Croisades 33

Darras tome 23 p. 606

 

75. Les chroniqueurs évaluent au chiffre de dix  mille le nombre des infidèles qui furent massacrés dans les rues de Jérusalem  par  les croisés victorieux. « Mais, dit Albéric d'Aix,  pendant  que le sang coulait ainsi à grands flots, Godefroi de Bouillon, étranger à ces scènes de carnage, avait déposé son armure et revêtu la robe de laine des pénitents. Pieds nus, suivi de trois de ses officiers, Baldric, Adelbold et Stabulo, il sortit de l'enceinte fortifiée, fit humblement suivant l'usage des pèlerins le tour des murailles, et,  rentrant par la

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1 Guillelm. Tyr.. 1. VIII, cap. xvui, col. 426.

2. On avait réparé la faute commise à l'assaut précédent : ordre avait été donné pour que chaque groupe de deux chevaliers eût à sa disposition une échelle de rempart. « Aussi, dit Guillaume de Tyr, y eut-il cette fois grande abondance d'échelle. » Scatarum maxima copia ; nam bitii et bini sequite ex edicto publico singulas sibi prseparaverant.

1Raimboldus Creton, qui primus in expugnatione Jérusalem ingressus est, strenuissimus miles. (Order. Vital., llistor. eeclës., 1. XI ; Pair, lat., t. CLXXXV1II, col. 839.)

3.GuiUelm. Tyr., 1. VIII, cap. xxiv, col. 434.

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p607 CHAP.  V.   —   SIEGE  DE  JÉRUSALEM.

 

porte qui fait face au mont des Oliviers, après avoir franchi le lit du Cédron, il vint, fondant en larmes, se prosterner au sépulcre de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant. Longtemps il y resta en prières, rendant grâces au Dieu tout-puissant, qui lui ac­cordait la faveur de contempler de ses yeux mortels ce lieu sacré, terme de son pèlerinage et objet de tous ses vœux2. » Quelques jours après, quand une acclamation unanime l'eut fait roi de Jérusalem, comme on voulait dans cette basilique du Saint-Sépulcre lui poser un diadème sur le front : «A Dieu ne plaise, s'écria le héros, que je porte une couronne d'or, en un lieu où mon Sauveur fut couronné d'épines ! » Il ne voulut d'ailleurs jamais prendre le titre de  roi et se nommait modestement le duc du Saint-Sépulcre. Il laissa les au­tres chefs  se partager l'immense trésor trouvé dans la mosquée d'Omar. Sa piétié ambitionnait des richesses d'une autre nature. « Un des fidèles de Jérusalem lui révéla l'existence d'une insigne re­lique de la vraie croix, qui, depuis l'invasion des Sarrasins d'Egypte, avait été enfouie dans le sous-sol d'une maison abandonnée 2. » On l'y retrouva dans un reliquaire d'or, le même où l'empereur Héraclius l'avait déposée, lorsqu'il transporta à Constantinople l'autre fragment du bois sacré de la Rédemption. Godefroide Bouillon es­tima ce trésor plus que tous les diamants et toutes les pierreries. Il en destina une parcelle à l'Église de Paris, sans doute en mémoire du pieux évêque Guillaume de Montfort, qui avait suivi l'expédition sainte et y trouva une mort glorieuse. Ce fut Ansel, un clerc de Notre-Dame devenu prascentor de la basilique du Saint-Sépulcre, qui transmit le précieux envoi au nouvel évêque de Paris, Galo, successeur de Guillaume de Montfort3. » Raimbaud Creton fut jugé digne d'avoir part à un trésor qu'il avait si vaillamment aidé à conquérir. Godefroi de

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1. Alber. Aq., 1. VI, cap. xxxy, col. 550.

2. Ibid., cap. XXXVIII, col. 5155.

3. Nous avons encore la lettre d'envoi écrite par Ansel avec cette suscription : Galoni Dei gratin Parisiorum episcopo et Stepbano archidiacono, cvj'ut laudis et polestatis magnitudo per mvlta terrarum loca etiarn apud nos celebris habetur, et B. decano, et R. archidiacono et N. prscentori, omnique conventui sancts Maris ParisTensis, Ansellus gloriosissimi Sepu/cri cantor et

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p608       PONTIFICAT  B.   DU   URBAIN   11  (4e  PÉRIODE   1088-1099).

 

Bouillon lui en donna un fragment considérable, qui s'est transmis d'âge en âge dans la famille du preux chevalier, comme un monument de foi et de bravoure héréditaire 1.

 

   76. « Les fidèles de Jérusalem n'avaient pas oublié, dit Guillaume de Tyr le vénérable Piere l’Ermite, que cinq ans auparavant ils avaient vu dans la ville sainte, et à qui le patriarche Siméon, au nom du clergé et du peuple chrétien, avait remis ses lettres pour implorer le secours des princes d'Occident. Ils se portèrent à sa ren­contre : agenouillés devant le serviteur de Dieu, ils lui baisaient les mains en pleurant de joie ; ils lui rappelaient son premier pèleri­nage, et les promesses si glorieusement réalisées qu'il leur avait faites alors. Ils lui rendaient grâces pour le zèle héroïque déployé par lui dans l'accomplissement de sa mission. « Le Seigneur est vraiment glorieux dans ses saints, disaient-ils : c'est lui qui, contre toute espérance, a donné à vos paroles une efficacité telle, que vous avez soulevé les nations et les royaumes pour la délivrance de Jé­rusalem. » Ils ne se lassaient pas de contempler les traits de l'hum­ble ermite. En public et en particulier ils lui prodiguaient leurs hommages, déclarant qu'après Dieu c'était à lui qu'ils étaient rede­vables de leur salut et de leur liberté. Le patriarche Siméon n'était point à Jérusalem : il n'eut pas la consolation de revoir l'apôtre des croisades, dont il avait si puissamment encouragé la vocation. Il avait dû se rendre dans l'île de Chypre pour y recueillir des subsi­des, ou, selon l'expression plus

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presbyter licet indignus (Patr. lai., t. CLX1I, col. 729.) Outre l'insigne relique de la croix, dont Ansel annonce l'envoi, à Paris, il ajoute que le praecentor de Sainte-Ge­neviève, Bernard, un des pèlerins de Terre-Sainte, est chargé de remettre au chapitre de Notre-Dame un fragment de la pierre du saint Sépulcre. La croix d'Ansel ou d'Anseau, du nom du clerc de Notre-Dame, fait encore aujour­d'hui partie du trésor de la métropole. (Cf. Rohault de Fleury, Menu sur les instruments de la Passion, p. 107 et suiv.

1.Les descendants de Raimbaud Creton ont conservé jusqu'à ce jour la re­lique héréditaire, « plus précieuse pour eux qu'une principauté. » Un frag­ment en fut détaché, au commencement de ce siècle, pour être offert à l'église Saint-Sulpice de Paris. M. Rohault de Fleury décrit ce fragment, dont il n'a d'ailleurs pas connu la provenance, en ces termes : « L'église de Saint-Sul­pice conserve dans son trésor un morceau de la vraie croix, comparable en volume à la lame d'un canif. » (Instrum. de la Passion, p. 117.)

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p609 CHAP.  V.   —   SIEGE  DE  JÉRUSALEM.

 

énergique du chroniqueur, pour y mendier des aumônes en faveur de ses chrétiens, eleemosynas mendicaturus 1. » La double conquête de Jérusalem par les troupes du calife égyptien et par les croisés eut lieu en son absence. Comme il se préparait à retourner dans sa ville délivrée, Dieu l'appela à la Jé­rusalem du ciel. L'humilité de Pierre l'Ermite ne s'accommodait point des honneurs que l'on prodiguait à sa personne. Il fut des pre­miers à revenir en Europe pour s'y ensevelir dans la solitude (1101). Embarqué à Jaffa avec Conon de Montaigu, Lambert de Clermont et grand nombre d'autres chevaliers et pèlerins, il vit son navire assailli par une violente tempête. Un vœu commun fut fait par les passagers : ils jurèrent tous, si Dieu les arrachait au péril, d'élever dans leur patrie une église en l'honneur du saint Sépulcre. A peine ce vœu était-il formulé, que le calme revint sur les flots et la séré­nité au ciel. Le reste de la traversée s'accomplit heureusement. L'église du vœu fut érigée, sous la direction de Pierre l'Ermite, à Huy, au diocèse de Liège, sur les rives de la Meuse. Dédiée sous le double vocable du Saint-Sépulcre et de Saint-Jean-Baptiste, elle de­vint le centre d'un monastère bénédictin qui s'appela Neufmoutier. Pierre l'Ermite s'enferma dans ce cloître ; il y mourut à l'âge de soixante-deux ans, le 8 juillet 1115 2. Il avait été le véritable conquérant de la Jérusalem terrestre, avant d'être admis aux éternelles délices de la Jérusalem des cieux3. A cette époque, Godefroi de Bouillon son disciple, son ami, son roi, était mort depuis quinze ans.

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1.  Guillelm. Tyr., 1. IX, cap. xxui, col. 431.

2. Dom Grenier, Ms. Ex codice Alnensi. Cf. Wion. Pierre l'Hermite, p. 402 8 Voici i'épitaphe qui fut gravée sur la tombe de Pierre l'Ermite :

lnclyta per mérita, clarus jacet hic Heremita Petrus, qui cita vere fuit Israelita. Hac modo, Petre, petra premeris, quamvit super astra Vivere cum petra Clirisli credcris in xthra.

(Gilles d'Orval, Ilisl. des eu. de Liège.)

 FIN   DU   XXIIIe   VOLUME

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