Darras tome 9 p. 41
14. Le vainqueur de Maxence ne séjourna que deux mois à Rome, après son triomphe. De tous les points de l'Italie on accou-
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1. Constant. Décret., Patr. lai., tora. VIII, col. 236..— 2. lbid., 294. —3. Ibid., 396. — 4. Constuntimis vêtus tettrrimumque supplicium patibulorum, et cruribut tuffringcndis, primUm removit. (Aurel. Victor., cap. xu, a, 4.)
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rait pour contempler les traits du bienfaiteur et du libérateur de l'empire. L'Afrique envoya une députation chargée de reconnaître le nouveau prince. Le Sénat et le peuple rivalisèrent d'enthousiasme. Ce dernier point n'a qu'une valeur relative, puisque le servilisme des trois siècles précédents nous a familiarisés avec les démonstrations banales que Rome païenne prodiguait à chacun de ses maîtres. Cependant il faut noter, comme trait de mœurs , la requête des députés africains. Ils demandèrent à emporter dans leurs provinces la tête de Maxence, et la présentèrent en trophée aux populations que le tyran avait décimées par ses cruelles vexations. La ville de Cirtha sollicita l'honneur d'échanger son nom contre celui de Constantine, qu'elle a gardé jusqu'à ce jour, et l'Afrique tout entière donna un libre cours à son allégresse. Cependant, le 1er janvier 313, Constantin se transporta à Mediolanum (Milan), où il avait donné rendez-vous à son collègue impérial Licinius, pour la cérémonie du mariage de ce dernier avec sa sœur paternelle Constantia. Les fêtes célébrées à cette occasion nous intéressent moins par elles-mêmes que par la promulgation du fa-meux édit de Milan, dont Eusèbe nous a transmis le texte et dont nous devons présenter ici la traduction intégrale. Voici cette charte auguste qui donna droit de cité au christianisme en Orient et en Occident. « La liberté religieuse ne saurait être restreinte. Chacun a le droit de suivre le culte qui lui convient. Dans cette pensée nous avons récemment promulgué un édit qui permet à tous les chrétiens, chacun dans la secte de son choix, le libre exercice de sa religion. Cependant, comme notre rescrit antérieur donnait explicitement les noms des diverses sectes chrétiennes autorisées, on en a pris occasion d'apporter soit des réserves, des interprétations arbitraires, qui dénaturent le sens de notre loi. En conséquence, nous, Constantin et Licinius, empereurs augustes réunis à Milan, sous d'heureux auspices, dans notre sollicitude pour les grands intérêts du bien public, nous nous sommes préoccupés avant tout de fixer les règles relatives à la religion et au culte de la divinité, en accordant aux chrétiens et à tous les autres la faculté de suivre librement la religion de leur choix, afin d'at-
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tirer sur l'empire et sur nous la protection du Dieu qui réside au ciel. Nous déclarons donc ici que notre volonté formelle, inspirée par ce sage et salutaire conseil, est qu'à l'avenir on ne refuse à personne le droit d'embrasser et de suivre la religion chrétienne et son culte. Il sera permis à chacun de professer cette foi, si elle lui convient. Nous vous adressons donc ce nouveau rescrit qui supprime les distinctions de sectes énumérées dans notre édit précédent, et fait disparaître des réserves aussi éloignées de notre pensée véritable que des sentiments connus de notre mansuétude habituelle. Désormais, quiconque voudra embrasser la religion chrétienne sera libre de le faire, sans qu'on puisse opposer aucune entrave à sa volonté, ni l'inquiéter en aucune manière pour ce fait. En un mot, nous accordons la liberté absolue, pleine et entière du culte chrétien. Votre sagesse comprendra facilement que cette concession faite aux chrétiens, absolument et simplement, s'étend aux autres cultes et rites particuliers ou publics. Car il convient évidemment à la gloire et à la tranquillité de notre règne que chacun de nos sujets jouisse de la liberté religieuse, et qu'on ne puisse nous soupçonner de mettre des entraves au culte de la divinité. De plus, et par une faveur spéciale envers les chiétiens, nous décrétons que les lieux où ils avaient autrefois coutume de se réunir et qui ont été violemment confisqués soit au profit du trésor public, soit au profit de particuliers, leur seront restitués sans aucune taxe, sans aucune restitution de plus-value, immédiatement, sans nulle restriction ni délai. Les détenteurs auxquels ces biens auraient été octroyés par un don gratuit des précédents empereurs, devront les remettre sur-le-champ aux chrétiens. Les détenteurs qui auraient acheté des biens de cette sorte, ou ceux qui les tien-draient de seconde main des premiers acquéreurs, s'adresseront au préfet de la province qui en fera l'estimation, les remboursera à leur valeur sur les fonds du trésor, et remettra les biens eux-mêmes à la communauté chrétienne. En outre, comme les chrétiens ont, à notre connaissance, perdu non-seulement les lieux de leurs réunions habituelles, mais encore d'autres propriétés qui appartenaient non pas à chacun en particulier, mais à la corporation
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en général, vous prendrez des mesures, aussitôt la promulgation de cette présente loi, pour faire restituer sans délai ces propriétés à chaque communauté chrétienne à qui il appartiendra, en réservant toujours en faveur des premiers acquéreurs ou des détenteurs de seconde main l'indemnité que nous avons stipulée plus haut. Vous devrez donc intervenir, avec votre diligence et votre sagesse habituelles, pour que ce décret en faveur des chrétiens reçoive son exécution le plus promptement possible, en pourvoyant selon les moyens indiqués par notre clémence à la sauvegarde de tous les intérêts légitimes et au maintien de la tranquillité publique. Ainsi demeurera perpétuel et stable le témoignage de notre reconnaissance et de notre amour envers le Dieu qui, à plusieurs reprises, nous a couverts de sa protection. Vous ferez promulguer partout ce texte de notre loi, et lui donnerez une publicité universelle, afin que nul ne puisse ignorer ces dispositions de notre bonté souveraine1. »
Tel est le fameux édit de Milan, sous la date de l'année 314. Si l'apologiste de Sardes, saint Méliton, eût vécu alors, il aurait trouvé ce décret digne d'être signé par l'empereur chrétien dont il traçait le prophétique idéal. Cependant cette grande mesure de Constantin n'a pas toujours été appréciée à son véritable point de vue. Ainsi un historien récent a cru pouvoir résumer l'édit de Milan en ces termes: « Dans sa première partie, l'égalité devant la loi parle seule; dans la seconde partie, c'est la préférence du législateur qui se fait entendre 2. » Cette antithèse est plus laconique que sérieuse. Dans la première partie de l'édit, Constantin proclame en faveur des chrétiens le libre exercice de leur religion, et reconnaît, à ceux qui voudront embrasser cette foi, le droit de le faire sans être inquiétés. Les païens sont également libres de conserver leur culte. Sous ce rapport, l'égalité devant la loi est évidente. Mais lorsque, dans la seconde partie de l'édit, Constantin restitue aux églises les biens dont elles avaient été violemment spoliées, c'est encore en vertu de l'égalité devant
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1. Enseb., Hist. eccles., lib. X, cap. v. — 2. A. de Broglie, L'Église et l'Empire romain, tom. I, pag. 242.
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la loi, et non par l'effet d'une préférence particulière. Dès que les communautés chrétiennes sont placées dans le droit commun, elles ont manifestement la faculté commune à tous de posséder légitimement le bien qui leur appartient à un titre légitime. Or, le fisc avait injustement spolié les biens de cette nature, le fisc les rend. C'est l'égalité devant la loi qui garantit et protège le droit de propriété. Quant aux acquéreurs et aux détenteurs de seconde main, qui ont payé soit au fisc, soit aux premiers acheteurs, il est manifeste qu'ils ont un droit réel. Le fisc les indemnise; c'est encore l'égalité devant la loi. Sous le bénéfice de cette indemnité, les biens reviennent à leurs possesseurs légitimes. C'est toujours l'égalité devant la loi. Il n'y a donc point ici d'antithèse : si Constantin eût négligé ces mesures de réparation, il aurait commis un véritable déni de justice. A un autre point de vue, il est intéressant de constater le témoignage officiel et juridique de Constantin, qui se déclare personnellement l'obligé du Dieu des chrétiens. Pour peu qu'on veuille se rappeler le récit d'Eusèbe et de Lactance, on demeurera frappé de cet aveu du prince. Enfin, et c'est la dernière réflexion qui nous reste à faire sur l'édit de Milan, quand on songe que le christianisme victorieux, disposant pour la première fois d'une signature impériale, répond à trois siècles de persécutions sanglantes par la liberté absolue laissée aux païens de suivre leur religion et leur culte, on est frappé de la différence énorme qui sépare les deux civilisations l'une de l'autre. Le paganisme tuait tout ce qui n'adorait pas Jupiter. Nos modernes ratio-nalistes ne s'en étonnent pas. Cette barbarie ne provoque de leur part ni une protestation, ni une plainte. Le Christ fait son avènement au pouvoir et il déclare que la foi religieuse ne doit pas s’imposer par la violence, <TXOitoî>JTe; tV ÈXsvOsptav Tri; 6pï)rjxsta; eux àpvï]- x£m eIvm : la moderne critique ne daigne pas saluer l'avènement de ce principe si nouveau alors par le moindre signe d'approbation. Arrière ces hypocrisies trop longtemps supportées ! Quoi ! nous tenons tout du christianisme et nous n'aurons pas le courage de le dire ! Nous lui devons notre Dieu, notre foi, nos mœurs, notre dignité humaine, notre vie tout entière, et nous souffririons que des
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plumes vénales, ou des littérateurs intéressés, pervertissent la conscience publique au point de laisser ces bienfaits dans l'ombre ! Non, plus la conspiration du silence s'est organisée sur ces faits éclatants, lumineux et féconds de l'histoire du monde européen, plus nous devons les proclamer avec une indomptable énergie. Le mot de Constantin est vrai pour nous, comme il le fut pour le sénat et le peuple de Rome : popvlo in libertatem asserto pristinum DECVS NOBILITATIS SPLENDOREMQVE RESTITVI.
15. An moment où l'édit de Milan, signé par Constantin et Licinius, consacrait ces grands principes qui sont aujourd'hui la base de notre civilisation, Maximin Daïa régnait encore à Nicomédie. Héritier des haines de Galerius et des traditions de Dioclétien, ce prince ne pouvait s'associer de gaîté de cœur à une mesure qui réparait tout le passé en lui infligeant le plus solennel démenti. On la lui notifia cependant, avec une injonction sévère d'avoir à se conformer à la décision émanée de ses deux collègues qui constituaient par le fait de leur union la majorité du conseil im-périal. Maximin Daïa, dès la première nouvelle de la victoire de Constantin et de son alliance avec Licinius, s'était promis de jeter son épée dans la balance et de lutter à ciel ouvert contre ses deux collègues. Mais il voulait se ménager du temps pour préparer son expédition. Il crut donc faire acte d'habile politique en accédant aux vœux de ses deux collègues. Voici un exemplaire du décret qu'il rendit à cette occasion. Nous le traduisons d'après le texte inséré par Eusèbe dans son Histoire ecclésiastique. Après avoir entendu dans l'édit de Milan les sentiments d'un chrétien contenus par la prudence, dit excellemment M. de Broglie, on peut écouter dans l'édit de Maximin, le dépit d'un païen contraint par la nécessité 1. « Jupiter-Maximin-Auguste au préfet Sabinus. Vous savez et nul de nos sujets n’ignore que nos illustres seigneurs et pères Dioclétien et Maximien, en voyant la multitude abandonner le culte des dieux pour s'engager dans la secte chrétienne, s'inspirèrent de leur prudence et de leur sagesse pour obvier à un tel état de choses. Par un décret, il fut statué que quiconque aurait aban-
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1 A. de Broglie, L'Église et l'Empire romain, tom. I, pag. 244.
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donné le culte des dieux y serait ramené par la vindicte des lois et toute la rigueur des supplices. Quand pour la première fois, et sous d'heureux auspices, il me fut donné de mettre le pied sur la terre d'Orient, je ne tardai point à remarquer qu'un grand nombre de citoyens qui auraient pu servir utilement l'Etat, avaient été proscrits par les tribunaux en exécution des ordonnances citées plus haut. Je recommandai dès lors à chacun des juges, dans une instruction spéciale, de ne point procéder avec trop de sévérité contre ceux de mes sujets arrêtés pour fait de religion, mais d'essayer au contraire de les ramener par les voies de la persuasion et de la douceur au culte des dieux. Tant que cet ordre de notre Majesté fut observé par les juges, il n'y eut en Orient ni exil, ni supplices prononcés contre les chrétiens. On en vit même un certain nombre, touchés de la clémence dont ils étaient l'objet, revenir spontanément au culte des dieux. Cependant L’année dernière, quand je fis mon entrée solennelle à Nicomédie, les citoyens de cette capitale vinrent à ma rencontre, en portant les statues des dieux, et me supplièrent de bannir absolument la race des chrétiens de l'enceinte de leur ville. Or, je savais que les chrétiens y étaient nombreux. Je répondis en termes généraux que j'accueillais avec plaisir une telle requête, mais que je ne pouvais y faire droit, parce que l'unanimité des habitants était loin de l'appuyer. En conséquence j'exprimai la volonté que ceux des chrétiens qui persévéreraient dans leur superstition fussent libres de le faire, comme aussi ils auraient la faculté de l'abandonner pour revenir au culte des dieux. Je ne pus toutefois refuser aux citoyens de Nicomédie et à ceux des autres villes, qui me présentèrent une supplique analogue, la satisfaction de convenir que l'exil des chrétiens était légal; qu'il avait reçu la sanction de tous les empereurs précédents ; qu'il était conforme aux sentiments de piété que nous professons pour les dieux immortels, protecteurs souverains de la race humaine et de notre empire; enfin, que j'étais disposé moi-même à lui renouveler ma confirmation impériale. Aujourd hui donc, bien que je vous aie souvent écrit dans ce sens, et que mes instructions particulières ou publiques aient constamment tracé cette règle de con-
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duite, je crois devoir vous mander à nouveau de ne pas sévir avec rigueur contre ceux de nos sujets qui professent la religion chré-tienne, vous invitant au contraire à les gagner par la douceur et la clémence au culte des dieux. Veillez à ce que les fonctionnaires ne les molestent point par des vexations inutiles, et qu'ils ne soient plus l'objet de persécutions gratuites de la part du peuple. Si quelque chrétien revient de lui-même au culte des dieux, recevez-le à bras ouverts. Quant à ceux qui s'obstinent dans leur superstition, laissez-les en repos. Tel est l'ordre souverain que nous transmettons à votre prudence : Abstenez-vous de sévices et de violences; mais employez les exhortations, les caresses et toutes les voies de douceur en votre pouvoir afin de ramener peu à peu les dissidents à la religion nationale. Prenez les mesures nécessaires pour faire parvenir à la connaissance de tous nos sujets cet édit émané de notre majesté impériale 1. » Cet acte arraché par contrainte à la haine mal dissimulée de Maximin Daïa contre le christianisme fut bientôt suivie d'une déclaration d'hostilités. L'empereur de Nicomédie avait été invité par Constantin à l'entrevue de Milan. On le priait de venir rehausser par sa présence l'éclat des cérémonies du mariage entre Licinius et Constantia. Maximin n'était guère disposé à accepter. Il déclina donc cet honneur sous de frivoles prétextes et commença sérieusement ses préparatifs de guerre. Le paganisme, jusque-là oppresseur sans résistance, allait avec Maximin changer de rôle et devenir un agresseur armé. Pour mieux accentuer le caractère religieux de son entreprise, Maximin provoqua de la part des principales cités de l'Orient des adresses où la population demandait l'extermination du christianisme. Ce fut un mot d'ordre général qui permit au tyran d'éluder à son gré les réserves d'ailleurs fort ambiguës de son dernier édit. L'Arménie le vit accourir sur ses frontières pour y combattre la foi chrétienne. Nous avons dit plus haut que cette tentative tourna à la honte du persécuteur. Il essaya de réparer cet échec par ce qu'on appellerait aujourd'hui des moyens moraux, dont Eusèbe nous fait connaître exactement la perfidie. Voici le récit de cet historien.
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1. Euseb., Hist. eccles., lib. IX, cap. ix.
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16. Maximin, dit-il, ne cessait de déployer contre nons une infatigable activité. Les fidèles de Jésus-Christ étaient poursuivis tantôt comme voleurs, tantôt comme magiciens. On les traquait dans leurs retraites pour les amener aux tribunaux et instruire contre eux des procès infamants, où des témoins soldés venaient affirmer d'atroces calomnies qui entraînaient d'ordinaire pour les accusés une sentence de mort. Ce n'était point assez. Un jour on vit se dresser sur le forum d'Antioche une statue de Jupiter Philien1. Les fêtes solennelles pour la dédicace de cette statue furent accompagnées d'initiations à d'exécrables mystères. L'empereur y assistait. En sa présence et devant toute la foule, des oracles dictés à l'avance furent prononcés par la Pythie. Jupiter, disait-elle, n'a d'autres ennemis que ceux de Maximin-Auguste. Ce sont les chré-tiens. Le dieu ordonne de les bannir des cités et du territoire de l'empire. — On accueillit cette parole avec des transports d'enthou-siasme. Les gouverneurs des autres provinces, à l'imitation de ceux d'Antioche, firent exprimer les mêmes vœux dans des suppliques à l'empereur. Celui-ci les accueillait favorablement; il signait chaque jour des rescrits particuliers qui rallumaient dans chaque cité la fureur de la persécution. Les flamines, les pontifes, les prêtres des idoles, nommés par le tyran et choisis dans les rangs des fonctionnaires les plus élevés, ou des citoyens les plus considérables par la naissance et la richesse, redoublaient d'ardeur et de zèle pour le culte des faux dieux. Ce fut une rivalité d'adulation entre toutes les classes de l'empire. On savait qu'on obtiendrait tout du prince en flattant sa haine superstitieuse contre les chrétiens. Il n'était sorte de cruautés, d’intrigues nouvelles et d'odieux massacres qu'on ne se donnât la joie d'organiser contre nous avec la certitude que tant de crimes seraient largement payés par la reconnaissance impériale. Quelques imposteurs imaginèrent de rédiger de faux Actes de Pilate, où la vie et la mort de notre Sau-
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1. Dios philiou. L'épithète de Philius était celle que la ville d'Antioche avait adoptée pour l'invocation nationale de Jupiter. Le temple de ce dieu était consacré sous ce vocable, ainsi que nous l'apprend Julien l'Apostat dans son pamphlet du Misopogon.
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veur étaient sacrilégement dénaturés. Maximin fit adresser des exemplaires de ce pamphlet aux gouverneurs de provinces, avec ordre de l'afficher dans toutes les villes et les campagnes, de le faire lire par les maîtres dans toutes les écoles et de le faire apprendre par cœur à tous les enfants. La spéculation des faussaires les avait enrichis. Leur succès stimula d'autres ambitions. A Damas, un stratopédarque 1 arrêta sur le forum quelques filles de mauvaise vie et les menaça de les mettre à la torture si elles ne se déclaraient chrétiennes. Les malheureuses consentirent à attester tout ce qu'il voudrait. Conduites au tribunal, elles déposèrent sous la foi du serment qu'elles avaient en effet professé jadis la religion des chrétiens et assisté à leurs assemblées, où elles avaient vu se commettre les plus épouvantables forfaits. On leur fit détailler ces crimes imaginaires et les prétendues scènes d'infamie dont elles disaient avoir été témoins. Leur déposition juridiquement recueillie fut envoyée à Maximin, qui se hâta de lui donner la même publicité qu'aux Actes de Pilate. Dès lors chaque cité, chaque bourgade fut inondée de pamphlets contre les chrétiens. Chose qui ne s'était jamais faite précédemment, les décrets particuliers des villes et les édits impériaux rendus contre nous étaient gravés sur des tables d'airain et exposés dans tous les lieux publics. Les enfants des écoles passaient leurs journées à lire, écrire et réciter les faux Actes de Pilate ; rentrés dans leurs familles, ils les avaient sans cesse à la bouche. Je vais reproduire ici le texte du rescrit de Maximin adressé à la ville de Tyr. L'impiété et la sacrilège audace du tyran se révèlent tout entières dans ce manifeste, qui précéda de fort peu de temps la vengeance divine. Il importe d'apprendre à la postérité que la justice céleste ne sommeille pas et que son bras toujours armé ne tarde point à frapper les coupables. Voici cette pièce telle que je l'ai transcrite sur les tables d'airain de la ville de Tyr. C'était la réponse à une adresse des habitants envoyée à l'empereur contre les chrétiens. —Enfin vous avez donc rompu, disait Maximin, ce nuage d'impures
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1. Tribun militaire qui avait le commandement d'une légion.
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ténèbres que des hommes plus ignorants que coupables se sont efforcés de répandre de nos jours. Vous avez reconnu que la providence des dieux immortels dirige cet univers et étend sa protection sur les gens de bien. Il me serait impossible de vous exprimer la joie que j'ai ressentie, à la lecture de votre supplique où j'ai trouvé les sentiments d'une piété véritable et sincère. Les siècles passés n'en eurent pas d'autres, et vos aïeux se sont toujours distingués par leur vénération pour les dieux immortels. Ils reconnaissaient leur puissance, signalée par tant de prodiges. Aussi votre cité a-t-elle reçu le nom de Ville des dieux. Ce sont les dieux qui l'ont élevée à ce haut degré de splendeur. Aujourd'hui donc, vous leur payez votre dette de reconnaissance. Sans autre préoccupation que celle des intérêts divins, depuis l'instant où vous avez vu grandir une détestable superstition qui semble renaître de ses cendres, vous avez eu recours à notre majesté, comme au centre et au foyer de la religion véritable. Grâces vous soient rendues pour un tel zèle, manifestement inspiré par les dieux eux-mêmes dans leur propre cause! Oui, cette pensée vous fut suggérée par Jupiter très-haut et très-grand, le protecteur de votre cité, le défenseur de vos pénates, de vos épouses et de vos enfants, lui qui a écarté de vos murs la peste, la famine, tous les fléaux qui menacent en ce moment le monde. Il vous a fait comprendre ce qu'il y a de saint, de noble, de salutaire dans l'observance des cérémonies et des rites sacrés, dans le respect des dieux. Ne faut-il pas en effet une stupidité ou une démence sans nom, pour nier que nous tenons tout de la libéralité des dieux immortels? Ce sont eux qui donnent la fécondité à vos campagnes et comblent les vœux du laboureur; ce sont eux qui enchaînent le monstre de la guerre ; écartent les exhalaisons pestilentielles ; chassent les orages et les tempêtes; raffermissent le sol ébranlé et arrêtent les oscillations dévastatrices de la terre. Les désastres se sont produits plus fréquemment que jamais, en ces derniers temps, parce que les dieux voulurent ainsi manifester leur courroux contre la race abominable des chrétiens, plus dangereuse que la peste, plus meurtrière que tous les assassins. L'invasion des fléaux sur l'empire date de
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la naissance de cette secte d'athées qui s'est répandue en un clin d'œil sur le monde. Maintenant donc que vous conspuez cette exé-crable faction, la bénédiction des dieux vous rendra la prospérité, l'abondance et la paix. Voyez déjà les moissons jaunissantes couvrir de blonds épis vos fertiles campagnes. Les prairies imbibées de pluies fécondes s'émaillent partout de fleurs ; le ciel conspire avec la terre pour vous donner une température à souhait. Vos fils diront un jour, en recueillant le fruit de vos labeurs : C'est à la piété de nos pères que nous devons tant de bienfaits. Par leurs sacrifices ils ont apaisé la majesté terrible du dieu Mars; ils ont assuré la félicité et la paix dont nous jouissons. — Qu'ils se réjouissent surtout ceux qui, entraînés un instant dans l'erreur des chrétiens, consentiront à ouvrir les yeux et à sortir de leur abîme ! Ce sont des malades rendus soudain à la santé, des moribonds rappelés à la vie. Quant à ceux qui persisteraient dans leur exécrable superstition, bannissez-les de votre ville et de votre territoire. Vous m'en demandez la permission, je vous l'accorde de grand cœur. Il est temps de donner carrière à votre zèle et de purifier vos maisons de cette souillure, pour vous consacrer uniquement au service des dieux immortels. Aucune requête ne saurait nous être plus agréable, et, comme preuve de la satisfaction qu'elle nous a apportée, je vous autorise à formuler telle demande de privilèges ou de faveurs qu'il pourra vous convenir. Il me sera doux de la ratifier, en récompense de la piété dont vous nous donnez la preuve. Ce sera un témoignage irrécusable de ma bienveillance impériale envers vous. — Des lettres de ce genre adressées à toutes les villes d'Orient, ajoute Eusèbe, soulevèrent contre nous une explosion unanime de vengeance et de rage. La persécution fut si violente qu'on eût dit, suivant la parole de l'Évangile, que les élus eux-mêmes en seraient ébranlés. L'espérance semblait éteinte dans tous les cœurs ; on attendait vainement un coup du ciel qui pût nous délivrer. Et cependant les messagers impériaux porteurs de ce rescrit n'étaient point encore de retour à Nicomédie, lorsque le Dieu qui a promis d'assister toujours son Église, intervenait en notre faveur et brisait l'audace sacrilège du tyran. La prospérité
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que Maximin avait prédite aux provinces se changea en une série de calamités. Les pluies tombées au printemps, en plus grande quantité que de coutume, cessèrent tout à coup. La récolte manqua; la famine fit sentir ses horreurs, auxquelles vinrent bientôt se joindre celles de la peste. Un charbon noirâtre se fermait sur un point du corps ; un ulcère s'ouvrait ; et le virus pestilentiel s'infiltrait dans toutes les veines. Un cercle noir cernait les yeux, et quand ce symptôme se manifestait, si la mort n'en était pas la suite, les malheureuses victimes perdaient pour jamais la vue. La misère et la mort étaient partout. On vendit le médimne de froment au prix inouï de deux mille cinq cents drachmes attiques. Les cadavres encombraient les villes, et cependant la mortalité était plus effrayante encore dans les bourgs et les villages, qui furent littéralement dépeuplés. On s'arrachait une poignée de foin, quelques misérables herbes, pour les dévorer. On vit des patriciennes tendre la main au coin des rues pour obtenir une bribe de nourriture. Pâles comme des ombres, les affamés couraient de çà et de là ; ils s'affaissaient ensuite sur eux-mêmes, n'ayant plus la force de se soutenir, et, d'un regard éteint, sollicitaient un secours qui ne venait pas. Sous l'étreinte de la mort, ils rassemblaient un reste d'énergie et vociféraient ces mots : Je meurs de faim! C'était leur dernière parole et leur dernier soupir. Il fallut disputer aux chiens les cadavres des morts et le corps sans défense des moribonds. On tua tous les chiens ; on les mangea. Mais quand cette ressource fut épuisée, on se retrouva en face de la famine et de la peste. Ceux que la première n'avait point encore atteints moururent de la seconde. Telle était la réponse de Dieu aux insolentes provocations de Maximin. Cependant les chrétiens, objets de la persécution de tous, donnaient alors au monde le plus merveilleux spectacle de dévouement et de charité. Seuls, parmi ce déluge d'effroyables misères, ils se mirent au service de l'humanité mourante. Leurs journées se passaient à secourir les malades et à ensevelir les morts, dont le nombre incalculable se renouvelait sans cesse. A des heures fixes, ils réunissaient dans chaque quartier les personnes encore valides et leur distribuaient des aliments par rations. Tontes les
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calomnies précédemment accréditées contre eux se changèrent en un concert de louanges. Le Dieu qui les inspire, disait-on de toutes parts, est le seul que nous veuillons adorer. — On exaltait le courage, l'abnégation, le désintéressement des chrétiens, en proportion des outrages et des insultes qu'on leur avait prodigués 1. »