Darras tome 40 p. 202
20. Les adversaires du sacre n'avaient pas manqué non plus, dans une cour où l'on tient aux usages, d'exploiter les maladresses de Fesch et les excès de Napoléon. Parmi ces propos disgracieux, on citait ce qu'avait dit un jour l'empereur dans son conseil :
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« Voyez l'insolence des prêtres, qui, dans le partage de l'autorité avec ce qu'ils appellent le pouvoir temporel, se réservent l'action sur l'intelligence, sur la partie noble de l'homme et prétendent me réduire à n'avoir d'action que sur le corps; ils gardent l'âme et me jettent le cadavre » (1). Napoléon écrivit lui-même au Saint Père deux lettres, pour le rassurer au sujet des événements à craindre de la Russie et à propos des excès commis à Milan contre l'Église. « Le culte, ajoutait Tayllerand a commencé à reprendre sa pompe extérieure par l'effet des lois qui la permettent et par les libertés particulières dont elle est l'objet. Toutes les institutions civiles ont été mises de nouveau sous le sceau de la religion. Les naissances, les mariages sont consacrés par ses solennités, et les pompes funèbres que l'on avait proscrites dans des temps où les usages les plus solennels et les plus touchants n'étaient plus respectés ont été rétablies par la sagesse d'un gouvernement qui cherche des moyens d'émulation pour la vertu, jusque dans les derniers honneurs rendus à sa mémoire. C'est dans ces circonstances où l'opinion publique s'épure et s'affermit de jour en jour, que la présence du Saint Père en France peut achever un changement que Sa Majesté impériale a si heureusement commencé. Le respect et la considération dont Sa Sainteté y jouit, lui rendent ce succès facile. » L'invitation officielle fut portée, non par deux évêques, comme l'avait souhaité Pie VII, mais par le général Caffarelli. Cette lettre omettait d'exprimer que le voyage n'aurait pas seulement pour objet la cérémonie du sacre et de couronnement ; elle taisait que les intérêts de la religion en seraient le but principal et que les résultats n'en pourraient être qu'infiniment utiles au bien de cette même religion. Une seconde lettre fut envoyée par le cardinal Fesch pour réparer très explicitement cette omission. Le Pape réunit encore une fois le Sacré Collège et lui annonça que, plein de confiance en Dieu, il allait entreprendre ce voyage que bénirait le Père des miséricordes.
Le 1er novembre 1804, le Pape nomma Consalvi chef de gouvernement et se mit en route le lendemain. En passante à Radicofani, il vit
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(1) Opinions de Napoléon, p. 201, Didot, 1833, Paris.
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Maury qui conseilla au Pape d'aller un jour, sans prévenir personne, dire la messe à Paris dans l'église des Carmes où avaient péri tant de prêtres. A Florence, la reine d'Estrurie, qui était Bonaparte, accueillit le Pape avec le respect le plus profond. De Turin et de Cosne, Pie VII écrivait à Napoléon qui répondit avec autant de convenance que d'empressement. La première rencontre des deux souverains eut lieu dans la forêt de Fontainebleau, où l'empereur s'était porté pour une partie de chasse. C'était un tour habile pour éviter les questions d'étiquette; au palais, le Pape en fit lui-même bon marché. L'intérêt de la religion lui rendait les abdications faciles et il les acceptait pour qu'à l'avenir, dont il soupçonnait bien un peu les mystères, on ne pût pas même lui adresser de frivoles reproches. A Fontainebleau, Pie VII fut harangué par les chefs des grands corps de l'État. Le président du Sénat, François de Neufchâteau, parla de la cérémonie religieuse du sacre, pour sanctifier par la religion les actes civils ; ajouter au frein public des lois le frein des consciences; et faire ratifier par le ciel ce qui a été écrit sur la terre. Le président du tribunat, Fabre de l'Aude, par une très heureuse inspiration, parla des vertus privées et des actes publics de Pie VII, pontife et roi; il célébra avec grâce toutes les gloires de son règne et dilata l'âme du vicaire de Jésus-Christ. Au nom du Corps législatif, Fontanes, entrant dans le vif de la situation, prononça ces mémorables paroles : « Quand le vainqueur de Marengo conçut au milieu du champ de bataille le dessein de rétablir l'unité religieuse et de rendre aux Français leur culte antique, il préserva d'une ruine entière les principes de la civilisation ; cette grande pensée survenue dans un jour de victoire, enfanta le Concordat, et le Corps législatif, dont j'ai l'honneur d'être l'organe auprès de Votre Sainteté, convertit le Concordat en loi nationale. «Jour mémorable, également cher à la sagesse de l'homme d'État et à la foi du chrétien ! C'est alors que la France abjurant de trop grandes erreurs donna les plus utiles leçons au genre humain. Elle semble reconnaître devant lui que toutes les pensées irrégulières sont des pensées impolitiques, et que tout attentat contre le christianisme est un attentat contre la société. Le retour de l'ancien
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culte prépara bientôt celui d'un gouvernement plus naturel aux grands États, et plus conforme aux habitudes de la France. Tout le système social, ébranlé par les opinions inconstantes de l'homme, s'appuya de nouveau sur une doctrine immuable comme Dieu même. C'est la religion qui poliçait autrefois les contrées sauvages mais il était plus difficile aujourd'hui de réparer leurs ruines que de fonder leur berceau. Nous devons ce bienfait à un double prodige. La France a vu naître un de ces hommes extraordinaires qui sont envoyés de loin en loin au secours des empires prêts à tomber, tandis que Rome a vu briller sur le trône de S.-Pierre les vertus apostoliques du premier âge. Leur douce autorité se fait sentir à tous les cœurs. Des hommages universels doivent suivre un Pontife aussi sage que pieux, qui sait à la fois tout ce qu'il faut laisser au cours des affaires humaines, et tout ce qu'exigent les intérêts de la religion. Cette religion auguste vient consacrer avec lui les nouvelles destinées de l'empire français et prend le même appareil qu'au siècle des Clovis et des Pépin.
« Tout a changé autour d'elle; seule , elle n'a point changé. Elle voit finir les familles des rois comme celles des sujets ; mais sur les débris des trônes qui s'élèvent, elle admire toujours la manifestation des desseins éternels, et leur obéit toujours. Jamais l'univers n'eût un plus imposant spectacle. Jamais les peuples n'ont reçu de plus grandes instructions. Ce n'est plus le temps où le sacerdoce et l'empire était rivaux. Tous les deux se donnent la main pour repousser les doctrines funestes qui ont menacé l'Europe d'une subversion totale : puissent-elles céder pour jamais à la double influence de la religion et de la politique réunies ! Ce vœu sans doute ne sera pas trompé. Jamais en France la politique n'eut tant de génie, et jamais le trône pontifical n'offrit au monde chrétien un modèle plus respectable et plus touchant. »
21. Le voyage de Rome à Paris s'était fait au milieu d'un peuple à genoux, comme le disait Pie VII, et Pie VII allait voir à ses pieds le chef de ce peuple, pour recevoir la couronne qui fait les rois et l'onction qui fait les rois chrétiens. Au lendemain d'une révolution satanique, certes, c'était un grand changement, et, pourquoi ne pas
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le dire, une évidente rétractation. Dans l'Église, où tout se fait sérieusement, pour que cette rétractation ne laissât pas d'arrière-pensée, il fallait débarasser la situation des dernières difficultés. Déjà, par les négociations diplomatiques, on avait aplani les voies sous les pieds du pontife ; maintenant restait la question des évêques constitutionnels. Quatre d'entre eux, Lecoz de Besançon, Reymond de Dijon, Lacombe d'Angoulême et Saurine de Strasbourg, n'étaient point encore rentrés en grâce avec le Saint-Siège. Pie VII exigeait d'eux un acte de soumission. Précédemment ils en avaient fait un, puis l'avaient rétracté en alléguant qu'ils n'avaient pas de torts. Cette fois ils se soumirent encore aux jugements du Pape, mais en biffant le mot canonique, pour signifier que leur soumission se bornait au respect des affaires ecclésiastiques. Le Pape en fit la remarque et les quatre récalcitrants durent capituler par force. — Une difficulté plus délicate, qui surgit à la dernière heure, c'est que le mariage de Napoléon avec Joséphine Tascher de la Pagerie était purement civil. Joséphine, qui savait Napoléon poussé au divorce par ses frères, versa cette confidence au sein du Pape. « Pie VII en fut attéré, dit d'Haussonville. Sa réponse cependant fut pleine de tendresse pour la malheureuse femme éplorée, de douceur à l'endroit de celui qui l'avait trompé, et, pour ce qui regardait les devoirs du prêtre et du souverain pontife, empreinte d'un tact incomparable. Canoniquement, la situation de l'empereur ne le regardait pas ; c'était affaire à régler entre sa conscience et lui. Pour ce qui le regardait, il continuait donc à tout ignorer ; mais, sachant de l'impératrice ce qu'il en avait appris, il ne pourrait, à son grand regret, la sacrer en même temps que son époux, si d'ici là ils n'avaient été mariés par un prêtre. Grande fut la colère de Napoléon quand il connut la démarche de Joséphine et la résolution du Saint Père. Comprenant vite à quel point il était inébranlable, il céda (1). » Dans la nuit même qui précéda le sacre, le cardinal Fesch, ayant pour témoin Talleyrand et Berthier, maria secrètement l'empereur et Joséphine dans la chapelle des Tuileries. Pie VII, plein de délicatesse, se conduisit
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(1) L'Église romaine et le premier Empire. 1.1, p. 334.
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comme s'il ne l'avait pas su et n'en parla jamais ni à Fesch ni à Napoléon.
Le sacre eut lieu à Notre-Dame le 2 décembre 1804, en grande pompe. Thiers a décrit avec exactitude la physionomie générale de la cérémonie, nous n'en retiendrons que les particularités intéressantes pour la doctrine et le droit. Quand le Pape demanda à Napoléon s'il promettait de maintenir la paix dans l'Église de Dieur,Napoléon répondit d'une voix assurée : Profiteor. Celte promesse avait pour objet de rappeler les anciennes déclarations des droits de Dieu, des devoirs des rois, des garanties qu'ils doivent offrir à leur peuple. Ces mêmes devoirs étaient rappelés par la dalmatique, la tunique et le manteau royal, que Napoléon remplaça par des vêtements dont il était l'inventeur sans goût. Au moment du sacre, Napoléon, et Joséphine se mirent à genoux au pied de l'autel sur des carreaux ; le Pape fit les onctions avec le baume de la sainte ampoule et le chrême qui sert à l'onction des évêques. Le Pape récita ensuite l'oraison par laquelle il est demandé que l'empereur soit le protecteur des veuves et des orphelins, qu'il détruise l'infidélité qui se cache et celle qui se montre en haine du nom chrétien. Alors eut lieu la tradition des insignes : l'épée, emblème du pouvoir militaire ; l'anneau, marque d'alliance entre l'Empereur et l'Église ; le sceptre et la main de justice, emblèmes du gouvernement civil et militaire. Après l'oraison où il est dit : « Le sceptre de votre empire est un sceptre de droiture et d'équité, » Napoléon, d'un geste à la fois impérieux et calme, devançant Pie VII, saisit la couronne, la mit lui-même sur sa tête et revint couronner Joséphine à genoux. Cet acte avait été prémédité par Napoléon pour se venger des concessions qu'il avait dû faire ; mais il dérogeait à la fois aux conventions diplomatiques, aux rites de l'Église et au bon sens. D'aucuns ont vu, là, une marque de grandeur, une résolution de soustraire le pouvoir et le pays à l'autorité du Saint-Siège. Telle était, en effet, la pensée de Napoléon, mais alors pourquoi appeler un Pape inutile au service et odieux à l'ambition ? C'était, de plus, une maladresse insigne; Napoléon ne pouvait mieux faire voir qu'il prenait la couronne au lieu de la recevoir,
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que son pouvoir venait de lui-même, que son peuple était contre lui sans recours ; tranchons le mot, qu'il inaugurait un pouvoir sans limite et sans responsabilité. Un pouvoir irresponsable, c'est à cette monstruosité que tendent les pouvoirs civils depuis Luther ; Bonaparte, fils de la révolution, se montrait fidèle à ces inspirations du libre examen révolutionnaire, du despotisme césarien et de l'absolutisme de l'État, personnifié dans sa personne.
Le Pape, si modeste qu'il fût, souffrit de cette action imprévue et indécente de l'Empereur; il la ressentit non point comme un afiront fait à sa personne, mais comme une atteinte portée à sa dignité pontificale. Par amour de la paix, pour ne compliquer par aucune apparence de susceptibilité la situation déjà si tendue, décidé d'ailleurs à n'attacher de sérieuse importance qu'aux choses qui intéressaient directement la religion et l'état des âmes en France, Pie VII ne protesta point. Il prévint seulement que si, dans la relation officielle du Moniteur, des détails de la cérémonie de Notre-Dame étaient rapportés autrement qu'ils avaient été à l'avance tracés dans le cérémonial convenu entre les deux cours, il réclamerait et prendrait soin d'établir qu'il n'avait point librement et de plein gré consenti à aucun changement. De là cette circonstance singulière, fort remarquée dans le temps et jamais expliquée, du silence absolu gardé par le Moniteur sur la cérémonie dont la description remplissait toutes les feuilles publiques de la France et de l'étranger. On crut d'abord à un retard motivé par le besoin qu'éprouvait l'organe officiel du gouvernement d'être plus exact et plus complet que les journaux ordinaires. On attendit, puis l'attention se porta vite ailleurs, car elle avait alors de quoi se distraire, et bientôt l'on n'y pensa plus. On publia, mais un an après, à l'imprimerie impériale, un procès-verbal de la cérémonie du sacre et du couronnement de l'empereur Napoléon, encore le fit-on avec un parti pris d'infidélité. Ainsi le Profiteor était traduit par un je m'y engage de la manière qui me paraîtra la plus convenable, ce qui signifie : Je ne m'engage pas du tout. Déjà, à propos des bulles d'exécution du Concordat, le gouvernement avait publié, de ces pièces, des traductions fautives à dessin pour induire en erreur le
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lecteur inattentif ou ignare. On se figure difficilement des pouvoirs publics descendant à une telle bassesse de procédés.
22. Cependant la religion refleurissait en France. La masse de la nation n'avait été entamée ni par le philosophisme impie ni par le jacobinisme. Là où ces deux fléaux avaient exercé leurs ravages l'excès du mal ramenait au bien, et, sauf certains aveuglements incurables, il s'effectuait, vers la religion, un visible retour. La haute société, si cruellement éprouvée pour ses écarts du XVIIIe siècle, répudiait sur toute la ligne le rire spirituellement niais de l'école voltairienne. La littérature française se réveillait aux glorieux accents du Génie du christianisme, aux poésies de Fontanes, aux sentences de Joubert, aux élucubrations philosophiques du vicomte de Bonald. Le Concordat devait d'ailleurs porter d'heureux fruits. Le jubilé de 1804 ranimait partout des sentiments qu'on s'étonnait presque d'avoir conservés. Les séminaires s'ouvraient pour fournir partout, au vieux sacerdoce, de jeunes recrues. Le gouvernement lui-même favorisait les prêtres de la Mission, les frères des écoles chrétiennes et les Sœurs hospitalières de S. Vincent de Paul. Enfin le voyage du Pape et les cérémonies du sacre mêlaient, à toutes ces causes de renaissance, leur influence bénie. Sur les ruines, amoncelées par la main des hommes, s'épanouissait sous le souffle du ciel, la fleur, délicate encore, des grandes espérances.
Le Pape put voir, de ses propres yeux, la première effloraison de cette renaissance. Durant un séjour de quatre mois qu'il fit à Paris, il tint deux consistoires, visita les églises et les hôpitaux, sans rien accorder, je ne dis pas aux jouissances du luxe, mais aux agréments de la curiosité. La population catholique fit partout, au
souverain pontife, cet accueil plein de respect et de dévotion qui ravivait la foi et encourageait la vertu. Le gouvernement, comme il arrive assez souvent en France, ne se tint pas à l'unisson des sentiments pieux du pays franc. La pensée du pieux pontife était sans cesse tournée vers le but utile, le seul vraiment important, du
voyage qu'il avait entrepris. S'il avait donné, au nouveau souverain de la France, une marque si éclatante de considération publi-
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que et d'affection personnelle, il entendait en faire exclusivement profiter la cause sacrée dont il était le représentant et le défenseur. Lorsqu'il ouvrit la bouche sur ces sujets dont son cœur était plein, commencèrent pour lui les mécomptes et les déboires. Par une première ouverture, il donna l'attaque aux quatre articles de 1682: c'était prendre par les cornes le taureau gallican ; mais on ne pouvait lui rompre le cou avec des négociations amiables, et c'est seulement en 1870 qu'on devait le percer avec l'épée flamboyante d'un concile. Portalis et Napoléon répondirent sur ce sujet avec une obstination singulièrement fortifiée par l'ignorance ; ils confondaient tout, les actes et les personnes et s'imaginaient réfuter victorieusement quand ils se prenaient dans leurs propres filets. De leur part, c'était surtout une contradiction de venir à des doctrines qui détrônaient le Pape juste au moment où on l'appelait pour sacrer l'empereur, et au lendemain du jour où, par le Concordat, on avait si magnifiquement affirmé la plénitude de l'autorité apostolique.
Le Pape présenta ensuite un mémoire contenant onze demandes relatives à la discipline de l'Église. Par le premier article, il demandait la proscription du divorce, incompatible avec le dogme religieux de l'indissolubilité du mariage. Dans le second, il s'agit de conserver aux évêques l'inspection naturelle qui leur appartient sur les mœurs et la conduite des clercs soumis à leur sollicitude : ce point est accordé pour les délits purement ecclésiastiques, non pour les délits civils, où le prêtre ressort comme tout citoyen. L'article trois, demande pour les prêtres, des moyens d'existence décente ; il y fut pourvu par quelques augmentations de traitement et la présentation de tarifs qui furent homologués par le gouvernement. Les articles suivants se référaient au rétablissement des anciennes lois sur la célébration des dimanches et des fêtes à l'expulsion des prêtres mariés des établissements d'instruction publique ; au maintien de la paix religieuse ; à la restitution de Sainte-Geneviève au culte catholique ; aux anciens établissements des Irlandais, des missions étrangères, du séminaire du Saint Esprit et de la componende pour Saint-Jean de Latran. Sur toute
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ces questions, Napoléon accorda beacoup moins qu'il n'avait promis et ne tint rien de ce qu'il avait permis d'espérer. Du moment que l'Empereur avait obtenu ce qu'il désirait, il se tenait quitte, en sa qualité de lion sacré et couronné. On devine ce qu'il répondit à la proposition de rendre les légations au Pape ; déjà Napoléon rêvait de la monarchie universelle. Sa réponse fut à peu près ceci: « Vous me demandez une restitution déjà faite par Charlemagne ; il y a bien quelque chose à faire, mais ce que Charlemagne a trouvé bon de rendre, il trouve bon de le garder : nous verrons plus tard. » Sur l'heure, il fit proposer au Pape d'habiter Avignon et d'accepter à Paris un palais papal, trois fois plus vaste que le Vatican. Pie VII répondit fort paisiblement que ses mesures étaient prises ; que le jour où il serait retenu en France, il aurait cessé d'être pape et qu'alors on n'aurait plus, entre les mains, qu'un pauvre moine, nommé Barnabo Chiaramonti. En présence de cette sublime réponse, Napoléon signa, le soir même, les ordres de départ ; lui-même partit avant le Pape et alla prendre, à Milan, la couronne de roi d'Italie. En la posant sur sa tête, il dit : «Dieu me la donne, malheur à qui y touchera ! »
Le Pape quitta donc la France après un séjour dont la touchante popularité avait excité la jalousie de Napoléon. Par un misérable ombrage, le glorieux vainqueur de tant de batailles, qui passait au champ de Mars des revues où courait avec ardeur la foule enthousiaste, n'avait pu prendre sur lui que le Pape officiât pontificale-ment à Notre-Dame. Quand vint le moment du départ, qui coïncida avec les solennités de la semaine sainte, il s'arrangea encore de manière à empêcher le Pape de célébrer dans une ville les fêtes de Pâques. Pie VII accepta ces petites mortifications, comme il avait accepté les affronts continuels dont l'avait poursivi son hôte trop impérial pour être royal ; s'il ne prévit pas tout de suite les excès auxquels allait se porter l'Empereur, il ne conserva, du moins, aucune illusion. De Parme, il écrivit pourtant à l'Empereur pour faire connaître les suites de son voyage. En arrivant à Rome, il se fit conduire à Saint-Pierre, où le reçut, malgré ses quatre-vingts ans, le cardinal d'Yvek. « La bénédiction terminée, dit
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Artaud de Montor, le Pontife s'approcha encore une fois de l'autel pour faire sa dernière prière avant de sortir. Il paraît que, lorsqu'il fut à genoux, alors comme une sorte d'extase s'empara de lui. L'idée de se retrouver dans le principal temple de sa capitale, cent quatre-vingt-cinq jours après un départ si douloureux, le souvenir des dangers qu'il avait courus, ou qu'il croyait avoir pu courir pendant un aussi long trajet, le préoccupaient tellement qu'il restait comme immobile au pied de l'autel. Cette extase se prolongeait ; l'église, où l'on était entré vers la fin du jour, et que l'on n'avait pas pensé à éclairer pour une cérémonie de nuit, commençait à s'assombrir. Plus de trente mille personnes, indécises au milieu de ce silence et de l'approche de l'obscurité, ne concevaient pas la cause de cet événement. Le cardinal Consalvi se leva doucement, s'approcha du Pape, lui toucha doucement le bras, et lui demanda s'il éprouvait quelque faiblesse. Le Pape serra la main du cardinal, le remercia, et lui expliqua que cette prolongation de sa prière était un effet de joie et de bonheur. On ramena le Pape dans sa chaise à porteurs. Il était très fatigué, et J'on exigea de lui qu'il se retirât en n'accordant aucune audience. Le soir il y eut une illumination générale dans les palais de Rome, et le Sénateur donna un ricevimento magnifique au Capitole, où se réunirent toute la noblesse romaine et le corps diplomatique » (1).