Bysance 46

Darras tome 21 p. 281

 

19. Contre toute espérance le pape revint à la santé (janvier 1038). Sur ces entrefaites on apprit qu'une nouvelle révolution ve­nait d'éclater à Byzance. A la mort de Constantin IX Monomaque (1034.) bientôt suivie (1036) de celle de Théodora. Michel VI surnommé Stratiotique, un général qui n'avait de militaire que le titre et d'autre recommandation que celle dont l'avait gratifié in extremis l'impératrice mourante, fut élevé sur le trône. Il n'y parut un ins­tant que pour faire constater son incapacité profonde. L’armée d'Orient, faisant revivre les beaux jours de la toute puissance pré­torienne, refusa de le reconnaître. Son général Isaac Comnène avait les sympathies des soldats; il fut proclamé empereur (1037) et ramené en triomphe à Constantinople. Stratiotique, au lieu de justifier son surnom en se mettant à la tête d'une armée pour com­battre l'agresseur, resta confiné au palais, comptant sur l'appui du patriarche Michel Cérulaire qui lui avait juré une fidélité inviola­ble. Sa quiétude fut désagréablement troublée à la nouvelle que le patriarche schismatique venait de soulever contre lui toute la ville. Du haut de l'ambon de Sainte-Sophie, en présence du sénat et du peuple réunis, l'audacieux Cérulaire escomptant d'avance le succès avait reconnu la légitimité du soulèvement militaire, proclamé l'avènement d'Isaac Comnène et délié les fidèles de Byzance du serment prêté par eux à Stratiotique. Celui-ci refusait de croire à une pareille trahison, force lui fut bientôt d'y ajouter foi. Deux évêques députés par Michel Cérulaire vinrent le sommer de quitter la pourpre et d'évacuer le palais impérial. «Mais, demanda le mal-

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p282  PONTIFICAT d'étiexne X (1057-1058).

 

heureux, votre maître vous a-t-il chargé de m'offrir quelque chose en échange? — Oui, répondirent-ils, le patriarche vous offre en compensation le royaume des cieux. » Stratiotique dut alors com­prendre, mais trop tard, qu'un général porté par les circonstances au pouvoir n'est plus rien le jour où il compte sur un autre ap­pui que celui de Dieu et de son épée. Rentré tristement dans la maison qu'il avait occupée comme simple citoyen, il put voir de ses fenêtres passer le cortège triomphal d'Isaac Comnène se rendant à la basilique de Sainte-Sophie pour la cérémonie du couronnement, la famille des Comnène prétendait faire remonter son origine jusqu'aux patres conscripti de la république romaine. Les patriciens ses ancêtres auraient traversé sans déchéance toute la période païenne des empereurs depuis Auguste jusqu'à Constantin le Grand. Avec ce dernier embrassant la foi chrétienne, ils seraient venus s'établir dans la nouvelle Rome, Constantinople, à l'époque de sa fonda­tion. Vraie ou fausse, cette généalogie ne trouva plus aucun con­tradicteur, dès que le général des armées d'Orient se trouva par un coup de fortune élevé au trône des Césars. Isaac était d'ailleurs d'un tout autre caractère que Stratiotique. Le patriarche Michel Cérulaire ne tarda pas à s'en apercevoir. Fier de l'appui qu'il avait prêté au nouvel empereur, il se crut tout permis. Sa puérile vanité alla jusqu'à chausser le cothurne de pourpre réservé à Byzance comme un insigne exclusivement impérial. Comnène lui reprocha cette usurpation. « Je vous ai donné la couronne, répondit l'or­gueilleux patriarche; il ne me sera pas difficile de vous l’oter. » Isaac se le tint pour dit, rassembla en synode les évêques suffragants de Constantinople, fit déposer le vaniteux Cérulaire et l'en­voya sans plus de formalités mourir en exil. De cette révolution byzantine si parfaitement semblable à tant d'autres que nous avons enregistrées à leur date, il nous sera permis de relever un détail fort significatif, bien qu'il n'ait été, que nous sachions, relevé jus­qu'ici par aucun historien. Le sénat et le peuple byzantin demeu­rèrent fidèles à la cause de Stratiotique jusqu'à ce que le patriar­che, représentant de l'autorité divine, les eût déliés de leur ser­ment de fidélité. Aussitôt que cette sentence eut été solennellement

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p283 CHAP. in. — pontificat d'étiexne x. 

 

promulguée du haut de l'ambon de Sainte-Sophie, sénat et peuple, citoyens et soldats, acclamèrent Isaac Comnène sans autrement se préoccuper de l'ex-empereur, auquel Michel Cérulaire fit notifier sa déchéance par deux évêques. On croyait donc alors dans tout l'Orient que l'Église en vertu des paroles de Jésus-Christ : « Tout ce que vous lierez ou délierez sur la terre sera lié ou délié au ciel,» avait le droit de délier les sujets du serment de fidélité prêté aux princes et par conséquent celui de déposer les princes. A Constantinople le fait eut lieu vingt fois dans la période écoulée entre le IVe et le XIe siècle, sans jamais soulever la moindre protestation de la part des évêques et théologiens de cour, et l'on sait qu'il n'en man­quait point en Orient. Cette doctrine révolte, nous le savons, les théories du laïcisme moderne. Aujourd'hui qu'il n'y a plus d'états chrétiens, on conçoit que l'Église n'exerce plus la souveraine judicature sur les princes. Ceux-ci ont préféré à sa juridiction mater­nelle et à son arbitrage suprême la souveraineté du peuple et le jugement sommaire de l'émeute. Ils sont revenus par un mouve­ment rétrograde à la pratique de l'état païen. Ce régime est celui de nos sociétés modernes; les nations comme les rois en subissent la cruelle expérience. Le monde chrétien ou plutôt comme on di­sait alors la république chrétienne avait inauguré le règne de Jésus Christ par son Église : les conflits au lieu de se terminer sur les barricades, dans la boue et le sang, se dénouaient à la voix paci­fique des pontifes, ministres du Dieu qui a dit : « Toute puis­sance m'a été donnée au ciel et sur la terre 1. Comme mon Père m'a envoyé, je vous envoie 2. » Peuples et princes en Orient et en Occident recouraient à cette puissance d'origine divine, dont les décrets venus de si haut n'humiliaient personne et sauvegar­daient les droits de tous. Quel homme d'État oserait aujourd'hui affirmer que cette organisation de la république chrétienne ne valait pas notre système actuel d'anarchie en permanence?

 

   20. Le pape Etienne X prenait le plus vif intérêt à la situation de l'église d'Orient dont il avait pu connaître à fond les besoins et

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1. Matth. ixviu, 18. — 2 Joan, xs, 21.

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p284   pontificat d'étiekne x (10.17-1038).

 

les tendances, lors de son récent voyage à Constantinople en qua­lité de légat de saint Léon IX. La déposition et l'exil de Michel Cérulaire, la promotion du nouveau patriarche Constantin Lichudès et l'avènement d'Isaac Comnène tous deux connus par leur horreur du schisme permettaient de renouer avec Byzance des re­lations tristement interrompues. Le pontife résolut donc sur-le-champ d'envoyer une ambassade au nouvel empereur. Il confia cette mission à Desiderius auquel il adjoignit le cardinal Etienne français d'origine, ancien religieux de la congrégation de Cluny, et le diacre de l'église romaine Maynard, plus tard successeur du cardinal Humbert de Moyenmoutier sur le siège cardinalice de Silva-Candida. «Avant de faire partir pour cette légation lointaine le nouvel élu du Mont-Cassin, dit Léon d'Ostie, le pape rendit un décret aux termes duquel il déclarait que si Desiderius à son retour le retrouvait vivant encore lui-même, il prendrait le gouvernement de l'abbaye à titre de vicaire du pape; sinon il en­trerait de plein droit en fonction comme abbé titulaire. Dans le rescrit adressé à Isaac Comnène, le pontife tenait le même langage; il recommandait le nouvel élu du Mont-Cassin à toute sa bienveil­lance, le priant de faciliter à ce légat apostolique l'accomplissement de sa mission et de lui assurer les moyens d'un heureux et prompt retour 1. » Le pressentiment d'une mort prochaine qui dictait au ponlife cet ensemble de dispositions en quelque sorte testamen­taires ne devait que trop tôt se réaliser. Pendant que Desiderius et les deux autres légats se dirigaient à Sipontum, sur le littoral de la mer Adriatique, dans l'espoir d'y trouver un navire en par­tance pour Constantinople, Etienne X retournait à Rome (10 fé­vrier 1038).

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1. Léo Ostiens, Chrome. Cassin. Patr. Lat. Tom. CLXXIII, col. 721.

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Darras tome 22 p. 442


§ IV. Guerres en Orient et en Occident.


   41. Au moment où l'homme de paix émigrait dans la patrie de la paix éternelle l'Orient et l'Occident s'ébranlaient pour des guerres formidables. L'empereur byzantin Michel Ducas, dont le fils et héritier présomptif Constantin avait été fiancé à la princesse normande Hélène fille de Robert Guiscard, s'était vu en 1078 détrôné par un général ambitieux, Nicéphore Botoniate, auquel Alexis Comnène ravit à son tour la couronne en l'an 1080. Enfermé dans un monastère, contraint de prendre les ordres sacrés et plus tard d'accepter le titre de métropolitain d'Éphèse, Ducas assistait impuissant à ces diverses révolutions qui éloignaient pour lui et sa famille toutes les chances de restauration. La fille de Robert

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1. S. Sim. Cresp. fit a, eap. ira etxiv, loc. cit. Les hommages de la parenté, de la reconnaissance et de la vénération de la France, sa patrie, ne manquèrent pas à la tombe de Simon de Crépy. La reine d'Angleterre Mathilde, sa pieuse cousine, dont il avait si efficacement consolé les maternelles douleurs, envoya à Rome une somme considérable pour élever au bienheureux un superbe mausolée. Le cardinal français Odo de Lagery, plus tard pape sous le nom d'Urbain II, composa en l'honneur de son bienheureux compatriote une épitaphe qui fut gravée sur le monument. Elle était ainsi conçue :

Simon habens nomen, majorum sanguine claro,

Francorum procerum pars ego magna fui. Paupertatis amans patriam mundumque religui,

Christum divitiis omnibus anteferens. Post ad apostolicam cœlestis principis aulam

Eximius tanti me patris egit amor. Quo duce promerear tandem super astra levari,

Eospitor hic sacras eonditus ante fores.

(Boll., loc. cit., p. 743.)

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p443 CHAP.   IV.   —  GUERRES EN  ORIENT  ET EN  OCCIDENT.

 

Guiscard avait perdu tout espoir d'épouser jamais le prince Constantin son fiancé. Nicéphore Botoniate, à son avènement au trône, l'avait cloîtrée dans un couvent. Alexis Comnène fit cesser cette outrageante réclusion ; il appela la jeune princesse à sa cour et la traita, disent les chroniqueurs byzantins, « comme sa propre fille, » sans toutefois lui permettre de quitter l'Orient pour retourner dans sa patrie. Elle était pour sa politique un otage qui le rassurait contre les entreprises du puissant duc d'Apulie. Robert Guiscard n'était pas d'un caractère à souffrir ces injurieux procédés. Il méditait une vengeance éclatante et se disposait à prendre à la tête d'une vaillante armée le chemin de Constantinople. L'alliance qu'il venait de conclure ave le saint-siége se rattachait indirectement à ces belliqueux projets. Avant de s'éloigner de ses états, l'habile normand voulait les placer sous la sauvegarde inviolable de la papauté. Sur ces entrefaites, soit que Michel Ducas eût trouvé moyen de tromper la surveillance des moines grecs ses geôliers, soit, comme le soutient la princesse historiographe Anne Comnène, qu'un imposteur habile eût imaginé ce rôle de concert avec Robert Guiscard, on vit arriver à Salerne sous un capuchon monastique un personnage qui se disait l'empereur détrôné de Constantinople. Il racontait, les larmes aux yeux, l'histoire de ses malheurs, les outrages que lui avait fait subir Nicéphore, la cruelle séparation de l'impératrice sa femme et de son fils Constantin, le futur gendre du duc d'Apulie. A ce récit, tous les chevaliers normands et italiens jurèrent de mettre leur épée au service d'une si noble infortune. Le prétendu Michel fut revêtu des ornements impériaux. Robert Guiscard le montra aux populations de l'Apulie et de la Calabre. Un souffle précurseur des croisades faisait tressaillir tous les cœurs. L'identité de Michel fut acceptée sans défiance dans toute l'Italie méridionale. Le souverain déchu adressa à Grégoire VII une requête suppliante. Il promettait, si jamais Dieu lui rendait son trône, de travailler à l'extirpation du schisme et de rétablir l'union entre les deux églises grecque et latine. Dans un rescrit pontifical adressé le 25 juillet 1080 aux évêques d'Apulie et de Calabre, le pape recommandait à tous les chevaliers chrétiens la

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p444 PONTIFICAT  DE  GRÉGOIRE VII (1073-1085).

 

cause de Ducas. « Vous savez tous, disait-il, que le très-glorieux empereur de Constantinople, détrôné par une injuste violence, s'est rendu en Italie pour implorer l'assistance de saint Pierre et celle du duc Robert. Nos entrailles paternelles se sont émues de compassion pour l'auguste proscrit, nous exhortons tous les fidèles à lui prêter appui et secours1. »

 

   42. Les recrues de Robert Guiscard se réunirent à Salerne, pendant que ses vieilles bandes illustrées par la conquête des Abruzzes et 
de la Sicile se rendaient directement à Brundusium (Brindes) où l'embarquement devait avoir lieu. Une flotte immense s'équipait sur tous les rivages de l'Italie méridionale pour le transport de l'armée et le service des convois de munitions ou de vivres. Le plan de campagne tracé à un double point de vue politique et militaire fut admirablement conçu. Au lieu de porter d'un seul bond d'Europe en Asie des forces si puissantes et de courir le risque d'une longue traversée pour aboutir à un abordage sur une côte ennemie, Robert se proposait de franchir seulement à l'aide de ses vaisseaux la mer Adriatique et de venir débarquer à Dyrrachium (Durazzo capitale de l'Albanie actuelle). De là, convoyé par sa flotte, il devait traverser l'Hellade et arriver par terre jusqu'aux rivages de la Corne d'Or, soumettant en chemin les riches provinces de la Grèce qui formaient alors la partie européenne de l'empire de Constantinople. Quel que fût le résultat final de l'expédition, même dans l'hypothèse qu'il fût impossible d'arriver jusqu'à Byzance, la conquête assurée des provinces limitrophes de l'Acarnanie, de l'Etolie, et en particulier l'île de Corcyre (Corfou), la clef de l'Archipel, célèbre alors par son opulence, devait amplement satisfaire les convoitises normandes. Tout étant ainsi réglé, Guiscard confia la régence de ses états à son second fils Roger auquel il adjoignit pour conseil son neveu Robert de Loritello, chevalier aussi prudent que brave. Il leur laissa par écrit l'ordre formel de secourir le pape Grégoire VII dans le cas où les menaces de Henri IV venant à se réaliser, l'armée germanique   envahirait  Rome et

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S. Greg. VII, Epist. vi, lib. VIII, col. 580.

CHAP.  IV.  — GUERRES  EN  ORIENT  ET  EN  OCCIDENT.

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p445

 

l'Italie. Il emmenait avec lui son fils aîné Boémond, l'un des futurs héros de la première croisade. Le jeune prince avait à peine vingt ans; il était la vivante image de son père, dont il reproduisait les qualités et les défauts. Même fougue de caractère et même intrépidité sur le champ de bataille, même astuce et même ténacité. C'était pour lui que Robert Guiscard avait naguère demandé la main de la princesse Adèle, fille de Guillaume le Conquérant. La duchesse d'Apulie, seconde femme de Robert Guiscard, voulut accompagner son époux dans cette aventureuse expédition. Elle se nommait Sigelgaïde. Fille de Gisulf prince de Salerne détrôné par Guiscard, elle avait pris en l'épousant les mœurs guerrières de ses vainqueurs. Coiffée d'un casque d'acier, la cuirasse sur les épaules, la lance au poing, elle maniait habilement un cheval bardé de fer et portait dans la mêlée des coups d'estoc et de taille qui désarçonnaient les plus vigoureux chevaliers. Boémond fut détaché avec quinze vaisseaux de haut bord pour l'île de Corfou, dont on espérait se rendre maître par surprise. Mais la population prévenue à temps gardait en armes tous les points de la côte ; le coup de main échoua. Le jeune prince se rallia en toute hâte à la flotte de son père, forte de cent cinquante navires chargés chacun de deux cents soldats. Robert Guiscard modifiant alors le plan de campagne primitif, au lieu de se diriger d'abord vers Dyrrachium, se précipita avec cet immense armement sur l'île de Corfou qui tomba tout entière en son pouvoir. Laissant à Boémond le soin d'organiser l'administration de cette nouvelle conquête, il passa en Albanie, et vint alors mettre le siège devant Dyrrachium. La prise de cette ville devait lui assurer la possession de toute la côte et la libre navigation du golfe Adriatique, comme la prise de Corfou livrait l'entrée de l'Archipel (1080-1081).

 

43. Pendant que la politique ambitieuse et personnelle de Robert Guiscard ouvrait ainsi la double voie de terre et de mer aux futures croisades, la Lombardie et l'Allemagne étaient le théâtre de luttes sanglantes et de catastrophes terribles. Au mois d'octobre 1080, le roi excommunié Henri IV tentait  une nouvelle invasion en Saxe, Son armée recrutée dans les provinces rhénanes durant l'été précédent était l'une des plus nombreuses et des plus brillantes

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p446 PONTIFICAT DE  GRÉGOIRE VU  (1073-10S5).

 

qu'il eût encore réunies sous ses étendards. «Tous les princes de l'empire germanique, dit  Guillaume de Tyr, répondirent à son appel. Leur patriotisme s'indignait contre l'insolence et la félonie de Rodolphe, qui n'avait pas craint de trahir son suzerain légitime et de briser le faisceau de l'unité nationale en usurpant la couronne que lui offraient les Saxons. Ce crime de lèse-majesté ne pouvait être expié que dans le sang du coupable. Ce fut donc par milliers que les évêques, princes,   seigneurs, amenèrent leurs hommes d'armes au roi Henri 1. Ces paroles de l'historien des croisades, très-exactement renseigné sur les faits militaires de son époque, nous font comprendre l'ardeur avec laquelle, depuis l'intrusion de l'antipape Wibert,  les évêques et les principaux seigneurs du royaume germanique avaient embrassé le parti du schisme. « Quand ces formidables légions, continue Guillaume de Tyr, furent arrivées sur les frontières de la Saxe, Henri convoqua les princes pour élire celui d'entre eux qui serait chargé de porter dans la bataille l'étendard royal. D'une voix   unanime tous s'écrièrent : « Cet honneur appartient au seigneur Godefroi duc de Lorraine. Il est le  plus brave  et le plus digne. » Le chevalier ainsi élu entre tous les preux pour porter le drapeau du roi  schismatique était Godefroi de Bouillon, le futur roi de Jérusalem. Il avait alors vingt ans. Les premiers exploits de sa jeunesse devaient coûter à l'Eglise autant de larmes que ses derniers devaient lui apporter  de triomphes. Rodolphe et les Saxons attendaient l'ennemi sur les bords de l'Elster, à trois lieues de Mersebourg. Le 15 octobre au lever de l'aurore, ils marchèrent au combat, précédés des évêques et des clercs qui chantaient le psaume de guerre et de victoire : « 0 Dieu, qui sera semblable à vous ? Que votre voix éclate, ne retenez plus votre bras, car les trompettes ennemies ont sonné ; tous ceux qui vous haïssent lèvent une tête altière. Contre votre peuple ils ont médité de noirs complots, ils conspirent contre vos saints. Ils ont dit : Venez, exter-

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1 Guill. Tyr., Hist. rer. transmar., lib. IX, cap. vm; Patr. Lat., tom. CCI, col. 440.

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p447 CHAP.  IV.  —  GUERRES  EN  ORIENT  ET EN OCCIDENT.

 

minons cette race et que le nom d'Israël soit anéanti. Traitez-les, ô mon Dieu, comme autrefois Madian et Sisara, Jabin au torrent de Cisson, ou comme ceux qui périrent à Endor. Mettez leurs princes avec Oreb, Zebéé et Salmana, ces princes qui ont dit : Nous posséderons en héritage le sanctuaire de Dieu1.» Le chant de ces sublimes paroles était répété en chœur par l’armée saxonne, pendant qu'elle marchait en ordre de bataille vers les retranchements fortifiés du camp de Henri.

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