Darras4-27

LES «TOLLÉRANTS» SONT JALOUS ET FURIEUX.

§ II. La Samaritaine.

 

  10. Après la profession de foi si explicite du Précurseur, les multitudes accoururent, avec une ardeur nouvelle, auprès de Jésus. Les Pharisiens et les docteurs de la loi, déjà prévenus contre Jaan Baptiste, dont ils affectaient de rejeter le baptême 1, ne se montrèrent pas moins hostiles à l'influence du Sauveur. «Ils apprirent donc, avec une jalousie pleine de fureur, dit l’Évangéliste; que Jésus réunissait plus d'adhérents que Jean lui-même, et que la foule se montrait avide du baptême conféré en son nom par ses disciples. Jésus, connaissant leurs mauvais desseins, quitta le territoire de Juda pour se rendre en Galilée. Or, il lui fallait, dans ce voyage, traverser la Samarie. Il arriva donc en une ville de ce pays, nommée Sichar, près de l'héritage légué autrefois par Jacob à son fils Joseph. Là se trouvait la source encore nommée Fontaine de Jacob. Jésus donc fatigué de la route, s'était assis au bord de la fontaine, pendant que ses disciples étaient allés acheter des pro-

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1. Pharisœi autem et legisperiti consilium Dei spreverunt in semetipsos non Htati ab eo (Joanne). (Luc, vii;, 30.J

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visions à la ville voisine. Il était environ la sixième heure du jour 1. Une femme de Samarie vint puiser de l'eau. Jésus lui dit: Donnez-moi à boire. — Comment vous qui êtes Juif, répondit-elle, pouvez-vous m'adresser une telle demande à moi, qui suis Samaritaine? Les Juifs ne veulent rien avoir de commun avec les Samaritains. — Jésus lui répondit: Si vous connaissiez le don de Dieu, si vous saviez quel est celui qui vous parle et vous dit: Donnez-moi à boire, peut-être lui eussiez-vous fait la même prière, et il vous eût donné de l'eau vive. —Maître, reprit-elle, vous n'avez rien pour puiser, la source est profonde, d'où auriez-vous donc de l'eau vive? Êtes-vous plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits, qui vint jadis y boire lui-même, avec sa famille et ses troupeaux? — Jésus lui répondit: Quiconque s'abreuve à cette fontaine aura encore soif; mais l'eau que je donne étanche la soif pour jamais. Elle ouvre pour celui qui la boira, une source rejaillissant jusqu'à l'éternité. —Ah! Seigneur, s'écria la Samaritaine, donnez-moi de cette eau! Je n'aurai plus jamais soif, et ne serai plus forcée de venir puiser à la source. —Jésus reprit: Allez chercher votre époux et revenez ensemble. — Je n'ai point d'époux, dit l'étrangère — Et Jésus ajouta: Vous avez dit la vérité en répondant: Je n'ai point d'époux. Car vous avez eu cinq maris, et celui que vous avez maintenant n'est pas le vôtre. C'est donc la vérité que vous venez de dire. — La femme répondit: Seigneur, je vois que vous êtes un Prophète. Éclairez-moi donc sur ce point. Nos aïeux ont adoré Jéhovah sur cette montagne, et vous, Juifs, vous prétendez que Jérusalem est le seul lieu d'adoration et de prière. — Femme, répondit Jésus, croyez-moi. L'heure approche où vous n'adorerez le Père ni sur cette montagne, ni à Jérusalem. Vous, Samaritains, vous adorez ce que vous ne connaissez pas; mais nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. Cependant l'heure approche, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. Tels sont, en effet, les adorateurs que demande le Père. Dieu est Esprit, il

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1. Midi. — » On peut rapprocher ce mot de Tuvat, de l'expression identique rappelée au chapitre précédent no 18, Note.

IV. *W

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faut que ses adorateurs l'adorent en esprit et en vérité. — Je sais, reprit la Samaritaine, que le Messie ou Christ va venir. Lors donc qu’il aura paru, il nous enseignera toutes ces choses. —Je suis le Messie, répondit Jésus; c'est le Messie qui vous parle.—En ce moment, les disciples revinrent et ils s'étonnaient de voir Jésus converser avec une Samaritaine. Cependant nul n'osa lui dire: Que demandiez-vous à cette femme et pourquoi lui parlez-vous ? — Cependant l'étrangère laissa son urne, et courut à la ville, disant aux habitants: Venez voir un homme qui m'a révélé tous les secrets de ma vie? Ne serait-ce point le Christ? — Ils sortirent donc de la ville pour venir le trouver. Or les disciples avaient servi le repas, et priaient Jésus en disant: Maître, mangez. — Il répondit: J'ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas. — Les disciples étonnés se demandaient l'un à l'autre: Quelqu'un lui aurait-il apporté des provisions en notre absence? — Mais Jésus reprit: Ma nourriture, c'est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé pour accomplir son œuvre. Ne dites-vous pas: Encore quatre mois, et le temps de la moisson sera venu? Voici, moi, ce que je vous dis: Levez les yeux, voyez les campagnes; elles blanchissent déjà sous les épis mûrs. Celui qui moissonne reçoit sa récompense, il recueille les gerbes pour la vie éternelle; en sorte que, s'il y a joie pour celui qui sème, il y aura joie pour celui qui moissonne. En cela encore le proverbe est vrai: Autre est la main qui ensemence, autre la main qui moissonne. Je vous enverrai moissonner des champs qui ne furent point cultivés par vous; d'autres ont travaillé et vous mettrez le pied dans leur moisson. — Ainsi parla Jésus. Or, parmi les Samaritains de la ville, un grand nombre croyaient en lui, sur le témoignage de la femme qui disait: Il m'a révélé tous les secrets de ma vie! — Étant donc venus le trouver, ils 1e prièrent de demeurer en ce lieu. Jésus y resta deux jours; et le nombre de ceux qui crurent en lui, après avoir entendu ses discours, fut beaucoup plus grand. Ils disaient à la femme: Ce n'est plus sur votre parole que nous croyons. Nous l'avons entendu nous-mêmes, et nous savons qu'il est véritablement le Sauveur du monde 1.»

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1. Joann., iv, 1-42.

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  11. La divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ éclate à chaque détail de cet épisode évangélique, avec une majesté simple et douce qui faît pâlir tous les commentaires. A la sixième heure du jour; alors que les feux du soleil à son midi dévorent la campagne embrasée, le Sauveur, fatigué de la route, vient s'asseoir au bord du puits de Jacob. «Ce n'est pas sans un mystère d'amour, dit saint Augustin, que Jésus, la force de Dieu, lui qui vient réparer toutes les défaillances, se soumet à la fatigue du chemin. Est-il une puissance plus souveraine que celle du Verbe, créant le monde sans effort? Mais admirez ce miracle d'infirmité: Le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous! La force du Christ nous a créés, et l'infirmité du Christ nous régénère. La force appelait à la vie ce qui n'était pas encore, l'infirmité préserve ce qui est d'une perdition universelle; la force nous a créés, l'infirmité nous sauve.» La sixième heure des siècles avait sonné pour le genre humain, en marche à travers les six âges de l'histoire antique. Quel rude chemin n'a-t-il pas fourni, depuis le seuil de l'Eden jusque sous le fouet de Tibère! Nul n'a étanché la soif de ce voyageur, errant dans les sables arides du paganisme, soupirant après les fontaines d'eau vive, demandant la vérité à tous les sages, se penchant au bord de toutes les doctrines, et retombant enfin, sous le poids du jour et de la chaleur, dans un morne désespoir. Jésus, divin époux de l'humanité, vous qui avez embrassé ses fatigues, ses misères et ses défaillances, toute mon âme vous adore, à cette fontaine de Jacob, creusée jadis par le Patriarche, et d'où vont jaillir à votre voix des torrents de grâce, de rafraîchissement et de paix! Les disciples, dans leur affection tout humaine encore, sont allés à la ville de Sichar, acheter les modestes provisions qu'ils veulent offrir à leur maître pour son repas. Cependant Jésus a une faim et une soif inconnues; il a soif des âmes, il a faim de cette moisson spirituelle, dont les épis mûrs blanchissent parmi les nations; il est affamé du salut du monde !

  12. Mais les tendresses infinies et les condescendances divines qui s'allient, dans son cœur, avec cette faim et cette soif incommensurables, qui pourra jamais les comprendre! «Donnez-moi à

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boire,» dit-il à la Samaritaine, qui descend, son urne sur l'épaule, pour puiser l'eau vive. Telle est encore, et telle sera, jusqu'à la fin des siècles, la prière de Jésus. Il est le divin solliciteur des âmes; à chacune d'elles, il adresse la même parole. À Philippe, il dit: «Suis-moi;» à Nathanaël, il montre les cieux ouverts et les Anges montant et descendant sur la tête du Fils de l'homme: à Nicodème, il découvre cette exaltation de la croix, qui soulèvera le monde dans un élan divin; aux convives de Cana, il offre le vin excellent de l'Évangile, remplaçant l'eau dégénérée dont les Pharisiens remplissent leur coupe doctorale; mais à chacun il demande son âme, et redit comme à la Samaritaine: «Donnez-moi à boire! L'étrangère «ignore le don de Dieu.» Elle est semblable à toutes les âmes égarées et pécheresses, qui ont entendu, et qui entendront encore la parole du divin Maître. Des abîmes de séparation se dressaient entre la Samaritaine et le Juif inconnu qui lui adresse cette prière. L'anathème du Sanhédrin frappait tout Juif qui osait communiquer avec un Samaritain. Les relations commerciales étaient seules exceptées de la malédiction. Du reste, le prêtre de Jérusalem, qui accueillait pour le Temple l'offrande d'un païen, rejetait avec horreur celle d'un enfant de Samarie. Ainsi, à travers des abîmes de préjugés, d'erreurs et de haines, la voix de Jésus-Christ frappe tous les jours à la porte des consciences. Elles lui répondent comme la femme de Sichar: «Est-ce bien vous, un Juif, qui demandez à boire à une Samaritaine? Les Juifs n'ont rien de commun avec nous.» Ainsi on repousse la prière du Dieu inconnu qui a soif des âmes, on écarte ce solliciteur Tout-Puissant, comme un importun, comme un ennemi. Dans l'histoire d'une conversion, au bord du puits de Jacob, nous avons l'histoire de toutes les conversions. C'est au hasard que la Samaritaine attribuait sans doute la rencontre du divin étranger; de même, c'est le hasard qui semble pour la première fois mettre une conscience humaine en face de la divinité oubliée ou méconnue du Sauveur. Mais en réalité, Jésus attendait la Samaritaine, au puits de Sichar; de même qu'il attend toujours et prépare l'occasion d'atteindre le pécheur, aux sources de la Pénitence. Les résistances de l'âme qui se débat sous le coup vic-

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torieux de la grâce, les objections de l'incrédulité, du rationalisme, de la fausse science, sont exactement celles de la Samaritaine. «D'où prendrez-vous cette eau vive? Vous n'avez rien pour la recueillir et le puits est profond. Etes-vous plus grand que Jacob, notre père, qui l'a creusé, nous en a fait don, et s'y est abreuvé, lui, sa famille et ses troupeaux?» Le puits de Jacob, avait plus de trente mètres de profondeur 1. L'eau vive qu’il renfermait, ainsi nommée par opposition aux dépôts stagnants des eaux pluviales qu'on recueille en Palestine dans des citernes, était la seule ressource de la contrée. Voilà ce que la Samaritaine, interprétant les paroles de Jésus dans un sens matériel, lui objecte tout d'abord.

  13. Et cependant Jésus avait dit: «Si vous connaissiez le don de Dieu, si vous saviez quel est celui qui vous parle, et vous dit: Donnez-moi à boire, peut-être lui auriez-vous fait la même prière, et il vous eût donné de l'eau vive.» La Samaritaine ignorait que le Verbe incarné fût venu se donner lui-même au monde, et qu'il eût, par cette libéralité divine, transporté sur la terre toute la richesse des cieux. Quatre mille ans d'indigence, de misères et de dénûment, ont pesé sur l'humanité jusqu'à l'heure où le don de Dieu transforma la pauvreté en un trésor inépuisable, la souffrance en une source de joies immortelles. Il en est encore ainsi dans les âmes. Le plus grand obstacle entre l'action réparatrice du Sauveur et une conscience égarée, c'est l'ignorance du don de Dieu. Fatal aveuglement qui plonge l'âme dans les ténèbres palpables du matérialisme. Cette source de vérité et de vie, que Jésus promet au pécheur, le pécheur la dédaigne, il en nie l'existence. Eh quoi! dit-il, la vérité, la vie ne cachent-elles pas leurs secrets à des profondeurs inexplorées? Le puits de la sagesse, de la vertu, est un abîme. Quels sont donc les moyens que le Christ emploie pour les faire jaillir? Les plus grands génies de l'humanité ont

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1. Prope civitatem Sichem quœ nunc Neapolis dicitur, Ecclesia quadrifida est^ , hoc est in modum cruds fada, in cujus medio fons Jacob hahetur, quadraginta cubitos altus, de quo Dominus aquas a Samaritana muliere petere dignatus esU (Beda, De locis Sandis, cap. xv. Cf. Baronius, Annal. Ecdes., toni. I, p. 73).

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ouvert, par leurs labeurs, des sources qui suffisent à abreuver les intelligences. Est-ce que le Christ est plus grand qu'eux? — Telle est la réponse obstinée de l'orgueil humain qui ne connaît pas le don de Dieu; et Jésus ne se lasse pas de faire entendre son invitation mystérieuse: «Quiconque s'abreuve à l'eau de vos puits aura encore soif. Mais l'eau que je donne étanche la soif pour jamais; elle ouvre à celui qui la boira une source vive, rejaillissant jusqu'à l'éternité.» L'eau du puits de Sichar, reprend saint Augustin, «c'est la volupté recelée dans les ténébreuses profondeurs, où les hommes viennent la puiser dans l'urne des passions. Ils penchent l'urne sur l’abime, pour y recueillir quelques gouttes de volupté et en abreuver leurs lèvres.» Mais loin d'étancher la soif, ce breuvage allume dans les cœurs des flammes inextinguibles. Si Jésus promettait aux altérés des plaisirs et des joies de ce monde l'eau d'une volupté toujours renaissante et toujours satisfaite, ils répondraient encore avec la Samaritaine: «Ah! Seigneur! donnez-moi de cette eau!» Mais les torrents d'eau vive que Jésus ouvre dans les âmes ne sont point de cette nature. La femme de Samarie va bientôt en faire l'expérience et abjurer son erreur.
  14. Jusqu'ici, le dialogue s'est maintenu, dans un parallélisme rigoureux, entre les préoccupations toutes matérielles de l'étrangère et les sommets divins où chaque réponse de Jésus le relève. Les Samaritains, dit le docteur Sepp, croyaient qu'une multitude de sources, descendant de la montagne sainte de Garizim, traversaient la plaine dans leur cours souterrain, et allaient former, à quelques stades, un torrent qui roulait ses ondes au Jourdain. La femme de Sichar se persuada que son interlocuteur allait ouvrir une de ces sources cachées et la faire jaillir à ciel ouvert. C'est dans cette pensée qu'elle s'écrie: «Maître, donnez-moi de cette eau, afin que je n'aie plus soif, et que je ne sois plus forcée de puiser ici à une telle profondeur.» Une dernière fois encore elle put s'imaginer, dans la naïveté de son interprétation, que l'inconnu avait besoin de secours pour fouiller le sol, et diriger sur la ville de Sychar une fontaine d'eau vive. Ce fut peut-être le sens qu'elle

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attacha d'abord à la parole de Jésus: «Allez, appelez votre époux et revenez ensemble.» Telle est encore l'injonction divine que le Christ adresse aux âmes qu'il veut soumettre à son empire. L'intelligence humaine n'a qu'un seul époux légitime, la vérité mais combien ne contracte-t-elle pas d'unions adultères avec les passions, l'erreur et les sens pervertis! Voilà pourquoi Jésus lui ordonne d'appeler à son tribunal et de passer en revue tous les tyrans, dont elle a successivement, comme la Samaritaine, accepté, rompu et repris les chaînes. La femme de Sichar vivait au milieu d'un peuple où le divorce et la polygamie étaient devenus la loi générale; l'esprit de l'institution mosaïque avait été abandonné, et la sainteté du mariage n'était plus respectée. Quand le Sauveur lui parle de son époux, la Samaritaine répond: «Je n'en ai point.» De même, dans sa confusion et son repentir, l'âme pécheresse s'écrie: Je n'ai point d'époux. J'ai prostitué mon amour à des passions d'ignominie, à toutes les erreurs, à tous les désordres, à toutes les hontes. L'un après l’autre, ces tyrans m'ont laissée à ma solitude et à mon désespoir. J'ai promené mon esclavage dans toutes les régions du mensonge je n'ai embrassé que des illusions, je n'ai trouvé que des remords; il n'est que trop vrai, je suis une adutère et je n'ai point d'époux. Voilà la confession de l'âme pénitente, semblable en tous points à la confession de la Samaritaine, au bord du puits de Jacob. L'aveu, c'est l'expiation; et la grâce, en ouvrant les sources d'eau vive du repentir, fait jaillir la vérité, comme par torrents. «Je vois!» s'écrie la Samaritaine, «Je vois!» dit le pécheur repentant. Le rayon de la foi les illumine tous deux et les transforme: «Maître, je vois que vous êtes un Prophète!»

  15. A partir de ce moment suprême, où l'âme subjuguée a trouvé l'Époux céleste, les préoccupations matérielles qui la dominaient disparaissent. Elle abandonne la coupe des passions, comme la Samaritaine laissa son urne au bord du puits de Jacob. Une nouvelle vie commence, avec Jésus pour guide. La foi ne suffit pas, il y faut joindre les œuvres; et les œuvres elles-mêmes apppellent une direction. «Nos pères ont adoré sur cette montagne, dit la pèche-

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resse convertie. Les Juifs prétendent que Jérusalem est le lieu de l'adoration.» Tel était, réellement, le point capital qui constituait le schisme des Samaritains. Le mont Garizim était pour eux la montagne de Sion, ils l'opposaient au Temple; ils en attendaient le saint; ils croyaient que le Messie devait naître de la race d'Éphraïm, leur aïeul; et la prophétie, resplendissante de clartés, que Jacob mourant avait adressée à Juda, leur semblait moins significative que la bénédiction donnée par le Patriarche au second fils de Joseph. Ainsi, l'Écriture, parole divine, livrée aux caprices de l'interprétation privée, était détournée par eux dans le sens de leurs préjugés et de leurs erreurs. Hélas! il en est encore de même pour toutes les intelligences qui s'arrogent le droit du libre examen, et refusent de se soumettre à l'autorité divinement constituée, avec la mission d'expliquer le véritable sens de la Révélation divine. Sous le Testament Ancien, cette autorité résidait dans les Prophètes, le Sacerdoce et les docteurs Juifs. Voilà pourquoi Jésus répond à la Samaritaine: «Pour vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas, mais nous, Juifs, nous adorons ce que nous connaissons. Le salut vient de la Judée. »C'est-à-dire: L'interprétation des Juifs est la seule vraie; le Salut, le Messie, le Christ vient de Bethléem-Éphrata, comme ils l'affirment. Jésus ne dit pas; «viendra; mais il vient»: Venit. C'est qu'en effet, la tige de Jessé avait déjà produit son rejeton divin, et le Messie, né à Bethléem, était en ce moment assis au bord du puits de Jacob. Que de fois l'Église catholique, divinement établie, sous le Testament Nouveau, pour garder le dépôt des Écritures, a redit les mêmes paroles aux âmes égarées dans les sentiers du schisme ou de l'hérésie! Que de Samaritaines, dans la suite des âges, sont revenues lui demander les sources d'eau vive, depuis les sectes oubliées de Saturnin, de Manès et d'Arius, jusqu'à celles de Luther et de Calvin! Le schisme, l'hérésie ne prescrivent jamais contre sa maternelle autorité. Toujours assise, comme son divin Époux, au bord du puits de Jacob, l'Église attend les âmes, altérées de vérité, pour leur ouvrir les fontaines qui rejaillissent jusqu'à la vie éternelle.

  16. Mais avec quelle majesté le Sauveur achève de dissiper les

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nuages dans l'âme convertie. «Femme, croyez-moi, dit-il à la Samaritaine, l'heure approche, et elle est déjà venue, où vous n'adorerez le Père ni sur cette montagne, ni à Jérusalem. Les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, parce que Dieu est Esprit, et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité.» Il y a, dans ces paroles, une prophétie et une doctrine. La prophétie, au moment où elle fut prononcée, dépassait toutes les conjectures du génie humain; elle constitue un miracle de premier ordre, et transporte l'intelligence dans les plus hautes sphères du surnaturel. Nous sommes ici en présence d'un fait incontestable, dont les données sont positives: l'incrédulité peut palper le miracle, toucher du doigt le surnaturel, et, comme saint Thomas, mettre la main sur la divinité. Toutes les objections accessoires contre l'authenticité, la véracité, la crédibilité évangéliques n'ont rien à faire ici. La question se pose au-dessus de tous les incidents, elle se formule en termes clairs et précis. Un homme, parlant à la Samaritaine sur le bord du puits de Jacob, pouvait-il, à cette époque, avec la moindre apparence de probabilité, affirmer que «l'heure était venue où les vrais adorateurs n'adoreraient Jéhovah, ni à Jérusalem, ni sur la montagne de Garizim?» Qu'on attribue cette parole à Jésus-Christ lui-même, ou qu'on en fasse honneur à son historien, la question ne change pas; le miracle reste le même, et la prophétie n’en subsiste pas moins. En effet, il était de toute impossibilité, à l'intuition du plus sublime génie, de prouver, de prédire et d'affirmer comme imminente cette grande révolution religieuse. Accomplie aujourd'hui, nul ne songe à la contester. Mais alors, quand, de tous les points du monde, les Juifs accouraient aux fêtes pascales de Jérusalem; quand tous les bouleversements politiques avaient passé sur l'univers, sans altérer ni modifier leur croyance et leur culte, quand les somptueuses constructions du Temple, commencées par Hérode, n'étaient pas même achevées; quand les fils d'Israël, établis dans toutes les contrées de l'empire romain, prélevaient sur leurs richesses le tribut an- nuel qu'ils envoyaient à Jéhovah, et que, trois fois le jour, le visage tourné du côté de Jérusalem absente, ils invoquaient le

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Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, c'est alors qu'un homme eût osé dire: «L'heure approche, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs n'adoreront plus le Père à Jérusalem!» La race Juive est immortelle; qu'on veuille bien y réfléchir. Elle est la seule, parmi les races humaines, qui ne se soit jamais éteinte. En ce moment, elle est partout: mais depuis dix-huit siècles, «les vrais adorateurs n'adorent plus le Père, ni sur les hauteurs de Sion, ni sur la montagne de Garizim. Le rationalisme, qui veut faire constater des miracles par des commissions de savants, d'historiens et de chimistes, peut faire, s'il lui plaît, contrôler le miracle permanent de cette prophétie.

  17. Il y pourra joindre le miracle de la doctrine, car l'histoire de Jésus-Christ tout entière se meut dans le surnaturel, comme dans une atmosphère divine. A l'heure où le Messie conversait avec la Samaritaine, dans ce dialogue qui se renouvelle à tous les instants du jour et sur tous les points de l'espace pour les âmes repentantes, le sacrifice sanglant était la loi universelle de tous les cultes. Des flots de sang rougissaient les temples; les couronnes de fleurs n'étouffaient pas les mugissements des victimes sacrées; le César Tibère, souverain pontife de Rome, fouillait de ses mains les entrailles palpitantes; les bœufs aux cornes dorées, les brebis et les génisses fournissaient leur graisse aux holocaustes et leur chair aux hécatombes. Immolation, dans toute l'histoire antique, est synonyme d’adoration. Pour adorer Dieu, on versait le sang. Du sang sur les autels de l’Égypte, de la Phénicie, de la Chaldée, de la Babylonie, de l'Inde et de l'Asie-Mineure; du sang sous les colonnes du Parthénon, à Athènes, sous la coupole du Panthéon, à Rome, sur la pierre des Druides, dans les Gaules, et sous l'épais feuillage des forêts de la Germanie. Du sang partout! Le Samaritain immolait sur les hauteurs du Garizim, pendant que le prêtre de Jérusalem accomplissait les sacrifices mosaïques à la porte du Temple. Tel était l’aspect religieux du monde, alors que Jésus dit à la Samaritaine: «L'heure approche et elle est déjà venue où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité.» Non plus, ajoute un interprète, dans les ombres des victimes ensanglantées, mais

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dans la vérité du sacrifice de Jésus-Christ, prêtre et victime; non plus selon les rites grossiers et charnels des cultes figuratifs, mais selon l'Esprit divin, descendu sur la terre pour en renouveler la face, et dans la vérité du Verbe incarné, qui a réalisé toutes les figures et accompli sur le Calvaire le sacrifice vraiment expiatoire dont tous les autres n'étaient que le prélude. Jetez maintenant un regard sur le monde. Où sont 1es sacrifices sanglants? Qui croirait aujourd'hui adorer Dieu, en égorgeant un animal inoffensif? Le couteau sacré est tombé des mains du prêtre; tous nos autels sont purs et le sang des taureaux et des génisses ne les rougit plus. Mais, ainsi que l'avait prédit le Prophète: «Depuis le lieu où se lève l'aurore jusqu'à l'occident, le nom du Seigneur est grand parmi les nations. Sur tous les points de la terre, on lui offre en sacrifice une oblation immaculée, et sa gloire s'étend d'un pôle à l'autre 1.» L'autel Eucharistique, le sacrifice non sanglant où s'immole chaque jour, en esprit et en vérité, l'Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde, voilà la forme divine d'adoration que Jésus apportait au monde. Il en révèle le mystère à la Samaritaine, comme il le fait encore, chaque jour, pour l'âme repentante. L'une et l'autre sont conviées à ce banquet délicieux, qui fait oublier la coupe des passions et son breuvage empoisonné. Et le Messie parle toujours au pécheur, comme à la Samaritaine: «Je suis le Christ; c'est lui-même dont vous entendez la voix.»

  18. Tel est le sens du divin entretien de Jésus avec la Samaritaine au bord du puits de Jacob; dialogue toujours vivant, toujours nouveau, toujours immortel. Les disciples, au retour, s'étonnent de voir leur Maître converser avec cette étrangère, et enfreindre, sans scrupule, les rigoureuses prescriptions relatives à une race schismatique. Que d'étonnements de ce genre la grâce victorieuse de Jésus-Christ n'a-t-elle pas ménagés à l'Église, depuis que la conversion de la femme de Sichar est devenue le type de toutes les conversions? Les disciples ne comprennent pas encore la mission du Sauveur du monde. Jésus la leur explique dans la magnifique

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1. Malac, XI, 11. Voir tom. III de cette Histoire, pag. 572.

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parabole du Moissonneur. Il ouvre, sous leurs yeux, l'horizon de l'avenir. Plus de distinctions de naissance, de races ni de cultes. Les nations, mûres pour la moisson divine, sont des gerbes spirituelles que les Apôtres iront recueillir et amener dans les greniers du Père de famille. Et, comme pour leur donner à la fois l'exemple et le précepte, il récolte lui-même, sur son chemin, la moisson d'âmes que la nouvelle convertie dépose à ses pieds. La Samaritaine ne peut contenir les élans de son ardeur et de sa foi, elle court à Sichar, parle à tous les habitants de son bonheur, des merveilles de grâce dont elle a été l'objet. «Venez, dit-elle, voir un homme qui m'a révélé tous les secrets de ma vie!» Ils viennent, ils entendent la parole de Jésus, ils croient et proclament leur foi nouvelle en s'écriant: «Voilà le Sauveur du monde!» L'histoire de l'Église et de ses triomphes est tout entière dans le récit évangélique de Jésus au puits de Jacob.

LES «TOLLÉRANTS» SONT JALOUS ET FURIEUX.

 

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