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Si l'on poursuit cette analyse, on n'aura pas de peine à voir que « l'ontologie » du quatrième Évangile et des confessions de foi anciennes renferme un actualisme beaucoup plus radical que tout ce que l'on rencontre aujourd'hui sous l'étiquette d'actualisme.
Je me contenterai d'un seul exemple, d'une affirmation de Bultmann au sujet de la filiation divine de Jésus: « De même que l'éxxlésia, la communauté eschatologique, n'est réellement exxlésia que comme événement, de même la seigneurie du Christ, sa divinité, n'est toujours qu'événement 22 .»
Dans cette forme d'actualisme, le véritable être de l'homme Jésus reste statiquement derrière l'événement de l' « être‑Dieu » et de l' « être‑Seigneur »; il reste donc l'être d'un homme quelconque; au fond, il n'est pas affecté par l'événement, il n'est que le point fortuit où jaillit l'étincelle, le point où il arrive que, dans l'écoute de la parole, la rencontre avec Dieu devient chaque fois, de façon actuelle, réalité pour quelqu'un.
Et de même que l'être de Jésus reste statiquement derrière l'événement, de même l'être de l'homme ne peut être touché par le divin que dans la zone de l'événementiel, toujours à nouveau. Là aussi la rencontre avec Dieu ne se réalise à chaque fois que dans l'éclair de l'événement, l'être n'y a aucune part.
Une telle théologie traduit, me semble‑t‑il, une sorte de désespoir à l'égard de l'être, qui empêche d'espérer que l'être lui‑même puisse jamais devenir acte.
A l'encontre, la christologie de Jean et des confessions de foi de l'Église va bien plus loin sans son radicalisme, en reconnaissant l'être lui‑même comme acte, et en disant: Jésus est son oeuvre. Il n'y a pas encore en plus, à l'arrière‑plan, un homme Jésus, qui en fait n'aurait pas été affecté.
L'être de Jésus est pure actualité des relations « à partir‑de » et « pour ». Et par le fait même que cet être n'est plus séparable de son actualité, il coïncide avec Dieu; il devient en même temps l'homme exemplaire, l'homme de l'avenir, à travers lequel on peut percevoir combien l'homme est encore l'être à venir, à réaliser, combien peu l'homme a commencé d'être lui‑même.
Quand on a compris cela, on a perçu également pourquoi la phénoménologie et les analyses existentiales, si utiles
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soient‑elles, ne sauraient suffire pour la christologie. Elles ne vont pas assez profond, parce qu'elles ne touchent pas au domaine de l'être véritable.
4) Voies de la christologie
I. THÉOLOGIE DE L'INCARNATION ET THÉOLOGIE DE LA CROIX
A partir de ces vues, nous pouvons maintenant aborder les autres assertions fondamentales de la christologie qui restent encore à élucider.
Dans l'histoire de la foi chrétienne, la contemplation de Jésus a été à l'origine de deux lignes de développement divergentes: la théologie de l'incarnation, issue de la pensée grecque et qui a dominé dans la tradition catholique de l'Orient et de l'Occident, et la théologie de la croix qui, à la suite de Paul et des formes primitives de la foi chrétienne, s'est affirmée de façon décisive dans la pensée de la Réforme.
La première parle de l'être et gravite autour du fait qu'un homme est Dieu, et par voie de conséquence, que Dieu est homme; ce fait prodigieux devient pour elle le point absolument décisif.
Devant cet événement, qui fait que Dieu et l'homme sont un, que Dieu devient homme, tous les événements particuliers qui ont suivi, rentrent dans l'ombre.
En comparaison de cela, ils ne sauraient être que secondaires; cette rencontre intime de Dieu et de l'homme apparaît comme l'événement décisif, rédempteur, comme le véritable avenir de l'homme, vers lequel finalement toutes les lignes doivent converger.