4. Le troisième jour avant la fête du martyr Cyprien, c'est-à-dire la veille des ides de septembre, Cécilien visita Augustin, et lui donna plus d'espoir que jamais; il devait, disait-il, partir sous peu pour Rome, et il avait l'espérance que le comte lui accorderait la grâce des frères avant son départ. Il alla même jusqu'à affirmer solennellement au saint évêque avoir déclaré ouvertement à Marin, que la familiarité dont il l'honorait, s'il devait condamner les deux frères, lui causerait le plus grand dommage; car tout le monde connaissait les motifs qui avaient amené leur emprisonnement et pourrait croire que l'on n'avait point résolu de les faire périr sans son avis et son consentement. Enfin, il jura la main sur l'autel qu'il avait dit à Marin tout ce qui lui paraissait devoir le toucher, et qu'il lui avait demandé cette grâce comme viatique, c'est-à-dire comme le présent que deux amis, en se quittant, ont coutume de se donner. En entendant ces paroles, Augustin avoue avoir été tellement persuadé des efforts sincères et réitérés de Cécilien, que même le dénouement si malheureux de l'affaire, ne put lui ôter la conviction de sa sincérité. Le lendemain il apprit que, tirés de leur prison, les captifs avaient été conduits au comte pour entendre leur sentence, et cette nouvelle l'émut profondément. Toutefois, rassuré par ce que lui avait dit Cécilien, il pensa que le comte avait choisi pour la délivrance des deux frères la veille de la fête du martyr Cyprien, afin d'accomplir sa promesse à Cécilien; et, par cet acte inattendu, de pouvoir, à la grande joie des fidèles, entrer dans le sanctuaire du martyr, plus illustre par sa générosité à pardonner que par son pouvoir de vie et de mort. Mais Marin pensait bien autrement : Augustin n'avait pas eu encore le temps de s'informer de ce qui se passait qu'il apprit la triste nouvelle de la mort. Marin, en effet, redoutant que l'Église, par son intervention, ne ravît à sa cruauté les captifs, les condamna alors qu'on s'y attendait le moins et les fit mettre à mort. Bien plus, voulant encore hâter cette affaire, il désigna un endroit destiné, non pas à l'exécution des criminels, mais à l'ornement de la ville. Jamais en ce lieu n'avait coulé le sang des coupables, excepté, quelques jours auparavant, où le comte avait fait exécuter plusieurs condamnés à mort. Et certes l'intention du comte n'échappa à personne : il n'avait pas voulu que la nouveauté du lieu augurât la bassesse et l'horreur de son crime. Il savait que la mort de Marcellin affligerait profondément l'Église, et cependant il ne craignit point de causer une grande douleur à cette sainte mère
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(1) Ibid., n. 5.
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et de se rendre coupable d'un forfait d'autant plus grave que l'Église, par le bienfait du baptême, l'avait reçu au nombre de ses enfants. Son frère, dont il avait suivi le conseil sanguinaire avait autrefois, étant condamné à mort, imploré l'assistance de l'Église; et lui-même, ayant un jour perdu la faveur de son patron (car c'était de la plus infime condition qu'il s'était élevé au pouvoir si grand qu'il exerçait); avait demandé l'aide de 1'Église qui ne lui avait point été refusée.
5. Marin s'était appuyé sur l'ordre de l'empereur, qui le contraignait, disait-il bien haut, à cette nécessité. Mais la sentence de la cour, obtenue par l'évêque qu'on y avait envoyé, mit dans tout son jour la fourberie du comte. Aussi fut-il rappelé de l'Afrique, dépouillé de toute charge et de toute dignité, et abandonné aux remords de sa conscience qui serait le témoin de sa pénitence ou de son châtiment (1). Pour Marcellin, au contraire, il devait recevoir non seulement la récompense et le fruit de ses vertus et de ses bienfaits pour l'Église, mais encore la couronne du martyre, que lui méritait l'effusion de son sang. L'Église, en effet, le décore de ce titre dans le Martyrologe romain : seulement, elle se trompe pour le jour qu'elle assigne à sa fête. Marcellin ne fut pas frappé le 8 des ides d'avril, mais aux ides de septembre, la veille du jour célèbre par le souvenir du martyre de Cyprien, et nous ajoutons que cette mort glorieuse eut lieu dans le courant de l'année 413; car elle suivit la révolte d'Héraclien, et précéda la loi portée plus tard par Honorius, le 3 des calendes de septembre de l'an 414, pour ratifier et affermir à jamais les actes de la conférence présidée par Marcellin (2). Cependant la renommée de cet homme mis à mort sous le prétexte de révolte fut bientôt relevée; l'empereur le proclama homme de vénérable mémoire, et, pour Augustin, il ne cessa de l'honorer, de publier non seulement sa religion (3), mais même sa sainteté (4). Déplorant la mort de cet ami, qui lui était si cher (5) et si précieux dans la charité du Christ (6), il s'écrie : «Combien étaient grandes la pureté de ses moeurs, la fidélité de son amitié, son affection pour l'étude et sa sincérité dans la religion ! Combien il était chaste dans son mariage, intègre dans ses fonctions de juge, patient envers ses ennemis, doux avec ses amis, humble avec les saints, charitable envers tous, large dans ses bienfaits, réservé dans ses demandes, amoureux du bien et sincère dans sa haine du péché ! Ah ! qui pourra dire l'éclat de son honnêteté et de sa bienveillance, l'ardeur de sa piété, de sa miséricorde pour les pauvres, son indulgence et sa confiance dans la prière? Avec quelle modestie il parlait des vérités salutaires dont il était le mieux instruit, et avec quel soin il approfondissait tout ce qui manquait encore à son instruction ! Combien il était plein de mépris pour les choses de cette vie, et d'espérance et de désirs pour les biens éternels. Il ne pouvait renoncer à tous les emplois du siècle pour s'enrôler dans la milice chrétienne, à cause de son engagement dans le mariage; mais, du moins, il sanctifiait ce lien, et alors qu'il ne pouvait pas se dégager des choses basses de ce monde, il tenait son âme toujours élevée vers les biens de l'éternelle patrie. Quel mal a donc pu lui faire la mort? n'a-t-elle pas été, au contraire, le bien suprême pour cet homme dont l'âme ornée de dons si précieux a passé de cette vie dans le sein de Jésus-Christ, sans lequel tout est inutile pour le salut (7). »
6. Après cette perfidie cruelle et impie du comte Marin, Augustin ne put se résoudre à demeurer plus longtemps à Carthage. Il se mit donc en route le lendemain du jour néfaste, et Cécilien, ayant voulu le voir, fut averti de son départ précipité. Il sortit en secret de la ville pour ne pas être retenu par les gémissements, les larmes et les prières de plusieurs notables, qui, pour échapper à la fureur et au glaive du comte, s'étaient réfugiés dans l'asile de l'église. Bien que leur vie ne courût là le moindre danger, ils l'avaient supplié certainement de parler au comte en leur faveur; or, une pareille mission ne lui paraissait pas digne de son ca-
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~J) OROSE, HiSI. liV. VII, Cil. XLIL (2) Code (le Théod. des hérét., loi 55. (3) Lettre CLXvi. n. 7. Lettre CLXIX, ».'13. (4) De la nat. et de h grâce. n. 25. (5) Lettre cxc, n. 20. (6) Lettre CLXVI, il. 6. (7) Lettre CLT, n. 8- 10.
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ractère. Car, s'il avait tenu au comte le langage nécessaire au salut de son âme, aucun bien n'en aurait résulté. Aussi, ne pouvant contenir son indignation, il se retira. « L'état de mon vénérable collègue et évêque de cette Église, écrit-il, était une chose insupportable pour mon âme. Je ne pouvais souffrir qu'après une aussi horrible méchanceté que celle de Marin, on prétendit encore qu'il était du devoir de l'évêque d'une Église si célèbre de s'humilier devant, lui, pour l'obliger à faire grâce aux autres. » (Ceux, sans doute, qui s'étaient réfugiés dans l'église, ou d'autres qui avaient été jetés en prison.) « Ne pouvant voir les choses dans un si déplorable état, je ne trouvai point d'autre parti à prendre, je l'avoue, que celui de me retirer (1). » Il cite encore, outre la mort de Marcellin, plusieurs causes qui déterminèrent son départ. « En premier lieu, dit-il, mes infirmités, qui sont connues de ceux qui me voient de près, et augmentées de beaucoup par la vieillesse, autre infirmité commune à tous les hommes, ne me permettaient pas de soutenir le travail auquel j'étais exposé à Carthage. En second lieu, j'ai résolu, si Dieu le permet, d'employer ce que les besoins de l'Église dont je me suis chargé me peuvent laisser de loisirs à l'étude de la science ecclésiastique, pour laquelle, j'espère, avec le secours de la miséricorde de Dieu, travailler utilement pour la postérité (12),» Puis, à Cécilien, encore catéchumène, et qui continuait à le consulter, il lui conseille gravement de ne plus différer de se mettre au nombre des fidèles, sous le vain prétexte que des chrétiens ne pouvaient point administrer sagement les affaires de la république (3). » Il va même jusqu'à lui dicter la conduite qu'il doit tenir envers Marin : « Si vous l'aimez, dit-il, détestez-le; ayez-le en horreur, si vous voulez qu'il évite les flammes éternelles. Voilà ce que vous pouvez faire de mieux et pour votre réputation, et pour son propre bien (4).» Cette lettre fut écrite à la fin de cette même année 413.
CHAPITRE, VI
1. Après la prise de Rome par les Goths, Démétriade passe en Afrique avec sa mère et son aïeule. - 2. Augustin, dans une lettre, instruit Proba, aïeule de Démétriade, et lui donne les préceptes de la prière. - 3. Sur son avis, Démétriade embrasse la virginité. - 4. Augustin et toute l'Eglise se réjouissent de sa consécration. - 5. Il écrit à sa mère Julienne le livre sur le Bien du veuvage. - 6. Avant la consécration de Démétriade, Pélage publie une lettre remplie du venin de son hérésie.
1. La douleur causée à Augustin par l'indigne assassinat de Marcellin était bien profonde; mais son chagrin fut adouci par un miracle de la grâce, dont lui-même fut le ministre, après son retour de Carthage, où le sang de son ami avait coulé presque sous ses yeux. Nous n'hésitons pas à rapporter à cette année le prodige de la miséricorde divine, par lequel Démétriade, jeune fille sans égale dans l'empire romain par sa noblesse et ses richesses, issue du sang des Probus, des Olibrius et des Anicius, renonça à tout, alors qu'on la croyait sur le point de se marier, pour se consacrer à Jésus-Christ, et pour rehausser encore par la gloire et l'honneur de la virginité cette famille illustre par tant de consuls, par tant de membres revêtus des plus grandes charges de l'empire. Elle avait pour père Anicius Hermogenianus Olibrius, fils de Sextus Pétronius Probus et de Proba Anicéa Faltonia, et pour mère Julienne. Démétriade se trouvait à Rome avec son aïeule Proba et sa mère Julienne, lorsque les Goths s'en emparèrent en 410 : elles sortirent de Rome alors que l'incendie dévorait encore la ville (5), et Proba craignant qu'Alaric, après avoir dévasté l'Italie, ne revint à Rome, confia à une barque sa vie et celle de tous les siens parmi lesquels se trouvaient Julienne et sa fille Démétriade. Une heureuse traversée la conduisit en Afrique ; mais elle tomba aux mains du comte Héraclien, qui, prétextant l'intérêt de l'empereur, accablait de vexations
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(1) L(ttre CLY, n. 1(2) Ibid., n. 13. (3) Let. GLi, n. 11.
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(4) IbiJ., n. IL (5) JEn., Lettre viii.
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la province entière. La sainte matrone voulant sauver la pudeur du grand nombre de femmes qu'elle avait avec elle, dut donner une partie de ses biens pour les racheter du tyran: ce qui ne l'empêcha pas de demeurer encore très riche.
2. Personne, dans l'Afrique entière, n'était alors plus célèbre qu'Augustin ; aussi Proba et Julienne eurent soin de se faire connaître à lui (1) et c'est de cette correspondance sans doute que nous tenons la lettre où nous voyons Proba après s'être informée de sa santé, lui dire ces remarquables paroles : « Tant que l'âme est attachée à ce corps mortel, le commerce du monde lui est comme un lien qui la serre, un poids qui la courbe et l'affaisse, en sorte que ses pensées et ses désirs se portent bien plutôt en bas vers la multiplicité des choses de la terre, qu'en haut vers l'unique objet de son bonheur (2). » Augustin lui répondit qu'elle voyait à bon droit l'impuissance de la nature et sa tendance vers les choses terrestres ; mais que le Christ était descendu parmi nous, pour la relever et qu'elle agissait sagement en supportant les malheurs présents dans l'espérance des biens futurs. Il lui enseigne aussi que ces maux, que ces infortunes nous sont d'une grande utilité; il demande pour elle à Dieu la récompense de la vie future et la consolation dans cette vie présente; enfin « il me recommande à l'affection et aux prières de vous toutes, dit-il, dans les coeurs desquelles le Christ habite par la foi. » Proba était d'un âge où elle jugeait avoir moins à craindre pour elle-même, et où il lui appartenait surtout de prier pour les siens (3). Elle demanda donc au saint évêque de lui écrire sur la prière, et de lui enseigner ce qu'elle devait demander à Dieu et comment elle devait le faire (4). Augustin promit de satisfaire une demande si digne d'une veuve chrétienne, et dès qu'il en eut le loisir, il s'appliqua à remplir sa promesse, et lui envoya à ce sujet une lettre un peu longue, dont il parle lui-même dans son livre sur la Virginité (5). Dans cette lettre, il exhorte Proba avec non moins de force que de modestie, à rechercher une plus grande perfection d'après le précepte évangélique; et ces conseils tombant sur une âme qui naturellement était portée aux exercices de la charité, la remplirent d'une nouvelle ardeur pour cette vertu : il arriva alors ce qu'écrit Jérôme : « Proba vendit tous les biens qu'elle tenait de ses ancêtres et au prix d'un vil argent elle se fit des amis qui vivent dans les tabernacles éternels ; leçon stérile pour les ecclésiastiques de tout rang, et ceux indignes du nom de moines, qui achètent des domaines, quand une personne d'une si grande distinction se dépouille des siens » (6). Augustin fait mention dans cette lettre, de Julienne belle fille de Proba (7); mais il ne dit rien de Démétriade : ce qui porte à croire qu'il l'écrivit avant que cette noble vierge se fut vouée au Christ. D'ailleurs, il rappelle cette lettre dans son livre Du Veuvage, dont quelques paroles montrent clairement qu'il fut publié peu de temps après la consécration de Démétriade (8).
3. Baronius semble vouloir placer la consécration de Démétriade en l'année 411 (9) : et il en serait ainsi en effet, si lorsque Augustin la vit pour la première fois, Dieu lui avait inspiré ce dessein : Mais le saint évêque ne dit nullement que la chose arriva de cette façon, Car si Jérôme n'écrivit à Démétriade qu'en 413, encore d'après Baronius, ou plutôt en 414, nous ne voyons pas pourquoi il attendit 2 ou 3 ans pour parler d'un fait répandu dès le premier jour dans le monde entier. Augustin, comme nous l'avons déjà dit, avait d'abord connu Proba et Julienne par lettre (10): plus tard il les vit tête à tête, dès l'année 411, et toutes les fois que dans la suite il vint à Carthage, il ne manqua point de répandre dans leurs coeurs la semence des salutaires préceptes dont Dieu avait rempli son âme; pour les saintes femmes, elles les reçoivent non pas comme les paroles d'un homme, mais ce qui était la vérité, bien,
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(1) Lettre CLXXXVIII, n. 1. (2) Lettre cxxxi. (3) Du bien du veuvage, n. 29. (4) Lettre cxxxix, n. 1-9. (5) Du bien du Veuvage,. n. 29. (6) Ideïn., JER., Lettre vin. (7) Let. cxxx, n. 30. (8) De i'Excell. du veuvage n. 24. (9) BARON., année, 413, n. 13. (10) Let., CLXXXVIII, Il. 1.
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comme les conseils même de Dieu. Ces exhortations d'Augustin aidées de la grâce céleste, produisirent dans cette maison des fruits remarquables. Peu après son départ de Carthage, Démétriade sur ses pieux conseils, embrassa la vie religieuse, et préféra au mari terrestre qu'elle devait bientôt épouser, les chastes liens du céleste époux. Augustin rapporte, qu'Alype et lui avaient joint leurs efforts pour travailler à cette grande œuvre, mais il ne perd rien de sa gloire et de sa récompense, pour la partager avec son cher et intime ami. Démétriade était sur le point de se marier, lorsqu'elle prononça les vœux de la virginité, et c'est de Jérôme lui-même que nous tenons le récit des choses merveilleuses qui accompagnèrent sa consécration (1); il les avait apprises de pieuses et nobles femmes, qui, forcées de fuir les ravages des Gaules, s'étaient rendues à Jérusalem en passant par l'Afrique : là elles avaient eu le bonheur de voir Démétriade; elles avaient vu le pontife au concile de Carthage invoquer le nom du Très-Haut, donner à Démétriade le voile de flamme qui est l'emblème de la virginité, et consacrer au Christ cette chaste vierge (2).
4. Proba et Julienne avertirent par une lettre Augustin de la résolution de Démétriade (3), et lui envoyèrent un présent en souvenir de la solennité où elle avait reçu le voile, reconnaissant que ce grand bienfait de Dieu, était le fruit de ses conseils (4). Leur lettre devança la renommée, et avant que le saint prélat eut pu douter de la vérité du fait, ce qui certainement serait arrivé s'il ne l'avait appris que par la rumeur publique, l'heureuse nouvelle combla son âme de joie. Pour comprendre cette joie profonde, il suffit de lire la lettre qu'il écrivit à ce sujet à Proba et à Julienne au commencement de l'année 414 (5). Partout où était connu le nom de Proba, c'est-à-dire dans tous les pays, parvint le bruit de la vocation virginale de Démétriade (6). « Toutes les églises de l'Afrique, dit Jérôme, furent transportées d'allégresse : le bruit de cette célèbre action pénétra non-seulement dans les villes, dans les places fortes, dans les bourgades, mais même dans les maisons isolées. Toutes les îles, situées entre l'Afrique et l'Italie, en furent remplies, et la joie se répandit plus loin encore sans rencontrer d'obstacle. » Comme d'une tige féconde, dit-il, une foule de vierges surgirent aussitôt, et la multitude des clientes et des esclaves (c'était le vœu d'Augustin (7), suivit l'exemple de leur patronne et de leur maîtresse. Aussi est-ce à bon droit qu'Augustin appelle la maison de Julienne une Église considérable de Jésus-Christ (9), et dans un autre endroit, sa famille une église domestique (10).
5. Peu de jours après que Démétriade eut embrassé la règle d'une vie plus sainte, Augustin écrivit à sa mère Julienne un livre ou une lettre sur l'excellence du Veuvage. Julienne le lui avait déjà demandé, et ne pouvant s'opposer ni résister au désir de cette sainte femme, il le lui avait maintes fois promis dans ses lettres. Il lui fallut donc abandonner quelque temps les travaux qui l'accablaient, pour satisfaire à sa demande, et il se proposa dans cet ouvrage d'enseigner aux veuves chrétiennes leurs devoirs, et de les exhorter à s'adonner avec ardeur et courage au bien qu'elles savent devoir faire. Bien qu'adressée seulement à Julienne, cette lettre n'était point écrite pour elle seule ou pour sa belle-mère Proba Faltonia qui habitait avec elle : elle était aussi un enseignement pour toutes les veuves aux mains desquelles elle parviendrait (11).
6. Remarquons entre autres conseils, qu'Augustin recommande surtout à Julienne de fuir le dangereux entretien des ennemis de la grâce du Christ (12); c'est qu'en effet, l'aïeule et la mère de Démétriade priaient à cette époque les hommes les plus illustres de l'Église de s'appliquer à l'affermir dans sa sainte résolution et Pélage ne voulut pas manquer l'occasion d'augmenter sa renommée et de répandre son erreur. Il écrivit lui-même, sur la cause de la détermination de cette noble vierge, la lettre rap-
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(t) JER., lettre VIII. (2) IdeM., (3) Lettre CL. (4) Lettre CXLIII, n* 1 , (5) Let., CL. (6) Id., (7) tTER.> lettre vin. (8) Lettre CLXXXVIII, n. 3.(9) De l'excel. du veuvage. n. 29. (10) Ibid., n. 1. (11) Ibid., n. 21. (12) Appuc. lettre xvii.
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portée dans l'appendice des lettres d'Augustin et qui commence par ces mots : « Si avec un grand esprit... (1). » Pélage donne à Démétriade le conseil de se faire une retraite solitaire dans la Ville, mot qui désigne proprement la ville de Rome (2). Est-ce à dire que la pieuse colonie était revenue à Rome ? nous ne pourrions pas l'affirmer; mais nous voyons du moins Jérôme conseiller à Démétriade de suivre la foi d'Innocent; et, dans sa lettre, il n'est fait aucune mention ni d'Aurèle ni d'Augustin (3). De plus, il paraît que la nouvelle de la lettre de Pélage, ne parvint à Augustin qu'en 416 ou 417; ce qui n'eut guère été possible, si Démétriade était toujours demeurée en Afrique. Tout ce que nous pouvons assurer au milieu de nos doutes, c'est qu'Augustin ne vit cette lettre qu'après le synode de Palestine, célébré seulement vers la fin de l'année 415: il ne sait, dit-il dans son livre De la grâce, si sa publication précéda ou suivit ce synode ; mais il l'avait vue, sans doute, lorsqu'avec Alype, il avertit la mère de Démétriade de ne point écouter ces hommes qui corrompaient la foi par leurs discours (4). Julienne, reconnaissante de cet avis, les avertit que ces hommes lui sont odieux, ainsi qu'aux siens, et que toute sa famille a toujours été jusqu'alors si attachée à la foi chrétienne, que pas un de ses membres n'a donné jamais dans une hérésie, même la moins grave. - Alype se trouvait justement à Hippone, lorsqu'Augustin reçut la lettre de Julienne. Ils répondirent en commun (5), lui disant que puisqu'ils avaient consacré leurs soins à faire prendre le voile à sa fille Démétriade, personne ne pouvait trouver mal qu'ils voulussent s'arroger le droit de les faire se sonvenir de leur salut et de les prémunir contre les ennemis de la grâce. Ils la prient ensuite de leur dire si elle a vu un livre, envoyé à Démétriade et rempli des plus dangereuses erreurs ; si elle en connaît l'auteur, et d'expliquer surtout comment Démétriade a pu recevoir un homme qui la porterait à croire que sa sainteté virginale, que toutes ses richesses spirituelles ne viennent que d'elle-même, et qu'ainsi avant d'arriver à la consommation du bonheur, elle doit apprendre à devenir ingrate envers Dieu. Le nom de Pélage n'était évidemment dissimulé que pour arriver à une certitude complète (6). Or, l'événement prouve qu'ils ne se trompaient point dans leur opinion; car, dans le livre sur la grâce du Christ, Augustin n'hésite pas à citer Pélage comme l'auteur de ces pernicieuses doctrines. Et la date même de cet ouvrage sur la grâce nous fait voir que la réponse d'Augustin et d'Alype à Julienne la précéda, mais de quelques jours seulement, puisqu'ils y parlent de la lettre de Pélage à Innocent, remise à Zozime au mois de septembre de l'année 417.
CHAPITRE VII
1. Loi plus sévère d'Honorius portée contre l'obstination des donatistes, - 2. Donat de Mutugenne et un autre prêtre de la secte de Donat sont jetés en prison. - 3. Augustin adresse les prières des évêques en faveur des coupables. - 4. Prudence et retenue de la conduite d'Augustin dans cette occasion, d'après le témoignage de Macédonius, à qui il enseigne les devoirs et les vertus d'un magistrat chrétien. - 5. Il répond, contre les pélagiens aux questions envoyées de Sicile par Hilaire.
1. Les donatistes se persuadaient facilement que la mort de Marcellin ne causerait pas moins d'embarras que de douleur à l'Église : mais Dieu leur montra bientôt que l'Église n'avait pas perdu le pouvoir qui l'avait protégée avant le triomphe céleste de ce magistrat. Car le 8 des calendes de juillet de cette même année 414, Honorius porta contre eux une loi qui répétait, il est vrai, presque une à une les peines capitales, décrétées par la loi rendue le 3 des calendes de février en 412, mais qui ajoutait beaucoup à leur sévérité (7). La loi de 412 infligeait une amende de 50 livres seulement à chaque sectaire distingué; celle, de 414 en imposait une de 200; de plus, on devait exiger cette somme par individu, autant
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(1) Ibid., ch. xxiii. (2) JER., lettre Viii. (3) Let., CLXXXVIII, (6) Idem., n. 14. (7) Code de Théod. des héret. loi. XLIV. n. 2~ (4) Ibid.; n. 1. (5) Lettre GLXXXV117, n. 4.
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de fois qu'il retournerait à la communion des schismatiques; s'il retombait plus de cinq fois, son nom devait être livré à l'empereur, qui lui infligerait une peine encore plus sévère. Les propriétaires laissant impunis leurs régisseurs qui permettraient aux donatistes de s'assembler dans leurs domaines, perdraient toute la récolte d'une année. Les clercs, avant de se voir interdire l'eau et le feu, seraient dépouillés de tous leurs biens; et tout donatiste, en général, outre qu'il serait déclaré infâme, exclu de toute réunion et de toute société, serait privé du droit de tester, de faire un contrat quelconque. Enfin, le 3 des calendes de septembre de cette année 414, Honorius appuya de son autorité, comme nous l'avons déjà dit, les actes de la conférence (1).
2. Augustin, tout en agissant activement auprès des juges, pour adoucir par la mansuétude chrétienne la rigueur des lois rendues contre les donatistes, pensait devoir cependant, à la faveur de leur autorité, amener peu à peu à l'Église catholique ces hérétiques, ceux surtout au salut desquels il lui appartenait de veiller, comme résidents dans son diocèse (2). Or, il y avait deux prêtres du parti qui, par les soins du saint évêque ou du moins sur son désir, furent saisis et amenés à Hippone, pour comparaître devant les juges, chargés de l'exécution des lois, et on les garda en prison, afin d'empêcher la foule de porter sur eux une main sacrilège (3). L'un d'eux, nommé Donat, refusa un cheval qu'on lui offrit, se jeta par terre et se blessa grièvement. Arrivé à Hippone, il se précipita dans un puits, d'où les catholiques le retirèrent malgré ses violents efforts; dans son opiniâtreté épouvantable, il ne cessait de crier qu'il voulait demeurer et mourir dans son erreur, que personne ne doit être forcé au bien, puisque Dieu avait voulu nous donner le libre arbitre; que le Christ n'avait point retenu ses disciples lorsqu'ils avaient voulu s'éloigner de lui; que toujours il avait laissé à ses apôtres la faculté pleine et entière de rester ou de se retirer, enfin qu'on ne devait pas lui faire un crime d'avoir employé la violence contre lui-même, car l'apôtre regardait comme une action bonne et digne de louanges, de livrer son corps pour être brûlé. Lorsqu'on lui objectait ce qui s'était passé à la conférence, il se vantait de défendre lui-même la cause contre Augustin, si l'on mettait de côté les concessions faites par les donatistes, disant, du reste, que la faute de l'un n'est pas la faute de l'autre. Une si déplorable disposition affligeait profondément Augustin, car il avait à cœur le salut éternel de ce prêtre. En conséquence, il lui écrivit une lettre (4), pleine de tendresse et de véhémence en même temps, où il renversait toutes les vaines raisons et les arguments, dont il se servait pour demeurer dans son opiniâtreté et son aveuglement. Il lui rendait compte de la violence employée quelquefois par l'Église, lui démontrait que si les aveux faits solennellement au concile par ses coreligionnaires ne le liaient pas, lui, simple prêtre, on ne pouvait pas non plus reprocher à l'Église universelle, les actes de Cécilianus, et enfin il l'invitait à répondre à l'argument que les catholiques puisaient dans l'histoire des maximianistes.
3. Nous avons vu que, l'année précédente, Augustin avait commencé son ouvrage de la cité de Dieu ; et que, en 414, il en achevait le quatrième et le cinquième livre. Nous devons donc rapporter à cette même année les lettres qu'il écrivit à Macédonius, alors vicaire d'Afrique, après lui avoir envoyé les trois premiers livres de la Cité de Dieu. Nous possédons deux lettres de Macédonius à Augustin, écrites avec goût et élégance (5), et les deux réponses, pareillement fort remarquables, qu'il reçut d'Augustin (6). Outre les qualités remarquables de son esprit; outre sa prudence et son intégrité dans la gestion des affaires publiques, Augustin avait la plus grande estime pour Macédonius, par-ce qu'il voyait, dit-il, son cœur s'attacher à l'amour de la vérité et de l'éternité, à l'amour de ce céleste et divin empire, dont le Christ est le souverain (7). Aussi voyait-il avec bonheur un homme, si distingué et si remarquable, re-
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(1) Ibid., M. 55. (2) Lettre exxxiii, ellel---, cie -Y-:v. (3) Lettre GLXXM, n. 1. (4) Leffi,e GLXXIIL (5) Auq. lettre CLU, et CLIV. (6) Uffi'0 CLIII-GLY. (7) Plem., nv, ~,_ i. TOM. i.
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chercher son amitié, vouloir converser par lettres avec lui et demander à lire quelques-uns de ses ouvrages. Il lui en promit plusieurs (1), et lui fit parvenir en même temps, par Boniface, évêque de Cataque, une lettre où il lui demandait la grâce d'un coupable (2). Macédonius était loin de songer à repousser la supplique de l'évêque qu'il regardait comme si digne de respect et d'estime (3). Il était, du reste, tellement porté à la douceur, que, n'osant point de lui-même pardonner aux coupables, dans la crainte d'encourager le crime, il était reconnaissant envers ceux qui lui demandaient leur pardon, tenant, comme il le disait lui-même, à une récompense d'Augustin pour la grâce qu'il lui accordait; il lui demanda dans une lettre pleine d'urbanité, quel était le motif de sa demande, et s'il était dans l'esprit de la Religion chrétienne, que les évêques intercédassent pour les coupables. Il le priait, en même temps, de lui envoyer les ouvrages qu'il lui avait promis, afin que, privé en ce moment de sa présence, il pût se nourrir au moins de ses discours (1). En réponse, Augustin lui envoya ses trois premiers livres de la Cité de Dieu, et pour la question qu'il lui avait soumise, il écrivit que les évêques pouvaient demander la grâce et la vie des coupables, dans l'intention de leur laisser le temps de réparer leurs fautes et d'en faire pénitence : « De peur, dit-il, que leur vie ne se termine par un supplice qui aboutirait à un autre supplice sans fin (5). » Puis, pour le bien de ceux qui n'étant point aussi pénétrants que Macédonius pourraient lire cette lettre, il entre dans de plus longs détails, expose les raisons qui permettent d'intercéder pour les coupables, et développe la loi de la restitution, Il rapporte enfin que Macédonius, poussé par le sentiment d'humanité si naturel à son âme, avait intercédé pour un clerc qui avait commis une faute, et qu'Aurèle, apaisé par ses prières, avait adouci le châtiment mérité. Augustin parle de ce saint de manière à faire comprendre qu'il en avait été lui-même témoin (6).
4. Augustin ayant approuvé dans sa lettre l'intercession des évêques, et retenu la parole par laquelle Macédonius s'engageait pour ainsi dire à ne jamais rejeter ses demandes, sut profiter habilement de ce droit, et ne voulut pas que les coupables qui recouraient à lui fussent privés de son patronage. Il le fit même avec tant de sagesse et de retenue, que Macédonius non-seulement ne put pas rejeter ses demandes, mais encore combla de louanges sa modestie (7). Nous pouvons citer les paroles mêmes que Possidius nous a conservées dans la vie de ce saint homme : « Je suis, disait-il, merveilleusement frappé de votre sagesse, quand je lis vos ouvrages ou vos intercessions en faveur des criminels. J'y trouve tant de pénétration, de science, de sainteté, que je ne vois rien au-delà. Vous intercédez avec tant de réserve que si je ne ne faisait pas ce que vous demandez, je croirais que le seul coupable, c'est moi, ô vénérable Seigneur et cher Père. Car vous n’êtes point comme la plupart des gens de cette cité; vous n'arrachez pas de force ce que vous désirez; mais lorsque vous croyez devoir vous adresser à un juge accablé de tant de soins, vous exhortez avec une réserve qui vient en aide à vos paroles, et qui, auprès des gens de bien, est la plus puissante manière de vaincre les difficultés (8). » Dès que Macédonius eut parcouru ces ouvrages, c'est-à-dire, comme l'indiquent ses propres paroles et celles d'Augustin, les premiers livres de la Cité de Dieu, il en fit un magnifique éloge; et comme il était sur le point de retourner en Italie, il promit au saint évêque de lui écrire de ce pays s'il le pouvait, afin, dit-il, non pas de payer toute sa dette de reconnaissance, de lui marquer l'estime que lui inspirait un ouvrage, d'une si grande science (9). Augustin, avant son départ voulut lui faire un présent digne de lui. Il lui écrivit une lettre remarquable (10), où il lui exposait tous les devoirs d'un chrétien, et principalement de l'homme qui se trouve à la tête des affaires, lui recommandant surtout de rapporter à la bonté divine
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(1) Lettre CLII, n 3. (2) Ibid., n. 1. (3) Lettre CLII-CLIV, n. 8. (4) Leltre CLII, M 1. (5) Leltre GLIII, n. 3. (6) Ibid, i n. 16-10. (7 Lettile CLII, n. I. Ltire GLIV, n.
Let. CLIVp IL ~-
(8) Ibid., et Poss., n. 25. (9) Let., CLIv, n. 2. (10) Let., CLV, Il. 2;
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toutes les vertus qu'il en avait reçues, et d'avoir dans tous les devoirs de sa magistrature pour unique but : d'amener les peuples à Dieu et à la vie éternelle. Possidius intitule cette lettre : De la véritable vertu, et la première à Macédonius : De l'intercession des évêques.
5. Dans le cours de la même, année, Augustin écrivit à Hilaire (1) un livre ou une lettre sur les questions qu'il lui avait envoyées de Sicile. Jérôme et Orose la placent dans l'année 415, et ajoutent qu'elle venait d'être écrite. Dans tout l'univers chrétien, personne n'ignorait la supériorité en érudition et en science de l'évêque d'Hippone sur tous les docteurs ; Valérien même, avant sa conversion, avait entendu dire qu'il n'ignorait rien de toute la doctrine. « Lorsque, disait-il, on consulte Augustin sur une question, s'il l'ignore, c'est qu'elle n'est pas dans la loi (2) ;» aussi affirmait-il avoir tellement à cœur sa gloire, qu'à toutes les questions à lui soumises, il y répondait par les livres du saint évêque. Or, Hilaire avait entendu des chrétiens de Syracuse répéter ces nouveaux dogmes : « Que l'homme peut être sans péché, et s'il le veut, observer les commandements ; qu'il ne serait pas juste que l'enfant mort sans baptême pérît, puisqu'il naît sans péché ; que les riches ne peuvent entrer dans le royaume de Dieu, à moins qu'ils ne rendent tout ce qu'ils possèdent, et que même les bonnes oeuvres qu'ils accompliraient à l'aide de leurs richesses, ne leur serviraient de rien, etc. (3). » Il consulta Augustin à ce sujet, persuadé qu'il avait reçu de Dieu. la faculté « connue de tous », d'instruire les autres. « J'adresse à votre sainteté les plus ferventes prières, lui écrit-il, instruisez-nous sur toutes ces choses, afin que nous sachions ce que nous devons penser. » Et Augustin, après lui avoir suffisamment expliqué sa pensée sur ces questions pélagiennes, ajoute avec modestie : «Vous venez de voir mon sentiment sur les questions proposées, je laisse le soin d'y mieux répondre à des esprits meilleurs, non pas aux pervers dont je connais les détestables erreurs, mais à ceux qui peuvent traiter les questions avec vérité. Pour moi, je suis plus disposé à apprendre qu'à enseigner, et vous me rendrez un grand service de ne pas me laisser ignorer ce que les saints docteurs de votre pays répondent à ces vains discours (4). »
CHAPITRE VIII.
1- Exposition de plusieurs psaumes faite en l'année du Christ 415 et antérieurement. - 2. Le prêtre Orose vient du fond de l'Espagne, trouver Augustin. - 3. Pour satisfaire à ses demandes, Augustin écrit un ivre contre les priscillianistes et les sectateurs d'Origène, - 4. Il envoie avec quelques-uns de ses écrits Orose à Jérôme, qu'il désire consulter principalement sur l'origine de l'âme- 5. Il arrache Timase et Jacques à l'erreur de Pélage contre lequel il publie un opuscule sur la nature et la grâce. - 6. Il répond par plusieurs lettres à des question d'Evode. - 7. Il compose un livre sur la Perfection de la justice.
1 . Dans une lettre envoyée à Evode vers la fin de l'année 415, sont cités plusieurs ouvrages commencés, dit Augustin lui-même, avant Pâques, aux approches du carême, et qu'il venait de terminer (5). Parmi eux il cite le quatrième et le cinquième livre de la Cité de Dieu, et il y ajoute l'explication entière des trois psaumes, LXIe, LXXIe et LX XVIIe. Il en avait déjà commenté un grand nombre soit dans ses écrits, soit dans ses sermons, car nous l'avons vu dans une assemblée tenue à Carthage, expliquer dès l'année 403 le psaume XXXVIe(6), et dans la lettre citée plus haut, il déclare qu'on lui demande impatiemment ceux qu'il n'avait encore exposés ni par écrit ni par la parole (7) Il dit aussi que désormais, c'est-à-dire dès la fin de l'année 415, il ne veut plus s'occuper que de cette oeuvre et de la Cité de Dieu, et qu'il diffèrera même ses livres sur la Trinité, parce qu'ils demandent trop de travail, et qu'ils ne pourront être compris que par un petit nombre de fidèles. En conséquence, il mit la dernière main à cet immense ouvrage, et soit en dictant, soit en expliquant, soit à la fois par l'écri-
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(1) Let. CLVIL (2) Let., cxxxv, n. 2. (3) Let,, CLVI. (4) Lei., CLVIi, n. 41. (5) Let., CLXIX, n. 1. (6) Ci-dessus, liv. V, eh. viii, n. 6. (7) Let., CLXIV, n. 1.
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ture et par la parole, il commenta tous les Psaumes.
2. Aux commentaires sur les trois psaumes, cités dans sa lettre à Evode, Augustin ajoute les livres qu'il a envoyés à Jérôme par Orose, ainsi qu'un autre livre pour ce même Orose contre les priscillianistes et les partisans d'Origène (1). Orose, nommé aussi Paul dans les ouvrages qui restent de lui, était un prêtre espagnol, né aux confins de l'Ibérie, sur les rivages de l'Océan (2). Catholique par la communion et animé d'une grande piété, d'un zèle ardent pour la foi, il gémissait moins sur le sort de sa patrie pillée et ravagée par les barbares, que sur la foi attaquée en Espagne par de nombreuses erreurs. La renommée fit parvenir jusqu'à sa patrie le nom du grand Augustin et persuadé qu'il apprendrait de lui tout ce qu'il voudrait sur les points douteux et satisfaire pleinement son amour pour les lettres sacrées, il vint des points les plus reculés de l'Espagne en Afrique, poussé par l'unique désir de s'instruire dans les divines Écritures (3). La cruauté des barbares même, le força à exécuter son projet plutôt qu'il ne l'avait décidé. Car il raconte lui-même que dans un moment de tumulte, il s'était enfui, pour éviter la mort (4), et qu'il avait à peine échappé aux coups de ses persécuteurs. Il était déjà en mer qu'ils le poursuivaient encore de leurs traits et à coups de pierres, et il ne put s'échapper qu'à la faveur d'un brouillard survenu au moment où il allait être pris. Ce danger fût si terrible, ajoute-t-il, que personne, à moins d'avoir le cœur endurci, ne peut l'entendre raconter sans verser des larmes (5). Chassé de sa patrie par une force invisible, parti sans le vouloir, sans nécessité, malgré lui, pour ainsi dire, il ne connut la destination de son voyage, que lorsqu'il aborda aux rivages d'Afrique; et là, après avoir considéré comment il avait été conduit, il connut la main qui le dirigeait, et il vit dans le recueillement de son âme que Dieu l'avait envoyé à Augustin pour trouver le remède aux maux de l'Espagne (6). Il nous est donc permis de croire que dans sa précipitation à gagner un vaisseau, il monta sur un navire qui ne faisait point voile pour l'Afrique, et que Dieu le dirigea lui-même pour le faire aborder à la côte africaine.
3. Pendant qu'Orose désirait vivement avoir un entretien avec Augustin, et qu'il attendait l'occasion de lui exposer dans un livre les points sur lesquels il voulait être éclairé, il arriva que poussés par le même désir d'opérer le salut de tous, les évêques Paul et Eutrope envoyèrent au saint docteur des instructions sur ces mêmes hérésies; mais comme ces évêques n'y parlaient seulement que de quelques-unes, Orose jugea nécessaire de recueillir tous les dogmes hérétiques avec leurs rameaux et leurs racines mêmes. Dans cette intention, il écrivit sous forme de lettre au bienheureux prélat des questions sous la forme d'un monitoire, où il exposait les erreurs de Priscillien et d'Origène qui infectaient alors sa patrie ; cette soif d'apprendre ne put que plaire infiniment à Augustin. Aussi, pour combler les vœux d'Orose composa-t-il un livre intitulé: Contre les priscillianistes et les origénistes, qu'il lui dédia. Pour plus de brièveté et de clarté, il ne dit presque rien des erreurs des priscillianistes; parce que dans ses traités contre les manichéens qu'avait lus ou que pouvait lire Orose, il avait établi des principes qui détruisaient ces erreurs (7). Vers la fin, où il parle de la distinction des esprits célestes, après avoir écrit de magnifiques pages sur des questions si obscures et en réalité peu utiles, il avoue naïvement à Orose qu'il ne peut plus rien dire; « Afin, dit-il, que vous ne me croyez plus un grand docteur, j'avoue que j'ignore ce que sont ces choses et quelle différence il existe entre elles » (8). Dans un autre écrit, il ajoutait encore que le premier fruit qu'aurait retiré, Orose de son voyage, serait de ne pas trop croire à la renommée sur son compte (9). Augustin place ce traité parmi ceux qu'il composés en l'année 415 : et comme la publication dut
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(1) Let., CLXIx, n. 13. (2) Ibid., et lettre cLxvr, il. 2. (3) Let., CLXix, ri. 13(4) OROSE, Hl*.91. EV. V. Ch. H. 15) liv. 111, ch. x-,. (6) Aug, Entr. aver. oo,çe, 11. 1. (7) Contre les Prise., et les Orig. n. 1. (8) Ibid., D. il
Î. (9) Mid., CLVI, n. 2.
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suivre de près l'arrivée d'Orose en Afrique, nous ne voyons pas la nécessité de placer son arrivée dans cette province avant cette même année.
4. Orose retirait de son voyage le fruit qu'il s'en était promis, celui de jouir longtemps de la vue et de la conversation d'Augustin. Mais celui-ci voulait le voir enrichi de toutes connaissances, et, non content de lui apprendre ce qu'il savait lui-même, il lui indiqua une source féconde, où il puiserait facilement, tout ce qu'il ne pouvait apprendre de lui; il l'engagea à aller trouver Jérôme. Orose reçut volontiers cet avis ou ce conseil d'Augustin, et résolut avec joie de le suivre, et le saint évêque lui demandant de revenir vers lui avant de regagner sa patrie, il le lui promit. Augustin saisit alors avec empressement cette occasion d'exposer ses doutes à Jérôme : dans son désir insatiable de la vérité, il désirait depuis longtemps converser avec lui par lettres, car il faisait grand cas de son esprit et de son érudition ; mais il lui fallait un homme sûr, bien disposé et capable de supporter les fatigues de la route. Il trouva réuni dans Orose, encore jeune, toutes ces qualités et d'autres encore, et vit dans cette occasion une faveur de Dieu. Il la saisit donc, et envoya à Jérôme deux écrits assez volumineux, qu'il appelle lui-même des livres (1), et qu'il place sous ce nom dans ses Rétractations ; mais de nos jours, on les a rangés parmi ses lettres (2). Dans le premier, il consulte Jérôme «sur l'origine de l'âme humaine, » et, dans le second, sur cette parole de saint Jacques: «Quiconque ayant observé toute la loi, la viole en un seul point, est coupable comme s'il l'avait violée tout entière (Jacq . 11, 10) » Jérôme parle de ces livres, non sans témoigner quelque admiration : mais il ne voulut pas y répondre, parce que ses loisirs ne le lui permettaient pas, et qu'il importait peu au bien de l'Eglise qu'Augustin et Jérôme pussent paraître d'un avis différent, sur des questions même de peu d'importance. Augustin fut informé des inquiétudes de Jérôme, mais espérant toujours une réponse à ses questions il ne voulut jamais publier d (c)es livres tant que vécut le grand docteur. Il n'en donna pas même une copie, et ne permit pas à ses amis de les emporter chez eux; tout au plus leur accorda-t-il de les lire auprès de lui, tandis qu'avant de recevoir la réponse de Jérôme (3), il agissait avec plus de liberté, et qu'il parlait même de ces livres parmi ceux qu'il offrait d'envoyer à Evode (4). Il paraît aussi qu'il se servit d'Orose pour demander à Jérôme sa traduction de la version des Septantes avec les astérisques et les marques qui indiquaient les points douteux, et pour remettre plusieurs lettres à la vierge Eustochie et à sa mère Paule la jeune, où il les exhorte à avancer toujours dans le chemin de la vertu.