Bysance 27

Darras tome 18 p. 280


§ II. Empire d'Orient.

 

   7. La terreur inspirée par les Sarrasins était alors au comble dans toutes les îles de l'Archipel et sur le littoral méditerranéen. La faible main de Louis le Débonnaire n'avait pas su protéger contre leurs incursions la frontière des Pyrénées. Toutes les conquêtes de

------------------------

1.Les chiffres manquent dans tous les manuscrits.

2.Liber Pontifical. Grégorius IV, pap. 10*, Pair, lat., tom. CXXVIII, col. 1280.

=================================

 

p281 CHAp.   VI.  — EMPIRE  D’ORIENT.    


Charlemagne dans la « marche hispanique » étaient perdues. Les Maures d'Espagne ne trouvaient plus de résistance que dans les chrétiens des Asturies commandés alors par Alphonse le Chaste et le vaillant Ramire, fils de Bermude, associé au trône du vivant d'Alphonse. Mais au lieu de s'opiniâtrer dans une lutte stérile contre des montagnards aussi pauvres que braves, les Maures préféraient avec leurs légers esquifs armés en course se ruer sur les riches ter­ritoires de l'Italie ou des îles de la Grèce. Dans ces dernières, ils se fixèrent sans résistance et établirent des colonies qui devenaient à leur tour de nouveaux centres de piraterie et de brigandage. Ainsi aux deux extrémités de l'Europe les barbares du nord et les Sarra­sins du sud menaçaient à la fois la civilisation chrétienne. L'empe­reur d'Occident, le faible Louis, ne savait rien opposer à cette dou­ble invasion simultanée. La couronne de Charlemagne était trop pesante pour son front, et l'épée du héros était véritablement tom­bée en quenouille.

 

8. De son côté, l'empereur d'Orient, Michel le Bègue, n'était occupé qu'à persécuter les catholiques. Il assistait  froidement au démembrement de l'empire. Les Sarrasins fixèrent le siège de leur domination dans les mers de l'Archipel, en Crète, où ils bâtirent la ville de Candie, qui donna depuis son nom à toute l'île. D'un autre côté, les Musulmans d'Afrique, appelés par la trahison d'un lâche officier des troupes impériales, envahirent la Sicile. De même qu'au temps de l'invasion d'Espagne, ce fut la plus honteuse passion qui attira ce désastre. Euphémius, général de l'empire, qui commandait en Sicile, avait, par un audacieux sacrilège, enlevé une religieuse de son couvent pour l'épouser. Michel le Bègue avait à se reprocher le même scandale, car il avait, lui aussi, épousé malgré elle une vierge consacrée au Seigneur, Euphrosine, petite-fille de l'impéra­trice Irène. Par une contradiction, dont l'histoire fournit du reste assez d'exemples, Michel voulut punir, dans son lieutenant,  un crime qu'il avait commis lui-même. Euphémius ne lui en laissa pas le temps. Il appela à son aide l'émir d'Afrique, qui s'empara de toute la Sicile (827). Lorsqu'on apprit à Constantinople la perte de cette île, Michel II dit à Irénée, l'un de ses ministres :  « Je  vous

================================

 

p282      l'ONTlFICAT   DE   GRÉGOIRE  IV   (828-844).

 

félicite de n'avoir plus le soin d'administrer une île si éloignée ; vous voilà délivré d'un lourd fardeau. — Seigneur, répondit Irénée, il ne vous faut plus que deux ou trois soulagements pareils pour être vous-même débarrassé de l'empire. » Mais, pourvu qu'il lui restât des bourreaux, Michel le Bègue se croyait assez puissant. Le saint moine Méthodius, qui devint plus tard le patriarche de Constantinople, reçut par son ordre sept cents coups de fouet et fut jeté en­suite dans un cachot où il languit quinze ans. Saint Euthymius, évêque de Sardes, expira dans les tourments. Saint Théodore Studite mourut dans l'exil pour la cause de la foi qu'il avait si éloquemment et si courageusement défendue. Le patriarche saint Nicéphore ne lui survécut pas longtemps.


   9. Une colique néphrétique enleva subitement Michel le Bègue, le 1er octobre 829. Ce tyran fut enterré avec honneur dans le mausolée de Justinien. Singulier rapprochement qui réunissait dans la tombe les restes d'un grand prince, autrefois l'honneur de l'empire et ceux d'un misérable aventurier, porté sur le trône par un assas­sinat, maintenu au pouvoir par une série de cruautés et d'exécutions sanglantes. Le règne de Michel II, le Bègue, avait valu à l'empire la perte de la Crète, de la Sicile et de la Dalmatie tout entière. Le trône des califes était alors illustré par Al-Mamoun, second fils d'Haroun-al-Raschid, aussi vaillant guerrier et aussi habile admi­nistrateur que son père. Autant l'ignorance de Michel le Bègue et sa haine contre toute espèce d'instruction même élémentaire abais­saient le niveau intellectuel dans l'empire byzantin, autant l'amour du calife pour les sciences, les lettres et les arts élevaient les carac­tères et les âmes parmi les populations arabes si longtemps incul­tes et grossières. Déjà, nous l'avons vu, un premier effort avait été tenté en ce sens à l'époque de saint Jean Damascène. Al-Mamoun reprit l'œuvre abandonnée. Il fit venir des îles de l'Archipel, de la Grèce et de Constantinople même des manuscrits précieux qu'il payait parfois au poids de l'or. Des traducteurs habiles les tradui­saient en arabe, et des écoles se fondaient à Bagdad pour étudier la philosophie d'Aristote. Il y avait loin de cette pensée civilisatiice d'Al-Mamoun à la barbarie d'Omar qui condamnait aux flammes la

=================================

 

p283 CHAP. VI.-EMPIRE  D ORIENT.

 

bibliothèque des Ptolémées. Le calife faisait tenir en sa présence des conférences publiques sur les divers objets des connaissances humaines. « Il regardait les savants, dit Abulfaradge, comme des créatures privilégiées, choisies par Dieu lui-même pour éclairer et perfectionner la raison chez les hommes. Ils sont, disait-il, la lumière du monde, les percepteurs du genre humain. Sans eux la terre de­viendrait sauvage. Il comparait à la vie brutale des animaux celle des hommes qui ne se préoccupent que du corps et de ses besoins matériels, sans songer à cultiver leur âme et à l'élever par la sagesse et la vertu. Ces maximes que ne désavouerait pas un philosophe chrétien, Al-Mamoun les pratiquait le premier. Il réussit à devenir l'un des plus savants hommes de son empire. Pendant que Michel le Bègue chassait les religieux catholiques de ses États, le calife les recueillait dans les siens et leur confiait la direction de ses écoles.


   10. Le fils de Michel, Théophile, que ses continuelles défaites dans la guerre contre les Sarrasins firent surnommer l'Infortuné, lui succéda. Il fut le dernier et le plus violent persécuteur des or­thodoxes. De concert avec l'intrus Jean Léconomante, qu'il fit monter sur le siège de Constantinople à la mort d'Antoine de Syllée, il entreprit de faire triompher, à force de cruautés, l'hérésie des iconoclastes. Il ne défendit pas seulement d'honorer les saintes images, il punit de mort le crime d'en fabriquer. On remplit les prisons de peintres, de statuaires, de prêtres et d'évêques catholiques, et surtout de pieux solitaires que le tyran ne pouvait souf­frir. Les chevalets, les verges de fer, tous les instruments de sup­plice reparurent; le sang des chrétiens coula de nouveau par torrents. Un peintre de Constantinople, nommé Lazare, coupable seulement d'avoir retracé sur la toile une scène religieuse, eut les mains brûlées par les ordres de Théophile. L'empereur fit graver avec un fer rouge sur le front de deux moines catholiques, Théo­dore et Théophane, leur condamnation comme coupables du crime d'idolâtrie. Théophile voulut assister à leur supplice pour jouir de leur tortures. « Seigneur leur dit Théophane, ces caractères que vous imprimez sur mon front seront ineffaçables ; vous les lirez un jour devant le tribunal du souverain juge. »  Les deux religieux.

===============================

 

p284       fONTIPICAT DE  GRÉGOIRE  IV  (828-844).

 

expirèrent dans les tourments. Le saint moine Méthodius, empri­sonné ou plutôt enterré tout rivant dans un tombeau dès le règne de Michel le Bogue, en était sorti depuis peu, plus semblable à un squelette qu'à un homme. Il consacrait son érudition et son élo­quence à prémunir les fidèles contre l'erreur. Le bruit en parvint bientôt à Théophile, qui le fit venir, et lui dit : « Après les châti­ments que vous ont déjà valu tant de vaines disputes, ne cesserez-vous jamais d'exciter la division et le trouble pour un sujet aussi futile que celui des images? — Si elles sont méprisables ces images sacrées, répondit Méthodius, pourquoi voulez-vous qu'on honore publiquement et qu'on multiplie tous les jours les vôtres, tandis qu'on abat partout celles de Jésus-Christ 1? » L'empereur le fit dé­pouiller jusqu'à la ceinture et déchirer sous ses yeux de mille coups de fouet. Demi-mort et tout épuisé de sang, on le descendit par un trou dans un souterrain du palais, d'où quelques personnes com­patissantes le tirèrent pendant la nuit et firent panser ses plaies.


   11. Cependant, à côté du persécuteur, s'élevait un nom cher au catholicisme et sur lequel se fondaient les espérances de l'Église pour un meilleur avenir. L'impératrice Théodora, à qui sa rare beauté avait valu les honneurs du trône, vénérait les saintes images. Florina sa mère l'entretenait dans ces pieux sentiments. Les prin­cesses, ses petites-filles, venaient fréquemment la voir. Un jour, Théophile leur demanda quel accueil leur faisait leur grand'mère, et ce qui se passait dans ces entrevues où elles paraissaient prendre plaisir. La plus jeune, Pulchérie, montra à l'empereur avec la naï­veté d'un enfant quelques statues et images religieuses que Théociste leur avait données, et ajouta : «Elle en a de plus belles encore qu'elle nous fait baiser respectueusement.» L'empereur iconoclaste

-------------------

1 Par une contradiction flagrante avec son système, Théophile l'Iconoclaste employait à payer des sculpteurs et des statuaires profanes des trésors qu'il eût mieux fait de consacrer à la défense de l'empire. Un luxe effréné régna à Coustantinople sous son gouvernement. Les historiens contemporains ont parlé d'un arbre à rameaux d'or placé dans la salle du trône. Une infinité de petits oiseaux de même métal cachés dans son feuillage faisaient entendre d'harmonieux concerts. Des deux côtés du palais impérial apparaissaient deux lions d'or massif, dont les rugissements imitaient ceux des lions véritables.

=================================

 

p285 CHAP.  VI.   —  EMPIRE  D'ORIENT.     

 

dissimula sa colère. Il n'osait éclater contre sa belle-mère, femme d'un génie supérieur, d'une piété courageuse, à laquelle sa haute capacité et les grâces de l'impératrice sa fille avait conquis tous les cœurs.     

 

   12. Enfin, après une sanglante défaite infligée à ses armes (8-41)  par le calife Mutazem, successeur d'Al-Mamoun, Théophile, malgré sa jeunesse, car il n'avait guère que trente ans, tomba dans une profonde mélancolie. Une consomption que tous les symptômes accusaient comme mortelle succéda bientôt à ce noir chagrin en l'aggravant encore. Sentant sa fin prochaine, il se fit porter au palais de Magnaura dans la salle où les sénateurs tenaient leur séance. « Sur le point de perdre la couronne et la vie, leur dit-il, je ne vous demande que deux choses, fidélité à mon fils et invio­lable attachement à la véritable doctrine qui proscrit l’idolâtrie des images. » Le sénat lui promit l'une et l'autre. De retour au palais impérial, Théophile éprouva encore le besoin de commettre avant de mourir un dernier acte de barbarie. Dans les convulsions de la douleur et se tordant sur un lit d'agonie, il demanda qu'on lui ap­portât la tête de Théophobe à l'instant même. Théophobe était l'époux de sa sœur. Prince accompli, il avait refusé la couronne que l'armée lui offrait; et l'empereur pour récompenser cette noble fidélité, l'avait jeté dans un cachot. Des assassins présentèrent au moribond la tête de Théophobe sur un plat d'argent. La saisissant par les cheveux, toute dégouttante de sang, il dit avec une joie féroce : «Bientôt je ne serai plus Théophile; mais toi, tu n'es plus Théophobe ! » Après cette ignoble vengeance, l'empereur icono­claste entra dans un véritable accès de délire. Toutes les victimes dont il avait peuplé les cachots, tous les martyrs dont il avait fait jeter le corps à la voirie, apparaissaient à son imagination troublée. « Malheureux que je suis! s'écriait-il; on me déchire à coups de fouets ensanglantés ! » Toute la nuit s'écoula dans ces visions qui semblaient un prélude de l'enfer. Agenouillée près du lit funèbre, l'impératrice priait et pleurait. A ses côtés, le chancelier impérial Théoctiste, catholique fervent, faisait de même. Il portait au cou une petite médaille du Sauveur qu'il cachait avec soin. Dans un

=================================

 

p286 PONTIFICAT   DE   GRÉGOIRE   IV   (828-844).

 

mouvement qu'il fit en s'approchant du moribond pour l'aider à se retourner sur sa couche d'agonie, Théophile aperçut cette image sainte. Le chancelier s'éloigna aussitôt et se tint hors de portée. Mais l'empereur lui fit signe d'approcher. Le tyran iconoclaste avait perdu complètement l'usage de la parole; il ne pouvait plus manifester sa volonté que par gestes. Plus il faisait signe à Théoctiste de venir à lui, moins le chancelier osait le faire. Les mains crispées et impuissantes de ce maître du monde qui allait mourir semblaient appeler une proie pour la déchirer. Dans son effroi tou­jours croissant, Théoctiste se précipita vers la porte, mais l'officier de garde, à la vue de l'empereur qui d'un geste désespéré deman­dait qu'on lui ramenât le criminel, n'hésita point à porter la main sur le chancelier et le conduisit près du moribond. On crut un instant à une horrible tragédie; déjà Théoctiste s'apprêtait à mourir. L'illusion fut bientôt dissipée. Théophile d'une main convulsive saisit la pieuse médaille que le chancelier portait au cou, il la baisa avec une ardeur fébrile. A l'instant, les douleurs vives se calmè­rent. Théodora s'approchant alors de son malheureux époux lui remit deux autres médailles, l'une de Jésus-Christ crucifié et l'autre de la sainte Vierge. Théophile les reçut comme un trésor de salut et de grâce. Il les tint collées à ses lèvres jusqu'à ce que, dans ce baiser de repentir et de réconciliation , il expira doucement le 20 janvier 842.

 

13. Avec le prince inopinément converti en face de la mort, s'é­teignit en Orient l'hérésie iconoclaste qui, depuis cent vingt-cinq ans désolait l'Église et l'État. Les détails de la conversion de Théo­phile s'étaient promptement répandus dans la cité byzantine ; on attribuait à sa fatale hérésie les malheurs de ce prince jeune et vail­lant qui n'avait jamais en plus de vingt combats remporté une seule victoire. Le surnom «d'Infortuné » que lui avaient valu ses innom­brables défaites inspirait maintenant une sorte de commisération pleine de regrets et de sympathies. Théophile ne laissait, outre quatre filles Thécla, Anne, Anastasie et Pulchérie, qu'un seul fils, enfant de trois ans, nommé Michel, qui devait plus tard mériter le triste surnom de « l'Ivrogne »   sous lequel il  est connu dans l'histoire. Le testa-

================================

 

p287 CHAP.   VI.   —   EMPIRE   D'ORIENT.     

 

ment impérial donnait à cet enfant au berceau l'impératrice Théo­dora sa mère pour régente, avec un conseil d'administration com­posé du chancelier Théoctiste, et des généraux Manuel et Bardas, le premier oncle, le second frère de Théodora. La perspective d'une régence, même dans les États les plus florissants, est toujours alar­mante ; à plus forte raison se fait-elle redouter dans les empires en décadence comme l'était alors celui de Constantinople. Aussi lors­que, le lendemain de la mort de Théophile, en présence du Sénat et du peuple convoqués à l'hippodrome, le général Manuel vint ré­clamer le serment de fidélité pour le nouvel empereur, toutes les voix s'écrièrent : « Vive Manuel auguste! Gloire et longues années à l'empereur Manuel ! » Pour un ambitieux qui eût convoité le trône, l'occasion était admirable. Mais le général n'était point de cette lâche et misérable race d'intrigants, hypocrites et fourbes, qui se font par métier détrousseurs de couronnes. En entendant les cla­meurs de la multitude, Manuel fit un geste d'indignation : « Arrêtez, dit-il ; vous avez un empereur légitime ; votre devoir et le mien est de lui obéir. Mon ambition se borne à défendre son enfance : le seul honneur où j'aspire est celui de verser mon sang pour lui con­server le sceptre que le vœu de son père mourant, l'autorité du sénat et vos propres suffrages lui ont transmis. Vive l'empereur Michel III! Vive l'impératrice régente Théodora! » Ce langage était celui de l'honneur et de la loyauté. On le tient rarement aux foules, bien qu'elles y soient d'ordinaire très-sensibles. Le peuple groupé dans l'hippodrome hésita un instant comme pour laisser à Manuel la faculté de revenir sur sa noble résolution. Mais à l'aspect du loyal guerrier qui semblait chercher des yeux dans cette multitude im­mense des cœurs assez généreux pour comprendre le sien, un cri unanime se fit entendre : « Vive Michel III! Vive l'impératrice ré­gente ! »

 

14. Le général Manuel qui venait de donner un exemple si rare de fidélité et de désintéressement était iconoclaste, ou plutôt, comme disent les chroniqueurs  byzantins,  exclusivement  préoccupé de questions militaires et administratives, il n’avait jamais étudié les controverses religieuses. Il voulait maintenir les choses dans l'état

=================================

 

p288      PONTIFICAT  DE GRÉGOIRE  IV  (82i-8ii).

 

où la mort de Théophile les avait laissées, estimant qu'il serait fort dangereux de susciter des querelles et de réveiller les discussions assoupies, au commencement d'une régence dont le crédit était loin d'être affermi encore. Au point de vue politique, le seul qu'il eut en vue, son avis paraissait très-sage. Il ne touchait cependant que très-médiocrement la régente Théodora et le chancelier Théoctiste. Celui-ci, chrétien fervent, partageait la dévotion de l'impératrice envers les saintes images. Bardas, frère de Théodora et élevé comme elle dans l'orthodoxie, professait les mêmes sentiments. Tous trois connaissaient le servilisme byzantin ; ils ne mettaient pas en doute que du jour où l'hérésie iconoclaste serait abandonnée par le pouvoir, elle aurait perdu la très-grande majorité de ses adhérents. Mais après le service éclatant que Manuel venait de rendre au jeune empereur Michel, il était absolument impossible de ne pas céder à ses obser­vations et de lui faire l'injure d'adopter une ligne de conduite qu'il désapprouvait. Les premières délibérations du conseil de régence aboutirent donc à cette conclusion nécessaire de remettre à d'autres temps une solution qui semblait alors prématurée. Sur ces entrefai­tes, Manuel tomba gravement malade. Il fit appeler un disciple de saint Théodore Studite, en qui il avait grande confiance et lui parla des scrupules que son attitude au conseil de régence à propos de la question des images éveillait dans sa conscience. Le religieux au­quel il s'adressait était un homme de Dieu. Fixant sur le malade un regard inspiré il lui dit : « Le Seigneur veut par vous mettre fin au schisme qui désole depuis si longtemps son Eglise; vous guérirez et serez l'instrument de la providence pour le rétablissement du culte des saintes images. » La prédiction s'accomplit. Manuel, rappelé en quelques jours des portes du tombeau à une santé inespérée, proposa lui-même au conseil de régence l'exécution immédiate des pieux projets de l'impératrice et indiqua les moyens les plus propres à en assurer le succès.


   15. Le seul obstacle un peu sérieux qu'on eût à prévoir était l'opposition du patriarche intrus Lecanomante, dont la fureur avait allumé la persécution et fait depuis trente ans de si nombreuses vic­times. On convint de le tenir pour le moment en dehors de toutes

=================================

 

p289 CHAP,   VI.   —   EMPIRE  li'OHIENï.     

 

les négociations et d'agir sans lui. Le chancelier Théoctiste se chargea de disposer les esprits en faveur du retour à l'orthodoxie. Sa de­meure fréquemment visitée par les évêques, les prêtres et les reli­gieux, offrait un lieu de réunion commode et facile. Une grande assemblée où les principaux iconoclastes du clergé et du sénat furent convoqués avec les plus illustres défenseurs de la foi catholique, se tint dans la maison de Théoctiste. La régente voulut y assister en personne. Elle y posa la question du rétablissement des saintes images, et laissa ensuite aux deux partis la liberté entière de discu­ter. Après un débat consciencieux, les iconoclastes déclarèrent una­nimement que la tradition catholique et la raison elle-même étaient
du côté des catholiques. Ils souscrivirent une formule explicite d'abjuration, dans laquelle ils suppliaient l'impératrice de rétablir le culte ancien tel que l'Eglise romaine l'avait toujours pratiqué. Munie de cette pièce officielle, Théodora n'avait plus rien à redou­ter de Lécanomante : ou ce sectaire persisterait dans l'erreur, et
dès lors il s'exposerait à être déposé dans les formes canoniques ; ou il se soumettrait par ambition, et dans ce cas sa cause serait
examinée par le souverain pontife. La régente lui fit dire que l'una­nimité du clergé, du sénat et du peuple de Constantinople deman­daient le rétablissement des images, et qu'on en attendait de lui une décision qui rendrait la paix à l'Église et le repos à toutes les consciences. En lui faisant transmettre ce message, Théodora qui
connaissait l'opinâtreté du sectaire était persuadée que Lécanomante y répondrait par un acte de démission. Il n'en fut rien. L'intrus se
borna à demander quelque temps pour réfléchir. A peine les en­voyés de l'impératrice avaient-ils quitté le palais, qu'il s'ouvrit lui-même une veine au flanc, avec la précaution toutefois de ne point se faire une blessure trop dangereuse ; le sang coula en abondance, pendant que le faux blessé criait au secours par une fenêtre. On accourut en foule : Léconomante déclara que des assassins aux gages de l'impératrice venaient d'attenter à ses jours. Une rumeur sédi­tieuse parcourut en un instant toute la ville. Bardas, informé du tumulte, arriva au palais. Il fit en présence de tout le peuple visiter la place de Lécanomante. dont l'imposture fut ainsi découverte. Les
================================

 

p290      l'O.NTIFICAT   DE   GHKWMHK   IV   (824-8U;.

 

domestiques du patriarche saisirent et montrèrent la lancette dont le fourbe venait de se servir. La pitié fit place à l'indignation ; toutes les voix demandaient l'expulsion de l'intrus, qui, le soir même, quittait Byzance pour n'y plus jamais remettre le pied.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon