Islam 16

Darras tome 20 p. 414


PONTIFICAT DE SERGIUS IV

(août 1009-juillet 1012.)

 

§ I. Les pèlerinages à Jérusalem»

 

   25. Les catalogues pontificaux se bornent à une simple mention de Sergius IV sans presque aucun détail biographique. Celui de Watterich 3 dit simplement : « Sergius, surnommé Os porci, était

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1 Guido Aretin. De Tgnolo Cantu. Patr. tat,, tom. CXLI, col. 423.

2. « La gamme inventée par Guy d'Arezzo n'avait d'abord que les six pre­mières notes ; on y ajouta plus tard une septième, qui complète les principales intonations de l'échelle musicale. De nos jours, on a découvert un rapport surprenant et mystérieux entre les sept intonations musicales du son, les sept couleurs principales de la lumière, les sept figures principales de la Géomé­trie. Par exemple, une barre de fer chauffée graduellement présente gra­duellement les sept couleurs principales dans lesquelles se divise le rayon lumineux; si, dans cette incandescence graduelle, on frappe la barre de fer, elle rend graduellement les sept notes de la gamme musicale, si on place à côté, sur une feuille de fer-blanc, ou sur le couvercle d'un piano, une poudre fine et légère, les vibrations graduelles des sept notes principales formeront graduellement, avec la poussière, les sept figures principales de la géométrie: le cercle, l'ellipse, le cône, etc. Ce mystère de la nature parait s'étendre fort loin. » @@@(Rohrbacher, Histoire universelle de l'Eglise catholique, tom. XII, p. 440). » Watterich, tom. I, p. 69.

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romain d'origine; il siégea trois ans et quinze jours.» Le catalogue de Zwellen un peu moins laconique s'exprime en ces termes : « Sergius IV portait avant sa promotion le nom de Pierre. On l'avait surnommé Os porci, du nom de sa mère Stéphanie Bucca porci. Il était évêque d'Albano au moment de son élection. Il fit décorer la tombe de Sylvestre II (Gerbert), et composa l'épitaphe qui y est gravée 1. » Le Codex Regius ajoute ces paroles significa­tives : « Ce fut un pontife de vie sainte et d'excellente doctrine 3, » éloge que justifie amplement l'inscription suivante, placée sur le tombeau de ce pape près de celui de Gerbert sous le portique de Saint-Jean de Latran : « Qui que vous soyez, lecteur qui franchissez le seuil de cette basilique, avant de parcourir du regard les mer­veilles que l'art y a accumulées, suspendez un instant votre course, et lisez ce titre sépulcral. Ici reposent dans la tombe les restes d'un pasteur vénéré, que le Tout-Puissant, en des jours heureux, donna à son Église dont il fut la gloire. Il fut le pain du pauvre, le vête­ment des nus, le docteur du peuple. Il changea son nom de Pierre pour prendre celui de Sergius, à l'époque où il fut appelé à prendre avec le titre de souverain pontife le gouvernail du vaisseau céleste de l'Église. Durant cinq années il avait fait bénir son épiscopat dans la cité d'Albano, quand il fut élevé au pontificat suprême. Accordez à sa mémoire une pieuse prière et dites : Jésus rédempteur, ayez pitié de lui, donnez à son âme le repos de vos tabernacles éternels 1. »

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1. Catalog. Zwetlens. Pair. Lat., tom. CCXIII, col. 1030.
2. Coiex Regius,   fol.  195 verso. Cf.   Novaës, Sergius IV pap^i 150,   tom. ][,
p. 213.
• Quisqui3 ad hoc tendis sublimia limina lector,

Et caperis tanta nobilitate domus : Intentis oculi9 aula percurrere rara Desine materia3, arte juvante manus. Lumina cum gressu pendente arguta coercens, Respice soll cilus, quid velit hic titulus. Hic tumulata jacent pastoris membra serenl, Quem decus Ecclesiae contulit omnipotens, Pauperibus panis, nudorum vestis opima, Doctor et egregius qui fuit m populo.

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26. L'avènement de Sergius IV coïncida avec un désastre dont le retentissement se prolongea au sein de la chrétienté tout entière. Les Musulmans abattirent à Jérusalem l'église du Saint-Sépulcre,

qui avait déjà été brûlée par Chosroès au septième siècle. Il passa pour constant que ce forfait eut pour premiers auteurs les juifs de France, lesquels écrivirent au calife Hakem que s'il ne ruinait pas promptement ce terme de pèlerinage, si fréquenté par les chré­tiens, bientôt ceux-ci le dépouilleraient de ses États. Le porteur de la lettre fut arrêté à Orléans, où un pèlerin qui avait voyagé avec lui en Palestine le reconnut. Il confessa son crime et fut con­damné à être brûlé vif. Les juifs qui étaient fort nombreux et très riches à Orléans en furent chassés. La nouvelle de leur trahison se répandit dans tout le royaume et par tout l'univers : ce qui fit prendre aux princes chrétiens la résolution unanime de les bannir entièrement de leurs États. La haine publique éclata en même temps dans toutes les provinces. On les chassa des villes, on les poursuivit dans les campagnes comme des animaux malfaisants ; plusieurs furent noyés, un grand nombre périt par le fer et par d'autres genres de tourments ; quelques-uns se tuèrent de déses­poir ; d'autres se firent baptiser pour échapper à la mort. Les haines nationales exaltées par ces vengeances se portèrent souvent à des excès, qu'avec nos mœurs actuelles nous ne pouvons que condamner. Elles persistèrent pendant toute la durée du moyen âge. On a encore trouvé là une occasion d'incriminer l'Église comme si elle eût excité l'indignation populaire contre les juifs, et que tout le sang versé dans ces circonstances déplorables dut lui

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In quo mulato permansit noraine prsesul,

Sergiusex Petro, sic vocitatus erat, Jui? sacerdoti laetas dum vidit arisîa3,

Cœtibus œquavit naviger angelicis. Albanum regimen lustro venerabilis uuo

Bexit, post summum ducitur ad solium. Ductus mente pia : Jesu, die, parce redemptorl

Utque vicem capias, die .• Deus hune habeas.

(Watterich., tom. I, p. 89).

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être imputé. L'histoire, qui n'est que le témoin de la vérité, ne peut s'associer à ces reproches calomnieux. Elle constate seulement le courant des idées générales qui poussait la chrétienté tout en­tière à des violences contre les Juifs, race déicide et marquée comme d'un sceau réprobateur. La scission profonde qui existait entre les habitudes des peuples chrétiens et celles de cette nation odieuse, la réputation bien établie qu'avaient les Juifs de s'enrichir par des moyens usuraires, de traiter tous les royaumes de l'univers comme leurs pères avaient traité les Égyptiens, et de les dépouiller de leurs richesses, entretinrent ces préjugés qui éclatèrent parfois d'une manière terrible. Mais ce sont là des faits qui se rattachent au caractère général d'une époque : on ne saurait les attibuer à l'Église en particulier, pas plus qu'à nulle autre institution alors existante. Chaque siècle, chaque phase de la civilisation, a son lot de bonnes et de mauvaises actions qui lui est propre. L'Église faisait infiltrer goutte à goutte, au cœur des sociétés naissantes, des principes de douceur et de bienveillance universelles. Mais elle eut longtemps à combattre, pour atteindre au but de cette noble mission. Et si notre siècle qui est encore loin de la perfection, même en ce genre, croit devoir se glorifier d'avoir fait quelques progrès sur ses pères, c'est aux efforts incessants de l'Église qu'il en est redevable.

 

27. « Cependant, dit Raoul Glaber, à qui nous avons emprunté les détails précédents, la mère du calife Hakem était une chré­tienne fervente ; elle se montrait digne de porter le nom de Marie qu'elle avait reçu au baptême. La providence de Dieu, en l'élevant sur les marches d'un trône, la réservait pour une restauration glo­rieuse. Marie comprit sa mission, elle supplia tellement le calife son fils, qu'elle en obtint l'ordre de rebâtir l'église du Saint-Sépul­cre. On se mit sur-le-champ à l'œuvre. Cette nouvelle bientôt ré­pandue en Occident y souleva des transports d'allégresse. De tou­tes parts des multitudes incroyables de pèlerins, incredibilis hominum multitudo, se mirent en route pour Jérusalem, emportant des offrandes pour aider à la reconstruction de la maison de Dieu 1. »

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1 Rodulf. Glaber. Risloriar., lib. III, cap. vu. Pair, Lai., tom, GXIJI, col. 659.

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L'impulsion une fois donnée, « ce fut, dit le même chroniqueur, un mouvement général, tel qu'on ne l'aurait pas cru possible. Les masses populaires avaient pris l'initiative;  les personnes d'une condition plus élevée suivirent ; puis les rois eux-mêmes, les comtes, les évêques, s'ébranlèrent à leur tour; enfin, ce qui ne s'était jamais vu, les femmes elles-mêmes, celles de la plus haute noblesse aussi bien que les plus pauvres, entreprirent ce long et pénible voyage. La foi des pèlerins était si vive que plusieurs d'en­tre eux demandaient au Seigneur la grâce de mourir près du Saint-Sépulcre,  faisant ainsi le sacrifice de leur vie au Dieu qui avait voulu donner son sang pour la rédemption du monde. Il en fut ainsi pour un pèlerin de Burgondie, nommé Lethbald, du dio­cèse d'Autun. Arrivé à Jérusalem, quand il eut visité successive­ment tous les  lieux saints,  il se rendit au mont des Oliviers, à l'endroit où le Sauveur en présence de ses disciples remonta aux cieux. Lethbald se prosterna à terre, les bras en croix, dans un recueillement qui semblait une extase. Un torrent de larmes cou­lait de ses yeux et cependant son âme était inondée d'uue joie sainte. Quand il eut prié longtemps dans cette attitude, il se releva et les mains étendues vers le ciel il dit : Seigneur Jésus, qui par amour pour nous avez daigné descendre du trône de votre majesté sur notre terre pour sauver le genre humain, c'est de ce lieu qu'il m'est aujourd'hui donné de voir que vous êtes remonté aux cieux, revêtu de notre chair glorifiée. Je supplie votre toute puissante mi­séricorde,  si je dois mourir  en cette année,  de m'accorder la fa­veur de terminer ici mes jours, en vue de cette montagne sainte de votre ascension. J'ai la ferme confiance qu'amené sain et sauf à Jérusalem  par votre protection divine,  vous aurez pitié de mon âme,   et l'introduirez dans les joies  de votre paradis. — Ayant ainsi parlé,  il revint avec ses compagnons dans l'hôtellerie. Or c'était l'heure du dîner. Il laissa les autres se mettre à table, et s'étendit sur son lit. Un doux sommeil ne tarda point à clore ses paupières, ou plutôt une vision céleste ravit ses sens. On l'entendit tout à coup s'écrier : Gloire à vous, ô mon Dieu ! Gloire à vous ! — Ses compagnons se précipitèrent à ses côtés, le réveillèrent, et de

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nouveau l'invitèrent à prendre quelque nourriture. Mais il refusa, en disant qu'il se sentait un peu incommodé. Vers le soir il de­manda à recevoir le sacrement de l'eucharistie vivifiante ; ce fut son viatique pour l'éternité, car il s'endormit aussitôt dans le  Sei­gneur. Son pèlerinage n'avait point été, comme tant d'autres, inspiré par une vaine curiosité ; il allait à Jérusalem pour y trouver la patrie céleste. A leur retour, ses compagnons firent connaître sa bienheureuse mort, et j'en ai entendu le récit de leur bouche, dit Raoul Glaber, alors que je me trouvais au monastère de Bèze1. »

 

28. « En ce même temps, continue le chroniqueur, l'évêque d'Orléans, Odalric, fit également le voyage de la Terre Sainte. Je ne veux point passer sous silence un prodige dont il y fut témoin, et dont il nous a lui-même raconté tous les détails. Le soir du sa­medi saint, pendant que les fidèles attendaient à l'église du Saint-Sépulcre que le feu nouveau, par la vertu divine, vint allumer les cierges que chacun tenait à la main, un mahométan, mêlé parmi la foule, poussa un éclat de rire sacrilège et parodiant le chant li­turgique qu'on entonne à la première apparition du feu sacré, il s'écria de  toute la force  de ses  poumons : "Agios ô Théos  Kyrie eleyson ; puis saisissant le cierge d'un chrétien, il se précipita à travers la multitude pour s'enfuir. Mais il s'arrêta soudain, envahi par  une possession démoniaque. Le chrétien qui le poursuivait reprit son cierge, pendant que le malheureux possédé se tordait dans d'horribles convulsions.  Les musulmans ses coreligionnaires s'empressaient autour de lui  et lui  prodiguaient leurs secours; tout fut inutile, et il expira entre leurs mains. Cette catastrophe jeta la terreur parmi les Sarrasins; les fidèles y virent un signe de la justice divine en faveur de la foi chrétienne. En ce moment, le miracle accoutumé eut lieu. De l'une des sept lampes qui brûlent continuellement à l'entrée du Saint-Sépulcre s'élança une flamme qui parcourut tous les rangs de l'assemblée, allumant les cierges que les chrétiens tenaient à la main. L'évêque d'Orléans supplia le patriarche de Jérusalem, Jordan, de lui céder la lampe miraculeuse

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1. Rodulf. Glaber. Bistor.,llb. IV. cap. vi, Patr. Lat.' tom. GXLII, coî. 630.

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avec l'huile qu'elle contenait. Il offrit en échange une livre d'or pur. Il rapporta cette précieuse relique dans son église cathédrale et chaque jour l'huile du Saint-Sépulcre opère sur les mala­des des guérisons miraculeuses. Odalric revint par Byzance, où le roi Robert le Pieux l'avait chargé d'offrir à l'empereur Constan­tin VIII une épée d'honneur et un coffret enrichi de diamants. Cons­tantin lui remit pour le roi des Francs une portion considérable du bois de la vraie croix et des manteaux de pourpre brodés d'or 1.

29. L'appel de Sylvestre II en faveur de Jérusalem captive trouvait ainsi des échos posthumes dans  toutes les provinces occidenteles. « Ce fut alors, reprend Glaber, que le duc Robert2 de Normandie, avec  une immense multitude de peuple, entreprit son voyage en Terre-Sainte. Il avait recueilli des  sommes considérables d'or et d'argent, pour les offrir au tombeau du Sauveur. Son pieux pèlerinage accompli, il revint par l'Asie Mineure. Mais arrivé à Nicée, il fut atteint d'une  maladie mortelle et rendit son âme à Dieu (1035.) Cet événement laissait la Normandie sans souverain. Robert, en effet, n'avait point d'enfants légitimes. Marié dans sa jeunesse à la sœur de Canut, roi des Angles, il avait peu de temps après obtenu la dissolution de cette alliance contractée malgré lui sous la pression paternelle, et depuis n'avait pas voulu   essayer de secondes noces. Seulement il avait eu  d'une concubine un fils nommé Guillaume, auquel il voulait transmettre ses Etats. Avant son départ pour Jérusalem, il s'en était expliqué  aux  principaux seigneurs de Normandie, et leur avait fait jurer d'élire Guillaume pour leur prince, s'il lui arrivait  à  lui-même de mourir durant le voyage qu'il allait entreprendre. Ses vœux furent religieu­sement accomplis ;  Guillaume fut élu à l'unanimité duc de Nor­mandie et confirmé dans ce titre par le roi  de France. Ce n'é-

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1.Rodulf- Glaber,/oc. cit., col. 681.

2. Robert II, dit le Magnifique et surnommé par les chansons de geste le Diable, second fils du duc Richard II, remplaça en 1028 son frère Richard III. qu'on l'accusa d'avoir empoisonné. Sa jeunesse fort orageuse lui valut chez les trouvères et parmi le peuple son surnom diabolique. Son fils naturel Guil­laume n'avait que huit ans, lorsque l'élection des seigneurs Normands l'appela à recueillir l'héritage paternel.

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tait pas d'ailleurs la première fois que des fils illégitimes suc­cédaient à leur père. L'histoire sainte nous apprend que, parmi les fils du patriarche Jacob, quelques-uns avaient une semblable ori­gine. Dans les siècles chrétiens, le plus illustre des empereurs, Constantin le Grand, était, dit-on, dans le même cas. » Après avoir répondu ainsi aux scrupules de ceux de ses contemporains que pouvait scandaliser la haute fortune du fameux bâtard de Nor­mandie, destiné en 1066 à faire la conquête de l'Angleterre, le chroniqueur ajoute : «Les esprits sérieux se demandaient ce que pouvait présager l'élan universel qui portait à Jérusalem des multitudes telles qu'aucun siècle n'en avait vu jusqu'alors. A mon avis, la meilleure réponse à cette question est qu'il faut considérer ce fait inouï comme un indice de la prochaine apparition de l'An­téchrist, lequel est attendu, d'après l'autorité des saintes Écritures, vers la fin de ce siècle onzième. Les routes qu'il doit parcourir en venant d'Orient lui sont frayées par ce concours extraordinaire de pèlerins, et il pourra ainsi accomplir sa marche triomphale à tra­vers les nations séduites par sa puissance. Car il exercera, dit le Sauveur, une séduction telle que  les élus eux-mêmes, s'il était possible, y succomberaient. » Du reste je ne veux pas nier que ces laborieux pèlerinages, entrepris dans un esprit de foi, n'attirent sur les dévots fidèles des fruits de bénédiction et ne leur méritent du juste juge des récompenses1. »

 

30. On voit que le chroniqueur ne comprenait rien à ce grand mouvement précurseur des croisades. Uniquement préoccupé des idées de son temps sur l'imminence de la fin du monde, il croyait que les pèlerins frayaient la route à l'Antéchrist, tandis qu'ils élar­gissaient le chemin par lequel la croix de Jésus-Christ, portée par les guerriers latins irait faire trembler en Orient le croissant de Mahomet. On devine encore dans les dernières paroles de Raoul Glaber un sentiment de défiance secrète contre ces lointains pèleri­nages. De nos jours, un mouvement analogue s'est produit au mi­lieu de nos sociétés que le rationalisme s'imaginait avoir séparées

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1. Rodulf. Glab. Joe. cit. col. 682.

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pour jamais de tout élément religieux et surnaturel. Les mêmes défiances se sont renouvelées, mais l'observation finale de Raoul Glaber est vraie pour notre dix-neuvième siècle comme elle l'était pour le onzième; l'esprit de foi qui transporte les milliers de fi­dèles aux sanctuaires vénérés attire les bénédictions de Dieu sur les peuples, et désarme la colère du souverain juge. Le pèlerinage de Robert de Normandie en Terre-Sainte n'était pas le premier qui eût été  entrepris par les descendants chrétiens des guerriers de Rollon. Vers l'an 1012, quarante pèlerins normands abordèrent à Salerne, au retour d'un pieux voyage en Palestine. Le prince de Salerne, Guaymar, leur offrit dans sa capitale une généreuse hos­pitalité, et voulut leur faire trouver près de lui le repos et l'abon­dance  dont ils avaient été si longtemps privés. Quelques jours après, les Normands remarquèrent autour d'eux une grande agitation; la crainte se peignait sur tous les visages, on tenait les portes de la ville soigneusement fermées. Inquiets d'un  change­ment si subit, ils en demandèrent la cause. On leur montra le long du rivage, à peu de distance des vieilles murailles de Salerne, des tentes nouvellement dressées, et des guerriers qui poussaient des clameurs tumultueuses. C'était une armée de Sarrasins venue pour prélever le tribut annuel que Guaymar s'était engagé à leur payer afin de sauver sa capitale  menacée  du  pillage par ces barbares. Comme personne dans la ville ne parlait de faire résistance, les pirates dans une entière sécurité ne prenaient pas même la peine de garder leur camp. A cette vue, les braves pèlerins s'indignèrent également de l'insolence des Sarrasins et de la lâcheté des habitants. Ils demandèrent à grands cris des armes et des chevaux, ils par­lèrent d'honneur, de courage et de patriotisme ; mais le peuple surpris d'un langage  nouveau pour lui demeurait dans la stupeur et l'abattement.  Quelques Longobards, car tel était le nom que portaient encore les peuples de l'Italie méridionale restés soumis à l'empire grec,  consentirent pourtant à se joindre aux courageux Normands. Cette poignée de braves sortit en silence par la porte qui conduisait à la mer et surprit  l'ennemi  dans le  plus étrange désordre. Les Sarasins, étonnés de cette attaque imprévue, tombè-

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rent sous leurs coups avant de pouvoir se mettre en défense. Une terreur panique s'empara d'eux ; ils fuyaient, poursuivis l'épée dans les reins par ces hommes inconnus dont la valeur tenait du prodige; la plupart périrent dans les flots où ils se précipitaient à la nage pour regagner leurs navires. Salerne était délivrée, les pèlerins vainqueurs y rentrèrent en triomphe. Guaymar les com­bla de présents, et les supplia de se fixer pour toujours près de lui. Il leur proposa en outre d'appeler ceux de leurs compatriotes qui voudraient partager leur fortune et leurs glorieux combats. Les pèlerins répondirent, ajoute le chroniqueur « qu'ils avaient com­battu non pour prendre mérite de deniers, mais pour l'amour de Dieu, et pour ce qu'ils ne pouvaient soutenir tant de superbe des Sarrasins1.» Impatients de revoir leur patrie après l'accomplisse­ment de leur pèlerinage, ils partirent sur des navires de Salerne chargés de magnifiques présents, de fruits inconnus au-delà des Alpes et d'étoffes précieuses destinées au duc de Normandie. Les récits merveilleux de cette expédition, la vue de tant de richesses si promptement acquises, les instances des officiers longobards produisirent une grande sensation dans les manoirs de la Neustrie. Chaque Normand se croyant assuré d'une rapide fortune voulait aller combattre les Sarrasins dans la péninsule. Les chevaliers que entreprenaient ce long voyage étaient accueillis avec faveur et trouvaient bientôt à se signaler par leurs exploits2.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon