Louis XVI 9

Darras tome 40 p. 97

 

90. Avant de pousser les choses à cette extrémité, les diverses assemblées avaient, pour vexer les prêtres orthodoxes, exigé divers serments. Le premier était le serment civique à la constitution civile du clergé : « Je jure de veiller avec soin aux fidèles dont la direction m'est confiée ; je jure d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi ; je jure de maintenir de tout mon pouvoir la constitution fran­çaise et notamment les décrets relatifs à la constitution civile du clergé.» Sur les doutes qui lui avaient été proposés, Pie VI répondit. : « Ceux qui ont prêté ce serment aux termes de la proclamation du 8 février, laquelle exigea expressément l'observation des décrets de l'Assemblée nationale que  nous avons déclarés par notre bref du 13 avril 1791, en partie hérétiques et en partie schismatiques, ont encouru les peines du droit contre les fauteurs et complices du crime d'hérésie et de schisme, et doivent, en conséquence, se soumettre aux conditions prescrites par notre bref du 19 mars 1792, pour obte­nir l'absolution. » Le second serment fut celui de liberté et d'égalité, conçu en ces termes : » Je jure d'être fidèle à la nation, de mainte­nir la liberté et l'égalité, ou de mourir pour leur défense. » Ce serment fut prescrit entre le 10 août et les massacres de septembre. L'intention et le but de ce serment se manifestaient par les cir­constances ; on pouvait croire que ce n'était qu'un nouveau pré­texte pour détruire, en France, la religion catholique. Des ecclé­siastiques estimables, jugeant ce serment d'une manière abstraite, crurent pouvoir le prêter en sûreté de conscience, d'autres en plus grand nombre le jugèrent impie et le refusèrent. Dans cette diver­gence d'opinions, il y eut quelques passes d'armes. Le Saint-Siège, consulté, répondit qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer des peines canoniques à ceux qui l'avaient prêté ; mais qu'on devait les aver­tir de consulter les intérêts de leur conscience, n'étant pas permis

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de jurer dans le doute. Beaucoup de prêtres, de religieux, de religieuses, de laïques aimèrent mieux, par principe de religion, subir la mort que de prêter ce serment. — Le troisième serment, exigé des ecclésiastiques français, était ainsi formulé : « Je jure haine à la royauté, à l'anarchie ; attachement et fidélité à la République et à la constitution de l'an III.» Ce serment fut solennellement condamné comme anti-religieux par Pie VI, bien que l'objet n'en parût que temporel et politique. — Cette nomenclature se complète par un quatrième serment général, imposé, sous peine de destitu­tion, à tous les ecclésiastiques de France, qui devaient le prêter sans restriction. Par ce serment, il était enjoint à tous les pasteurs du premier et du second ordre de jurer qu'ils se conformeraient sans réserve aux règlements déjà faits et à ceux qui pourraient être établis dans la suite, relativement à la constitution civile du clergé. Ceux qui refuseraient le serment seraient déchus de leurs fonctions ; leurs sièges, leurs paroisses seraient regardés comme vacants ; les élections seraient renouvelées et les élus s'adresse­raient au Directoire, qui leur nommerait d'office un évêque quel­conque, pour les confirmer et leur donnerait l'institution. — Tan­dis que Pie VI condamnait ces diverses formules plus ou moins rigoureusement, Louis XVI couvrait de sa sanction royale les dif­férents décrets qui en ordonnaient aux prêtres l'exécution. La bonne intention ne manquait jamais au roi ; mais sa faiblesse fut extrême, et, dit Bossuet, « une bonne intention, avec peu de lumiè­res, est un grand mal dans les plus hautes places. »

   91. Le 21 septembre 1792, la Convention abolit la royauté et proclama la république. Cette proclamation était le couronnement des vœux souvent exprimés par Rousseau, Helvétius, Raynal, Diderot et plusieurs autres; par république on entendait à peu près le gouvernement direct du peuple par le peuple. Il était entendu que les rois étaient des monstres, et que leur histoire est le martyrologe des nations. Pour inaugurer le nouveau gouverne­ment, on inaugura un nouveau calendrier. Cet almanach répu­blicain fut l'œuvre de Fabre, dit d'Églantine, parce qu'il avait remporté l'églantine aux Jeux-Floraux et de Romme,  que Mercier

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appelait le mulet d'Auvergne. Lalande fournit les matériaux de la composition. Ce fut à l'enseigne de ce triumvirat que parut le comput moderne ; il était digne de ses auteurs. Des jours, des mois nouveaux surgirent. L'année républicaine fixa dès lors les desti­nées numérales de la France. D'après ce régulateur, des fêtes nationales s'établirent, on déifia la raison, on lui dressa des autels; tout fut changé : les jours, les semaines, les mois, les années, la religion, les saints, et Dieu même, si on avait pu. L'ère nouvelle partit du 22 septembre 1792. L'année se divise en douze mois de trente jours, plus cinq jours de complément ; chaque mois est par­tagé en trois décades ; les dix jours de la décade se nomment pri-midi, duodi, tridi, etc. Les noms des mois sont, pour l'automne : vendémiaire, brumaire, frimaire ; pour l'hiver, nivôse, pluviôse, ventôse ; pour le printemps, germinal, floréal, prairial ; pour l'été, messidor, thermidor, fructidor. Les cinq ou six jours complé­mentaires étaient consacrés à la vertu, au génie, au travail, à l'opinion, aux récompenses et enfin à la Sans-Gulottide. L'ancien calendrier présentait, à chaque jour, le souvenir d'un saint ; Fabre trouva plus ingénieux d'inscrire, à chaque quintidi, le nom d'un animal, et à chaque décadi le nom d'un instrument aratoire. On voit tout de suite l'agrément d'un citoyen d'être né sous les auspi­ces de la citrouille ou du cornichon, de l'âne ou du chat, de la tomate ou du navet. Le tonneau devait convenir, comme protec­teur, à beaucoup de citoilliens ; les députés devaient préférer le moulin à vent ou la girouette.

 

Le principal objectif de cet almanach était de supprimer le dimanche et les fêtes de l'Église. Au décadi, on essaya d'attirer le peuple par des spectacles ; les fêtes républicaines, tristes et froi­des, ne purent prendre racine. La période de dix jours est d'ail­leurs trop longue pour le travail ; les bœufs eux-mêmes, dit Cha­teaubriand, protestaient contre les décrets de la Convention. Pour aviver l'enthousiasme, on chargea Robespierre de faire un rap­port. S'ensuivit un décret dont voici les principales dispositions : «Le peuple français reconnaît l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme. Il reconnaît que le culte digne de l'Être suprême est la

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pratique des devoirs de l'homme. II met au rang de ses devoirs de détester la mauvaise foi, la tyrannie ; de punir les tyrans et les traîtres ; de secourir les malheureux, de respecter les faibles, de défendre les opprimés, de faire aux autres tout le bien qu'on peut et de n'être injuste envers personne. Il sera institué des fêtes pour rappeler l'âme à la pensée de la divinité et à la dignité de son être. Elles emprunteront leur nom des événements glorieux de la révolution, soit des vertus les plus chères et les plus utiles à l'homme, soit des grands bienfaits de la nature. » Ces déclamations répondaient mal aux dispositions publiques. La tribune de la Convention retentissait à chaque instant de blasphèmes. Des hommes, ivres de sang et de débauche, venaient proférer à la barre des discours grotesquement impies et recevaient le prix de leurs brigandages. Cependant, le 10 novembre, on célébra, dans Paris, la fête de la déesse Raison. Par une inspiration vraiment réussie, la raison déifiée se choisit pour symbole une femme publi­que. La cathédrale de Paris, consacrée à la très sainte Vierge, fut, par une exécration non moins significative, nommée le temple de la nouvelle déesse. L'idole impure fut portée en triomphe ; un cor­tège impie lui rendit un culte sacrilège. On plaça sur l'autel, con­sacré à nos divins mystères, le vil objet d'une adoration infâme. Des blasphèmes profanèrent la chaire de vérité, et ces murs, qui avaient souvent retenti de cantiques saints, ne répétèrent plus que des airs profanes et de sauvages refrains. La Convention entière participa à cette fête honteuse et célébra, par ses discours, la déité nouvelle. Alors se réalisèrent les prédictions par lesquelles, vingt ans auparavant, des orateurs chrétiens, animés d'un zèle qu'on taxa de fanatisme, avaient annoncé l'abomination dans le lieu saint, la profanation des temples et la substitution d'un culte impur à nos cérémonies sacrées.

  

   92. La religion, avilie jusqu'à ces lâches excès, ne pouvait naturellement pas se concilier avec l'orthodoxie, ni même avec la sim­ple probité. On avait parlé d'abord de réformer les abus ; on était venu à une constitution hérétique et schismatique de l'Église gallicane ; on aboutissait aux orgies d'une sanglante saturnale. La

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liberté promise faisait place aux lois des suspects et à la terreur ; l'égalité se résolvait en proscriptions. Le principal projet de l'im­piété encyclopédique visait l'anéantissement du christianisme et l'extermination des prêtres ; ce fut aussi l'œuvre principale de la révolution. A la vue des attentats révolutionnaires, en butte à des menaces quotidiennes de mort, plusieurs prélats avaient pris le che­min de l'exil. Un décret du 27 mai 1792 et une loi du 26 août sui­vant vinrent porter contre les simples prêtres un arrêt de déporta­tion. La déportation frappait tous les prêtres insermentés; pour l'appliquer, il fallait la dénonciation de vingt citoyens actifs et l'avis du directoire départemental. Dès lors, le clergé français, chassé de son antique héritage, commença son douloureux pèleri­nage à travers les nations qui devaient se montrer plus hostiles à ses croyances. Dieu le donna en spectacle à ces nations, pour découvrir l'inanité des accusations qui voulaient atteindre son prestige et pour manifester, aux yeux prévenus, la vérité de l'orthodoxie romaine. Huit mille prêtres environ se réfugièrent dans la Grande-Bretagne. Quinze cents habitaient Londres, cinq cents étaient dispersés dans les provinces, deux mille et plus étaient restés à Jersey, six cents avaient trouvé un abri au château royal de Winchester. D'abord, ils n'avaient été connus que des catholiques auxquels ils avaient cru pouvoir se confier avec plus de confiance; leurs premiers bien­faiteurs avaient été un abbé Meynel et une dame Silburn. L'évêque de Saint-Pol prit ensuite la tête de la déportation ; l'abbé Garron fut aussi l'un des agents principaux de la bienfaisance britannique. Bientôt l'Angleterre tout entière s'occupa de nos prêtres. L'évêque anglican de Contorbéry se mit à la disposition de nos évêques; les chaires des pasteurs protestants retentirent d'exhortations à la charité ; les universités rivalisèrent de zèle avec les pasteurs ; l'en­fance même voulut offrir son obole. Les Anglais procédèrent avec ce sens pratique qui les distingue en toutes choses ; ils firent des souscriptions, en organisèrent la dépense et s'appliquèrent avec autant de dévouement que de succès à l'assistance de ces prêtres dont la présence devait dessiller plus tard les yeux de l'anglica­nisme.

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En Espagne, les évêques de Signenza, d'Osma, de Cordoue d'Orense, de Pampelune, les chapitres de Zamora, de Calahorra et de Bilbao, surtout le cardinal de Tolède, le plus riche évêque d'Espa­gne, assistèrent les prêtres exilés, avec une véritable munificence. Les fidèles, en ce pays d'ailleurs pauvre, rivalisèrent de zèle avec les évê­ques. En Suisse, le canton de Fribourg reçut plus de 4,000 prêtres ; les bons paysans de l'Helvétie partageaient avec eux leur fromage, leur pain noir et ce pain leur semblait plus doux en le mangeant avec les proscrits. Le canton de Genève, si longtemps l'épouvantail des prêtres catholiques, fit céder son fanatisme aux exigences de l'humanité. Dans les cercles de l'Allemagne, nombre de paysans imitèrent les Suisses : c'étaient les mêmes mœurs, ce fut la même charité. En Italie, le pape Pie VI reçut nos prêtres comme le pape Symmaque avait reçu les évêques d'Afrique réfugiés en Sardaigne. Plus de deux mille ecclésiastiques durent aux libéralités ou à la sagesse du Saint Père une subsistance honorable. Le zèle du sou­verain pontife fut secondé, de la manière la plus efficace, par les cardinaux, les archevêques, les évêques, par tout le clergé séculier et régulier, et par les laïques de toutes conditions. Un règlement fut dressé pour constituer ces prêtres dans l'honnêteté et selon l'ordre; il est remarquable que ce règlement exigeait la soumission aux actes pontificaux condamnant le jansénisme et le gallicanisme. Dans quelles régions le volcan de la révolution française ne poussa-t-il pas nos prêtres ? Comme la postérité de Job, ils passèrent d'une nation dans une autre, et d'un royaume chez un autre peuple. Un grand nombre d'entre eux pénétrèrent jusqu'aux déserts de l'Amé­rique. Mais voyez comme Dieu se joue de ses ennemis. Aveugles et fanatiques, ils voulaient abolir dans nos contrées l'orthodoxie romaine ; ils ne réussirent qu'à la propager dans tout l'univers. Partout la croix de Jésus-Christ eut des témoins; partout son nom eut des professeurs et des apôtres. Autrefois, un peuple grec, chassé de ses foyers antiques, léguait à ses barbares vainqueurs cette imprécation : « Nous vous jurons une haine éternelle au nom des quarante mille Messéniens que vos fureurs ont disséminés sur la surface du globe. » Nos prêtres, chassés de leur patrie, poursuivis

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souvent jusque dans leur exil, n'élevèrent la voix de tous les points de l'univers que pour faire entendre le cri du Sauveur mourant : «Pardonnez-leur, Seigneur, car ils ne savent ce qu'ils font. »

 

L'exil des prêtres délivrait, sans doute, la république de leur présence, mais elle accusait, à l'étranger, l'iniquité de la proscription et d'ailleurs les proscrits pouvaient revenir. Il n'y a que les morts qui ne reviennent pas ; il fut décidé, dans les clubs, qu'on assassinerait les prêtres. Au 10 août, après le sac des Tuileries, on distribua, dans Paris, la liste des prêtres non assermentés, dressée par les motionnaires les plus audacieux ; ordre fut donné de s'assurer de leur personne et de les interner aux Carmes, rue Vaugirard, et à Saint-Firmin, rue Saint-Victor. Afin de disposer les esprits au spectacle que préparaient ces ordres, on répandit, le soir même, que des prêtres avaient été vus aux Tuileries, faisant feu sur le peuple ; que plusieurs avaient été tués dans le combat, et même leurs prétendus meurtriers se flattaient d'avoir fait le coup ; que plusieurs s'étaient opposés à la publication des décrets qui ôtaient à Louis XVI ses ministres, qui suspendaient ses droits à la couronne ; enfin on disait que les prêtres avaient voulu empêcher que le roi fût conduit à la Tour du Temple, d'où il ne devait sortir que pour être conduit à l'échafaud. Le 11 août, la section du Luxembourg convoqua ses patriotes. Leur cohorte, armée de baïon­nettes et de toute sorte d'instruments meurtriers, se dissémina dans tous les quartiers de la capitale, spécialement dans le quartier Saint-Sulpice. Ces anthropophages se vantaient de courir à la recher­che des ennemis de la patrie. Il faudrait une plume sacrée pour raconter le martyre de ces prêtres, pour dire qu'elle fut leur fer­meté dans les prisons et leur héroïsme devant la mort. Dans le cloître des Carmes, prison de deux cents prêtres, où l'on se sentait plus près de la mort, jamais une plainte, jamais un soupir. Les brigands, qui se succédaient autour de cette en­ceinte, hurlaient sans cesse des menaces de mort. La prière et la résignation répondaient seules à ces menaces. L'entrée de l'église des Carmes était ouverte jusqu'au soir ; les prêtres y célébraient les offices, s'y redisaient les paroles qui avaient corroboré, dans les

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premiers siècles, la constance des martyrs. Dieu n'avait réuni là que des victimes d'élite : Dulau, archevêque d'Arles, siégeait au milieu d'eux, comme le pasteur de tous ces pasteurs réunis ; il était secondé dans ses soins par les deux La Rochefoucauld, évêques de Saintes et de Beauvais. Tous les degrés de la hiérarchie étaient représentés parmi ces confesseurs. On y voyait l'abbé de la Pannonie ; Hébert, général des Eudistes ; plusieurs vicaires généraux et curés de Paris, entre autres le curé de Saint-Nicolas qui, en 1789, dans la famine, s'était montré un autre Vincent de Paul. On me permettra de citer encore Nicolas Collin, curé de Genevrières, au diocèse de Langres. Le 2 septembre, ces prêtres, comme préve­nus par une voix d'en haut, remplissaient l'église dès le point du jour; ils s'étaient confessés ; plusieurs messes avaient été célébrées ; tous avaient été nourris du pain des forts. On chantait le salut quand des hurlements affreux vinrent sonner le glas. La troupe sainte passa aux prières des agonisants. Cependant le geôlier les faisait sortir de l'Église ; tous marchèrent vers une chapelle située à l'extrémité du jardin, ayant à leur tête l'archevêque d'Arles et continuant les supplications de l'agonie. Trente assassins s'avan­cent et s'arrêtent un instant comme frappés de stupeur. Comme ils n'osent approcher, l'un d'eux tire un coup de fusil et tue un prêtre. La vue du sang exalte la fureur. « Où est l'archevêque d'Arles? crie un brigand. — C'est moi, répond le prélat ; je suis celui que vous cherchez. — Ah ! malheureux, reprend le scélérat, c'est toi qui as fait verser le sang des patriotes d'Arles. — Je n'ai jamais versé le sang de personne, ni fait de mal à qui que ce soit. — Eh bien, moi je vais t'en faire. » Trois coups de sabre s'abattent sur la tête du saint archevêque ; il tombe, un coup de lance lui traverse la poitrine ; il meurt au pied de la croix. Les assassins s'arrêtent encore ; quelques coups de fusil partent ; plusieurs prêtres expi­rent. On ramène les autres au milieu du jardin et, au lieu de fusil­ler, on massacre. Ce jardin devient un amphithéâtre où des bêtes féroces, excitées par les Néron et les Galerius républicains, se bai­gnent dans le sang des martyrs. Au milieu du tumulte, plusieurs escaladent les murs du jardin et s'échappent ; quelques-uns revien-

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nent comme se repentant d'échapper au martyre. Spectacle étrange, ceux qui assassinent, maudissent ; ceux qui meurent, pardonnent. Quelquefois les massacreurs s'arrêtent ; l'horreur accroît leur fatigue, ils promettent d'épargner ceux qui prêteront le serment. Pas un n'accepta, tous s'écrièrent : Plutôt mourir!

 

On estime que vingt-deux prêtres et douze laïques échappèrent, grâce au dévouement de deux courageux citoyens, Grapin et Bachelard. Nous n'entrerons dans aucun détail sur les massacres qui eurent lieu à Saint-Nicolas, à Saint-Firmin, à l'Abbaye, à la Force, devenus autant de Colysées français. Ce furent autant de scènes d'horreur et d'héroïsme. Le XVIIIe siècle avait voulu dimi­nuer le nombre des martyrs des premiers siècles ; pour se réfuter, il en augmenta le nombre. Tous ces prêtres moururent pour la foi ; leur cause a été récemment introduite. Nous souhaiterions les voir bientôt sur les autels, afin que leur légion se lève, comme une milice invisible, pour défendre, dans une tourmente nouvelle, nos églises de France. — Nevers, Lyon, Nantes, la Vendée, Angers, Laval, La Rochelle, Vannes, Rochefort, Bordeaux, Arras, Orange, Valenciennes, la Savoie, la Belgique, la Guyane, Oléronel Rhé, la Sorbonne furent tour à tour le théâtre de nouvelles boucheries. Un féroce enfant du Nivernais, Chaumette, envoya à Nevers Fouché de Nantes ; Fouché rassembla le plus de prêtres qu'il put et les fit égor­ger tous, sauf quatorze. A Lyon, on avait imaginé de délivrer aux prêtres un sauf-conduit, avec un signe particulier, et, quand ils le présentaient, on les égorgeait. De braves gens en sauvèrent un assez grand nombre ; Lyon se révolta même contre la république et subit les horreurs d'un siège. Dans cette même ville, un scélérat, Challier, avait dit : « Ce n'est pas assez que le tyran des corps ait péri, il faut détruire aussi le tyran des âmes, » et il mit un crucifix en pièce. Pour cet exploit horrible, son buste fut porté en triomphe. Le cortège était composé d'hommes sanguinaires et de femmes perdues, suivis de démons incarnés qui agitaient, avec une joie infernale, les vases sacrés enlevés aux églises. Au milieu d'eux mar­chait un âne, couvert d'une chape, coiffé d'une mitre, portant sur le dos une quantité d'objets pieux ; à sa queue étaient suspendus

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le Christ et l'Évangile. Lorsque les républicains ne pouvaient pas tuer les prêtres, ils insultaient la religion et insultaient les objets consacrés au culte catholique.

 

A Nantes, Carrier avait rempli les prisons de gens de bien, entre autres de quatre-vingt-seize prêtres. Comme Dioclétien et Maximien « imaginaient chaque jour des supplices inouïs », Carrier inventa un bateau à soupape, pour exécuter verticalement, c'est son mot, le décret de déportation. Dans la nuit du 15 au 16 novembre, ces prêtres furent embarqués, sous prétexte d'être envoyés en exil ; les gardiens, placés dans des barques, tirèrent les soupapes et noyèrent ces prêtres. Carrier fit part du crime à la Convention, qui men­tionna honorablement le fait au procès-verbal. Carrier, se voyant applaudi, fit montrer un nombre à peu près égal de prêtres et, pour que pas un n'échappât, prit la précaution de leur lier les mains derrière le dos. Après les prêtres, il noya des laïques, et parmi ses victimes on compta 400 enfants. La république avait le delirium tremens de la boucherie cléricale ; elle voyait rouge et tuait les prê­tres en grand.

 

Pour l'honneur de la France et le salut de son avenir, les popu­lations de la Vendée se levèrent contre cette atroce tyrannie. La Vendée avait conservé l'énergie de sa foi et les habitudes patriar­cales des temps anciens. Lorsque la république lui envoya un clergé intrus, elle le repoussa ; lorsqu'elle voulut livrer ses prêtres au bourreau et la contraindre à renier son culte, elle arbora glorieu­sement l'étendard de la révolte. La première guerre, toute reli­gieuse, s'alluma dans la vaste portion de la France qui est bornée au nord par la rive gauche de la Loire et s'étend au sud dans l'An­jou et le haut Poitou. La seconde guerre éclata sur les confins du Maine, s'étendit sur la rive droite de la Loire, pénétra dans la Haute et la Basse-Bretagne. Onze diocèses y prirent part. La croix était leur drapeau, la foi leur force, la religion le motif de leur soulève­ment. Ce fut une guerre de géants, disait Bonaparte ; elle s'immor­talisa par de brillantes victoires, sous la conduite de vaillants chefs, tels que Cathelineau, d'Elbée, Lescure, Laroche jacquelein, Bonchamps et Charette. Si quatre cent mille hommes y périrent, ce

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fut parce que la république avait persécuté l'Église romaine. Quant aux croisés vendéens, catholiques avant tout, comme les anciens ligueurs, ils ne déposèrent les armes que le jour où le premier con­sul rendit à l'Église sa liberté et s'inclina devant la puissance du Saint-Siège. Pendant huit années, parfois vainqueurs, plus souvent vaincus, à la fin presque écrasés, ni la prison, ni les outrages, ni la mort ne firent trembler ces hommes qui n'avaient pris les armes que pour venger la cause de Dieu et la ruine de ses autels. On peut croire que Dieu eut parmi eux plus d'un martyr dont seul il saura honorer les noms.

 

Angers, Vannes, Laval, La Rochelle, Rochefort eurent aussi leurs massacres de prêtres. Outre ces victimes, il y avait, dans les pri­sons de la république, de vieux prêtres et des malades qu'on ne pouvait guère faire tuer ; pour s'en débarrasser, on imagina de les déporter à la Guyane ; mais, comme on ne put s'accorder sur le mode de déportation, l'exécution arbitraire fut laissée aux direc­toires des départements. Les proconsuls, les comités révolution­naires et les administrations profitèrent au plus vite de ce subter­fuge. On enveloppa dans un même coup de filet des prêtres accusés d'incivisme, d'autres assermentés et même plusieurs qu'on avait contraints au mariage. A Rochefort, on les embarquait sur de mauvais vaisseaux et on les tenait sur les pontons. Il en mourut 92 de la Meuse, 71 de la Seine-Inférieure, 62 de l'Allier, 61 de la Haute-Vienne, 44 de la Dordogne, 37 de la Meurthe, 31 de la Moselle, 16 de la Vienne, 15 des Côtes-du-Nord, 14 de Saône-et-Loire, 14 de la Creuse, 13 de la Charente, 11 du Morbihan, 10 de l'Yonne, 9 de la Charente-Inférieure, 7 de l'Eure, 6 du Cher, o de la Somme, 5 de l'Orne, 4 de la Marne, 4 des Vosges, 4 du Doubs, 3 du Calvados, 2 du Mont-Blanc, 1 de l'Indre et 1 de la Haute-Marne. Total : 638.

 

Nous pourrions citer beaucoup d'autres villes où eurent lieu de sanglantes hécatombes. Tallien à Bordeaux, Paganel et Chaudron-Rousseau à Toulouse, Barras et Fréron à Marseille, Maigne dans le Vaucluse, Albitte en Savoie, Javognes dans l'Ain, Taillefer dans les départements du centre, Schneider à Strasbourg, Joseph Lebon

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à Arras, furent autant d'exécuteurs des hautes oeuvres de la républi­que. A leurs victimes, il faut ajouter les grandes victimes expiatoi­res de la France, Louis XVI, guillotiné le 21 janvier, mort avec la bravoure d'un roi et la piété d'un fervent chrétien, et son épouse, Marie-Antoinette, guillotinée le 16 octobre. « Quand un roi meurt sur l'échafaud, dit Shakespeare, il s'ouvre au-dessous un abîme où peut périr un peuple ». Ce n'est pas la France qui mourut, mais ceux qui voulaient l'assassiner. Marat fut tué d'un coup de couteau par Charlotte Corday ; les Girondins, au nombre de vingt et un, allèrent à l'échafaud ; Philippe-Égalité les suivit de près. Ce fut ensuite le tour d'Hébert, l'abominable rédacteur du Père Duchêne, de Clootz et de quelques autres athées. Après vint le supplice de Danton, Camille Desmoulins, Fabre d'Églantine et autres accusés de modérantisme. Robespierre, Couthon, Saint-Just, accusés de tyrannie, allèrent à la guillotine. Tous se traitaient comme d'in­fâmes scélérats et, en ce point, avaient tous raison.

 

Ainsi la France avait, depuis les États généraux, passé par la Constituante de 1789 à 1791, par la Législative de 1791 à 92, par la Convention de 92 à 95, et par le Directoire de 95 à 99. Le Directoire montra d'abord, pour les prêtres, quelque douceur ; après le coup d'État de Fructidor, 4 septembre 1797, il renouvela violemment les proscriptions, tout en se roulant dans l'impiété et dans l'orgie. Au dehors cependant la gloire militaire ne subissait pas d'éclipse. En 1792, Dumouriez avait battu les Autrichiens à Jemmapes et conquis la Belgique. En 93, quatorze armées de 1.200.000 hommes avaient repoussé l'invasion sur le Rhin. En 94, Jourdan avait rem­porté la victoire de Fleurus. L'année suivante, Moncey pénétrait en Espagne et Pichegru faisait, au milieu de l'hiver, la conquête de la Hollande. En 96, s'illustrait, en Italie, un jeune général qui allait bientôt remplir le monde de l'éclat de sa gloire. Mais au milieu de ces victoires et de ces vicissitudes politiques, la révolu­tion s'était toujours montrée ennemie violente de la religion, de l'Église et des prêtres, et, pour rappeler le mot du comte de Maistre, satanique par essence.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon