Julien l’Apostat 6

Darras tome 10 p. 67


§ IV. Persécution de Julien l'Apostat.

 

   29. La persécution de Julien, fort connue dans ses procédés et     dans ses résultats, n'a pas été suffisamment étudiée dans le carac-tère particulier qu'elle empruntait à la tournure d'esprit de son auteur. On sait que Julien, représentant une branche cadette de la  dynastie Constantinicnne, détestait les aînés de cette famille impériale. Entre eux et lui, l'élévation de Constantin le Grand avait, semé les germes d'une haine implacable, et plus tard le meurtre de Gallus avait creusé un abîme de sang. La grande œuvra de Cons-

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1. S. Greg. Naz., Orat. xvill, Funcbris in patrem; Pair, grœc, torn. XXXV,. col. 1030. — * M. de Broglie, L'Ègl. et i'Emp. rom., tom. IV, pag. 2*0- Cf. S. Greg. Naz., Orat. v„ n» 30. lbid

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tantin, celle qui avait donné à ses fils un prestige incomparable, c'était, suivant une parole remarquable de saint Grégoire de Nazianze, « la fondation du pouvoir impérial du Christianisme 1. » Julien, qui détestait Constantin comme un usurpateur, inclina fort naturellement à exécrer son œuvre. La jeunesse de l'Apostat, écoulée dans l'isolement où Constance l'avait relégué, fut nourrie de ces ressentiments solitaires et de cette haine concentrée. Ses études se tournèrent du côté du paganisme, comme l'œil du proscrit s'ouvre sur les horizons de la vengeance. Le christianisme devint son ennemi personnel, parce qu'il était le point d'appui d'une dynastie qu'il abhorrait. Il y eut donc ce phénomène singulier d'un jeune prince qui recevait l'ordre de lecteur à Nicomédie, et qui aurait voulu brûler l'Évangile ; qui suivait l'enseignement de maîtres chrétiens, et qui avait juré dans son cœur une haine immortelle au christianisme; qui lisait ostensiblement la Bible, et ne croyait qu'aux dieux d'Homère ; qui pliait le genou dans les églises, en attendant qu'il lui fût donné de rouvrir les temples du paganisme. Le travail obstiné de l'apostasie intérieure, aux prises avec les pratiques officielles de la religion chrétienne, produisit dans l'âme de Julien une véritable obsession démoniaque sur laquelle nous devons d'autant plus insister que le rationalisme historique affecte plus particulièrement de la laisser dans l'ombre 2. Il est

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1 Tr.v y.pr,-i5a -ri;? {3a?i).ixr,; toi XpiTîiaviujj.^ Suvacteiiî. Cette parole de S. Grégoire de Nazianze, mise eu regard avec la Donation de Coustantin, apporte à celle-ci une confirmation implicite qui n'échappera à personne. (Greg. Naz., Ornt.v, cap. XVII ; Patr. greee, ton). XXXIII, col. 6S5.)

2. Nous devons ici rendre un hommage mérité à l'illustre auteur de l'Église et l'Empire romain au IVe siècle. Il a parfaitement saisi cette nuance du caractère historique de Julien, et s'il ne l'a pas mise davantage en relief, il a du moin eu le courage, car c'en est un, de la signaler à l'attention du public, sans se soucier du courant d'opinions convenues qui règne depuis un siècle dans nos écoles. Voici les paroles de M. de Broglie : « Chose étrange, que la postérité aura peine à croire et qu'il faut pourtant qu'elle admette; de tous les sentiments qui animaient Julien, le plus profond peut-être, celui dont l’expression jaillit le plus naturellement de son cœur, c'est sa dévotion au polythéisme. Elle reparaît sous trop de formes dans ses écrits, tint trop de place dans sa vie, lui inspira, même sur son lit de mort, trop de pieuses effusions pour qu'on puisse douter de sa sincérité : une comédie ne saurait

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certain, par des témoignages irrécusables, qu'à force de sacrilèges opiniâtrement renouvelés, Julien, devenu théurge fanatique et convaincu, se crut véritablement en rapports quotidiens, persévérants, habituels, avec les dieux qu'il invoquait. Depuis son ini- tiation aux mystères éleusiaques par le sophiste hiérophante Maxime, toute la vie de l'Apostat ne fut qu'un commerce intime, effectif, réel avec ce qu'il nommait ses dieux, c'est-à-dire avec ce que le spiritisme moderne appelle les esprits, et ce que les saintes Écritures nomment les démons. Ce n'était pas là un moyen politique d'agir sur la crédulité du vulgaire, en se couvrant d'une protection surnaturelle. Julien croyait profondément à cette protection; on peut dire qu'il la voyait et la sentait. L'horrible prix dont il consentit à la payer en est la preuve. La nuit, dans l'intérieur de son palais, à Lutèce, à Vienne, à Sirmium, à Constantinople, à Antioche, il s'enfermait avec Oronte, un sacrificateur égyptien dont il ne se séparait jamais. « Là, dit saint Grégoire de Nazianze, à la clarté vacillante d'une torche, on plongeait un couteau sacré dans le sein d'un enfant, d'une jeune vierge, ou d'un chrétien; on disséquait leurs membres palpitants, pour les faire servir à l'évocation des âmes, aux pratiques de l'art divinatoire et à d'horribles mystères 1. » Cet ordre de faits, si peu connu, ne repose pas seulement sur une phrase isolée du grand docteur. Le discours d'où elle est extraite fut prononcé solennellement dans l'église de Nazianze, l'année même de la mort de Julien. Les épouvantables

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être ni si longue ni si bien jouée. Quand il s'écriait dans un élan de ferveur : « J'aime les dieux, je frissonne devant eux, je les respecte et je les redoute » (Toù; Oîoùç tâ^çi-ai, xaî çfttSS, "/.ai aé6u>, xai adoptai), sa voix prenait un  accent d'émotion que nulle feinte ne saurait imiter. Résignons-nous donc à penser qu'un homme d'esprit pouvait encore, quatre siècles après Jésus-Christ, s'aveugler jusqu'à chérir les fables dont souriait déjà Cicéron. La crédulité pédante de Julien n'échappe au dégoût que par le ridicule. Les incrédules, les sceptiques de tous les siècles qui ont admis Julien dans leurs rangs, ont soigneusemeut laissé dans l'ombre ce trait si marqué cependant de son caractère. Il ne leur plaisait pas de reconnaître que le modèle qu'ils donnaient aux rois avait consulté d'autres oracles que ceux de la philosophie. » (M. de Broglie, L'Ègl. et l'Emp. rom., tom. IV, pag. 409*410,)

1. S. Grégor. Naz., tûia. cit., ibid.

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révélations qu'elle nous apporte étaient alors tellement notoires que le saint évêque s'exprime ainsi : « Qui me donnera le génie de Thucydide, ou la plume de Tacite, pour faire connaître à la postérité les crimes de ce monstre? Décrirai-je les monceaux de cadavres qui s'entassaient sous le couteau d'Oronte, pendant que la main impériale fouillait les entrailles palpitantes des victimes? Les souterrains des palais impériaux ont maintenant révélé leurs secrets. Des étangs, des puits, des fosses regorgeant de restes mutilés, nous ont donné le dernier mot de ces mystères homicides. Faudra-t-il pardonner tant de forfaits, sous prétexte que leur auteur semblait les condamner lui-même, puisqu'il prenait soin de les dissimuler 1? Mais plus d'une fois il s'est vanté de telles horreurs et les a pratiquées au grand jour. Ainsi tout l'univers a su l'horrible sacrifice qui souilla le palais impérial de Constanlinople, le jour où Julien, voulant inaugurer son apostasie, fit pratiquer à toute sa cour cette fameuse ablution dans le sang par laquelle il voulait effacer, disait-il, la tache du baptême chrétien. On vit alors, et je rougis d'avoir à le rappeler, on vit les sacrificateurs pratiquer sur tous les assistants des incisions, dont le sang offert aux dieux servait à laver les mains des acteurs et des victimes. Quel nom donner à cela? Superstition, fanatisme, seraient des expressions insuffisantes. Pour moi, cela s'appelle une folie démoniaque. Je ne veux parler ici que de faits constants et avérés. On a dit qu'un jour, en ouvrant les entrailles d'une victime, Julien y trouva l'image d'une croix couronnée. Cependant je n'ai pu encore constater l'authenticité de ce récit. Je préfère donc, bien qu'il soit très-répandu, ne pas l'admettre avant vérification. Mais voici un épisode qui m'a été confirmé par une foule de témoignages. Dans un de ces souterrains où il se livrait, avec son fidèle Oronte, à des pratiques mystérieuses, Julien se vit subitement entouré d'apparitions fantastiques qui se pressaient de toutes parts, faisant entendre des bruits insolites, élevant une vapeur fétide, enfin tout le cortège nabituel de ces évocations dont le récit tient du délire. Le César, récem-

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1. Grégor. Naz., loc. cit., col. G24-G25.

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ment initié, n'était point encore aguerri contre de pareilles manifestations ; il eut peur, et se rappelant la foi qu'il avait abandonnée, il traça sur lui le signe de la croix. Immédiatement la fantasmagorie disparut. Mais Julien voulut recommencer l'épreuve; une nouvelle évocation ent lieu : les spectres reparurent. Un nouveau signe de croix les mit en fuite. Oronte s'approcha du prince, et lui saisissant le bras : Qu'avez-vous fait? dit-il. Ce n'est pas la terreur qui éloigne les dieux, c'est l'indignation que leur cause votre sacrilège. Cessez d'attirer sur vous leur juste colère, en leur opposant les pratiques d'un culte maudit. — L'hiérophante triompha par ce sophisme des derniers scrupules d'une conscience inquiète, et plongea pour jamais cette âme dans l'apostasie 1. » Ainsi parle saint Grégoire de Nazianze. Ce chapitre longtemps oublié de l'histoire vraie de Julien semble détaché d'un ouvrage quelconque de nos spirites modernes. Il n'y a donc pas lieu de passer légèrement sur des faits de ce genre. Le paganisme du IVe siècle est très-réellement le père de la réaction démoniaque qui se produit au milieu de nos sociétés sciemment et volontairement paganisées. A mesure qu'on réussit à chasser Jésus-Christ de notre civilisation actuelle, nous y voyons rentrer triomphant celui que l'Évangile appelle le prince du monde, l'antique ennemi, le diable. Qu'on ne dise pas que les Pères de l'Église en général, et saint Grégoire de Nazianze en particulier, cédaient trop facilement à la crédulité de leur époque ; qu'ils admettaient trop légèrement la possibilité des communications avec les esprits. Ce reproche suranné tombe de lui-même, en présence de l'invasion au milieu de notre incrédulité moderne des doctrines théurgiques qui, sous nos yeux, à côté de nous, dans nos cités les plus flères de leurs progrès, comptent par centaines de mille des adeptes dont la conviction est aussi profonde que leur propagande est effrayante. La vérité est que l'Église catholique, fondée sur l'Évangile révélation immuable et divine, a toujours cru, enseigné, professé que l'empire du démon se traduit non-seulement par la séduction occulte des âmes, mais par des

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1.Grégor. Naz., loc. cit., col. 575-580.

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p72        PONTIFICAT  DE  SAINT  LIBER1US   (339-366).

 

manifestations sensibles, des obsessions et des possessions réelles. Aujourd'hui, comme au temps évangélique, nous voyons se repro- duire les phénomènes démoniaques dont Noire-Seigneur eut si souvent à combattre la manifestation, durant sa vie publique. Les Apôtres et leurs successeurs les Pères de l'Église se sont trouvés pendant quatre et cinq siècles en face des mêmes phénomènes. Jésus-Christ avait dit que ses disciples, en son nom, chasseraient les démons 1 ; ses disciples l'ont fait, et avec un tel succès que les oracles païens se turent successivement sur tous les points de notre Europe. Il vint un jour où le monde civilisé fut chrétien. Le baptême devint dès lors un rempart contre les invasions diaboliques; elles n'eurent plus lieu par grandes masses : elles continuèrent seulement à se produire de loin en loin et par cas isolés. Mais le mouvement rétrograde qui essaie depuis deux siècles de paganiser à nouveau le monde, devait nécessairement nous ramener les manifestations démoniaques. Tous les hommes de foi l'avaient prévu; quelques-uns, M. de Maistre en particulier, l'avaient prédit. L'événement n'a que trop justifié leurs craintes, en les dépassant par un bond aussi inattendu que formidable. Julien faisait au IVe siècle ce que notre spiritisme fait au XIXe. Le nom seul est changé ; les principes, les moyens d'action, l'illuminisme sombre et fanatique, sont les mêmes. L'histoire païenne de Julien, écrite par Ammien Marcellin son confident, son favori, son admirateur, nous le montre en un commerce incessant, familier, intime avec les dieux. Dans son palais des Thermes, à Lutèce, la fameuse nuit où les légions vinrent offrir à Julien la pourpre impériale, Jupiter lui apparut et lui ordonna d'accepter la couronne. Deux jours plus tard, comme il hésitait encore, le génie de l'empire se montra debout à ses côtés, et lui parla ainsi : Depuis longtemps, je me tiens à ta porte, prêt à augmenter ta fortune et ta gloire. Tu m'as déjà vu plus d'une fois, sans m'écouter. Aujourd'hui, si tu refuses encore de m'entendre, je m'éloignerai à regret. Mais n'oublie pas que j'ai fort peu d’années à demeurer avec toi. — Sur le point de quitter

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2. ln nomine ceo ditmrmi^. Rident,

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p73 CHAP.   I.   —  PERSÉCUTION   l'E  JUUEN  L'APOSTAT.              

 

Vienne et d'affronter les périls d'une rupture ouverte qui ne lui laissait d'autre alternative que la victoire ou la mort, Julien pratiqua l’une de ces horribles évocations dont saint Grégoire de Nazianze nous a raconté les sanglants détails, et dont Ammien Marcellin nous fait connaître le résultat. Au milieu d'un disque éblouissant comme celui du soleil, Julien vit son génie familier qui lui dit : Marche ! Dans un an Constance sera mort. — A l'heure où Constance mourait à Mopsucrène, Julien voyait son génie familier lui apparaître à Sirmium et lui dire : L'ennemi est à terre. —Tels sont les détails authentiques fournis par Ammien Marcellin. Le parallélisme entre le témoignage des auteurs païens et celui des auteurs chrétiens est donc rigoureusement exact. Julien, n'en déplaise aux rationalistes, fut le contraire de ce qu'ils appellent un esprit fort. Julien apporta, dans sa restauration païenne, un fanatisme d'initié, d'adepte et de théurge qui faisait rire les païens eux-mêmes, tant ils le trouvaient exorbitant. Ce caractère d'illuminisrae idolâtrique peut seul expliquer l'ardeur passionnée, farouche, insatiable, qu'il apporte dans sa lutte contre Jésus-Christ. Elle forme le trait distinctif d'une persécution dont la durée n'excéda pas trois ans, et dont l'activité fébrile aurait suffi à défrayer un demi siècle de persévérants labeurs.

 

   30. Julien ne s'arrêta devant aucun obstacle. Le premier qu'il rencontra sur sa route fut celui du ridicule. Les mœurs publiques s'étaient modifiées, depuis Constantin le Grand. Déjà l'idée des vastes boucheries organisées en cérémonies religieuses, sous le nom de sacrifices, était devenue inacceptable pour l'opinion. La poésie mythologique n'avait pas encore perdu tout son prestige : on admettait assez facilement l'éclat des pompes païennes ; les théories de jeunes filles portant sur leur tête des corbeilles de fruits et de fleurs ; la vapeur de l'encens s'élevant dans les temples ; les gâteaux, le lait, le vin et le miel offerts aux statues des dieux : tout cela pouvait parler à l'imagination, sans trop offenser la délicatesse d'un goût qui commençait à s'épurer sous l'action du spiritualisme chrétien. Mais les hécatombes, les égorgements de bœufs, de génisses, de moutons, de porcs; la main ensanglantée des prêtres fouillant les entrailles des victimes, dépe-

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çant les chairs, brûlant la graisse; ces horreurs sacrées dégoûtaient maintenant le peuple romain, après l'avoir charmé tant de siècles. Un immense éclat de rire accueillit donc le décret par lequel Julien ordonnait de fournir sur le trésor public aux frais dos sacrifices qui devaient recommencer à la fois dans tout l'empire. On vit par troupeaux immenses, les bœufs blancs, car c'étaient ceux-là que préféraient les dieux de l'Oympe, quitter les campagnes privées ainsi de leurs plus laborieux auxiliaires, et venir plier leur tête enguirlandée sous la massue des égorgeurs sacrés. On connaît le trait satirique qui renouvelait un mot déjà adressé à Marc Aurèle en pareille circonstance, et qui circula bientôt dans toutes les bouches : « Les bœufs blancs au César Julien, salut. C'est fait de nous si vous triomphez! » On disait aussi : «Constance a dilapidé la fortune publique en frais de poste pour la réunion de ses conciles. Les achats de bœufs faits pour le compte de son successeur vont achever notre ruine. » — Julien laissait dire et se mettait sérieusement à l'œuvre. Son palais impérial de Constantinople fut pourvu d'autels et d'idoles dans tous les recoins, dans toutes les salles, dans toutes les cours. Ordre fut expédié à Sardes, au grand sacrificateur Maxime, de venir prendre la direction suprême des égorgements qui allaient commencer au palais, pour se répéter dans tout l'univers. Le voyage de Maxime mit en mouvement l'Asie entière ; on le recevait sous des arcs de triomphe; les magistrats, les gouverneurs, les proconsuls escortaient son char, au milieu d'un peuple dont les acclamations, les transports, l'enthousiasme ne connaissaient pas de bornes. Julien, à l'approche de ce grand homme, quitta ses appartements, se précipita à sa rencontre, et le tint longtemps pressé sur son cœur. Les hécatombes commencèrent. Maxime et Julien ne se quittèrent plus. Jour et nuit ils consultaient les dieux ; toutes les réponses des oracles transmises par l'infail-lible intermédiaire de Maxime étaient converties en décrets et devenaient des lois de l'empire. Décret par lequel Julien reprenait le titre de Summus Pontifex. Décret pour établir un sacrificateur général dans chaque province, ayant sous ses ordres les sacrifica-

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teurs particuliers de chaque ville et de chaque bourgade. Autre décret par lequel Julien ordonnait à l'Egypte tout entière de se mettre eu quête pour trouver un nouveau bœuf Apis. Ordre aux habitants d'Alexandrie de retirer de la basilique chrétienne l'étalon métrique de la coudée et l'étiage réglementaire qui servait à préciser la hauteur des crues du Nil, et d'avoir à replacer ces deux objets au temple d'Eleusis. Cette dernière ordonnance fut promptement exécutée ; il ne fut pas si facile, malgré la meilleure volonté du monde, de trouver un bœuf Apis. Le ruminant destiné à cet honneur devait être noir, avec une tache blanche et parfaitement carrée au front, une autre figurant un aigle sur le dos, une troi-sième en forme de croissant sur le flanc droit, et enfin un nœud sous la langue. A ces conditions seulement, un bœuf pouvait as-pirer au rôle de Dieu et prendre possession du temple superbe qui l'attendait à Memphis. Après dix-huit mois de recherches, cette merveille fut trouvée. Vraisemblablement un si long intervalle avait été ménagé pour sauvegarder les apparences, car les prêtres égyptiens savaient, aussi bien que le premier maquignon venu, les moyens artificiels de donner toutes les nuances au pelage des ani- maux. Quoi qu'il en soit, la bonne nouvelle de la résurrection du bœuf Apis fut triomphalement annoncée à Julien. Sa joie fut au comble. Il s'empressa d'écrire aux Alexandrins pour leur annoncer avec emphase les prospérités dont cet événement était le présage pour leur patrie. Quelques mois après, un tremblement de terre renversait des centaines de cités, en Lybie, en Egypte, en Palestine, en Sicile et en Grèce. La famine suivait de près, et !a mort tragique de Julien lui-même n'allait pas tarder à couronner cette série de désastres. Il était cependant impossible de se montrer plus fervent adorateur des dieux. Son titre de souverain pontife n'était point pour lui une sinécure. Il en exerçait en personne les fonc- tions. Chaque matin, il immolait une victime au soleil, et renouvelait la même offrande le soir. Venaient ensuite les sacrifices à la lune, aux étoiles, qui se prolongeaient fort avant dans la nuit. Telle était sa liturgie quotidienne, et en quelque sorte le menu ordinaire de ses sacrifices. Mais en dehors de ces fonctions privées il

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p76      PONTIFICAT  DE  SAINT  L1BERIUS   (33'J-3C0).

 

ne manquait jamais d'assister, durant le jour, à quelque cérémonie publique du même genre. On le voyait alors, sans nul souci de sa dignité impériale, se prosterner devant l'idole, lui baiser les pieds, fendre le bois pour l'autel, attiser le feu, égorger lui-même la victime. Une de ses habitudes favorites était de figurer en personne dans les théories, entouré de mimes qui chantaient des hymnes en l’honneur des dieux et dansaient ces pas obscènes que l'antiquité nommait les origuai (orgies). Il se comparait alors à David dansant devant l'arche. Libanius, son panégyriste païen, nous affirme que les dieux récompensèrent ce zèle pour leur culte, en le comblant de faveurs inouïes. Ils daignaient se manifester à lui sous des formes visibles ; l'avertissaient de tous les dangers qu'il pouvait courir ; le dirigeaient dans toutes ses actions, et se montraient tellement familiers avec lui qu'il distinguait leur voix et reconnaissait sur-le-champ celle de Jupiter, de Minerve, d'Apollon ou d'Hercule 1. Cependant il tenait un registre exact de tous les oracles, pronostics, signes obtenus soit par les communications intimes avec les dieux, soit par l'inspection des entrailles des victimes, soit par l'intermédiaire des augures, devins et aruspices. En somme, un pareil état d'esprit ressemblait fort à la folie, et cependant Julien n'était pas fou.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon