Jansénisme 2

Darras tome 37 p. 226

 

Cinquième but : Se concerter de vive voix avant d'ouvrir la lutte.

 

«... Boëce vous a écrit par une lettre latine, comme il n'avait pas perdu l'espérance de se joindre un jour à Durillon... Il ne cessera point d'esclaircir, selon que Dieu l'aidera, tous les points, jusques à la composition de l'œuvre principale, car, alors il sera nécessaire de conférer avec Célias, devant que le commencer. Dernier febvrier. » — Je vous ay respondu par ma dernière à celle qui parle de la réunion de Célias avec Sulpice, trouvant bien bon le moyen de l'exécuter... Cela suppose cependant que la résolution nette et péremptoire fut faite auparavant, laquelle pend encore de plusieurs

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circonstances... » 25 mars. — «... Sulpice ne doute point, s'il ne fait pas le voyage de cette année, qu'il le fera de l'autre, Dieu aydant. » 5 août 1622.

 

   126. A bout de correspondances, les deux conspirateurs résolurent de s'entendre avec les amis. On convint de se réunir à Bourg- Fontaine. Bourg-Fontaine était une chartreuse dans la forêt  de Villers-Cotterets. On pouvait venir de tous côtés, sans être vu et se disperser de même sans se faire remarquer. C'est là que se réuni­rent en 1621, les chefs du futur  parti janséniste pour concerter leurs manœuvres. La première divulgation en fut faite par Filleau, premier avocat du roi au présidial de Poitiers, imprimée en 1654, sous ce titre : «Relations juridiques de tout ce qui s'est passé à Poitiers touchant la nouvelle doctrine. » Filleau tenait ce récit d'un ecclésiastique présent à l'assemblée, qui refusa de prendre part à ces horribles projets. Ces projets n'allaient à rien moins qu'à l'aboli­tion de la religion chrétienne ; on devait, sur ces ruines, établir le déisme. Les conspirateurs, dans la relation de Filleau, sont dési­gnés seulement par les initiales de leurs noms ; Bayle, dans son Dictionnaire critique, à l'article Arnauld, les désigne en toutes let­tres; ce sont: Jean Duvergier de Hauranne, Corneille Jansen, Pierre Cospéan, depuis évêque de Lisieux,  Pierre Camus, évêque de Belley, Arnauld d'Andilly et  Simon Vigor, richériste,  conseiller au grand conseil.   Quelques-uns des  membres de l'assemblée furent d'avis que l'entreprise  était impossible  et qu'on   ne  réussirait uniquement que par des voies souterraines. En attaquant les sacre­ments les plus fréquentés des adultes ; en rendant leur pratique inaccessible ; en élevant la grâce à l'état de fatalité ; en discréditant les ordres religieux et les directeurs qui pourraient défendre les fi­dèles contre la séduction; en attaquant d'abord le Pape, puis l'Église, on démolirait ainsi l'Eglise dont le deïsme prendrait la place. Filleau hésita longtemps à publier sa relation ; il céda aux instances d'Anne d'Autriche, qui le remercia du service qu'il venait de rendre en dévoilant un si criminel complot. Les jansénistes se dé­fendirent avec colère ; mais ces emportements ne prouvaient que leur dépit. Filleau ne se bornait pas à accuser ; il établissait, par la

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correspondance de Jansénius, qu'il y avait eu cabale contre la religion ; que les adeptes restaient réunis en conciliabule ; que quelques initiés avaient changé de sentiment et vendu le parti. On peut disputer sur le but précis qu'aurait eu l'assemblée ; on ne peut pas contester qu'elle ait eu lieu. D'ailleurs, on ne peut pas mettre en doute la sincérité de Filleau. C'était un grave magistrat, un bon chrétien, sans attache aux Jésuites. En publiant sa relation, il n'avait cédé qu'à sa conscience et aux ordres de la reine-mère. Tout au plus peut-on dire qu'il aurait été trompé par l'ecclésiasti­que qui lui aurait fait cette révélation. Dans ce cas, il eut été plutôt prophète que menteur ; car les conjurés firent tous ce à quoi les obligeait le complot. D'un autre côté, qu'ont répondu les jansé­nistes? Nommez le révélateur, disaient-ils et dénoncez les coupa­bles. Évidemment on ne pouvait tenter utilement ni l'un ni l'autre. Bayle a d'ailleurs désigné nominativement les conspirateurs ; et nous verrons bien s'ils ont réellement travaillé à la ruine du chris­tianisme.

 

  127. Dans le complot de Bourg-Fontaine, les chefs du jansénisme s'étaient partagé les rôles. Saint-Cyran se réservait l'action et la diffusion de la doctrine ; Jansénius devait s'appliquer à l'enseigne­ment scientifique. Dans ce but, il lut dix fois les œuvres de S. Augustin. On peut douter qu'il faille les lire tant de fois pour les bien prendre dans leur sens obvie. Ce lecteur insatiable de S. Augustin était un négociateur habile. Deux fois, en 1624 et en 1626, il fut envoyé par l'université de Louvain en Espagne, pour s'opposer aux prétentions des Jésuites qui voulaient acquérir, à leurs collèges, des privilèges universitaires ; il s'acquitta de cette mission avec adresse, fermeté et grande considération pour lui-même. Son application aux combinaisons d'alchimie dogmatique ne l'empêchait pas d'avoir l'oeil aux choses du monde. En 1633, con­sulté pendant la guerre par les seigneurs de Flandre, qui voyaient le pays ouvert à l'invasion hollandaise et peu secouru de l'Espagne, son avis fut qu'en conscience on aurait pu secouer le joug espa­gnol, traiter directement avec la Hollande et se cantonner à la manière des Suisses; deux ans après, en 1635, à l'occasion de la

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guerre de France et pour corriger sans doute l'impression qu'avait pu produire cet écart séditieux dans l'esprit de la cour madrilène ; mais aussi, il est permis de le croire, par une impulsion patrio­tique, il composa, de concert avec le président Roze, sous le titre de Mars Gallicus, un pamphlet latin des plus énergiques, contre la prérogative des rois très chrétiens, contre la politique du cardinal de Richelieu et le choix des alliés protestants que se permettait ce prince de l'Église ; il dénonçait les désastres qui en résultaient pour l'Alle­magne catholique et les dépeignaient vivement. L'auteur en faisait porter la responsabilité à Louis XIII, qu'il raillait sur son surnom de Juste. Le livre porta coup ; il s'en fit plusieurs éditions ; il fut même traduit en français. L'Espagne paya le service par l'évêché d'Ypres. Jansénius nous apparaît en homme qui ne se résigne pas à être, toute sa vie, un pédant d'école. S'il n'eût fait autre chose, on pourrait louer sa bravoure d'esprit et sourire à la définition qu'il donne de lui-même, se comparant à un salpêtre qui brûle en un instant et se dissipe sans laisser odeur ni fumée.

 

128. Pour obéir à la consigne, Saint-Gyran alors domicilié à Paris, cherchait à se lier avec toutes les influences du monde ecclé­siastique. Bérulle trop peu difficile à gagner, se laissa prendre ; le P. de Condren, un instant séduit, se détacha et devint un grand adversaire. Dès le temps de Bérulle, qu'il flattait en lui obtenant des approbations belges, pour ces ouvrages et en procurant l'éta­blissement de quelques maisons dans les Flandres, Duvergier avait un pied à l'Oratoire et ne l'en retira plus. C'est par l'Oratoire que le jansénisme infecta les Pays-Bas ; c'est dans les Pays-Bas qu'on se réfugiera en temps de persécution et qu'on fera imprimer les livres du parti. Saint-Cyran s'essaya encore sur le P. Bourdoise ; dans sa simplicité, Bourdoise sut se défendre ; le sectaire ne lui enleva que l'aimable Lancelot, le futur helléniste de Port-Royal. Une proie plus convoitée, de plus haute importance, c'eut été Vincent de Paul ; le novateur fit jouer, près de lui, toutes les grandes eaux de son éloquence, mais en pure perte ; il ne détacha, de la compagnie de Vincent, que Singlin, aumônier de la Pitié, dont il fit le tournebroche de son éloquence. Duverger ne réussit

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pas mieux près du P. Bernard, le pauvre prêtre, près du D. Touant, abbé de Prières, près de dom Grégoire Tarisse, supérieur général de la congrégation de S. Maur. Saint-Cyran, éconduit, eut, dit-on, la pensée de fonder lui-même un nouvel ordre religieux ; il en rédigea même les étranges constitutions et les présenta sans succès à l'archevêque de Paris. En voici quelques points qui aideront à connaître l'homme. L'abbé devait être laïque. Au milieu d'une profusion de détails baroques, il n'est pas dit un mot de la confession. On y parle bien d'une confession faite en chapitre ; mais, comme il n'y a pas de prêtre, ce n'est même pas une con­fession sans absolution. D'Église romaine, ni de Pape, pas la moindre mention. On devait avoir des fêtes, mais celles de la secte assez semblables au calendrier liturgique de Châtel. Ce beau projet échoua et ce fut dommage ; rien n'a été imaginé d'aussi ridicule avant le phalanstère.

