolidé 1.

 

Le temps devait manquer au généreux empereur. Un de premiers soins, en arrivant à la frontière romaine, avait été de pourvoir à la sépulture de Julien. Procope, parent  de

-----------------

1.Thoodoret., Bist. eccl., lit*. IV. cap. m-iv

========================================

 

p195 CHAP.  1.   — JOVIEN.


l'Apostat, celui-là même qui avait reçu la pourpre durant le mystérieux sacrifice du temple de Charres, reçut l'ordre de transporter le cercueil impérial à Tarse. « Les funérailles, dit M. de Broglie eurent lieu avec l'étiquette ordinaire, bien qu'on y mît quelque précipitation, dans la crainte de désordres qu'on ne réussit pourtant pas à éviter. Le rituel païen était tout empreint de l'esprit d'une croyance qui, ne pouvant adoucir l'amertume de la mort, cherchait surtout à en distraire les vivants. On y admettait, au milieu des larmes et du deuil obligé, de singuliers intermèdes de bouffonnerie, bien éloignés de la gravité douce du service chrétien, et qui, dans les circonstances présentes, dégénérèrent en véritables scandales. On jouait des scènes entières de comédie : un acteur était chargé de faire le rôle du mort, de reproduire ses principales actions et ses paroles les plus célèbres. D'autres comédiens donnaient la réplique. Déjà plus d'une fois aux funérailles des empereurs, la vérité bannie de leur vivant avait reparu ainsi sur leur tombe par des traits d'audacieuse facétie. Pour Julien, quand il fallut passer toute sa vie en revue, redire l'apostasie de sa jeunesse et les désastres de sa mort, les histrions, sûrs de plaire à la foule qui les entourait, ne lui épargnèrent pas les mots piquants ni les plaisanteries injurieuses. Ces invectives furent couvertes d'applaudissements, à tel point que Procope, épouvanté de ces scènes populaires, inquiet d'ailleurs de sa qualité de parent, qui l'exposait aux ressentiments de la foule, crut prudent de s'y soustraire par la fuite. Il se tint caché pendant plusieurs mois, sans qu'on pût découvrir le lieu de sa retraite. Le soir, on répandait dans le peuple qu'on avait vu les restes de Julien s'agiter et fermenter dans la bière durant toute la solennité. La tombe impériale reçut pourtant un dernier hommage de quelques amis, qui y gravèrent l'inscription suivante : «Rapporté des rives de l'Euphrate et de la terre des Perses, où il avait conduit son armée pour une oeuvre qu'il ne lui fut pas donné d'accomplir, Julien, prince excellent, guerrier plein de valeur, a trouvé cette tombe sur les bords argentés du Cydnus 1. » — « Hélas ! reprend Ammien

-------------------------------

1.M. de Broglie, l'Église et l'Emp. ros;-», tom, IY, pag. 439-440.

=========================================

 

p196 PONTIFICAT- DE SAINT LIBEBIUS  (359-3GG).

 

Marcellin, si limpide et si pur que soit le Cydnus, ce fleuve n'était pas digne de recevoir de telles cendres. Pour perpétuer la gloire et les exploits de Julien, le Tibre devrait baigner sa tombe, au milieu de la ville éternelle, parmi les antiques monuments des dieux de l'empire1. »

   72. Cependant Jovien avait poursuivi sa marche sur Antioche. A chaque pas, il rencontrait les émissaires des sectes ariennes, qui venaient tenter sa bienveillance et capter sa faveur. Sous Julien, l'arianisme avait interrompu ses controverses ; il prétendait les reprendre sous son successeur, et se promettait, comme toujours, de ne rien négliger pour obtenir l'appui du prince. Déjà à Edesse, Jovien avait donné audience à Candidus et Arrianus, deux prêtres du parti anoméen, reconnaissant pour chef Aétius. Vivement sollicité par eux en faveur de leur maître, l'empereur avait répondu qu'il s'entendait mieux aux combats de l'épée qu'à ceux de la parole ; qu'il exhortait chacun à se conformer à la foi de Nicée dont il voulait lui-même faire sa règle de conduite. Une telle déclaration de principes, jointe au message adressé à saint Athanase, ne laissait pas de doute sur la netteté des intentions du prince. Mais les sectaires ne se découragèrent pas. Jadis on avait vu Constantin le Grand lui-même céder à leurs importunités et se laisser circonvenir par leurs intrigues. Toute sa vie, Constance avait été leur instrument et leur dupe. Ils espéraient ressaisir un jour leur influence momentanément ébranlée. Ils ne devaient, hélas! que trop tôt réussir. Mais ils se trompaient de nom et de date. Le futur Constance qui leur était réservé ne s'appelait pas Jovien ; il se nommait Valens et ne songeait guères alors aux honneurs qui l'attendaient dans l'avenir. Jovien comprenait mieux le devoir d'un prince catholique. Il dépêcha un nouveau courrier à saint Athanase, pour le prier de venir le trouver en personne à Antioche. C'était en effet dans cette dernière ville que les principaux chefs ariens avaient envoyé leurs représentants pour attendre le nouvel empereur, et renouveler leurs tentatives schismatiques. « Fallait-il donc, dit Sozomène, que l'Église de Jésus-Christ n'échappât à une persécution sanglante que pour retomber dans les

-------------------

1 Amm. ilarcell., lib. XXV, cap. ii-i.

===========================================

 

p197 CHAP.  I.  — JOVIEN.

 

déchirements d'une lutte intestine ! Les sectaires avaient gardé le silence, tant que le glaive de Julien menaçait la tête des chrétiens. Aujourd'hui que la paix succédait enfin à tant d'alarmes, ils allaient recommencer le scandale de leurs discordes 1. » Les Macédoniens, c'est-à-dire cette fraction de l'arianisme qui, sous la direction du patriarche intrus de Constantinople, Macédonius, niait la divinité du Saint-Esprit, ouvrirent les premiers l'assaut livré à la foi de Jovien. Ils remirent au prince une supplique signée, entre autres, par les évêques Basile d'Ancyre, Sylvanus de Tarse, Sophronius de Pompeiopolis, Pausinicus de Zela, Léontius de Comane, Callicrate de Claudiopolis et Théophile de Castabala. Ils demandaient que le parti anoméen d'Aétius fût proscrit; que le terme de consubstantiel fût rayé du symbole et remplacé par celui de semblable en substance ; que les formules de Rimini et de Séleucie fussent rendues obligatoires : enfin ils ajoutaient que si l'empereur ne croyait pas devoir s'immiscer dans des questions dogmatiques, il leur permît du moins de se réunir en concile. « Nous sommes prêts à nous y rendre à nos frais, disaient-ils, sans rien demander au trésor public. Déjà nous serions à Antioche, si nous n'avions craint d'importuner le prince. » Jovien lut cette requête. Il ne se piquait nullement de théologie; son embarras eût été grand s'il avait dû se prononcer sur le fond de la question. Athanase n'était point encore arrivé; on ne pouvait donc recourir à ses lumières. Il ne manquait pas cependant de patriarches à Antioche. Cette ville en comptait trois, qui se disputaient simultanément le trône épiscopal. C'était d'abord l'Arien Euzoïus, institué par Constance ; puis Mélèce, saint prélat dont l'orthodoxie était alors irréprochable, mais qui avait eu dans sa jeunesse le malheur de professer la doctrine des Semi-Ariens ; enfin Paulin, consacré par Lucifer de Cagliari et qui représentait le parti des catholiques purs, mais outrés, lesquels n'avaient pas cru pouvoir communiquer avec Mélèce, après le retour de ce dernier à l'orthodoxie. Dans une pareille situation, Jovien ne pouvait raisonnablement

----------------------

1 Sozom., liist. ccilcs., lib. VI, cap. iv.

==========================================

 

p198 POSTIFICAT DE SAINT LIBERIUS  (359-366).

 

s'adresser à aucun de ces prétendants. Il prit donc conseil de lui-même, et avec beaucoup de sens, il répondit : «  Je n'entends rien à toutes vos querelles : sachez seulement que j'ai horreur des discordes. Tous ceux qui aiment et gardent la paix sont mes amis. La foi de Nicée, la foi catholique, est la mienne 1. » Ce peu de mots suffirent pour faire une conversion. Acacede Césarée, habitué à n'avoir d'autres opinions théologiques que celles de l'empereur, se hâta d'embrasser la foi du consubstantiel, et de se mettre en communion avec saint Mélèce.

 

73. Pour mieux accentuer sa conversion, Acace la fit ratifier par un concile tenu à Antioche, sous la présidence de saint Mélèce et sous les yeux de l'empereur. Vingt-sept évêques y assistèrent. Nous avons encore leurs noms. C'étaient : Eusèbe de Samosate, Evagrius de Sikelon, Uranius d'Apamée, Zoile de Larissa, Antipater de Rhodon, Abraham d'Urim, Aristonicus de Séleucie, Barlamenus de Pergame, Uranius de Mélitine, Magnus de Chalcédoine, Eutychius d'Eleutberopolis , Isacoces de la Grande-Arménie, Titus de Bosra, Pierre de Sippara, Pelage de Laodicée, Arabien d'Anteros, Pison d'Adana, Sabinianus de Zeugma, Athanase d'Ancyre, Irenion de Gaza, Piso d'Augusta, Patricius de Palta, Anatole de Bérée, Théotime d'Arabie et Lucien d'Arcon. La lettre synodale souscrite par ces noms, qui représentent des chrétientés jadis florissantes et maintenant éteintes, nous a été conservée. Elle était adressée à Jovien, et conçue en ces termes : « Au rès-pieux et très-chéri de Dieu l'empereur notre maître Jovien, victorieux, auguste, le concile des diverses provinces de l'Asie réuni à Antioche. — Votre piété se préoccupe uniquement, nous le savons, de rétablir la paix et la concorde au sein de l'Eglise. Tel est aussi l'objet de notre constante sollicitude. Vous avez déjà proclamé que l'unité de foi ne pouvait reposer que sur un symbole unique, celui de l'orthodoxie véritable. C'est donc pour nous à la fois un honneur et un devoir

---------------------------

1.Sorr.. lib. III, cnp. xxiv; Sozom.,lib. VI, c»p. iv; Philost., lib. VIII, cap. v, flj Niueplu, lib. X, taji. il.

=========================================

 

p199 CHAP.   I.   — JOVIEN.

 

de vous déclarer ici notre adhésion ferme, constante, invariable, à la profession de foi rédigée par le sacrosaint concile de Nicée. Le terme de consubstantiel, adopté par cette auguste assemblée, avait semblé insolite et nouveau. Les Pères de notre synode l'ont examiné scrupuleusement et en ont déterminé la signification précise. Nous entendons par ce terme que le Fils a été engendré de la substance du Père, et qu'il est semblable au Père en substance. Mais nous répudions, dans la génération ineffable du Verbe, toute idée matérielle et grossière qui représenterait quoi que ce soit d'analogue avec ce qu'on entend d'ordinaire par génération et substance. Dès lors, nous anathématisons la doctrine d'Arius qui avait osé dire que le Christ avait été tiré du néant ; nous anathématisons de même l'impiété des Anoméens qui sont allés plus loin encore, en déclarant que le Christ est une créature comme une autre. Tels sont nos sentiments, auguste empereur, et nous ne pouvons mieux les faire connaître à Votre Majesté qu'en transcrivant ici le symbole de Nicée, auquel nous adhérons pleinement1.» Nous ne chercherons ni à incriminer, ni à justifier, au point de vue de la rigueur théologique, cette lettre synodale du concile d'Antioche. Saint Jérôme la blâme énergiquement, et lui reproche d'une part d'interpréter à faux la doctrine de Nicée en traduisant le consubstantiel par semblable en substance; de l'autre, d'être muette sur le dogme de la divinité du Saint-Esprit. Saint Athanase et saint Hilaire, tout en la trouvant trop peu explicite, affirment qu'elle ne renferme rien d'hétérodoxe et qu'elle a été souscrite de bonne foi par la majorité des Pères. Cet avis est aussi le nôtre. Acace de Césarée, l'âme de ce concile, n'en était pas à son coup d'essai. Il possédait au suprême degré l'art de la nuance et des prétentions. Cette formule disait assez pour les évêques de bonne foi; elle ne disait pas trop pour les Ariens intelligents. Elle fut donc adoptée. Acace et ses partisans étaient du nombre de ces caméléons dont le sophiste Thémistius osa dire un jour à Jovien : « Prenez garde, Seigneur, ces gens-là n'adorent pas Dieu, ils

-------------------------

1.8ocral., Hist. eccles., lib. IV, cap. XSJi

========================================

 

p200 P0.NT1FICAT  DE  SAIST  LIBERIUS   (359-366).

 

adorent la pourpre que vous portez. Leur foi suit les oscillations du trône. C'est l'Euripe dont le courant change selon la direction des collines 1. » Le concile d'Antioche, quelle qu'ait été sa valeur; ne fit pas grande impression sur l'esprit de Jovien.

   74. Dans l'intervalle, Athanase était arrivé. Jovien voulait le consulter non-seulement sur les divisions de symboles et sur le schisme local d'Antioche, il désirait avoir son avis sur des questions plus générales et qui intéressaient au premier chef la politique de l'empire. La réputation universelle d'Athanase le désignait tout naturellement à la confiance de l'empereur. On ne saurait donc s'étonner du désir manifesté par Jovien. Mais ce qui redouble notre admiration pour le grand patriarche, c'est la modestie avec laquelle il voulut se soustraire à un honneur si mérité. Il lui fallut toutes les instances de ses amis du désert, Théodore de Tabenne et Pammon d'Antinoë, pour le décider à se rendre à Antioche. Il y apportait contre l'hérésie macédonienne des Pneumatomaques ses quatre lettres à l'évêque de Thmuis, Sérapion 2, déjà répandues dans toute l'Egypte et établissant victorieusement la divinité de l'Esprit-Saint. Ce n'était point là pourtant ce que Jovien désirait de lui. La renaissance du paganisme, inaugurée par Julien l'Apostat, créait dans l'empire des difficultés de tout genre. Que faire par rapport aux temples païens et à la hiérarchie sacerdotale qui les desservait? Quelles mesures édicter vis-à-vis de l'enseignement polythéiste, dont les chaires réouvertes de toutes parts jouissaient maintenant, à l'exclusion des chaires chrétiennes, d'un privilège d'état? Quelles furent les réponses d'Athanase, sur tous ces points d'une importance extrême? nous ne pourrions le savoir qu'autant qu'Athanase lui-même nous les eût fait connaître. Mais l’illustre patriarche ne nous a pas laissé une seule ligne, dans l’ensemble ses œuvres, qui puisse nous mettre sur cette trace. Libanius ne fait pas grâce à ses lecteurs d'un seul sourire qui lui ait été adressé par une tête couronnée. Athanase ne mentionne même pas ses

-----------------------

1. Socrat., Ilist,ecclei., lib. IV, cap. xiv. — * Pair, grac., toin. XXVI, col. 630-u-f..

=========================================

 

p201 CHAP.  I, — .'QVIEÎÎ.

 

entrevues avec Jovien. Telle est la différence entre un sophiste grec et un évêque catholique. Cependant nous pouvons préjuger les réponses d'Athanase par les actes juridiques de l'empereur qu'il dirigea. Or nous savons que Jovien renouvela, à cette époque, la loi par laquelle Constantin le Grand laissait pleine et entière liberté à chacun de suivre la religion qu'il préférait. Jovien déclarait en même temps qu'il n'exercerait aucune contrainte par rapport aux diverses sectes ariennes; qu'il respecterait la conscience de chacun; que tous les sujets capables et dévoués seraient admis indistinctement aux honneurs et aux charges publiques, quelle que fût leur foi religieuse. Subséquemment, des décrets impériaux rétablirent pour les légions l'usage du Labarum; sanctionnèrent les immunités des églises, et la liberté d'association pour les communautés religieuses. Telle fut l'œuvre collective de Jovien et de saint Athanase. Proscrit vingt ans par la fureur arienne, le grand patriarche n'usait de son influence que pour empêcher la proscription de ses ennemis. Du reste, et nous ne dissimulerons pas ce détail parce qu'il est caractéristique et qu'il donne vraiment la mesure d'une époque, il n'était besoin ni de décrets, ni de lois, ni de nouveaux édits, pour ramener le monde à la pratique de la foi chrétienne. On savait que l'empereur n'était pas idolâtre; personne ne voulait plus l'être. Les sophistes jetaient leur pallium et couraient à l'église; ils quittaient spontanément leurs chaires et priaient les maîtres chrétiens d'y remonter; les temples des dieux étaient vides ; nul sacrificateur n'aurait consenti à immoler la plus maigre brebis. Un pareil servilisme dégoûterait à tout jamais du métier de roi. Il n'est possible à un tel degré que dans les sociétés perverties par un paganisme invétéré. Quoi qu'il en soit, Jovien ne proscrivit ni les temples ni les sacrifices païens. Il se contenta d'interdire absolument les scandales de la magie et leurs orgies homicides. D'ailleurs, plus de délations ni de représailles. Libanius lui-même convient que, jugeant du présent par le passé, et ayant eu un instant la crainte d'être poursuivi comme suspect d'attachement au polythéisme, il ne fut pas même inquiété. Les ariens seuls profitèrent de la longanimité de Jovien, pour essayer contre

================================

 

p202 l'ONimCAT  UK SAi.N'T  LIBERIUS   (3oiJ-J6J).

 

saint Athanase un système de récriminations vraiment odieux.

   75. Après la mort de Georges, patriarche intrus d'Alexandrie, la faction schismatique de cette ville avait élu un sectaire obscur du nom de Lucius, et l'avait sacré comme évêque. Lucius était bossu ; nous ne songeons pas le moins du monde à lui en faire un crime bien que son infirmité fût un motif péremptoire d'exclusion, d'après la législation canonique alors en vigueur. Mais on verra bientôt pourquoi nous notons ce détail. Donc Lucius, accompagné d'un certain nombre de ses partisans, se rendit à Antioche. Un jour que l'empereur allait passer une grande revue dans la plaine voisine, il fut arrêté, à la porte de la ville, par une mullitude de suppliants qui se jetèrent à genoux et lui dirent : « Au nom de votre piété et de votre justice, écoutez notre prière! — Qui êtes-vous? demanda Jovien. — Des chrétiens, Seigneur. — De quel pays? — D'Alexandrie. — Que demandez-vous? — Nous supplions Votre Majesté de nous donner un évêque. — Mais, reprit l'empereur, il y a longtemps que j'ai fait rendre à votre évêque légitime, Athanase, le trône épiscopal qu'on lui avait enlevé. —Il est vrai, dirent les suppliants; mais Athanase est depuis longtemps accusé et proscrit. — En ce moment, un officier de l'escorte s'approcha du monarque et lui dit : Seigneur, ces gens-là sont évidemment les débris d'une secte dont Georges, ce Cappadocien pervers qui a mis tout à feu et à sang dans l'Église, était le chef. » — Cette réflexion parut sage à l'empereur. Il donna un coup d'éperon à son cheval et passa outre. Les réclamants ne se tinrent pas pour battus. Jovien les retrouva à la même place, au retour de la revue. « Seigneur, lui crièrent-ils, les griefs que nous avons à produire contre Athanase remontent à plus de vingt ans. Constantin d'éternelle mémoire et Constance son fils en ont reconnu la véracité. Ils ont exilé ce patriarche. Julien, ce prince chéri de Dieu et si ami de la sagesse, a fait de même. — Eh bien! répondit l'empereur, les accusations personnelles se prescrivent après dix, vingt et trente ans. Ne me parlez plus d'Athanase ; je sais mieux que vous ce dont on l'accusait et la véritable cause de son exil.» — Il fallait être arien pour persévérer encore après ce double échec. Mais la haine des sectaires

===========================================

 

p203 CHAP.  I.  — JOVIEN.

 

est incorrigible. A force d'intrigues près des courtisans, la députation schismatique obtint une audience spéciale. Jovien y mit pour condition que deux ariens seulement comparaîtraient devant son tribunal et discuteraient leurs prétendus griefs devant deux Alexandrins de la suite de saint Athanase. La conférence eut lieu dans cet ordre. En voyant paraître les deux accusateurs, les Alexandrins s'écrièrent : «Voilà bien les créatures de ce misérable Georges, qui a couvert notre patrie de crimes et de sang! — Déconcertés par cette exclamation, les deux ariens s'adressèrent directement à l'empereur et lui dirent : Seigneur, nommez qui vous voudrez au siège épiscopal d'Alexandrie, pourvu que ce ne soit point Athanase !—Je vous ai déjà dit, reprit Jovien, que votre patriarche légitime est Athanase. Qu'on ne m'en parle plus! — Et cédant à un mouvement de colère, il ajouta : Frappez, frappez ces rebelles! — Les ariens ne se montrèrent pas intimidés par cette menace. Seigneur, dirent-ils, laissez-vous toucher à nos humbles prières. Si vous renvoyez Athanase à Alexandrie, notre ville est perdue. Aucun fidèle ne voudra communiquer avec lui. — Et pourquoi? dit l'empereur. Je connais son orthodoxie; il n'enseigne que la vérité. — Sans doute, répondirent les ariens, il parle à merveille; mais ses véritables sentiments sont loin d'être d'accord avec ses paroles. — Votre aveu me suffit, dit Jovien. Vous convenez que sa doctrine et son langage sont orthodoxes; il ne m'en faut pas plus. Si son coeur dément ce que sa bouche enseigne, il n'y a que Dieu qui le sache. Nous autres hommes, nous entendons la parole; nous ne lisons pas dans les cœurs. — Mais du moins, Seigneur, permettez-nous de tenir en liberté nos assemblées. — Et qui vous en empêche? demanda Jovien.— Athanase répand partout que nous sommes des hérétiques, inventeurs de dogmes nouveaux. — Il a raison, si vous l'êtes; il ne fait que son devoir d'évêque. — Enfin, dirent-ils, nous ne pouvons le souffrir; délivrez-nous de lui. Il nous a enlevé les biens de l'Église. — Ah ! dit Jovien, c'est une question d'argent et non une question de foi! Voilà donc pourquoi vous êtes venus me trouver! Retirez-vous, cessez vos plaintes. Demain c'est jour d'assemblée pour les fidèles; rendez-

=========================================

 

p204 POKHTICAT DE  SAINT LIBERICS  (33'J-36G).

 

vous à l'église, il s'y trouvera des évêques. Mon greffier Nemesinus y tiendra un registre où chacun sera libre de signer la profession de foi qui lui convient. Athanase y sera lui-même pour instruire ceux qui ne savent pas leur religion. » — Après ces paroles, Jovien leva la séance. Comme il sortait, l'avocat alexandrin qui avait occupé le palais épiscopal du patriarche, durant le règne précédent, se jeta aux genoux de l'empereur el lui dit : « Seigneur, le trésorier d'Alexandrie m'a pris ma maison pour la donner à Athanase. — Si c'est le trésorier qui vous dépouille injustement, répondit Jovien, déposez une plainte contre le trésorier; ceci ne regarde point Athanase. » — Un sophiste païen fort connu à Antioche, nommé Patalas, crut devoir insister à son tour. «Seigneur, dit-il, moi aussi j'ai une accusation à produire contre Athanase. — Jovien lui dit en riant : Est-ce qu'il peut y avoir quelque chose de commun entre un païen tel que vous et le patriarche catholique d'Alexandrie?» —Et sans l'entendre, il sortit. On pouvait croire que tout était fini, et que Jovien n'entendrait plus parler de cette affaire. Cependant deux jours après, les Ariens organisèrent une nouvelle démonstration, avec une habileté rare. On se souvient que Lucius était bossu ; cet incident fut exploité pour lui obtenir une audience improvisée. Pendant que Jovien passait dans les rues d'Antioche, un groupe aposté lui amena le successeur intrus de Georges en criant : « Seigneur, voyez un peu, le singulier personnage dont les Alexandrins ont fait un évêque ! Jovien regarda ce malheureux qui s'était prosterné et lui disait : De grâce, Seigneur, accordez-moi la faveur d'une audience. — Vous êtes Lucius? demanda Jovien. — Oui, Seigneur. Dites-moi un peu, comment vous êtes venu à Antioche; par terre ou par mer? — Par mer, Seigneur. — Eh bien ! Lucius qui êtes venu ici par mer, dit l'empereur, puisse le Dieu de la terre et du ciel punir les matelots qui ont manqué une si bonne occasion de noyer un avorton tel que vous 1 ! » — Cette plaisanterie un peu sévère termina la série des récriminations ariennes.

----------------------------

' Petitiones ad Jmiuu. factee a Lucio conlr. Athanas. (Pair. Grac, t. JG, co 118-8211.

=========================================

 

p205 CHAP.   I.   —  JO\'IEN. 

 

76. Quelques jours après, Athanase repartait pour Alexandrie et Jovien se mettait en route pour l'Occident. L'empereur voulait se faire proclamer à Rome, au printemps de l'année 364. Mais il ne devait pas voir Rome. « Tous les présages, dit Ammien Marcellin, devenaient de plus en plus sinistres. On apprit coup sur coup la mort de Varronien père de l'empereur, puis celle de Lucilien son beau-père. » Varronien parvenu aux dernières limites de la vieillesse s'était endormi dans la paix du Seigneur, sans autre regret que celui de n'avoir pu embrasser une dernière fois le César son fils. La mort de Lucilien n'avait pas été si paisible. Lucilien, après avoir parcouru l'Illyrie, s'était rendu dans les Gaules, accompagné du tribun militaire Valentinien, pour y faire reconnaître l'autorité du nouvel empereur. Sa mission réussit au gré de ses désirs, lorsqu'un incident sans importance vint tout compromettre. Un intendant convaincu de malversations fut destitué par Lucilien. Le coupable se vengea en répandant parmi les légions le bruit que Julien n'était pas mort, et qu'on les entraînait à leur insu dans la révolte. Cette fable grossière s'accrédita rapidement. Les soldais se soulevèrent et massacrèrent Lucilien. Valentinien fut assez heureux pour se dérober aux mains des furieux. L'émeute n'eut d'ailleurs pas d'autres suites. Les légions, mieux informées, rentrèrent aussitôt dans l'ordre et supplièrent Valentinien de porter aux pieds de l'empereur, avec l'expression de leur repentir, l'assurance de leur fidèle dévouement. Ce message valut une couronne à l'officier qui en était porteur. Jovien, pressant sa marche, était arrivé, le 16 février, à Dadastane, sur les frontières de la Bithynie et de la Galatie. Il y passa la nuit. La saison était froide; les appartements destinés au prince durent être chauffés à la vapeur du charbon. On remarqua de plus qu'ils avaient été récemment blanchis à la chaux. Ces détails devinrent extrêmement significatifs, après que, le matin de 17 février 364, on eut trouvé Jovien mort dans son lit. La pensée d'un crime vint à quelques personnes; mais les soupçons ne furent jamais éclaircis. Jovien n'avait que trent-trois ans. « Sans doute, dit Théodoret, Dieu avait voulu montrer un si excellent prince à la terre, pour lui faire voir quels biens il pourrait

==========================================

 

p206 PONTIFICAT DE  SAINT LIBER1US  (359-oGG;.

 

lui donner, si elle était digne de les recevoir 1. » Saint Augustin ajoute : « Il convenait à la sagesse divine d'avoir comblé Constantin de faveurs, pour montrer qu'elle sait récompenser ses fidèles, et que le démon n'est pas le seul dispensateur des biens de ce monde. Il lui convenait également de frapper Jovien à la fleur de l'âge, malgré la piété de ce prince, de peur qu'on ne s'attachât désormais à suivre la foi par l'espoir des prospérités temporelles2. »

 77. Le César mort si prématurément laissait un fils nommé Varronien, comme son aïeul, et déjà investi de la dignité consulaire; c'était un enfant au berceau qui avait pleuré d'effroi, le jour où on l'avait promené sur la chaise curule au milieu des rangs de l'armée. Sa mère, Charito, n'avait pas eu le temps de se créer d'influence. Elle n'avait pas même encore rejoint son époux, quand la funèbre nouvelle lui fut apportée. Nul ne songea donc à l'orphelin, ni à ses droits; ou plutôt on ne s'en souvint que pour son malheur. Afin de le mettre dans l'impossibilité de revendiquer jamais ses prétentions au trône, on lui creva l'œil droit. Après cette précaution barbare, on procéda à l'élection d'un nouvel empereur. Salluste, l'ancien préfet du prétoire sous Julien, réunit encore une fois tous les suffrages; mais il refusa de nouveau la couronne. On le supplia de donner la pourpre à son fils : « Non, non ! répondit-il. Si je suis trop âgé pour être empereur, mon fils est trop jeune. » Rien ne put vaincre ce noble désintéressement; l'illustre vieillard consentit pourtant à désigner celui des officiers qui lui paraissait le plus digne. Salluste était païen; on aurait pu croire que son choix tomberait sur un de ses coreligionnaires : mais Salluste était au-dessus de ces frivoles considérations. Ne s'inspirant que des besoins réels de l'empire, il indiqua le tribun militaire qui venait d'apporter la nouvelle du rétablissement de l'ordre et de la paix dans les Gaules. Valentinien était un chrétien sincère, qui avait, sous Julien, héroïquement confessé sa foi. De même que Jovien, il avait jeté publiquement son épée aux pieds de l'Apostat, un jour que ce prince lui demandait d'assister à un sacrifice idolâtrique. Tel était le nouvel empereur que Salluste proposait à ses collègues.  Valen-

-----------------------

1.Ttieod., Hut.ecu'., lit. IV,  a, . Y). —*S. AnD'., De civil. Dei, lib. Y,cap. XXV,

=========================================

 

p207 CHAP.   I.   — J0V1EN. 


tinien fut acclamé par l'armée entière ; on courut le chercher à Ancyre, où il était resté en garnison depuis son retour des Gaules; On l'amena en triomphe à Nicée, et le 1er mars 364, il parut sur le trône des empereurs, revêtu de la pourpre et du diadème. C’était un homme de quarante-trois ans, d'une taille élancée, d'un visage mâle et d'une contenance vraiment militaire. On s'attendait à une explosion d'enthousiasme; il n'en fut rien. Au moment où Valentinien, debout, étendait la main pour commander le silence et s'apprêtait à prendre la parole, une clameur immense s'éleva de tous les points de l'assemblée. «Auguste, disaient des milliers de voix, il nous faut un autre empereur! » — Quelle était la signification réelle de ce vœu si laconiquement formulé? S'agissait-il pour Valentinien de déposer les insignes impériaux, et de se choisir, avant même d'avoir régné, un successeur au trône? On aurait pu le croire; mais après quelques minutes de cris étourdissants, les légions se firent mieux comprendre. Elles demandaient que Valentinien se choisît lui-même un collègue, afin d'éviter dans l'avenir les crises multipliées qui se renouvelaient à la mort de chaque empereur. Cette idée n'était pas de celles qui naissent spontanément dans l'esprit du soldat. Elle avait dû être mise en avant et propagée par des chefs mécontents ou jaloux. Par un certain côté cependant, elle offrait aux légionnaires un avantage considérable. Une fois l'empire partagé entre deux souverains, dont l'un résiderait en Orient, l'autre en Occident, les soldats nés dans le Nord ne seraient plus transplantés, comme ils venaient de l'être par Julien, dans les régions torrides de l'Asie; ceux du Midi ne se verraient pas forcés d'aller combattre dans les régions brumeuses et froides de la Germanie ou de la Grande-Bretagne. Tels étaient réellement les motifs qu'on avait exploités, pour provoquer cette manifestation inattendue. Valentinien, qui n'était rien moins que lettré et qui savait à peine le grec, avait en revanche une intelligence vive et une assez grande perspicacité. Il eut bientôt démêlé toute l'intrigue, et prit sur-le-champ son parti. « Soldats, flit-il, hier je n’étais qu'un citoyen, vous venez de me faire empareur. Je sens plus que personne la charge qui m'est imposée, et je

====================================

 

p208


serai heureux d'en alléger le poids en la partageant. Mais le choix d'un collègue ne s'improvise pas ; ce choix me regarde. Fiez-vous à ma reconnaissance et à mon dévouement. Si vous m'avez fait empereur, c'est pour vous commander. » — Cette harangue militaire changea en un clin d'oeil les dispositions de l'assemblée. Les troupes de tous les temps et de tous les pays aiment dans leurs chefs la brièveté et la fermeté du langage. Toutes les aigles s'agitèrent, au milieu de transports d'allégresse et d'acclamations joyeuses. Les largesses accoutumées furent faites aux légions, qui reconduisirent le nouvel empereur à son palais. Valentinien pouvait désormais garder seul une autorité qui ne lui aurait plus été contestée. Il n'osa pas. Pour le malheur de l'Église, il se donna un collègue, et son choix fut détestable. La première fois que dans le conseil impérial il émit l'idée de couronner Valens son frère, le comte Dagalaïphe lui répondit arec une franchise toute gauloise : « Prince, si vous aimez votre famille, prenez votre frère; mais si vous aimez l'État, choisissez le plus capable. » Valence était en effet d'une incapacité notoire ; plus jeune que son frère de quelques années, il n'avait rempli aucun emploi, ni militaire, ni civil. Son extérieur était loin d'être avantageux; il avait le teint basané, les jambes torses, l'œil droit envahi par une cataracte pématurée: ces infirmités physiques le pendaient sombre, dur et défiant. Tel était le maître nouveau que Valentinien donnait à l'Orient, se réservant l'Occident pour sa part. La proclamation se fit à Constantinople et quelques mois après Valentinien, prenant congé de son auguste frère, partait pour Mediolanum et allait inaugurer son règne dans les provinces occidentales.


§ VII. Situation de I’Église.

 

   78 Les églises d'Italie, des Gaules, de Germanie et d'Espagne avaient souffert moins directement de la persécution de Julien, grâce à l'éloignement de cet empereur, qui avait passé les trois années de son règne en Orient. Si les maîtres chrétiens avaient été bannis de leurs chaires, les évêques du moins n'avaient pas eu à

=====================================

 

p209 CHAP.   I.   —  SITUATION  DE  L'ÉGLISE.

 

subir la proscription ni l'exil. Le pape saint Liberius avait donc pu
 exercer librement son ministère apostolique. L'objet constant de
 sa sollicitude était, nous l'avons dit, de faire disparaître les dernières traces des funestes divisions suscitées par l'Arianisme au
 sein du clergé et des fidèles. Par ses ordres, Eusèbe de Verceil,
 Hilaire de Poitiers, Philastrius de Brescia, parcoururent séparément les principales églises, réparant le désordre causé par la
 funeste transaction de Rimini, recevant la rétractation des évêques
 signataires de ce concile, les réhabilitant à leurs propres yeux et
 aux yeux de leurs fidèles. Ce travail de concorde et d'unité produisit 
les meilleurs résultats ; les envoyés apostoliques n'avaient qu'à
 s'applaudir du succès de leur mission. Cependant ils rencontrèrent
 dans l'évêque arien de Mediolanum, Auxence, une obstination
devant laquelle vinrent se briser tous les efforts de leur zèle.
Auxence s'était maintenu en possession des églises de la cité ; il
 continuait ouvertement son schisme avec les catholiques, dont
 Hilaire cherchait à ranimer le courage et à sauvegarder la foi.
 Telle était la situation lorsque Valentinien arriva à Milan. Ce
 prince était fermement résolu à ne pas s'immiscer dans l'administration intérieure de l'Eglise. Il l'avait déclaré à quelques évêques
 de Thrace qui voulaient l'entretenir des controverses religieuses.
 «Me prenez-vous pour un autre Constance? avait-il répondu. Je
ne suis qu'un laïque, je n'ai pas le droit de juger en matière de 
foi. Que les évêques s'assemblent, et qu'ils en délibèrent. C’est 
leur mission, non la mienne. » Assurément un tel programme
 était digne et sensé. Valens aurait bien dû, comme son frère, en 
faire la règle de sa conduite. Cependant s'il est facile en politique
 de se tracer théoriquement des règles absolues, il l'est beaucoup
 moins de les mettre en pratique. Valentinien ne tarda pas à s'en
convaincre. Auxence, sachant que le nouveau prince était catholique, n'avait rien eu de plus pressé que de rétracter ses erreurs
 passées ; il se déclarait prêt à souscrire ostensiblement le symbole 
de Nicée ; il anathématisait Arius et confessait que le Christ Fils 
de Dieu est réellement consubstantiel au Père. Une signature
 n'aurait pas coûté grand'chose à ce fourbe qui en avait tant vio-

===========================================

 

p210 FONTIFICAT DE SAINT LIBERICS  (359-366).

 

lées depuis vingt ans. La nouvelle démonstration n'était qu'une feinte qui ne trompa ni saint Hilaire, ni les catholiques de Milan; mais elle eut tout le succès que s'en promettait Auxence. Les magistrats crurent devoir appeler l'attention de Valentinien sur la situation de l'Église dans leur ville. « Rien n'est plus dangereux pour la paix publique, disaient-ils, que ces conventicules irréguliers tenus, en dehors de la basilique commune, sous la présidence d'évêques étrangers. Auxence est prêt à souscrire le symbole de Nicée. Dès lors il n'y a plus de motifs de division. Ce n'est plus ici une question de foi, mais de simple police. » Valentinien goûta cet avis, et sans s'apercevoir peut-être de la contradiction dans laquelle on le faisait tomber, il signa un décret interdisant toute espèce d'assemblées chrétiennes en dehors des lieux soumis à la juridiction d'Auxence. C'était imposer aux catholiques la direction spirituelle d'un évêque intrus. Auxence triomphait. Saint Hilaire obtint une audience de l'empereur, et fit sans peine comprendre à ce dernier la portée réelle de son édit. «Sous prétexte de police, disait-il, vous avez réellement jugé une question dogmatique à laquelle vous déclarez vous-même que vous voulez demeurer étranger. » Valentinien reconnut la faute, mais, embarrassé de la rétracter en public, il imagina d'ordonner que les plaintes d'Hilaire fussent examinées par une commission de dix évêques, assistés d'un questeur et du maître des offices. C'était à une première immixtion incompétente en joindre une seconde. L'assemblée eut lieu; Auxence y parut, non en accusé mais en accusateur. «Je récuse Hilaire, dit-il, parce qu'il a été solennellement déposé jadis par Saturnin d'Arles. Dès lors, il n'a plus le droit de siéger au rang des évêques. » On lui répondit qu'il n'était point ici question des personnes; qu'il s'agissait uniquement d'entendre  sa profession de foi. Sans se déconcerter, Auxence déclara qu'il adorait le Christ comme vrai Dieu, ayant avec le Père une même substance et une même divinité. Il répéta plusieurs fois ces paroles, qui  furent recueillies par les tachygraphes officiels, mises sous ses yeux et reconnues par lui comme authentiques. Mais quand on le pria de les transcrire de sa propre main et de les signer, il se sou-

==========================================

 

p211 CHAP.— snx'jtXiON de l'église.

 

vint à propos des ruses ariennes. Au lieu d'écrire simplement que le Christ est « vrai Dieu, » il écrivit : « Le Christ Dieu, né avant tous les temps, est vrai Fils semblable au Père, suivant les Écritures. » Cette variante, qui supprimait le consubstantiel, en remplaçant le titre de vrai Dieu donné à Jésus-Christ par celui de vrai Fils, rouvrit la porte à toutes les impiétés ariennes. Elle fut acceptée du questeur et du maître des offices; elle reçut l'approbation de Valentinien. Vainement Hilaire protesta contre l'imposture, vainement il sollicita une nouvelle audience de l'empereur. Pour toute réponse, il reçut l'ordre d'avoir à quitter sur-le-champ l'Italie.

 

   79. Ainsi d'un premier bond, à son insu et certainement contre sa volonté, Valentinien proscrivait un confesseur de la foi, et exaltait un misérable hérétique. Tant il est vrai que les princes les mieux intentionnés peuvent être aussi dangereux que les persécuteurs, dès qu'ils interviennent hors de propos dans les question dogmatiques! Constantin le Grand échoua, malgré son génie, devant cet écueil. Nous ne saurions donc beaucoup nous étonner de la faute de Valentinien. Il n'était pas Constantin le Grand ; mais il sut du moins profiter de l'expérience et ne porta plus jamais la main à l'encensoir. A peine de retour dans sa chère église de Poitiers, saint Hilaire fit parvenir à l'empereur et publia par tout l'univers une protestation solennelle contre l'incident schismatique de Milan. Valentinien eut le bon esprit de ne pas s'en fâcher. Cependant la parole d'Hilaire ne manquait ni d'énergie ni d'indépendance. « On berce le peuple d'une vaine illusion! disait le courageux évêque. On lui fait croire qu'Auxence soumis enfin à la vérité a proclamé que Jésus-Christ est vrai Dieu, consubstantiel au Père. Désormais, dit-on, entre Hilaire et Auxence la foi est la même, la communion est rétablie. Le mystère d'iniquité croit pouvoir de la sorte se consommer dans le silence. Mais c'est en vain qu'on m'a chassé de Milan, dans l'espoir d'étouffer ma voix. Je dénonce au monde cette trahison et cette félonie; je déclare qu'on s'est indignement joué de Dieu et des hommes! Frères et vous tous qui avez quelque souci des jugements de Dieu, sachez-le bien. Auxence a nié par écrit la foi qu'il confessait

==========================================

 

p212 PONTIFICAT  DE   SAINT  LIBERIUS   (359-366).

 

de bouche. Je vais vous en fournir la preuve. Vous allez comprendre que ce prétendu adorateur du Christ n'est véritablement
qu'un antechrist. II a cru pouvoir impunément tromper la bonne
 foi publique ; il n'a fait que manifester au grand jour son im
piété 1. » Après cette vigoureuse entrée en matière, le grand docteur discutait une à une toutes les captieuses supercheries introduites par Auxence dans la formule souscrite par lui. « Le peuple 
lit : Christum Deum verum filium Dei, disait Hilaire, le peuple croit
 qu'Auxence déclare que le Christ, Fils de Dieu, est lui-même Dieu
 véritable. Le peuple lit : Christum natum ante omnia tempara; le
 peuple croit qu'Auxence désigne l'éternité par cette expression ambiguë si familière aux Ariens. Hélas ! les oreilles du peuple sont plus 
orthodoxes que le cœur des évêques. Les Ariens consentent bien à
 donner au Christ le titre de Dieu, mais non celui de Dieu «véritable ; » ils consentent bien à dire que le Christ est né avant tous 
les temps, mais non à dire qu'il soit éternel. Voilà, frères, le secret, l'arcane mystérieux de cette secte impie. J'aurais voulu pouvoir vous l'expliquer de vive voix. Une lettre n'y saurait suffire, et
 d'ailleurs est-ce que dans une lettre je pourrais, sans que ma plume
 se révoltât ou que le rouge montât au front de mes lecteurs,
 vous détailler toutes les turpitudes, toutes les infamies d'Auxence
et des Ariens? Non je ne le ferai pas; je ne donnerai point au blasphème et à l'ignominie le retentissement de ma parole. Je vous dis
 seulement : Fuyez l'Antéchrist! Fidèles de Milan, cessez de confondre les murailles du temple avec l'Église de Dieu ; cessez de 
prendre l'ange de Satan pour un apôtre, l'ennemi de la Trinité
 pour un pasteur, l'Antéchrist pour Jésus-Christ2 !»


80. Ce furent les derniers accents de cette éloquence comparée par saint Jérôme à l’impétuosite du fleuve célèbre qui arrosait les cités de Augdunum, de Vienne et d'Arles. Quand saint Hilaire mourut, plein de jours et de saintes oeuvres, au milieu de ses fidèles Pictavii, toute la Gaule le pleura comme un père. Il avait été l'Athanase de notre pays. Une légion de disciples, d'amis ou de

-------------------

» |J. Uilarii, lib. Conlr. Auxentium; Pair, lut., tom. X, col. 615. — *Id., &t%

===========================================

 

p213 CHAP.   I.   — SITUATION   DE  L'ÉGLISE.

 

collègues formés par sa direction, ses conseils, ou son exemple, maintinrent après lui l'intégrité de la foi dans les contrées occidentales. Saint Orientius d'Auch, saint Maternien de Reims, saint Lidoire de Tours, saint Eusèbe de Verceil,  saint Philastrius de Brescia, Lucifer de Gagliari,  contemporains et amis du  grand évêque de  Poitiers, l'avaient secondé dans ses luttes héroïques. Une génération nouvelle se levait, déjà prête à recueillir l'héritage de vertu, de sainteté et de science légué par ces grands hommes. Valentinien, en quittant l'Italie pour se rendre à Lutèce et surveiller de plus près les invasions allemaniques, avait sur la proposition de Probus, préfet du prétoire, signé la nomination d'Ambroise au gouvernement de Milan. Probus en remettant le diplôme impérial au nouveau fonctionnaire, lui dit : « Allez, et montrez-vous à vos administrés moins leur juge que leur évêque. » Ambroise devait réaliser cette parole prophétique dans un sens plus étendu que ne le soupçonnait Probus lui-même. Cependant l'ancien tribun de Pannonie, Martin, devenu l'initiateur de la vie cénobitique dans les Gaules, se préparait au ministère épiscopal par un apostolat plus humble et non moins fécond en fruits spirituels. Il parcourait les bourgs encore idolâtres (pagani) et convertissait par milliers à la foi véritable les peuples des campagnes attardés dans l'idolâtrie. Saint Justus 1, un autre disciple de saint Hilaire et saint Leonius2  faisaient pour les régions des Petrocorenses (Périgord), ce que Martin réalisait avec tant de succès pour la contrée des Pictavii et des Tyronenses (Tours). Toute une légion de saints avait surgi autour d'Hilaire. Lupien, un autre de ses disciples mort avant son illustre maître, deux jours seulement après avoir reçu de lui la grâce du baptême, semblait inaugurer du haut du ciel la mission à laquelle il avait été ravi prématurément sur la terre. Des miracles sans nombre attiraient la multitude à son tombeau. Les saintes Triasia 3 et Florentia4, auxquelles Hiiaire avait imposé le voile de la virginité, rappelaient à Poitiers les merveilles de charité, d'abnégation et de dévouement des saintes

-------------------------

1 Vulgairement S. Jast. — 2. Vulgairement S. Lienne. — 3. Sainte Triaiise 4. S" Florence.

==========================================

 

p214 PONTIFICAT  DE  SAINT   LIBEKIUS   (339-306).

 

Emmélie et Macrine en Cappadoce, et des saintes Marcellina et Mélanie à Rome.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon