Bysance 24

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   19. Le pape n'avait point attendu ces touchantes  exhortations pour agir près de l'empereur d'Orient. Il avait député à ce prince des légats chargés de revendiquer à la cour de Byzance les droits de l'orthodoxie et de l'humanité également outragées.  Mais leur mission n'aboutit qu'à les rendre eux-mêmes témoins et presque victimes des horreurs qu'ils voulaient arrêter. Léon V les bannit de sa présence, sans daigner les entendre. Le patriarche intrus Cassitéras leur fit dire qu'il ne comprenait rien à tout le bruit que causait l'abolition d'un culte idolâtrique. Ce soldat transformé en évêque n'avait d'autre principe théologique que l'obéissance abso­lue à l'empereur. L'Eglise, selon lui,  était une armée spirituelle qui relevait comme l'autre exclusivement de César. Depuis son in­trusion, Cassitéras donnait chaque jour à la table patriarcale deux festins somptueux, auxquels il invitait tous les évêques, clercs et moines, qui voulaient y prendre part. Là régnait, avec un luxe exorbitant, la débauche, l'impudeur et l'ivresse. Il appelait ce mode de gouvernement la séduction par le ventre. Ainsi qu'on l'a vu, ce système d'ignoble  dépravation n'eut qu'un succès fort restreint. Ceux qui s'y laissèrent  prendre étaient  depuis  longtemps des hommes perdus de réputation et notés d'infamie. Léon l'Arménien n'était qu'à demi satisfait d'un pareil résultat. L'immense majorité des clercs et des moines préférait le martyre aux festins de Cassité­ras. Les fidèles, touchés de l'héroïsme des confesseurs,  témoi­gnaient hautement leur sympathie pour les victimes et leur mépris pour les persécuteurs. Soudain un décret impérial  rappela  d'exil tous les chefs d'ordre ; des navires expédiés dans toutes les direc-

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1    Luc. xxii, 32.

2    Theodur. Studit. Eyki. xir, Pair, gcœc, tom., XGIX col. 1152.

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tions ramenèrent ces vénérables vieillards à Constantinople. Le plus illustre d'entre eux était saint Nicétas hégoumène du monas­tère de Saint-Sergius à Constantinople. Septuagénaire, sa vie était un miracle continuel de mortification, de charité et de dévouement, Léon l'Arménien laissa tout l'hiver de 816 les confesseurs en liber­té, dans l'espoir que, cédant peu à peu aux insinuations de Léca­nomante, la cheville ouvrière de cette intrigue, ils consentiraient à assister à quelque cérémonie religieuse présidée par l'intrus Cassitéras. C'était tout ce qu'on demandait d'eux. Leur démarche, s'ils consentaient à s'y prêter, devait servir aux iconoclastes comme un engagement tacite et une adhésion suffisante. Les confesseurs résistèrent ; on redoubla d'instances aux approches de la fête de Pâques pour les déterminer à recevoir publiquement la communion pascale, sinon des mains de Gassitéras, du moins dans une des églises qui reconnaissaient sa juridiction. Tous les efforts furent inutiles. Les persécuteurs changèrent alors leurs anciennnes ca­resses en une fureur effroyable. Les confesseurs furent arrêtés, chargés de fers et jetés séparément dans des oubliettes, où on les laissa étendus sur un pavé humide sans une seule ouverture, sans même une poignée de paille. Chaque soir ils recevaient, par une ouverture pratiquée à la voûte du cachot, un morceau de pain moisi et une cruche d'eau fétide. Plusieurs mois s'écoulèrent dans cette affreuse toiture sans que le courage des confesseurs fût ébranlé.

 

20. Lécanomante comprit qu'ils mourraient tous plutôt que de  céder. Changeant alors une seconde fois de système, il se rendit isolément près de chacun d'eux. « Je viens, leur dit-il, faire cesser

un malentendu déplorable. Ni l'empereur ni le patriarche n'exigent de vous aucune apostasie. Ils honorent comme vous les saintes images, tout en leur refusant le culte de latrie qui n'est dû qu'à

Dieu seul. Vous avez cru jusqu'ici le contraire; vous étiez de bonne foi et vous avez pu vous considérer comme les martyrs de la vérité. Il est temps de mettre un terme à une erreur qui afflige tous les gens de bien et dont vous êtes les malheureuses victimes. Demain vous serez conduits dans un oratoire où le patriarche vous exposera

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lui-même sa croyance, il vous donnera la preuve de sa parfaite orthodoxie, et l'on vous renverra dans vos monastères sans exiger de vous aucune profession de foi. » Tous les confesseurs, à l'excep­tion de Nicétas, acceptèrent cet arrangement. Ils furent extraits de leurs cachots respectifs, et Nicétas ne se détermina à quitter le sien que sur les exhortations réitérées de ses collègues. « On ne nous demande rien de contraire à la foi, lui dirent-ils. Cependant nous ne voulons rien faire en votre absence. Consentez à venir avec nous. » Le saint vieillard céda enfin. Tous ensemble ils furent conduits dans un oratoire dont les peintures à fresques, les statues, les tableaux avaient été conservés. « Vous voyez, leur dit Gassitéras, que je vénère comme vous les saintes images. Anathème à quiconque leur refuse l'honneur qui leur est légitimement dû! » Après cette déclaration spontanée, l'intrus célébra la messe, les confesseurs communièrent de sa main, et furent ensuite laissés libres de retourner dans leurs monastères. Il n'y avait point eu d'apostasie doctrinale, mais un acte formel de schisme. Nicétas ne l'eut pas plutôt commis, qu'une angoisse indicible, un remords poignant, lui saisirent l'âme. Au lieu de retourner à son abbaye, il courut à la Corne d'Or, jeta ses vêtements dans une barque et se fit conduire dans l'île de Proconnèse où il voulait par une rigou­reuse pénitence expier sa faute. Mais bientôt changeant de dessein : « Non, s'écria-t-il, mon crime a été public. C'est au lieu même où j'ai donné le scandale que je dois le réparer. » Il se fit sur-le-champ ramener à Constantinople, et en abordant au port, il commença avec un torrent de larmes à s'accuser de sa faiblesse, demandant pardon à Dieu et aux hommes. L'émotion causée par cette scène fut vive et profonde; l'empereur manda l'illustre vieillard. « Pour­quoi, lui dit-il, n'êtes-vous pas retourné comme les autres à votre monastère? Je vous en avais à tous donné l'ordre. — Sachez, sei­gneur, répondit Nicétas que, pour avoir eu la faiblesse de céder aux instances de mes collègues, j'ai commis un véritable crime. Je voulais le dire à vous-même et le déclarer on face des pieux fidèles justement scandalisés de ma conduite. Grâces à Dieu, mon cœur n'est point changé, je persiste à repousser la communion d'un pa-

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triarche intrus. Tels sont mes sentiments; faites de moi ce que vous voudrez. » A ces mots, l'empereur fit un geste de colère qu'on interpréta au premier moment comme un arrêt de mort. La ré­flexion vint ensuite; le César iconoclaste recula devant une mesure qui eût soulevé l'opinion populaire déjà surexcitée. Nicétas fut réin­tégré dans son cachot, puis transféré dans la forteresse de l'île de Glyccrium où il demeura enfermé jusqu'à la mort de Léon l'Armé­nien.

 

21. Dans toute l'étendue de l'empire ces cruautés se renouvelaient avec les raffinements de barbarie que les subalternes savent  inventer en exécutant les ordres d'un tyran. Ce fut alors que la charité du pape saint Pascal se multiplia pour secourir la détresse des exilés et des captifs. Théodore Studite, dans une se­conde lettre adressée au pontife, l'en remerciait avec effusion. « Respexit nos Oriens ex alto 1, disait-il. Des hauteurs des cieux notre Orient s'est levé, le Christ notre Dieu se manifeste à nous en la personne de votre béatitude. Vous êtes le phare lumineux con­stitué sur la chaire apostolique, et votre splendeur a brillé sur l'Église catholique tout entière. Ses rayons ont pénétré jusqu'à nous, pauvres captifs, détenus dans les ténèbres, à l'ombre de la mort, par les fureurs hérétiques. Les sombres nuages se sont écartés, l'espérance renaît dans nos cœurs, à la nouvelle des grandes et saintes choses faites par votre celsitude. On nous a raconté comment vous avez refusé aux apocrisiaires de l'intrus l'honneur d'être admis à votre audience. Vous les avez traités comme ces mercenaires et ces voleurs dont parle l'Evangile, dé­prédateurs du bercail de Jésus-Christ. On nous dit qu'au récit de nos malheurs, votre tendresse paternelle n'avait pu retenir ses larmes, et que votre charité s'est dilatée pour venir au secours des membres souffrants de Jésus-Christ. Nous savons maintenant que le siège de Rome est occupé par un pasteur digne de succéder au prince des apôtres; nous avons la certitude que Dieu n'a point abandonné son Église, puisqu'il lui a ménage un pasteur et un père

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1 Luc. i, 7S.

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dont le courage et la bonté sont à la hauteur des calamités actuelles. Vous êtes la providence de tous les malheureux, la source pure de la vérité orthodoxe, le port assuré contre la tempête de l'hérésie, la cité choisie de Dieu pour le salut dn monde 1. »


   22. Dès le commencement de la persécution, Théodore Studite, dont les iconoclastes redoutaient le savoir et l'éloquence, avait été confiné au fond de l'Anatolie, puis transféré à Métope. « Qu'on me transporte où l'on voudra, dit-il, j'y consens volontiers; toute la terre est au Seigneur; mais si l'on veut enchaîner ma parole, ja­mais on n'y réussira : je l'ai consacrée à la cause du Dieu de vé­rité. « L'empereur, informé de cette courageuse résistance, envoya l’ordre de le flageller jusqu'au sang. Théodore se dépouilla lui-même de sa tunique, en disant : « Il y a longtemps que je désirais souffrir pour le nom de Jésus-Christ. » Cependant l'exécuteur, voyant ce corps exténué de macérations, craignit en le frappant de se rendre coupable d'un véritable meurtre. Il prétexta la bien­séance pour faire retirer tout le monde; puis, apportant une peau de mouton, il déchargea sur elle quantité de coups qu'on entendait au dehors. Il se fit même une incision au bras, afin d'ensanglanter le fouet qu'il eut soin de montrera la foule. Le saint abbé continua de parler et d'écrire en faveur de la vraie foi. Pour se mettre en état de produire des preuves de l'unanimité de toutes les églises dans le culte des saintes images, il adressa des lettres à tous les métropolitains et évêques du monde entier. Dans celle qu'il écrivit au patriarche d'Alexandrie, il fait une assez longue description de la persécution byzantine dont il le supposait moins informé, à cause de la difficulté des communications maritimes, que les navires mu­sulmans interceptaient par des croisières continuelles. «Au sein du christianisme, dit-il, les autels de Jésus-Christ sont renversés, les églises dévastées. Les Arabes qui vous oppriment auraient honte de pareilles violences. Les évêques, les prêtres, les moines sont tombés dans un mépris universel. Les uns ont entièrement perdu la foi : les autres se flattent de la conserver encore en se rendant

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1 S. TheoJor. Studit.. Eput. sur, Pair, grat., tom. XCIX, col. 1155.

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complices des hérétiques et en communiquant avec eux. Il en est pourtant qui n'ont point fléchi le genou devant Baal, et notre glo­rieux patriarche Nicéphore leur sert de guide et de modèle; mais de ces derniers, les uns ont été outragés et fouettés cruellement, les autres jetés dans des cachots et réduits à quelques onces de pain moisi qu'on leur distribue chaque jour avec un verre d'une eau infecte; d'autres enfin ont été condamnés à l'exil. Les moines infortunés se sont bannis eux-mêmes; ils n'ont d'autre abri que la voûte des forêts et les antres des montagnes. Quelques-uns ont consommé leur martyre sous les fouets; d'autres, enfermés dans des sacs, ont été jetés à la mer. Il suffit de posséder une pieuse image, d'avoir donné asile à un proscrit ou secouru un prisonnier, pour être immédiatement arrêté, déchiré de coups, traîné en exil 1. » Léon l'Arménien, en apprenant que saint Théodore avait adressé ses plaintes éloquentes au siège apostolique, ne mit plus de bornes à sa vengeance. Un bourreau fut envoyé à Métope, et in­fligea au généreux confesseur cent coups de fouet, le maximum de cet horrible supplice. Théodore, la chair ensanglantée et les os dé­pouillés jusqu'au vif, tomba sans mouvement et sans connaissance. Par une sorte de prodige, un de ses disciples, détenu dans la même forteresse, parvint à le rappeler à la vie. Pour le priver de ce filial secours, le saint fut mis dans un cachot isolé, où les geôliers lui jetaient par une lucarne un morceau de pain moisi tous les deux jours. Enfin l'archevêque de Smyrne, l'un des chefs du parti ico­noclaste, voyant que rien n'ébranlait la constance du martyr, lui dit en partant pour Constantinople : « Je prierai l'empereur de vous faire couper la langue ou la tête, et mieux encore l'une et l'autre à la fois. » La justice divine qui allait frapper Léon l'Arménien em­pêcha l'effet de cette menace.

 

   23. Nous avons parlé plus haut d'un soldat de fortune, nommé  Michel, dont Léon l'Arménien avait fait son capitaine des gardes, et Lécanomante son confident et son ami. Michel, né parmi les  Athingans, peuplade sauvage de la Haute-Phrygie où la secte des

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1 S. Tbeodor. Sttulit., Epiïl. xiu, Patr. tfrœc, tom. XGIX,.col. H58.

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Pauliciens avait prospéré, avait dans sa jeunesse fait le métier de marchand de chevaux. Il ne savait ni lire ni écrire; à tous ces désavantages, il joignait une difficulté de prononciation qui le fit surnommer le Bègue. Enrôlé sous Copronyme dans une légion grecque, il parvint à force de bassesses et d'intrigues aux plus hautes dignités militaires. L'avènement de Léon l'Arménien le mit en évidence. Michel fut en effet l'un des premiers à trahir le ver­tueux empereur son homonyme, ce qui lui valut toutes les bonnes grâces de l'usurpateur Léon. Mais à l'école de Lécanomante, l'an­cien marchand de chevaux devenu patrice, sénateur et capitaine des gardes, sentit l'ambition se développer au niveau de la fortune. Il aspira à la pourpre, conspira, fut arrêté, jugé et condamné par l'empereur à être brûlé vif dans la fournaise des bains du palais.» La condamnation fut prononcée le 24 décembre 820; elle devait recevoir son exécution le lendemain, jour de Noël. Théodosie, femme de Léon V, supplia son mari de ne pas profaner ce grand jour par une exécution. « J'accorde ce que vous me demandez, répondit Léon. Plaise à Dieu qu'en voulant sauver mon âme, vous n'exposiez pas mon corps au poignard des assassins ! » Dans la nuit, le clergé de Sainte-Sophie vint selon l'usage chanter mâtine à la chapelle du palais. Déguisés en clercs, quatre conjurés, complices de Michel, cachant des épées sous leurs habits de chœur, se glis­sèrent à la faveur des ténèbres parmi les ecclésiastiques. L'empe­reur assistait à l'office de Noël. A un signal convenu, les conjurés se précipitèrent sur lui en brandissant leurs glaives. Léon courut au sanctuaire, saisit une croix d'argent qu'il trouva sous sa main en s'en servit comme d'une arme défensive. Il lutta avec intrépidité pendant quelques instants, mais les assassins le saisirent par le milieu du corps et le terrassèrent au pied de l'autel. « Grâce ! grâce! au nom du sanctuaire! s'écria l’empereur. — Ce n'est pas le moment des grâces, répondit l'un des conjurés : c'est celui des vengeances! » Et, prenant le prince par les cheveux, il lui tran­cha la tête. Un moment après, Michel le Bègue était porté les fers aux mains et aux pieds, du fond de son cachot, sur le trône des Césars. Ne trouvant pas les clefs des chaînes dont Léon V s'était

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saisi, on les brisa à coups de marteau. Michel fut proclamé em­pereur. Les officiers du palais, étonnés, tremblants, accoururent  en foule lui rendre hommage et les conjurés répétaient en chœur ces paroles du psalmiste que l'Eglise chante à l'office de Noël : « La tristesse durera toute la nuit et la joie paraîtra avec le jour1 ! » Cette sanglante tragédie s'était dénouée dans les ténèbres, pendant que la population tout entière assistait aux offices nocturnes de Noël. Les habitants de la grande cité purent se convaincre que Dieu punit tôt ou tard les persécuteurs de son Eglise, en voyant le matin du 25 décembre la tête de Léon V, l'Arménien iconoclaste, au bout d'une pique plantée dans l'hippodrome. Ils accablèrent d'outrages l'idole qu'ils encensaient la veille et se mirent à crier : « Michel II Auguste ! Longues années à Michel II ! » Michel le Bègue, par droit de joyeux avènement, rappela les catholiques exilés; mais ce fut pour reprendre bientôt la persécution sous une autre forme.


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§ II. L’empereur Michel le Bègue.

 

  10. Ceux qu'on appelle aujourd'hui les hommes d'ordre pourront se consoler en lisant cette lettre d'Agobard. Ils y verront que l'élément de dissolution sociale contre lequel ils combattent n'est pas nouveau dans le monde, et qu'en définitive depuis que le sang du Rédempteur a coulé sur le Calvaire, Satan ne reste pas long­temps le maître du monde. C'est par le mensonge qu'il obtient par­fois des triomphes éphémères, et soutient pour un moment dans leur puissance usurpée les instruments chargés de représenter son règne ici-bas. L'un de ces instruments était Michel le Bègue, qui venait d'égorger son maître et son ami Léon l'Arménien pour ré­gner à sa place. Michel appartenait, nous l'avons dit, à la secte des pauliciens ou melchisédéciens. Ces sectaires, moitié chrétiens, moitié juifs, pratiquaient les cérémonies du culte mosaïque, aux­quelles ils mêlaient les superstitions païennes des Samaritains. Michel II fit de grands efforts pour ressusciter l'antique religion des Hébreux. Il changea, dans son palais, l'époque de la Pâque, et remplaça la célébration du dimanche par celle du jour du sabbat. Il ne reconnaissait pas Jésus-Christ pour le Messie, et plaçait Judas au nombre des saints. Aux sanglants désordres dont il couvrit l'empire, il voulut ajouter les ténèbres de l'ignorance dans les­quelles il était lui-même plongé : il proscrivit l'enseignement des belles-lettres et celui de la religion; aucun enfant ne devait plus apprendre à lire ni à écrire. Le rappel des exilés ne fut qu'une trêve bientôt suivie d'une persécution sanglante. En favorisant l'hé­résie des iconoclastes, Michel le Bègue croyait mieux atteindre son but, d'étouffer la vraie foi par les divisions qu'il suscitait dans l'Eglise.

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1 Agybanl., Epist. ad Mutfretl. Potr. hit., toni. CIV, col. 1SG,

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p253 L’EMPEREUR MICHEL LE BEGUE.

 

11. Le patriarche intrus Cassitéras étant venu à mourir (821), l'empereur le remplaça par un homme perdu de mœurs, Constan­tin Cazamate, que Léon l'Arménien avait déjà promu à un évêché, et qui avait profité de l'occasion pour changer son nom déshonoré en celui d'Antoine de Syllée. L'histoire de Cazamate est un tissu d'ignominies. Ce déclassé était fils d'un prêtre qui, après avoir été interdit pour ses débauches, s'était fait cordonnier. Né dans le crime, Cazamate avait tous les instincts de la dépravation. Dans l'échoppe du prêtre-cordonnier son père, il trouva un double en­seignement simultané : la haine contre le catholicisme et une cer­taine culture intellectuelle qui ne dépassait pas le niveau d'un grammairien athée. A vingt ans il se fit professeur de grammaire, titre qui équivaut à celui qu'on appellerait de nos jours professeur libre de littérature. Tout en donnant ses leçons, il suivait à Constantinople les cours publics de droit, car on enseignait officielle­ment le droit à Byzance ; si l'histoire ne le disait pas, les événe­ments ne le feraient guère soupçonner. Cazamate réussit à se faire recevoir docteur en droit, ce qui n'était pas plus difficile que chez nous, et il s'intitula professeur de jurisprudence. Cet accroissement d'honneur s'alliait malheureusement chez lui à un redoublement de débauches. Poursuivi par la police byzantine pour ses mœurs infâmes, Cazamate dépista les recherches en se jetant dans un monastère. Ce fut là que Lécanomante, l'âme damnée de Léon l'Arménien, vint le prendre pour le faire évêque de Syllée. Michel le Bègue n'eut donc qu'à l'élever d'un rang dans la hiérarchie pour le proclamer patriarche de Constantinople. Tel était le successeur de saint Jean Chrysostôme. Jamais le césarisme byzantin n'avait poussé plus loin le scandale.

 

12. Les réclamations, les plaintes, les protestations arrivèrent de toutes parts. Saint Théodore Studite osa s'en faire l'écho et les porter directement à l'empereur. « C'est donc vous, lui répondit en balbutiant Michel le Bègue, qui osez résister à la volonté des princes? Ne vous suffit-il pas des justes châtiments que vous avez subis sous mon prédécesseur? » Le vénérable Nicéphore, le pa­triarche légitime, crut devoir du fond de son exil écrire à Michel et

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p254      pontificat d'eugène il (824-827).


joindre sa protestation à celle de tous les catholiques. Le marchand de bœufs, devenu empereur, éclata en injures : « Croient-ils donc, s'écria-t-il, que je m'inquiète de leurs rêveries doctrinales. Libre à chacun de croire ce qu'il veut. Mon prédécesseur à défendu d'expo­ser en public aucune image religieuse. Il avait parfaitement raison et je maintiendrai cette sage mesure. » Michel le Bègue était, on le voit, fort digne des sympathies de nos rationalistes modernes. Si ces derniers le connaissaient, ils ne manqueraient pas de l'invoquer comme un ancêtre ; le seul grief un peu sérieux qu'ils auraient à lui reprocher, c'est son décret impérial défendant à tous ses sujets d'apprendre à lire et à écrire. Mais à la rigueur on pourrait trouver une circonstance atténuante en faveur du César ignorantin, dans le fait qu'alors l'instruction publique était aux mains du parti clérical. Aussi les prisons se remplirent-elles bientôt d'évêques, de prêtres et de religieux, comme au temps de Léon l'Arménien. L'exil, la confiscation, les supplices frappèrent tous les catholiques fidèles. Le saint évêque de Sardes, Euthymius, condamné à mort par le fils de l'empereur, le César Théophile, expira sous le fouet des bourreaux. Le moine saint Méthodius fut enfermé dans un sépulcre avec le cadavre d'un criminel ; il y resta jusqu'à ce que le cadavre fût réduit en poussière. Méthodius survécut à cette horrible tor­ture ; la Providence le réservait dans l'avenir à de glorieuses des­tinées.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon