Darras tome 16 p, 565
7. « Un pareil trait de dévouement de la part du pontife ne désarma point l'empereur; sa colère augmentait chaque jour : les violences impies du prince n’avaient plus de bornes. Il sous peine de mort les habitants de Constantinople à apporter sur la grande place toutes les statues, tableaux et images du Sauveur, de sa bienheureuse mère, des saints et des saintes. Là, on les jetait dans les flammes d'un immense bûcher. Toutes les églises furent dépouillées des mosaïques, peintures, bas-reliefs qui les décoraient. Il y eut parmi le peuple des chrétiens qui osèrent résister : les uns eurent la tête tranchée, aux autres on coupait un bras ou une jambe. Germain, le vénérable pontife de Constantinople, ayant refusé d'obéir à l'édit impérial, fut chassé de son siège et remplacé par le prêtre Anastase, complice de Léon l'Isaurien. Cet intrus eut l'audace d'adresser une lettre synodique au pape, mais Grégoire lui refusa les titres accoutumés de frère et de collègue ; dans un rescrit commonitoire il lui manda que, s'il n'abjurait l'hérésie, il encourrait l'excommunication. Une lettre dans le même sens fut adressée à l'empereur. Ce fut le dernier acte du saint pape. Il légua une somme de deux mille cent soixante solidi à partager entre le clergé, les monastères, les diaconies et les mansio-narii. Un autre legs de mille solidi était affecté au luminaire (ad luminaria) du bienheureux Pierre apôtre. Grégoire fit cinq ordinations, quatre au mois de septembre, une au mois de juin. ll imposa les mains à trente-cinq prêtres, quatre diacres, et cent cinquante évêques destinés à diverses églises. Il fut enseveli à Saint-Pierre, le III des ides de février indiction XIVe (11 février 731 1). »
8. Nous n'avons voulu couper cette intéressante
notice par aucune parenthèse, afin de laisser le lecteur jouir pleinement d'un
récit où les détails les plus intimes, les impressions quotidiennes, les
angoisses du moment, les difficultés, les périls apparaissent avec une vérité émouvante. Le contre-coup des événements les plus lointains se
faisait dès lors sentir à Rome. Un césar en
démence s'avisa sur les rives du Bosphore d'inventer la stupide hérésie des
iconoclastes ; c'était le pape qui en souffrait le premier.
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1 Liber Pontificalis, Notit. xclj Pair, lat., tom. CXXVM, Col. 974-984.
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p566 PONTIFICAT DE SAINT GRÉGOIRE II (715-731).
La Gaule envahie par les flots débordés du mahométisme posait une première digue à ce torrent dévastateur; c'était le pape qui avait béni les armes victorieuses des Francs, et il en recevait leurs actions de grâces officielles. L'évangile et la civilisation pénétraient dans les forêts profondes de la Germanie ; c'était le pape qui dirigeait les vaillantes légions des missionnaires et sacrait les évêques de ces missions si longtemps ensanglantées. Grégoire recevait à Rome les prémices de la Germanie chrétienne : le duc des Bajoa-rii renonçant au culte farouche d'Odin et de Tcutatès venait incliner son front sur le tombeau du prince des apôtres. Rome fut donc très-réellement, au berceau de nos sociétés modernes, la grande éducatrice de l'Europe. De nos jours on affecte de l'oublier, ou plutôt des fils rebelles dont ce souvenir blesse l'orgueil prennent à tâche d'insulter leur mère en proportion des bienfaits qu'ils ont reçus d'elle. Mais leurs efforts parricides n'ont d'autre résultat que de ramener sur les sociétés européennes la barbarie dont l'église de Rome les tira une première fois, en les levant des fonts du baptême. La barbarie civilisée plus horrible et plus atroce que celle du sauvage frappe aujourd'hui à la porte : elle ébranle jusqu'aux fondements le vieux monde qui a renié son baptême. Contre cette invasion dont les siècles passés n'eurent jamais le spectacle, Rome seule a des armes efficaces. C'est sans doute pour cela que, dans un aveuglement qui n'est pas le signe le moins caractéristique de nos décadences, toutes les puissances de ce monde conspirent pour renverser le seul pouvoir capable de sauver le monde. Luitprand le roi lombard, Eutychius l'exarque, Marinus le spathaire formaient au VIIIe siècle de pareilles conjurations. Menacé par tant de poignards, le vicaire de Jésus-Christ «demeurait ferme dans l'espérance, il étonnait les hommes par son grand cœur, spè ita manebat sempe fultus plus quam hominum. » La prière, le jeûne, l'aumône étaient ses armes. Il y joignait la parole, parole d'apôtre, de pasteur et de père, avec laquelle il attendrissait les âmes, sanctifiait les peuples, déjouait tous les complots, rompait toutes les ligues. On lui prenait les cités jadis données au saint-siége par Constantin le Grand : mais bientôt les spoliateurs étaient contraints
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p567 CHAP. IX. — NOTICE DU LIBER PONTIFICALIS.
de s'agenouiller devant la majesté de leur victime. Il se présentait seul dans les camps ennemis. La majesté de saint Pierre désarmait la fierté du roi des Lombards; elle triomphait de la perfidie des exarques byzantins. Ces luttes de l'Église dans le passé se sont renouvelées vingt fois ; elles se reproduisent encore. Toujours les portes de l'enfer se sont insurgées contre le Seigneur et contre son Christ, mais elles ne prévaudront jamais. Léon l'Isaurien ne recueillit de sa persécution que la honte immédiate d'un échec, et peu après la perte définitive de ses dernières provinces en Italie. Aux menaces de mort dirigées contre sa personne, Grégoire II opposait une longanimité que la politique humaine taxerait sans doute de faiblesse. « Il recommandait instamment la fidélité à l'empire : ne désisterent ab amore vel fide Romani imperii admonebat. » Il en donnait lui-même l'exemple et réprimait les tentatives des usurpateurs. Même à ce prix, il ne réussit point à désarmer la haine de César. De ces deux politiques, celle de Rome et celle de Byzance, celle du pape Grégoire et celle de Léon III, si opposées dans leur but, si différentes dans le choix des moyens, si disproportionnées comme force apparente, laquelle en dernière analyse obtint le triomphe ? Nous le savons aujourd'hui. La persécution de Léon l'Isaurien contre saint Grégoire II fut le point de départ de la constitution du pouvoir temporel des papes. Le jour où s'adressant à tous les catholiques de l'univers, renouvelant dans la Rome chrétienne la formule de la vieille Rome, caveant consules, le pontife jetait le cri d'alarme de la foi menacée et mandait que « partout les chrétiens eussent à se garder contre la doctrine impie de César, scribens ubique cavere se christianos eo quod orta fuisset impietas talis, » ce jour là sur tous les points du monde des milliers de fidèles érigèrent dans leur cœur le trône souverain que Charlemagne offrira bientôt aux vicaires de Jésus-Christ. Le pontificat de saint Grégoire II, sous ce rapport, est un des plus intéressants de l'histoire ecclésiastique. La notice qu'on vient de lire en offre un excellent résumé, dont nous essaierons de mettre chaque trait en pleine lumière par un récit plus détaillé des événements.