 

129. Les échecs du côté des maisons religieuses furent com­pensés par la capture de la famille Arnauld. C'est à Poitiers, vers 1620, que Saint-Cyran vit, pour la première fois, Arnauld d'Andilly ; ces deux hommes aussitôt s'adoptèrent. Cette famille se partageait en deux branches: les Arnauld d'Andilly et les Arnauld de Charenton. La souche commune était un avocat renommé, Antoine Arnauld, fils de Lamothe Arnauld, procureur général de la reine Catherine de Médicis et huguenot tolérant. Son père, qui se convertit d'ailleurs, l'avait élevé dans la religion réformée, où il persévéra, jusqu'à la Saint-Barthélémy, et lui avait laissé sa place de procureur. A la mort de la reine, Antoine s'était livré tout entier au barreau. En 1585, il avait épousé la fille unique de Simon Marion, avocat du roi, « accort, fin, subtil, déguisé, un des premiers hommes du palais, des plus habiles et des mieux disant, plus éloquent que pieux », dit P. de l'Estoile. Catherine de Sainte-Félicité Marion, fit profession à Port-Royal, le 4 février 1629. Arnauld était aussi éloquent que son beau-père, dont le cardinal Duperron vantait la voix fort émouvante, et, comme son beau-père, plus éloquent que pieux. En 1594, il plaida contre les Jésuites, au nom du recteur de l'Université, Jacques

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d'Amboise, il déploya ce que son fils appelle les maîtresses voiles de l'éloquence, l'apostrophe et le poing tendu ; il appela les Jésuites « voleurs, corrupteurs de la jeunesse, assassins des rois, ennemis conjurés de ceste Estât, pestes de la république, pertur­bateurs du repos public, entra aux preuves de tout cela sur des mémoires qu'on lui avait baillés, mémoires d'avocats, qui ne sont pas toujours certains.» La violence de maître Arnauld fut blâmée, même de ceux qui souhaitaient tous les Jésuites aux Indes ; il fallut le criminel attentat de Châtel pour faire expulser la compagnie. Lorsque Henri IV songea à rétablir la compagnie, l'opiniâtre avocat revint à la charge; il écrivit, en 1603, « Le franc et véritable discours au roy sur le rétablissement qui lui est demandé pour les Jésuites. » Ce fanatique ennemi des Jésuites eut une vingtaine d'enfants; on cite, parmi ses fils, Arnauld d'Andilly, celui que capta tout d'abord Saint-Cyran et Antoine Arnauld, dit le grand, docteur de Sorbonne ; et parmi ses filles, les sœurs Catherine de S. Jean Arnauld, Jacqueline-Marie-Angélique Arnauld, Jeanne-Catherine de Ste Agnès-Arnauld, Ange-Eugénie de l'Incarnation-Arnauld, Marie de Ste Claire Arnauld, et Madeleine de S'8 Chris­tine Arnauld. Arnauld d'Andilly eut à son tour, deux fils et six filles, savoir : Charles-Henri Arnauld, de Luzancy, Jules Arnauld de Villeneuve, les sœurs Catherine de Ste Agnès, sœur Angélique de S. Jean, sœur Marie-Charlotte de Ste Claire, Marie-Angélique de Ste Thérèse, Anne-Marie de Ste Eugénie, Elisabeth Arnauld d'An­dilly. Arnauld d'Andilly avait encore cinq neveux, savoir : Antoine Le Maistre, avocat ; Isaac Le Maistre, prêtre, qui fut appelé de Sacy; Simon Le Maistre, de Séricourt ; Jean Le Maistre de S. Elnac ; et Charles Le Maistre, de Vallemont, tous retirés à Port-Royal ; — plus trois cousines, sœur Anne de S. Paul Arnauld, sœur Made­leine des Anges-Marion et sœur Catherine de S. Alexis Marion. Quant à la branche des Arnauld de Charenton, restée huguenote, elle compte treize noms ; parmi eux, nous comptons, Robert, Isaac, les Feuquières, les d'Hencourt et Le Maistre (1). Sauf les protestants, la plupart des Arnauld entrèrent à Port-Royal.

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(1) Varin, La Vérité sur le» Arnauld, t. I, p. 833.

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130. Le jansénisme naissant eut l'heureuse fortune de trouver une forteresse propre à l'abriter et des âmes faites, pour le défendre avec ardeur, les Arnauld et Port-Royal. Ce monastère de Bernar­dines, situé à quelques lieues de Paris, était soumis à la juridiction de Citeaux. En 1599, une enfant de sept ans devenait coadjutrice de la dame Boulehart, que son âge et ses infirmités empêchaient d'exercer sa charge d'abbesse. Maître Arnauld et Marion, tout en invectivant contre les richesses et maisons des Jésuites, n'oubliaient pas d'établir leur maison et d'augmenter leurs rentes. Des nom­breux enfants de l'avocat, l'aînée avait été destinée au monde, les deux suivantes au cloître. La première, en épousant Isaac Le Maistre, emportait une dot ; ses sœurs cadettes, en prenant le voile, devaient apporter le revenu de quelque riche abbaye et la considé­ration attachée aux dignités monastiques. Ces intègres avocats ne songeaient nullement à faire, de leurs filles, de simples religieuses. Marion, qui avait de l'influence près du roi, demanda une abbaye ou une coadjutorerie pour ses petites filles âgées : Jacqueline de sept ans et demi, Jeanne, de cinq ans et demi. Henri IV agréa ces deux demandes, mais Rome refusa les bulles. Cependant les deux enfants prenaient l'habit de leur ordre : Jeanne resta à Saint-Cyr, et Jacqueline, devenue mère Angélique, fut placée près d'Angélique d'Estrées, sœur de la belle Gabrielle, à Maubuisson. Cette substi­tution de noms permit de réitérer en cour de Rome, la demande, des bulles pour la mère Angélique, religieuse professe, âgée de dix-sept ans. On fit valoir que, pendant les guerres religieuses, sans les secours et soins de Marion, le monastère n'aurait pu subsister. Cette allégation n'était peut-être pas fausse, mais la substitution de nom était une fourberie et l'âge de la jeune religieuse un men­songe. Rome fut induite en erreur. La mère Boulehart étant morte, Angélique, après un simulacre d'élection, fut installée abbesse de Port-Royal en 1602 ; elle avait dix ans et demi. Six mois après, l'abbé de Citeaux lui fit faire sa première communion. Jeux dans les enclos du monastère, promenades à travers champs avec la communauté, visites à sa sœur de Saint-Cyr, innocentes mascara­des en temps de carnaval : telles furent, avec la récitation souvent

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négligée de l'office, les préoccupations de cette abbesse. Cinq ans plus tard, Angélique commença à se dégoûter du cloître et à lire des romans. Consumée d'ennui, excitée par ses lectures, elle réso­lut de fuir à l'insu de ses parents, de se marier quelque part, d'al­ler à la Rochelle chez ses tantes huguenotes et de vivre à sa guise. Arnauld s'y opposa fortement et tandis que la demoiselle, pour paraître de plus belle taille, se faisait un corps de baleine, le père, par un tour de sa façon, lui fit signer, sans le lui dire, un renou­vellement de ses vœux. Ainsi prise au piège et crevant de dépit, elle s'imagina, pour faire la nique à son père, de fermer ses grilles et d'envelopper son couvent de hautes murailles. Quand le père vint voir sa fille, il trouva visage de bois, s'emporta, traita Angéli­que de monstre de parricide, tant et si bien que la sainte fille tomba en pâmoison près du guichet. Enfin on s'arrangea : le père put en­trer et la fille ne songea plus à sortir. Un instant même, elle se mit sous la direction de S. François de Sales. La pauvre abbesse manquait de cette tranquillité d'esprit, de cette égalité d'âme, de cette joie modeste, de cette simplicité enfantine que chérissait François. Une direction de crainte et de tremblement et une théo­logie de terreur, un mysticisme obscur et exubérant allaient mieux à sa nature que la manière du doux évêque. La douce et riante figure de François cesse bientôt d'illuminer le cloître ; voici venir Jansénius et le sombre Saint-Cyran.

 

   131. Saint-Cyran avait mis la main sur Arnauld d'AndilIy à Poitiers.  « J'ai acquis sur vous par votre volontaire donation, lui écrit-il, de prévenir tous les temps, toutes les occasions et toute la puis­sance que vous pourrez jamais acquérir ; me rendant maître du fond, j'ai droit à tous les fruits qui y naîtront à jamais. » D'Andilly, premier commis du comte de Schomberg aux finances, était une puissance d'avenir, Saint-Cyran demeurait près de lui ; il allait aussi à Port-Royal faire de beaux compliments à la mère Angéli­que ; il faisait, à la grille, des conférences dont la mère et ses filles étaient fort contentes. Saint-Cyran fut bientôt l'ami intime, le direc­teur favori de toute la famille Arnauld. S'il accompagne à Aire, Sé­bastien Bouthilier, récemment promu à l'épiscopat, il soupire après

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le jour qui le ramènera au milieu de ses disciples : « Je vous dirai, dans les allées de Pompone, à la faveur des arbres, ce que je n'es­time pas être assez bien caché en cette lettre. » Richelieu l'ayant nommé aumônier de Henriette d'Angleterre, Duvergier refusa. « Les grands, dit-il, sont si peu capables de m'éblouir, que si j'avais trois royaumes, je les leur donnerais, à condition qu'ils s'obligeraient à en recevoir de moi un quatrième dans lequel je voudrais régner avec eux : car je n'ai pas moins un esprit de prin­cipauté que les plus grands potentats du monde, et que ceux qui sont déréglés jusques-là en leur ambition que d'oser désirer ce qu'ils ne méritent point. Si nos naissances sont différentes, nos courages peuvent être égaux, et il n'y a rien d'incompatible que Dieu ayant préparé un royaume en prix à tous les hommes, j'y prétends ma part. Cela irait bien loin, s'il n'était, près dix heures de nuit, et si je n'avais peur de parler en vain, en voulant inspirer par mes paroles un désir de royauté dans l'esprit d'un ami, que je ne puis bien aimer de ma mode, s'il n'a une ambition égale à la mienne, qui va plus haut que celle de ceux qui prétendent à la monarchie du monde... »

 

Pour établir son royaume spirituel, il entrait dans sa tactique de discréditer ses adversaires. Le libertinage et l'impiété étaient devenus de mode à la cour ; à la suite du poète Théophile qui te­nait école d'athéisme, les seigneurs et tous ceux qui se piquaient d'esprit en faisaient ouvertement profession. Les Jésuites, pressés par les gens de bien, se mirent à barrer le chemin au torrent et à signaler ses dévastations. Le P. Garasse écrivait d'abord la doc­trine curieuse des beaux esprits de ce temps, et ensuite la somme théologique des vérités capitales de la religion chrétienne. C'était un homme assez savant dans les belles lettres, dit le P. Rapin, il avait fort étudié les anciens et s'était rempli l'esprit de cette cu­rieuse littérature qui avait vogue en ce temps-là. Mais, s'il savait bien des choses, ce n'était pas en homme sûr qu'il les savait, il se méprenait même dans les citations qu'il faisait, et mêlait les senti­ments des anciens à ses propres sentiments, donnant souvent leurs pensées pour les siennes. Dans la Somme ses mauvaises qualités

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débordèrent. Il fut blâmé par ses supérieurs et envoyé à Poi­tiers.

 

Pour couler le P. Garasse, Saint-Cyran publia la Somme des fautes et faussetés capitales, contenues en la somme théologique du P. Ga­rasse. Ce livre était dédié à Richelieu, avec toutes les formules étudiées de l'adulation. Le cardinal est comparé en détail à Moïse à la fois grand prêtre et homme d'État, qui tue l'Égyptien à bonne fin, à qui il appartient, par l'élite de ses pensées, de représenter la beauté des lis et des roses. On n'approuva pas, dans le public, que, pour quelques citations fausses, ou attaquât ainsi un livre composé pour la défense de la religion ; l'éditeur, qui ne faisait pas ses frais, refusa de publier le troisième tome. Le P. Garasse mourut glorieu­sement au service des pestiférés à l'hôpital de Poitiers. Saint-Cyran, qui avait entrepris de montrer la honte du plagiaire, ne se sentait pas de vocation pour cet héroïsme, il aimait mieux exercer les œuvres de miséricorde à la grille de Port-Royal et de l'institut du Saint-Sacrement. Les religieuses, d'abord rebutées par ses doctri­nes austères, se laissèrent tourner et lui firent une confession gé­nérale ; une seule résista, se plaignant de l'esprit nouveau intro­duit dans le monastère. Cette religieuse avait raison. Nous avons des témoins irrécusables des doctrines dont Saint-Cyran infectait Port-Royal. Le Chapelet secret du Saint-Sacrement et les lettres de la mère Agnès, que tout janséniste admire, ne laissent pas de doute à cet égard. Le Chapelet secret est une suite de courtes réflexions sur seize attributs donnés à notre Seigneur dans la sainte Eucharistie. Dans la censure qu'en fit la Sorbonne en 1633 les docteurs décla­raient avoir trouvé dans ce chapelet, plusieurs extravagances, impertinences, erreurs, blasphèmes et impiétés qui tendent à dé­tourner les âmes de la pratique des vertus de la foi, espérance et charité, à détruire la façon de prier instituée par Jésus-Christ ; à introduire des opinions contraires aux effets d'amour que Dieu a témoignés pour nous et nommément au sacrement de l'Eucharistie et au mystère de l'Incarnation.

 

Voici quelques vœux renfermés dans les attributs du Chapelet secret. Sainteté: La société que je veux avoir avec les hommes doit

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être séparée d'eux et résidente en lui-même n'étant pas raisonnable qu'ils s'approchent de nous même en état de grâce, rien n'est digne en nous de la sainteté du Saint-Sacrement et où nous devons leur dire comme S. Pierre à Jésus-Christ : « Retirez-vous de nous car nous sommes pécheurs. Eminence : que Jésus-Christ fasse une sépa­ration de grandeur entre lui et la créature qu'il soit un Dieu, c'est-à-dire dans ses grandeurs divines, selon lesquelles il ne peut être dans rien de moindre que lui. Possession: que les âmes n'aient point de vues, s'il plait à Jésus-Christ de les posséder ou non ; c'est assez qu'il se possède lui-même. Inaccessibilité : que Jésus-Christ demeure en lui-même laissant la créature dans l'incapacité qu'elle a de l'approcher. Que tout ce qu'il est n'ait point de rapport à nous; que les âmes remuent à la rencontre de Dieu ; qu'elles le laissent dans le lieu propre à la condition de son être, lieu inaccessible dans lequel il reçoit la gloire de n'être accompagné que de son essence. Indépendance : que Jésus-Christ n'ait point d'égards à ce que les âmes méritent ; que les âmes renoncent au pouvoir qu'elles ont de s'assujettir Dieu, en ce qui était en grâce, il leur a promis de se donner à elles, qu'elles ne fondent point leur espérance sur cela, mais demeurent dans une bienheureuse incertitude qui honore l'indépendance de Dieu. Incommunicabilité : Afin que Jésus-Christ ne se rabaisse point dans les communications, disproportionnées à son infini, au point que les âmes demeurent dans l'indignité qu'elles portent d'une si divine communication ; qu'elles laissent leur être à Dieu, non pas pour recevoir participation du Dieu, s'estimant heureusement partagées de n'avoir aucune part aux dons de Dieu, pour la joie qu'ils seront si grands que nous n'en soyons pas capa­bles. Inapplication : que Jésus-Christ n'ait égard à rien, qui se passe hors de lui, que les âmes ne se présentent pas à lui pour l'objet de son application, mais plutôt pour en être rebutées par la préférence qu'il doit à soi-même ; qu'elles s'appliquent et se donnent à cette inapplication de Jésus-Christ, auront mieux été exposées à son oubli, qu'était en son souvenir lui donner sujet de sortir de l'application de soi-même pour s'appliquer aux créa­tures.

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« La doctrine du Chapelet secret, dit l'abbé Fuzet, a prévalu, et les sinistres prévisions des docteurs ne se sont que trop réalisées ; le jansénisme, et c'est un grand crime, a détaché le cœur de la France catholique du cœur de Jésus-Christ vivant dans le sacre­ment de l'amour. Alors la terrible parole du maître s'est accomplie : Si quelqu'un ne demeure pas en moi; il sera rejeté comme une branche séparée du tronc ; il se desséchera, on le prendra un jour, on le mettra au feu et il brûlera. Mais au milieu même des ravages du jansénisme, Dieu toujours tendre pour notre malheureuse patrie, prépara, dans un cloître de Paray-le-Monial, la résurrection de la France. Les sectaires le comprirent ; ils voulurent empêcher les révélations miséricordieuses du Sacré-Cœur de franchir le seuil du monastère privilégié ils n'y réussirent pas, et aujourd'hui elles brillent sur nos ruines comme un arc-en-ciel plein de consolants présages. » (1)

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