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46. C'est la première fois que la révélation d'Eutychius trouve place dans une histoire de l'Église. Tant est souvent laborieuse et tardive la reconstruction posthume de la vérité! La voie est maintenant ouverte, et nous ne doutons pas que d'autres témoignages du même genre se rencontrent plus tard sous la plume des érudits de l'avenir. Dès à présent nous avons le droit de déclarer acéphales les sessions du VIe concile œcuménique où la mémoire d'Honorius fut jugée et condamnée. Cette conclusion, qui ressortait déjà pour nous de l'examen des actes officiels, est historiquement autorisée par le texte des Annales d'Eutychius. Le point capital savoir, que le VIe concile œcuménique n'était pas
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1 Eutychius, Annales; Pair, grœc, tom. CXI, col. 1114.
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présidé par les légats du saint-siége dans les sessions où fut jugé Honorius, pouvait d'ailleurs depuis longtemps s'établir par les témoignages concordants de divers auteurs grecs déjà connus. La Chro-nographie de Théophane, ouvrage d'une authenticité et d'une exactitude incontestables, s'exprime ainsi : « Le concile fut présidé par le très-pieux empereur et par les pieux patriarches 1. » Pas un mot des légats. Le Libellus synodicus ou « Manuel des conciles » de Photius est plus explicite. Voici ses paroles : « La présidence sur tous les autres fut accordée à Georges de Constantinople, en sa qualité de patriarche de la ville impériale. Les deux prêtres et le diacre envoyés par le très-saint pape Agathon eurent rang parmi les premiers d'entre les pères 2. » Saint Germain de Constantinople dit de même : « Le VIe concile œcuménique fut présidé par Georges. » Le Syntagma canonum de Blastarès dit : « Furent déclarés présidents de ce concile, Georges patriarche de Constantinople, les légats du pape Agathon, et les représentants des patriarcats d'Alexandrie et de Jérusalem 3.» Nous pourrions multiplier à l'infini les citations de ce genre. Elles établissent nettement la prétention unanime des grecs à revendiquer pour le patriarche Georges de Constantinople l'honneur d'avoir présidé en première ligne le VIe concile œcuménique, d'avoir tenu dans un rang inférieur les légats du saint-siége, ces mêmes légats dont Eutychius nous apprend l'exclusion positive. S'il restait encore quelque doute sur les véritables dispositions de ces grecs s'ingéniant à créer des précédents schismatiques au sein même d'une assemblée dont le but était la réunion des deux églises, un texte de Nilus Doxapatris, archiviste du patriarcat de Constantinople en 1143, achèverait de porter sur ce point la lumière. Voici les paroles de Doxapatris dans sa Notitia patriarcalium tronorum : «Tant que Rome fut le centre du pouvoir civil, elle eut également la prééminence spiri-
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1 Theophan., Chronograph. ; Patr. grœc, tom. CV11I, col. 731.
2. Photius, Libell. synodic. seu Epist. ad Michaelem Bulgar. princip. ; Patr. grœc, tom. Cil, col. 647.
3 Matt. Blastar., Syntagm. alphabetic canon., Prœfat., cap. xvi; Patr. grœc, tom. CXXXIX, col. 987.
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tuelle. Mais quand elle cessa d'être la maîtresse du monde, quand elle fut asservie aux barbares, aux goths et à toutes les autres races étrangères, elle perdit avec l'empire ses privilèges et sa primatie. Constantinople hérita de ses prérogatives, parce que Constantinople était restée la capitale de l'empire. Le premier trône, celui de Rome, ayant cessé de commander, disons mieux ayant été arraché et séparé des autres, celui de Constantinople a succédé à tous ses pouvoirs. C'est ce que le VIe concile saint et œcuménique voulut établir par son XXXVIe canon : « Nous décrétons que le trône de Constantinople jouit de privilèges égaux à celui de l'antique Rome 1. » Ce fameux trente-sixième canon fut édicté en effet par le conciliabule in Trullo connu sous le nom de quinisexte, il se tint quelque temps après et se donna comme la prolongation légitime du VIe concile œcuménique. On voit maintenant clair dans cette série d'intrigues. On comprend l'importance qu'attachaient les byzantins à la condamnation posthume d'un pape de l'antique Rome.
47. Mais en dernière analyse l'œuvre de ténèbres devait se retourner contre ses auteurs. A l'époque du concile de Florence, les grecs invoquaient encore comme un argument invincible contre la suprématie doctrinale des papes, la prétendue condamnation d'Honorius. Nilus Cabasilas, métropolitain de Thessalonique, dans une dissertation intitulée : De causis dissensionum et de paace primatu, revenait à chaque page sur l'incident d'Honorius. Il disait d'avance tout ce que nous avons entendu répéter sur cette thèse à l'époque du concile du Vatican. Même fougue de langage, mêmes menaces, mêmes injures. Or, voici ce que l'évêque d'Iconium, Cariophylle, répondait à Cabasilas : «Vous dites qu'Honorius a été condamné par un concile œcuménique. Non, vous répondrai-je. Le concile n'était pas œcuménique en ce moment, il était acéphale. En voulez-vous la preuve? Lisez les instructions du pape saint Agathon à ses légats. Agathon savait, et tout l'univers en était
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1 Nilus Doxapatrius, Notit. patriarcal, tronor. ; Patr. grœc, tom. CXXXIII, col. 1100 et suiv.
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assez instruit par les œuvres de saint Maxime, que les patriarches de Constantinople s'obstinaient à compter Honorius au nombre des monothélites. Il lui était donc facile de prévoir les efforts que feraient les orientaux pour comprendre Honorius dans la condamnation des hérétiques. Voilà pourquoi saint Agathon, trois fois de suite, dans sa lettre à Constantin, restreint le pouvoir des légats aux termes précis de la décision du synode romain, ut simpliciter satisfa-ciant in quantum eis duntaxat injunctum est, ut nihil profecto praesumant addere, minuere aut mutare. Il ajoute qu'on ne réussira jamais à prouver que contrairement aux promesses de Jésus-Christ, le successeur de saint Pierre se soit jamais écarté de la tradition apostolique, ni qu'il ait sanctionné les innovations de l'hérésie; a tramite apostolicœ traditionis nunquam errasse probabitur, nec hœreticis novitatibus depravata succubuit. Enfin, il y revient encore en affirmant que ses prédécesseurs n'ont jamais manqué à leur devoir de mettre en garde les pontifes de Constantinople contre l'hérésie, en les exhortant à s'abstenir au moins par leur silence de toute participation avec l'erreur, ut a pravi dogmatis hœretici errore saltem tacendo abstinerent. Ainsi Agathon limitait le pouvoir de ses légats à la définition de foi exclusivement; il leur enjoignait de proclamer qu'aucun pontife romain n'a jamais erré dans la foi ; il circonscrivait le rôle historique d'Honorius dans la sphère déterminée où ce pape avait agi, savoir les efforts tentés par lui pour obtenir des patriarches byzantins le minimum possible, le silence sur la question controversée. Et maintenant de deux choses l'une : Les orientaux eurent ou n'eurent pas pour complices dans la condamnation d'Honorius les légats d'Agathon. Si les légats étaient absents, il est clair que la séance fut acéphale. Si les légats y assistèrent et donnèrent leur consentement, il est clair qu'ils dépassèrent illicitement leur mandat et usèrent d'un pouvoir que ne leur avait pas donné le pontife romain. Et comment ce pontife aurait-il pu les autoriser à anathématiser Honorius, quand il avait expressément déclaré par écrit que nul pape de Rome n'avait erré dans la foi? Or, Agathon qui tenait ce langage était le dixième pape après Honorius. Donc, dans l'un ou l'autre cas, la séance où fut condamné
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Honorius était acéphale. Donc il est pleinement avéré qu'Honorius ne fut point condamné par un concile œcuménique, mais par une faction d'orientaux1. » Ainsi parle un grec, Matthieu Cariophylle, s'adressant à d'autres grecs et réfutant victorieusement les assertions de Nilus Cabasilas. Il y a plus, dans ce même concile de Florence, où la question d'Honorius fut aussi énergiquement controversée qu'elle put l'être de nos jours à celui du Vatican, elle paraissait si peu sérieuse aux chefs avoués du schisme, que Marc d'Ephèse, l'un d'entre eux et le seul qui s'obstina plus tard dans l'erreur, disait : « En dehors du Filioque dont je n'admettrai jamais l'orthodoxie, toutes les questions qui nous divisent peuvent être résolues en une heure 1. » Le père Gratry ne savait pas cela, lorsque, compromettant à la fois son caractère sacerdotal, sa réputation d'érudit et son titre d'académicien, il répétait sur tous les tons qu'Honorius avait été condamné par un concile œcuménique pour avoir professé l'hérésie ex cathedra. Msr Héfelé n'en savait pas davantage lorsqu'il rédigeait en latin l'affirmation de l'académicien français. Mais ce qu'ils ignoraient l'un et l'autre, l'Église catholique dépositaire de la tradition, gardienne incorruptible de la vérité, en avait implicitement conservé le souvenir. Plaise à Dieu qu'éclairés enfin par l'expérience, par les leçons de l'histoire et par la double définition de Florence et du Vatican, les fidèles n'hésitent plus entre l'école des erreurs byzantines, de quelque nom qu'on veuille l'appeler, et le magisterium ex cathedra du successeur de saint Pierre dont la foi est infaillible!
48. Et maintenant nous pouvons retourner dans la salle du dôme, au palais de Byzance, pour assister à la fameuse session acéphale où la mémoire du pape Honorius fut anathématisée par les évêques d'Orient. Les clameurs vociférées contre l'hérétique Honorius pape de l'antique Rome, loin d'être pour nous un objet de scandale,
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1 Matth. Cariophyll., Refutatio Nili Cabasil. Thessalonic. ; Patr. grœc, tom. CXLIX, col. 764-765.
2. Unum duntaxat sedulo investigandum, dixit Ephesinus, nempe de processione Spiritus Sancti; caetera vero omnia unius horce spatio expediri possunt. (Joseph. Methonens., Synaxarium concil. Florent. ; Patr. grœc, tom. CL1X, col. 1103, B.)
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nous seront un enseignement salutaire. Elles nous apprendront ce que deviennent un épiscopat nombreux, une église florissante lorsque, séparés de la pierre de l'unité, ils se révoltent contre l'autorité infaillible du vicaire de Jésus-Christ. La XIIIe actio eut lieu le 28 mars 681. Le protocole est toujours le même : « Au nom du Seigneur et dominateur Jésus-Christ, sous le règne des sérénissimes Flaviens les très-pieux Constantin auguste et perpétuel empereur, et ses frères que Dieu conserve, Héraclius et Tibère. » Chronologiquement cette mention des deux frères Tibère et Héraclius, laquelle figure comme un cliché en tête des actes j'usqu'à la XVIIIe et dernière session (16 septembre 681), est fausse. Héraclius et Tibère venaient d'avoir le nez coupé, au milieu du cirque, par ordre de leur auguste frère Pogonat. Après quoi, ils avaient été envoyés en exil. A partir de cette barbare exécution, les décrets impériaux ne portèrent plus d'autres noms que ceux de Constantin Pogonat et de son héritier présomptif Justinien. Les actes du VIe concile font seuls exception à la nouvelle formule cancellaresque, nécessitée par un événement si tragique. Peut-être les archivistes et notarii du patriarcat byzantin se disaient-ils qu'un prince, même avec le nez coupé, pouvait monter quelque jour sur le trône. Ils raisonnaient juste. On ne saurait les blâmer d'avoir pris leurs précautions en conséquence, et de s'être mis en règle avec toutes les sortes d'éventualités. Passons donc sur ce détail et continuons la lecture du protocole. « En présence du très-vénérable trône (7ipcm8£[jivou mû ceSacapuMTâTO'j sésaou, proposito vcnerando admodum sessu) de notre empereur Constantin très-pieux et très-aimé du Christ, par ordre de sa divine sérénité et sagesse, prirent place, les représentants de sa personne les très-glorieux patrices et consuls (upatoi) Constantin, Anastase, Polyeucte et Pierre. En même temps, prit séance le saint et œcuménique concile, réuni par décret impérial dans cette royale cité de Constantinople que Dieu conserve ; savoir les vénérables prêtres Théodore, Georges et le vénérable diacre Jean tenant la place du très-saint et très-bienheureux Agathon pape de l'antique Rome, le très-saint et très-bienheureux Georges archevêque de la Rome nouvelle, Constantinople au
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nom magnifique («tEY:Owvôu.o-j)1. » Suivent tous les noms d'évêques, de prêtres et d'abbés dans le même ordre qu'aux sessions précédentes, les députés du synode romain, le prêtre délégué de l'église de Ravenne, les quatre abbés des monastères de Rome et de Sicile. Enfin la mise en scène est exactement celle que nous avons vu se reproduire aux précédentes séances. Les pères sont identiquement ceux qui, le 20 mars, huit jours auparavant, avaient déclarée «blasphématoire, contraire à la vérité » l'accusation d'hérésie contre Honorius. Le fait est vraiment curieux; si les actes ne l'attestaient, nous en douterions nous-mêmes. Mais enfin, c'est un fait; chacun peut le constater, et la contradiction d'Honorius absous et anathématisé à huit jours d'intervalle par les mêmes pères, dans la même salle du dôme au palais byzantin, sous la présidence fictive du même fauteuil impérial, sous la direction réelle des quatre mêmes sénateurs, restera désormais acquise à l'histoire. Les partisans et les adversaires d'Honorius auront, suivant leur appréciation personnelle, le choix entre la session du 20 et celle du 28 mars 681. Quant à la présence des légats du saint-siége, malgré l'insertion stéréotypée de leur nom à la liste du procès-verbal, nous savons à quoi nous en tenir par le témoignage d'Eutychius : Rejectis tribus diaconis qui ab Agabio palriarcha romano missi fue-rant. Les légats apostoliques ne diront en effet pas un seul mot.
49. La séance s'ouvrit selon l'habitude par quelques paroles du diacre et primicier des notaires Constantin, lequel s’exprima en ces termes : « Le saint et œcuménique concile se souvient qu'il a promis aux très-glorieux juges de prononcer aujourd'hui la sentence sur les défunts patriarches Sergius, Honorius et Sophronius. De plus, après que la sainte assemblée eut confirmé la décision prise contre Macaire, les révérendissimes évêques et religieux clercs, dépendant du patriarcat d'Antioche, ont exprimé le vœu que le très-pieux et sérénissime empereur notre maître pourvût à la nomination d'un titulaire au siège vacant. » L'astucieux primicier des notaires supprimait absolument de son résumé la seconde
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1 Labbe, tout. VI, col. 940.
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partie de la requête, celle qui demandait l'exil de Macaire. En revanche, il accentuait fort convenablement la nécessité de juger le pape Honorius. Georges de Constantinople, l'illustre archevêque, dut être content de l'habileté de son diacre. Adoucir la situation d'un hérétique vivant et flétrir la mémoire d'un pape mort, c'était un coup de maître en diplomatie. « Les très-glorieux juges, » sans doute par ostentation d'impartialité, « demandèrent conjointement avec le saint concile, la lecture préalable du procès-verbal de la séance précédente. » Cette formalité eut lieu. Après quoi, les très-glorieux juges seuls, en leur nom et avec l'autorité que leur donnait leur présidence déléguée officiellement par l'empereur, dirent : « Le saint et œcuménique concile doit maintenant tenir la promesse qu'il a précédemment faite, prosequatur sanctum et universelle vestrum concilium quœ in antelatis ab eo promissa sunt1. » Laconique injonction, dont la brièveté même est significative ! On dirait que ces quatre laïques ont peur de nommer Honorius, et d'exiger d'une assemblée d'évêques le jugement et la condamnation d'un pape. Ils ont le ton impératif, prosequatur vestrum concilium, parce qu'ils parlent comme représentants de César; mais ils ont un reste de pudeur, parce qu'ils sont chrétiens. Au lieu d'articuler nettement le nom du pape qu'ils veulent faire condamner, ils se bornent à rappeler au concile acéphale sa promesse. Cela ne manque pas d'analogie avec le dialogue des juifs du temple de Jérusalem et le traître Judas. Les ménagements d'ailleurs étaient superflus; le concile comprit à demi-mot, et s'empressa de répondre.
30. Il le fit en ces termes : « Selon la promesse faite par nous à votre gloire, nous avons examiné les épîtres dogmatiques adressées à Cyrus de Phase et à Honorius, jadis pape de l'antique Rome, par Sergius, jadis patriarche de cette capitale bénie de Dieu. Nous avons examiné de même la réponse d'Honorius. Ces trois écrits entièrement opposés aux traditions apostoliques, aux définitions des saints conciles, aux témoignages de tous les pères approuvés par l'Église, renferment les fausses doctrines des hérétiques. En
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1 Labbe, tom. VI, col. 943.
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conséquence nous les répudions absolument, et nous les exécrons comme le poison des âmes. Détestant ces dogmes impies, nous avons jugé nécessaire de proscrire nominativement la mémoire de Sergius, le premier apologiste des impiétés monothélites de Gyrus d'Alexandrie, de Pyrrhus, de Pierre et de Paul, ces trois derniers jadis patriarches de cette royale cité, lesquels ont partagé la même erreur : enfin nous proscrivons la mémoire de Théodore jadis évêque de Pharan. Mention expresse de chacun de ces personnages a été faite par le très-saint et trois fois bienheureux Agathon, pape de l'antique Rome dans sa lettre à notre grand empereur. Il déclare hérétiques ces mêmes hommes que nous soumettons à l'anathème. Nous croyons devoir en même temps proscrire de la sainte Église catholique de Dieu et anathématiser Honorius jadis pape de l'antique Rome, parce que, dans sa réponse à Sergius, il a suivi en tout les opinions de celui-ci et qu'il a autorisé ses dogmes impies. Quant à la synodique de Sophronius, l'ayant trouvée orthodoxe, nous la rangeons parmi les monuments de la sainte, catholique et apostolique Église, voulant que le nom vénérable de Sophronius soit réintégré aux sacrés diptyques 1. » Tel est le texte exact de la condamnation d'Honorius. Point de discussion préalable, aucune controverse sur la question historique, sur le sens vrai de la lettre d'Honorius, sur les explications qu'en avaient données le pape Jean II, le secrétaire Jean Sympon, le fameux martyr de l'orthodoxie saint Maxime. Est-ce possible? Les légats du siège apostolique, s'il fallait en croire la liste du procès-verbal, eussent assisté muets à une pareille violation de toutes les règles canoniques, de toutes les lois du sens commun. En dehors des légats, dans cette assemblée de quatre-vingts évêques, pas un ne rappelle des faits connus de tous, les écrits de Maxime si répandus en Orient, l'apologie d'Honorius adressée par le successeur de ce pape à l'empereur Constantin III. Mais nous savons déjà que les légats du saint-siége avaient été écartés. Quant aux quatre-vingts évêques, leur silence ne fut pas si absolu qu'on le suppose. Voici en effet ce qu'on lit en grec à la marge du jugement synodal :
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1 Labbe, tom. VI, col. 944-945.
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« Le divin Maxime martyr de la foi, contemporain d'Honorius, et l'adversaire courageux du monothélisme, dans sa «Conférence avec Pyrrhus », démontre victorieusement l'innocence d'Honorius, Cmpa-îtoXoysïTai toO OvopCou: il atteste que la lettre de ce pape est orthodoxe. Voici le texte exact : « Pyrrhus. Passe pour Vigilius. Mais que direz-vous d'Honorius lequel, dans sa lettre à mon prédécesseur, a positivement professé le dogme d'une seule volonté en Jésus-Christ? — Maxime. A votre avis, quel est l'interprète le plus autorisé, qui soit en état de donner le véritable sens de la lettre d'Honorius ? Celui qui l'a rédigée au nom de ce pape, le secrétaire qui vit encore et dont la vertu, le talent et la foi sont en honneur dans tout l'Occident? ou bien les byzantins qui parlent à leur guise ? — Pyrrhus. Évidemment celui qui a composé la lettre est le plus autorisé à en expliquer le véritable sens. — Maxime. Eh bien, l'auteur de cette lettre, celui qui l'a composée, est le même qui, en qualité de secrétaire du pape Jean IV, dans une lettre adressée par ce dernier à l'empereur Constantin, disait: «Quand nous avons parlé d'une seule volonté en Jésus-Christ, il ne s'agissait nullement de la volonté du Sauveur en tant que Dieu et en tant qu'homme, mais exclusivement de sa volonté humaine. Sergius en effet avait mandé qu'un certain nombre de personnes prétendaient établir l'existence en Jésus-Christ du dualisme contradictoire de la volonté humaine. Nous avons répondu que ce dualisme n'existait pas dans le Sauveur, qu'il n'y avait point en lui la lutte de la chair contre l'esprit, mais une seule volonté telle que l'humanité avant la chute la possédait essentiellement. Cela est tellement le sens vrai de notre lettre que nous y employons explicitement les termes consacrés de chair et d'esprit en opposition l'un avec l'autre. Or ces termes ne sauraient en aucune façon s'appliquer à la divinité. » — Telle est cette note marginale : elle figure parallèlement à la sentence de condamnation dans les actes officiels. Qui l'a écrite? Nous ne le savons. Mais elle existe, et chacun de nos lecteurs peut le constater, à la colonne 946 du VIe volume de la collection du P. Labbe. L'antidote se trouve ainsi à côté du poison. Les arguments qui se fussent produits dans le débat, si le débat n'avait point été étranglé de parti
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pris, se retrouvent après tant de siècles comme une protestation d'autant plus éloquente qu'elle fut plus tyranniquement étouffée. La citation empruntée à saint Maxime, enregistrée par une main inconnue à la marge du procès-verbal officiel, est parfaitement authentique. On peut la lire encore aujourd'hui exactement conforme, complètement identique, dans le tome XCI de la Patrologie grecque, col. 328. Comment se fait-il qu'aucun des pamphlétaires qui en ces derniers temps proclamaient la condamnation d'Honorius par un acte prétendu œcuménique du VIe concile , n'ait dit un seul mot de l'incident? Nous n'avons point à donner le motif de leur silence, le lecteur se chargera de le deviner.