Luther 12

Darras tome 33 p. 56

 

37. Prés d'un demi-siècle avant que le protestantisme fit grand bruit en France, il avait éclaté en Angleterre, en Suisse en Alle- magne ; Jean Huss et Jérôme de Prague avaient été brûlés à Cons­tance : mais, dès le début du XVIe siècle, Luther en Allemagne et Zwingle en Suisse avaient pris en main l'œuvre révolutionnaire et, avant que la moitié de ce siècle fut écoulée, ils avaient assez forte­ment fondé leurs sectes pour que leurs puissants adversaires fussent obligés de compter avec eux tout en contestant leur droit. En An­gleterre, le schisme ne devait être que le fruit d'une vile passion. Il ne devait pas se trouver, en France, un souverain assez lâche pour rompre l'unité de l'Eglise à seule fin de divorcer. La France ne contenait pas non plus, comme l'Allemagne, plusieurs états dis­tincts, indépendants et assez forts, quoiqu'inégaux, pour offrir aux croyances diverses un asile assuré et pour fournir entre eux des coalitions capables de résister au  chef de l'incohérente coalition

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1. Audi*, Histoire de Henri VIU, t. II, p. 428.

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qu'on appelait l'Empire d'Allemagne. François Ier, au contraire, à peine monté sur le trône, en abolissant la Pragmatique Sanction et en signant le concordat, s'était lié plus étroitement avec la pa­pauté. Les premières sympathies protestantes sont échangées, en France, entre jeunes étudiants et vieux professeurs, vieilles per­ruques et jeunes têtes. Jacques Lefèvre d'Etaples en consigne l'idée dans ses commentaires des Ecritures et Farel s'en imprègne, non pour s'éclairer, mais pour s'exalter. Marguerite de Navarre, l'au­teur prétendu ou réel de l'Heplaméron, avait à Paris un vieux ma­noir où elle attirait les novateurs, avec l'espoir de ravir par eux, à la patrie française, ses vieilles croyances. On y faisait, en français des prières à la luthérienne ; on invectivait contre les papistes ; on s'y moquait de la messe catholique qu'on voulait remplacer par une messe en sept points. Or, voici ce qu'était cette messe : la messe avec communion publique, premier point ; la messe sans élévation de l'hostie, deuxième point ; la messe sans adoration des espèces, troisième point ; la messe avec oblation du pain et du vin, qua­trième point ; la messe sans commémoration de la Vierge et des Saints, cinquième point ; la messe avec rupture de pain à l'autel, d'abord pour le prêtre, ensuite pour les fidèles, sixième point ; la messe célébrée par un prêtre marié, septième point. Les dames d'Etampes, de Paris, de Pisseleu raffolaient de cette messe luthé­rienne ; si on la leur avait accordée, peut-être en abolissant la con­fession, eut-on gardé leur attache au dogme catholique. Pour assor­tir la pratique à ces vœux féminins, on fit un livre de messe en français. Or, ce fut une grande nouveauté que ce livre, tombant au milieu de la petite cour de Nérac, qui se mit à le lire dévotement, puis à l'expliquer, à le torturer, si bien qu'elle finit par ne plus l'entendre. Tout le monde en voulut quand il fut devenu incom­préhensible. On l'imprima secrètement avec des notules, des gloses et des scolies, et on appela des colporteurs chargés de le distribuer dans les provinces voisines. Les âmes simples, qui n'entendaient rien au royaume de Dieu, croyaient leur métier béni du ciel, parce qu'il était lucratif et fournissait l'occasion d'ergoter partout contre les vieux croyants ; un évêque de Meaux, Briçonnet, était favorable

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aux novateurs, qui, au sortir de la Navarre, venaient opérer dans la Basse Champagne et la Brie. « On voyait l'hérésie poindre çà et là, dit Florimond de Raimond, mais elle paraissait et disparaissait comme un éclair nuiteux, qui n'a qu'une clarté fuyante. » Jusqu'à 1520, les réformateurs, jeunes et ardents, comme Guillaume Farel et ses amis, n'étaient que des individus isolés, avides d'idées et d'études nouvelles, très-favorables à tout ce qui venait d'Allemagne, mais n'ayant encore pris aucune consistance de parti, ni fait contre l'Eglise romaine aucun acte d’agression.


    38. Ces passions devaient aboutir promptement à l'erreur et aux excès. Une bulle du Pape avait ordonné des jeûnes et donné des indulgences ; cette bulle affichée à la cathédrale de Meaux, fut la­cérée avec d'autres affiches pour l'instruction des fidèles. Les mal­faiteurs furent recherchés et punis. L'un d'eux, Jean Leclerc, cardeur de laine, poussa le fanatisme jusqu'à briser, publiquement et par dérision, une statue de la Sainte Vierge tenant l'Enfant Jésus dans ses bras. Son procès fut bientôt fait, son audace lui coûta la vie. A Metz, ville voisine de l'Allemagne, plus accessible à l'hérésie, un prêtre, Jean Châtelain, homme très-dangereux, parce qu'il pas­sait pour mener une vie régulière et avait toujours dans la bouche les grands mots de refonte, de pénitence, de primitive Eglise, mê­lait à ses prédications des idées suspectes ; il fut d'abord averti, mais il continua de dogmatiser, fut pris et condamné au feu comme hérétique. Un autre prêtre, Wolfgang Schuch, énonçait, dans ses discours et ses livres, à peu près toute la dogmatique de Luther : il fut censuré par la Faculté de Théologie. La Faculté sévissait en même temps, contre Amé Mesgret ; ce dominicain avait professé différentes erreurs contre la confession, contre les heures cano­niales, la loi d'abstinence, l'autorité des décrétales, l'excommuni­cation, les censures, les vœux monastiques et les préceptes de l'Église. Le procès qui eut le plus de retentissement fut celui de Pierre Cairoli. Ce docteur était prévenu, en faveur de quelques opinions nouvelles ; mais il les déguisait habilement avec toutes les distintions de l'école et mettait en œuvre toutes les subtilités de la chicane. De plus, il avait la manie  de prêcher et prétendait le

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faire à la mode, sans invoquer la Vierge et commentant l'Ecriture sur un texte français. A la fin, on dut le réduire au silence. La fa­culté trouva, dans ses exégèses, tout le poison des nouvelles doc­trines. Après Cairoli, Mazurier, que l'évêque de Meaux avait pourvu d'une cure dans sa ville épiscopale, fut poursuivi avec encore plus de rigueur ; pour empêcher l'official de Paris de pousser la procé­dure jusqu'à la sentence définitive, qui ne pouvait être que formi­dable, il offrit de faire prêcher dans sa paroisse une doctrine toute contraire à celle dont on le disait l'auteur. Les cordeliers, chargés de cette mission, furent gênés, dans cet exercice, par l'évêque, sous prétexte qu'ils prêchaient partout sans juridiction. Les corde­liers, vexés de ces contrariétés, dénoncèrent l'évêque au parle­ment ; la Faculté, saisie de l'examen des Epitres et Evangiles à l’usage du diocèse de Meaux, releva quarante-huit propositions dignes de censure. Cependant les hérétiques ne laissaient pas de multiplier. Le parlement jugea que c'était en partie la faute des Évêques, qui ne veillaient pas assez sur leur troupeau ; pour les rendre plus vigilants il mit à leur charge la somme des frais né­cessaires aux procédures contre les hérétiques découverts dans leurs diocèses.


39. Les évêques montrèrent l'inutilité de ces menaces et se souvinrent qu'ils étaient ceints du glaive apostolique. Des conciles tenus à Lyon, à Bourges et à Paris, firent face aux trames de l'hé­résie. Le concile de Paris célébré à Sens, commença le 3 février 1325 et dura jusqu'au 7 octobre. Les prélats s'assemblaient aux Augustins et étaient aidés dans leurs délibérations par un grand nombre de docteurs. On peut juger du travail de cette assemblée par la multitude de questions qu'elle traita, et dont les actes nous donnent le détail le plus complet. La préface expose d'abord quelques-unes des principales hérésies qui ont troublé l'Église ; savoir, celles des manichéens, d'Arius, de Vigilance, des Vaudois, de Marsile de Padoue, de Wiclef ; et l'on fait voir que Luther renouvelle toutes ces anciennes erreurs ; qu'il détruit le libre arbitre, comme Manès ; les jeûnes et les préceptes de l'Eglise, comme Arius ; le célibat des prêtres, comme Vigilance; la hiérarchie, le sacerdoce, la prière

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pour les morts, etc. comme la secte des vaudois ; la juridiction ec­clésiastique, comme Marsile de Padoue ; toute l'autorité de l'Église comme Wiclef. On remarque ensuite les variations et les divisions du parti luthérien ; les uns renversent les images, et les autres  les conservent ; il en est qui rejettent toutes les  sciences humaines comme pernicieuses à la piété, d'autres les recommandent  comme très-utiles ; les uns réitèrent le baptême, et d'autres ont horreur de cette pratique ; les uns veulent qu'il n'y ait dans l'Eucharistie que le signe du corps et du sang  de Jésus-Christ, et d'autres y recon­naissent la présence réelle, ajoutant toutefois, très-mal à propos, que la substance du pain et du vin demeure avec le corps et le sang de Notre-Seigneur ; les uns enfin, se prétendant remplis du Saint-Esprit, assurent que les saints livres sont plus clairs  que le jour, qu'ils s'expliquent d'eux-mêmes, et d'autres ne refusent pas de re­cevoir les explications des saints docteurs. « Or, reprend le con­cile, ces différences de  sentiments sur des matières aussi essen­tielles à la foi, montrent combien ces novateurs sont éloignés  de la vérité : car l'esprit de Dieu n'est pas un esprit  de discorde. Au contraire, les catholiques sont parfaitement d'accord sur le dogme, ils professent  tous la même foi, ce qui prouve que leur  doctrine vient de Dieu, et qu'elle ne pourra jamais  être détruite, quelques efforts que fassent les ennemis de la vérité. » Ce n'était pas  assez de montrer la conformité des nouvelles erreurs avec les anciennes ; il fallait faire des lois pour arrêter le cours de ces doctrines perni­cieuses. Après ce préambule, le cardinal Duprat publia un  décret portant condamnation des assemblées et des livres des sectaires. Le concile dressa ensuite seize articles concernant la foi et quarante statuts concernant la discipline. Nous ne saurions entrer dans le détail des ordonnances conciliaires; nous nous étonnerons toutefois que les historiens en aient si peu parlé. Ce concile de Sens est un des plus mémorables qui aient été célébré en France. On peut le considérer comme la préface du grand concile de Trente.


   40. Une affaire qui eut alors beaucoup de retentissement fut celle de Louis Berquin. C'était un gentilhomme picard, fort à son aise, que les historiens protestants  gratifient de toutes les vertus.  Il

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paraît qu'il n'était pas très chaud partisan de Luther ; mais il était suspect. Une descente de justice fit découvrir, dans sa maison, des papiers et des livres très compromettants. Un acte épiscopal le dé­créta de prise de corps. Le roi évoqua l'affaire à son conseil,  Berquin fut mandé devant le chancelier qui, en  lui  reprochant poli­ment d'avoir inquiété l'Église, se borna à lui demander d'en témoi­gner quelques regrets. Berquin s'y prêta de bonne grâce et remis aussitôt en liberté, se rendit dans  sa terre  de Picardie. Dix-huit mois plus tard, on semblait ne plus penser à Louis Berquin ; ce­pendant la question des hérétiques devenait de  plus  en plus fla­grante. « Il faut dire à la régente, disait un avocat du roi, ce que saint Grégoire disait à Brunehaut, reine de France, que le meilleur moyen de chasser les ennemis du royaume, est d'en chasser les en­nemis de Dieu et de l'Église.» «La cour, disait à son tour le Parle­ment, a par ci-devant donné plusieurs provisions  contre les cou­pables, lesquelles n'ont été exécutées pour malice des temps et em­pêchements pratiqués par les délinquants, qui ont trouvé moyen d'assoupir et mettre en délai les jugements faits contre eux, tant par évocation en grand conseil, que par prise et transport d'au­cun d'eux, leurs prisonniers, qu'ils ont fait tirer des  prisons par puissance souveraine et absolue, ce qui a donné occasion et audace aux autres de suivre la mauvaise doctrine. » Un second procès fut introduit contre Berquin. La sentence  rendue  contre lui, portait que ses livres seraient encore une fois brûlés en sa  présence, qu'il déclarerait approuver une si juste condamnation et qu'il mériterait la pitié de l'Eglise en ne lui refusant aucune des satisfactions qu'elle exigerait, sinon il se livrerait lui-même au bûcher. A la demande de sa sœur Marguerite, le roi intervint en faveur de Berquin. Quant à l'exécution de sa sentence, le parlement se soumit à l'injonction du roi, mais en maintenant le principe comme la légalité de la con­damnation de Berquin et en déclarant qu'il attendait du roi l'ordre de l’……….. Comme l'enseignent,  dit-il, les deux Testaments, Dieu sévit toujours en sa juste colère, contre les nations qui négli­gent de faire respecter les lois dictées  par lui-même. Il importe d'ailleurs de précipiter l'événement pour satisfaire au plus tôt, ou-

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tre Dieu, le peuple qui murmure et dont l'impatience devient vérita­blement importune. » Le roi sauva toutefois Louis Berquin. Mais ce malheureux n'eut pas l'esprit de comprendre la réserve qu'im -posait sa situation. En présence d'ennemis acharnés, sous le coup d'une condamnation à mort, Berquin s'emporta et déclara qu'il fal­lait accuser hardiment d'impiété, la Sorbonne, Rome et tous leurs valets. Pour comble, Berquin eut l'imprudence d'en appeler au parlement. Le 16 septembre 1529, il fut amené devant la Cour. « Louis Berquin, lui dit le président, vous êtes convaincu d'avoir tenu la secte de Luther et d'avoir fait de mauvais livres contre la majesté de Dieu et de sa glorieuse Mère. En conséquence, nous vous condamnons à faire amende honorable, la tête nue, une tor­che de cire ardente à la main, en la grande cour du palais, criant merci à Dieu, au roi et à la justice, de l'offense par vous commise. Puis après, serez mené la tête nue, à pied, en la place de Grève, où vous verrez brûler vos livres. Ensuite vous serez conduit devant l'Église de Notre-Dame où vous ferez amende honorable à Dieu et à la glorieuse Vierge sa mère. Après quoi, on vous percera la lan­gue, cet instrument par lequel vous avez péché. Enfin vous serez mis dans la prison de Monsieur de Paris (l'Évêque), et vous y se­rez enfermé entre deux murs de pierre pour toute votre vie. Et dé­fendons qu'on vous donne jamais livre pour lire, ni encre ni plume pour écrire. » Berquin introduisit un nouvel appel ; son affaire exa­minée de plus près, entraîna la peine de mort: il fut envoyé au feu.


   41. « On était loin, au XVIe siècle, dit Guizot, de comprendre que le respect est dû à toute croyance religieuse sincèrement professée et pratiquée ; les novateurs qui brisaient les images de la Vierge et de l'Enfant-Jésus ne pensaient pas qu'en attaquant aussi brutale­ment ce qu'ils regardaient comme une superstition, ils outrageaient et révoltaient les consciences chrétiennes. » Nous laisserons, pour ce qu'il vaut, le principe de lat olérance universelle ; nous le croyons mal assorti au respect qu'on doit à Dieu, à soi-même et à la vérité mais nous nous étonnerons que des gens qui prêchaient cette tolé­rance, aient été les plus intolérants et les plus violents des hommes. Les protestants, à cette époque, nous l'avons appris de Guizot lui-

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même; n'étaient que des individualités éparses, sans doctrine, sans mandat, sans autorité, qui, au nom du droit qu'ils s'arrogeaient de croire autrement que la presque unanimité de leurs compatriotes et de leurs ancêtres, voulaient anéantir, non pas leur foi, mais les signes qui la représentaient. Le lundi 1" juin 1528, lendemain de la Pentecôte « quelques hérétiques vinrent de nuit, dit le Journal d'un bourgeois de Paris, à une image de Notre-Dame de Pierre, qui est à un coin de la rue, derrière l'église du Petit Saint-Antoine, à laquelle image ils donnèrent plusieurs coups de couteau, lui ôtèrent la tête et celle de son petit enfant, Notre-Seigneur. Mais on ne sut oncques qui furent les rompeurs d'images. Lors le roi étant à Paris, de ce averti, fut si courroucé et marry, qu'on dit qu'il en pleura très fort. Et incontinent, par deux jours ensuivants, il fit crier à son de trompe, par les carrefours de la ville, que si on savait qui avait fait cela, on l'annonçât et dît à la justice et à lui, et qu'il lui donnerait mille écus d'or. Néanmoins, on n'en put rien savoir, combien que le roi en fit grande diligence, et qu'il eut commissai­res ordonnés pour aller par toutes les maisons faire enquête.... Les mardis et autres jours suivants, il y eut des processions particu­lières des paroisses et autres églises de la ville, qui allèrent quasi toutes audit lieu... Et le jour de la Fête-Dieu qui était le 11e jour dudit mois de juin, le roi alla en procession bien dévotement, avec la paroisse de Saint-Paul et tout le clergé, jusqu'au lieu où était ladite image. Lui-même portait une torche de cire blanche ardente, la tête nue, en moult grande révérence, ayant avec lui les instru­ments et hautbois, avec plusieurs clairons et trompettes, qu'il fai­sait beau voir tant mélodieusement ils jouaient. Et avec lui était M. le cardinal de Lorraine et plusieurs prélats et gros seigneurs, et tous les gentilshommes, ayant un cierge chacun de cire blanche en la main, et tous ses archers avaient chacun une torche de cire ar­dente, et allèrent ainsi jusques au lieu où était ladite image, en moult grand honneur et révérence, ce qu'il faisait beau voir et dévotieux 1. »

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1 Journal d'un bourgeois de Paris, p. 347-351.

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       42. On avait songé un instant à faire venir Mélanchthon d'Alle­magne et à provoquer une conférence publique. L'archevêque de Lyon avait fait comprendre au roi qu'un colloque en France serait aussi malheureux que ceux dont l'Allemagne offrait l'affligeant spectacle. Après les nouveaux excès des hérétiques, on ne peut plus penser à conciliation. Les esprits s'irritaient. Les protestants, enhardis par la protection de la reine Marguerite, par les louanges de quelques humanistes, les menées de la duchesse d'Etampes et tous les embarras du royaume, ne se cachaient plus. Disputeur, railleur, insolent, au lieu de joindre les mains pour prier, le pro­testantisme levait les bras pour frapper. Afficher des erreurs, ga­gner des gens de peu ne lui suffisait plus ; il calomniait les évoêques, outrageait les prêtres, créait, pour désigner les catholiques au mépris, les noms grossiers de Papolâtres et de Théophages. Le soir, des sacripants couraient les rues, affichaient des placards, excitaient à la haine et à la violence. Le lieutenant de police luttait en vain ; la secte avait fini par avoir des intelligences jusqu'à la cour. En 1535, le nombre des placards insultants, affichés partout, fut si considérable qu'on l'appela l'année des placards. Bèze con­fesse lui-même la violence de ses corréligionnaires. « Il y a grande apparence, écrit-il, que peu à peu le Roy mesme, eût-il commencé de gouster quelque chose de la vérité, ayant esté gainé jusqu'à ce point tant par la royne de Navarre, sa sœur, que par deux frères de la maison du Bellay, qu'il délibéra de faire venir en France et d'ouïr en présence de ce grand et renommé personnage, Philippe Mélanchthon ; mais l'an 1534, environ le mois de novembre, tout cela fut rompu par le zèle indiscret de quelques-uns, lesquels avaient fait imprimer certains articles d'un style fort aigre1. » Ce n'était pas seulement contre le dogme que s'exerçaient ces violen­ces, mais contre les temples, les couvents, les reliquaires, les vieux livres, contre toutes les splendeurs du culte et les richesses de l'art. Si on eut laissé faire les protestants, il ne serait pas resté, de nos temples, pierre sur pierre. Dans l'intérêt seul de l'art, il fallait bien

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1 Bèze. Hist. eccl, p. 15.

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arrêter ces scandales, qui, à l'exemple de Bourbon, eussent changé nos églises en écuries. Le pouvoir, averti par les murmures du peuple et par la voix éloquente de Budé, s'émut enfin. Le peuple voulait vivre et mourir catholique. On crut qu'une procession so­lennelle devait d'abord expier de nombreuses profanations. Le roi assista à cette procession, la tête nue, une torche allumée à la main et suivi de toute sa cour, des ambassadeurs étrangers et des flots du peuple. L'Evêque de Paris marchait, le Saint-Sacrement en mains, sous un dais porté par monseigneur le Dauphin, les ducs
d'Orléans et d'Angoulême, et par le duc de Vendôme, premier prince de sang. Le roi entra dans la grande salle de l'évêché et harangua le parlement en robes rouges, le clergé et la noblesse. Le prince s'éleva avec force contre la meschanceté et l'acerbe peste qui voulait détruire la monarchie française ; il signala les excès commis spé­cialement dans la capitale, et, se couvrant de l'exemple de ses an­cêtres : « À cette cause, dit-il, j'ai voulu vous convoquer et vous prier mettre tous vos cœurs et pensées, toutes ces opinions qui pourront vous séduire et vous affoler, les uns les autres, et que vous veuillez, comme vous en prie, instruire nos enfans, familiers et do­mestiques, à la chrestienne obéissance de la foy catholique et icelle tellement suivre et garder, que si cognoissiez aucun contagieux et perclus de cette perverse secte, veillez iceluy tant soit-il vostre pa­rent, vostre frère, cousin, ou affin, révéler. Car en taisant son ma­léfice, seriez adhérens à la faction tant infecte. Et quant à moy, qui suis votre roy, si je sçavais un de mes membres, maculé ou infecté de ce détestable erreur, non-seulement vous le baillerois à couper, mais davantage si j'apercevais aucun de mes enfans entachés, je le voudrais moy mesme sacrifier. » Ce jour même ou le lendemain,
on dressa dans Paris des bûchers où montèrent en chantant Bar­thélémy Milo, cordonnier, Nicolas Yaleton, Jehan du Bourg, reven­deur, Henri Paille, maçon, Etienne de la Forge, marchand. Si l'on eût arrêté ces pauvres âmes sur le chemin de l'éternité pour leur demander de réciter leur credo, pas une ne l'aurait dit dans les mê­mes termes. Ce n'étaient, ni des zwingliens, ni des calvinistes, ni des luthériens, mais des fanatiques exaltés par la lecture des li-
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belles de Parel et les prédications occultes  de quelque renégat, et qui ne savaient pas même ce qu'était une confession de foi. Plai­gnons les malheureuses victimes qu'on poussait au supplice, comme à un martyre qu'elles acceptaient sur la foi de quelque apostat qui, la veille, avait renoncé à ses vœux de continence et chantait le bû­cher, mais n'aurait pas voulu y monter.

 

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