Darras tome 18 p. 512
10. Sur ces entrefaites le nouvel empereur de Constantinople, Basile le Macédonien, envoya à Rome une ambassade dont le chef était un spathaire impérial portant le même nom que son maître. Il avait pour mission d'apporter au bienheureux pontife Adrien tous les documents relatifs à la cause de l'intrus Photius et du patriarche légitime Ignace, afin que, par un jugement solennel du siège apostolique, le conflit fût définitivement terminé soit par la condamnation soit par la justification irrévocable de l'une ou l'autre partie. Or le vaisseau qui portait les ambassadeurs fit naufrage. Comme par un jugement anticipé de la Providence, le volumineux dossier de Phothius fut englouti par les flots. Tous les personnages que l'intrus envoyait à Rome pour soutenir sa cause périrent à l'exception d'un moine 1 nommé Méthodius. Au contraire le dossier d'Ignace fut sauvé, tous ses délégués ainsi que les ambassadeurs échappèrent au péril et purent arriver au terme de leur voyage. Méthodius les y suivit mais il ne voulut point comparaître au concile romain qui s'assembla pour l'examen de la cause. On lui fit vainement les trois citations canoniques ; il persista à s'abstenir et finit par déclarer qu'il ne voulait ni parler en faveur de Phothius, ni
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1 Le Liber Punlificulls emploie ici une expression plus pittoresque : Xullusrjuc ex yarle ncojihyti nisi munuehn'ui, H<Ikoilius nomine, soltts crosit.
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p513 CHAP. M. — NOÏIOIi l)U LlMCli rONTll'ICALlS.
se soumettre au patriarche saint Ignace. Cette conduite inexplicable lui valut une sentence d'excommunication, après laquelle il quitta Rome et retourna à Constantinople.»
11. « Le spathaire Basile et Jean, métropolitain de Césarée en Cappadoce, députés impériaux, sollicitèrent une audience du pontife. Le très-saint pape Adrien, entouré des évêques et des princi- paux membres du cierge romain les reçut, selon la coutume, dans le secretarium (sacristie) de Sainte-Marie-Majeure. Après avoir présenté les lettres de leur souverain et les offrandes dont ils étaient porteurs, ils rendirent de solennelles actions de grâces au siège apostolique qui avait délivré l'église de Constantinople du schisme et de la tyrannie de Photius. Votre très-dévot fils, l'empereur Basile, et le vénérable Ignace replacé par votre autorité sur son siège patriarcal, dirent-ils, ont trouvé dans les archives de l'église de Constantinople un mémoire rédigé par l'intrus Photius et rempli des invectives les plus grossières contre la sainte Église romaine et contre le très-saint pape Nicolas. Ce libelle infâme a été mis sous scellés, et nous vous l'apportons, à vous, chef suprême de l'Église, qui tenez en vos mains sacrées le pouvoir de lier et de délier sur la terre et au ciel, confié par le Christ lui-même au bienheureux Pierre, prince des apôtres. Daignez, nous vous en prions, le recevoir et l'examiner avec soin, pour connaître à quel excès d'audace l'hypocrite (versipellis) Photius s'est porté contre la sainte Église de Rome, cette Eglise immaculée sur le front de laquelle l'hérésie ou l'erreur n'ont jamais imprimé une seule ride. Il vous appartient de porter à la connaissance du monde entier la sentence que vous formulerez contre le brigandage décoré du nom de synode, présidé par Photius à Constantinople. Il n'a pas craint d'y anathématiser l'Église romaine, le siège apostolique et la personne même du souverain pontife; il croyait ainsi repousser la condamnation deux fois portée contre lui par le successeur de saint Pierre. Dans son conciliabule, il a répété contre notre très-saint pontife Nicolas les blasphèmes et les mensonges les plus horribles. On eût dit qu'il voulait élever la voix jusqu'au ciel et faire entendre ses calomnies jusqu'aux extrémités de la terre. Nous vous apportons les actes de ce latrocinium,
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p514 roKTiFiCAï d'adhien ji (807-87:2).
pour les soumettre à votre examen, afin que l'imposteur soit une troisième fois jugé et condamné par votre autorité apostolique. — En ce moment, le métropolitain Jean de Gésarée alla chercher le volume des actes qu'il n'avait par voulu, par respect pour le souverain pontife, apporter d'avance. Il revint avec ce livre, et le jetant à terre ; Sois maudit à Rome, s'écria-t-il, comme tu l'es à Constantinople ! Le protospathaire frappa de son talon et de la pointe de son épée le schismatique libelle, en disant : Je crois que réellement le diable est l'auteur de ce livre, et que ne pouvant ni parler ni écrire lui-même, il a emprunté la parole et la plume de Photius, son complice. Photius l'a fait signer par Michel, dans une nuit de débauches où ce prince était complètement ivre. Il y a joint la fausse signature de notre empereur Basile. Ce faux est suffisamment prouvé par le fait même du rétablissement du vénérable Ignace rappelé sur son siège par l'empereur notre maître, lequel d'ailleurs nous a autorisés à prêter en son nom serment sur les saints Évangiles que jamais il n'a revêtu de sa signature ce livre infâme. Ce n'est pas seulement le nom auguste du catholique empereur que Photius a eu l'audace d'apposer sur son monument infernal; il a contrefait les souscriptions d'une multitude d'évêques absents, et les a jointes à celles de quelques rares complices, car ce prétendu synode, ce conciliabule dont il rédigeait si compendieusement les actes, n'a peut-être pas compté plus de cinq ou six évêques. La ville de Constantinople ne s'est point doutée de sa réunion et les évêques dont les noms y figurent ignorent pour la plupart son existence. Certaines signatures appartiennent réellement à leurs auteurs, mais Photius les obtenait en disant qu'il s'agissait d'un mémoire à présenter à l'empereur. Les autres sont purement et simplement contrefaites. Pour leur donner quelque apparence d'authenticité, Photius les faisait exécuter par autant de scribes différents qui variaient l'écriture, les uns traçant des caractères très-gros, les autres très-minces. Il espérait, grâce à cet artifice, tromper sûrement et ses contemporains et la postérité. Mais la fraude est maintenant dévoilée, et dans le cas où il conviendrait de la constater plus rigoureusement, il serait facile d'obtenir la signature vraie des évêques
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p515 . XI. — NOTICE DU L1BISK rONTIKJCAUS.
orientaux et de la confronter avec leur souscription apocryphe telle que Photius l'a fait placer sur ses registres menteurs. »
12. « Le souverain pontife fit remettre les documents apportés par les ambassadeurs à des interprètes également habiles dans la connaissance des deux langues grecque et latine et donna ordre d'en préparer une traduction exacte pour servir de base à l'examen qui devait en être fait en concile. Un synode fut en effet convoqué dans la basilique du bienheureux apôtre Pierre. Les députés grecs y firent un exposé général des événements qui s'étaient passés à Constantinople. Les lettres apostoliques portant déposition et excommunication de Photius par le saint pape Nicolas furent lues et confirmées. Adrien renouvela encore ses protestations de respect et de vénération pour la mémoire de son illustre prédécesseur, puis il fulmina une troisième sentence d'anathème contre Photius, ses fauteurs, adhérents ou complices, et spécialement contre le pseudosynode tenu par l'intrus à Constantinople. Les actes de ce conciliabule, avec les signatures fausses ou extorquées et les souscriptions contrefaites dont ils étaient revêtus, furent foulés aux pieds et jetés hors de l'assemblée. On ordonna ensuite qu'ils fussent publiquement livrés aux flammes. Un bûcher fut préparé à cet effet. Or, ce jour-là, il tombait une pluie tellement abondante qu'elle aurait dû éteindre la flamme. Cependant chaque goutte d'eau qui tombait sur le brasier semblait en raviver l'ardeur, ainsi qu'aurait fait le jet continu d'une huile inflammable. Le volume blasphématoire, jeté au feu, exhala une odeur fétide de soufre et de poix, et fut consumé en un instant. Les Grecs et les Latins, témoins de ce phénomène extraordinaire, rendaient gloire à Dieu et célébraient la sainteté des pontifes Adrien et Nicolas (868). »
13. « Le très-bienheureux pontife choisit alors les légats apostoliques qu'il voulait envoyer à Constantinople pour y rétablir la paix et éteindre les derniers germes du schisme. Donatus, évêque d'Ostie, le diacre de la sainte Église romaine, Marinus, et Etienne, évêque de Népi, furent désignés pour cette importante mission. Ils avaient ordre de convoquer un concile général. Un formulaire de foi (le même que celui du pape Hormisdas) leur fut remis des archives du
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siège apostolique. Ils devaient le faire souscrire par tous les évêques orientaux. Les partisans de Photius devaient rétracter leur conduite passée, donner pleine et entière satisfaction au concile, et être rétablis ainsi dans la communion de l'Eglise, avec cette réserve qu'ils ne pourraient reprendre l'exercice du ministère épiscopal qu'après la ratification par le pape de la sentence d'absolution prononcée en leur faveur par le concile. Cette clause était un nouvel hommage rendu à la mémoire du très-saint pape Nicolas par lequel ces schismatiques avaient été solennellement déposés. Munis de ces instructions détaillées et de lettres adressées par Adrien à l'empereur Basile et au patriarche Ignace, les légats se mirent en route. Après un long et pénible voyage par le pays des Bulgares, ils abordèrent à Thessalonique, où le spathaire Eustachius était venu les attendre pour les saluer au nom de l'empereur Basile. Escortés par ce fonctionnaire et des gardes d'honneur, ils arrivèrent à Sélimbrie (ville située environ à seize lieues de Constantinople). Là ils furent reçus par le protospathaire impérial Sisinnius et par l'hégoumène patriarcal Théogniste, lequel, sous le très-saint pape Nicolas, avait fait le voyage de Rome et obtenu du siège apostolique la première condamnation de Photius et le rétablissement canonique d'Ignace. Quarante chevaux des écuries impériales, des officiers de la cour et un service complet furent mis à la disposition des légats qui arrivèrent dans cet équipage aux portes de Constantinople, le samedi 14 septembre 869. Ils s'arrêtèrent au Castrum-Rotundum (Strongyle), dans les bâtiments attenants à la magnifique église de Saint-Jean-l'Évangéliste. Le lendemain dimanche , montés sur des chevaux tout caparaçonnés de pourpre et d'or que le pieux empereur leur avait envoyés à cet effet, ils s'avancèrent jusqu'à la porte d'Or, où s'étaient rendus les divers corps de l'Etat, spathaires, candides, stratèges, officiers et palatins, avec tout le clergé revêtu de chasubles. Le scriniaire patriarcal Paul, le custode des vases sacrés, Joseph et le sacellaire Basile, tous trois en ornements sacerdotaux, les haranguèrent au nom du patriarche, et les précédèrent proces-sionnellement à travers les rues de Constantinople, suivis de tout le peuple portant des cierges et des lampes allumées. Les légats des-
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cendirent au palais d'Irène, dans la vaste salle dite Magnaura, où ils furent reçus au nom de l'empereur par le secrétaire Jean et le spathaire Strategius, chargés de leur dire que l'auguste prince s'excusait de ne pouvoir leur donner audience dès le lendemain, parce que ce jour étant l'anniversaire de sa naissance, il serait entièrement occupé aux réceptions officielles. »
14. «Après les fêtes de l'anniversaire impérial, les officiers du palais vinrent chercher les légats pour les escorter à l'audience de leur maître. Basile les reçut dans le triclinium d'or (in chrysotriclinio.) A leur approche, il se leva de son trône et reçut leurs salutations. Il prit de leurs mains les lettres apostoliques qui lui étaient présentées et les baisa respectueusement. Il s'informa ensuite de la situation de l'Eglise romaine, de la santé du seigneur pape Adrien, de l'état général du clergé et du sénat de Home. Il embrassa ensuite les légats et leur donna congé pour aller remettre au vénérable patriarche Ignace la jussio pontificale. Le lendemain les légats furent admis de nouveau à l'audience de l'empereur qui leur parla en ces termes: L'ambition perverse de Photius a plongé l'Orient dans un schisme effroyable. La sainte Eglise romaine, mère de toutes les églises de Dieu, par l'organe du très-bienheureux seigneur et pape universel le grand pontife Nicolas a rétabli sur son siège le vénérable et légitime patriarche Ignace notre père, qu'il nous a été donné, avec la grâce du Christ, d'arracher à la tyrannie et aux violences de la faction de Photius. Tous les patriarches, métropolitains et évêques des provinces orientales attendent depuis deux ans la promulgation solennelle des censures portées contre les schismatiques par la sainte Eglise romaine notre mère. L'heure est venue d'agir énergiquement, et dans le collège des saints évêques qui sera présidé par vous d'extirper jusqu'aux racines tous les germes du schisme de Photius, de mettre fin à tous les scandales, de rétablir la concorde et la paix sur les bases fixées par le décret du très-saint pape Nicolas. — Les légats apostoliques prirent alors la parole : C'est pour cela que nous sommes venus à Constantinople, répondirent-ils ; notre mission n'a pas d'autre objet. Nous devons cependant, prévenir votre clémence impériale et le saint patriarche
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p518 mpo.NTinr.AT d'.uhuen h (8G7-872).
Ignace ici présent qu'en vertu des instructions qui nous ont été données par le siège apostolique, nous ne pourrons admettre au concile les évêques des diverses provinces d'Orient qu'après qu'ils auront préalablement souscrit la formule de foi dont nous sommes porteurs. — L'empereur et le patriarche répondirent : C'est la première fois que vous parlez de ce formulaire dogmatique. Avant de l'accepter, il convient de nous en faire connaître la teneur. — Les légats présentèrent alors le formulaire dont ils étaient porteurs, et en firent publiquement lecture en grec, car une version en cette langue accompagnait le texte latin. L'empereur et le patriarche déclarèrent qu'ils y donnaient leur adhésion pleine et entière.»
15. «Le concile (VIIIe œcuménique, IVe de Constantinople) se réunit donc sous la présidence des trois légats du saint-siége. Un certain nombre d'évêques grecs refusèrent d'abord de souscrire la formule de foi prescrite par le très-bienheureux pape Adrien et furent écartés du synode; mais, après quelques jours de réflexion, la grâce de l'Esprit-Saint agissant sur leur cœur, ils finirent par se soumettre, signèrent la formule de foi et furent admis à siéger au concile. Photius, malgré sa résistance, dut comparaître devant l'auguste assemblée pour y rendre compte de ses attentats. Toutes les lettres émanées du siège apostolique contre cet intrus furent relues en sa présence. Enfin la sentence de déposition et d'anathème itérativement fulminée contre lui par les bienheureux pontifes Nicolas et Adrien fut promulguée aux acclamations de tous les pères. Les libelles blasphématoires rédigés directement par lui ou composés sous le nom de son pseudo-synode contre le très-saint pape Nicolas furent publiquement livrés aux flammes. La porte du repentir demeurait ouverte à ce grand coupable; mais aveuglé par sa haine, il refusa d'en profiter et déclara qu'il ne souscrirait jamais le formulaire de foi exigé par le siège apostolique. L'œuvre du concile fut ainsi terminée après une série de dix sessions consécutives. »
16. «Les légats de la sainte Eglise romaine, craignant que la pefidie habituelle aux Grecs n'altérât le texte authentique des actes,
eurent recours à la science du bibliothécaire du siège apostolique,
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Anastase, qui venait alors, non sans une disposition spéciale de la Providence, d'arriver à Constantinople où il accompagnait le comte Suppo, envoyé par notre sérénissime Auguste Louis II en ambassade près de l'empereur grec Basile. Anastase était profondément versé dans la connaissance du grec et du latin ; il ne tarda point à découvrir des infidélité dans la rédaction des actes conciliaires. Il signala entre autres aux légats la suppression complète d'un passage d'une lettre pontificale où le bienheureux pontife Adrien faisait l'éloge de notre sérénissime empereur Louis II. Les légats protestèrent qu'ils ne souscriraient point les actes synodiques, tant qu'on n'y aurait pas rétabli dans son texte intégral la lettre du pape1. Les Grecs s'y refusèrent en disant qu'il n'était point question dans un concile d'éloges à décerner à un prince, mais de dogmes ecclésiastiques à définir. Ils ajoutaient que le titre d'empereur appartenait exclusivement à leur maître et que nul autre n'avait légalement droit de le porter. II fut impossible de les amener sur ce point à la plus légère concession. Les légats se virent contraints de formuler une réserve dans leur souscription et ils signèrent en ces termes : Moi représentant de mon seigneur le très-saint et universel pape Adrien et présidant en son nom le saint et oecumé-nique concile, j'ai consenti à tout ce qui précède et souscrit de ma main, sous la réserve expresse de la décision ultérieure du seigneur pape. »
17. « Une autre difficulté surgit encore. Un certain nombre d'évêques grecs circonvinrent l'empereur Basile, lui représentant que, si on laissait aux mains des légats apostoliques les formulaires de foi souscrits par chacun des prélats orientaux, l'église de Constantinople allait se trouver complètement sous le joug de la puissance romaine. On fera, disaient-ils en pleurant, tout ce qu'on voudra de nous, avec ces souscriptions dont on peut au besoin contester la valeur ou exagérer la portée. Mieux vaudrait rompre tout
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1 Cette controverse indique suffisamment qu'à cette époque même les Grecs évitaient encore tout ce qui aurait pu passer pour une reconnaissance officielle du nouvel empire d'Occident. Les anciens sujets de Michel l'Ivrogne ne pouvaient se résoudre à consacrer la gloire de Charlemagne.
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ce qui a été conclu dans ce synode et recommencer les délibérations. Si l'on ne nous rend point les formulaires souscrits par chacun de nous, c'en est fait de l'antique indépendance de l'église d'Orient. — Par une mesure de précaution fort sage, les légats avaient mis en sûreté les souscriptions des principaux évêques. Toutes les autres étaient restées dans les archives de la légation. A force d'argent, les gardiens des archives se laissèrent corrompre et remirent les pièces aux émissaires de l'empereur. A cette nouvelle, la consternation des légats fut au comble. Ils eurent encore recours à la très-fidèle intervention du comte Suppo ambassadeur de Louis II à Constantinople et du très-érudit Anastase bibliothécaire du siège apostolique. Tous deux, après mille démarches et non sans courir plus d'une fois le danger d'être assassinés par des sicaires, obtinrent enfin la restitution des pièces dérobées; mais ils encoururent pour ce fait toute la colère de l'empereur grec. »
18. « Trois jours après la transcription et la souscription définitive des actes synodaux qui eurent lieu dans la grande basilique de Sainte-Sophie, l'empereur dissimulant son ressentiment et méditant de nouvelles embûches convoqua les légats apostoliques dans son palais avec le pontife Ignace et les délégués des Eglises patriarcales d'Alexandrie, Antioche et Jérusalem, pour assister à la réception solennelle d'une ambassade bulgare envoyée par le roi Michaël à l'empereur et au concile œcuménique. Les députés remirent les lettres de leur maître et les présents dont ils étaient porteurs, puis ayant obtenu de Basile la permission de s'adresser aux légats ils parlèrent en ces termes : Le seigneur Michaël, roi de Bulgarie, a appris avec joie, que par l'autorité du siège apostolique et pour l'utilité de la sainte Eglise de Dieu vous avez convoqué un concile général dans cette cité. Il nous a chargés spécialement de vous rendre grâces pour la lettre pontificale que vous lui avez transmise, lors de votre passage sur les frontières de la Bulgarie qui est fière d'avoir ainsi été visitée par les représentants du siège apostolique. — La réponse des légats fut ainsi conçue : Nous savons que vous êtes les fils dévoués de la sainte Église romaine ; nous ne pouvions donc ni ne devions passer au milieu de vous sans saluer une nation que
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le siège apostolique environne d'une tendresse paternelle. — Les députés bulgares reprirent : il y a peu de temps encore nous étions païens. C'est d'hier seulement, si l'on peut parler ainsi, que nous avons obtenu la grâce d'embrasser la foi chrétienne. De peur de nous égarer dans une route que nous ne connaissons pas encore bien, nous désirons savoir de vous, qui êtes les représentants de tous les patriarcats du monde, quel est celui dont nous devons reconnaître la juridiction. —Les légats apostoliques, surpris de cette interrogation, répondirent immédiatement : Vous relevez de la sainte Eglise romaine. Et s'adressant au chef de l'ambassade, le même que jadis Michaël avait député à Rome : Vous le savez parfaitement, dirent-ils, vous, Pierre, que le roi votre maître envoya naguère à l'illustre pontife Nicolas, pour se soumettre, lui et toute la nation bulgare, à la juridiction du bienheureux Pierre prince des apôtres. C'est à vous-même que le grand pape remit ses instructions pour l'organisation de votre église naissante. C'est sur votre requête qu'il a envoyé des missionnaires, évêques et prêtres en Bulgarie. Vous avez d'ailleurs suffisamment prouvé que vous appartenez réellement à l'Église romaine et que vous relevez de sa juridiction, en recevant les prêtres qu'elle vous a envoyés, et que, jusqu'à ce jour, vous n'avez cessé de retenir en tout honneur au milieu de vous. — Les députés répondirent : nous reconnaissons avoir demandé et reçu des missionnaires par le siège apostolique, et nous professons pour eux le respect le plus profond et la plus parfaite obéissance. Mais dans la situation où se trouve notre pays si éloigné de Rome et si rapproché de Constantinople, nous vous prions d'examiner avec les vicaires des autres patriarcats ce qui serait plus opportun pour nous de rester sous la juridiction de l'Église romaine ou de nous rattacher à celle du patriarcat de Constantinople. —A cette interpellation, les légats apostoliques firent la réponse suivante : La mission que le siège apostolique nous avait chargés de remplir en Orient est avec la grâce de Dieu terminée. La cause que vous introduisez ici ne saurait être définie qu'après un jugement préalable auquel nos instructions ne nous autorisent point à procéder. Nos pouvoirs sont insuffisants pour porter une décision quelconque, et nul n'aurait le
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droit, au préjudice de la sainte Église romaine, de prétendre trancher la question. La Bulgarie, vous le reconnaissez vous-mêmes, est en ce moment administrée au point de vue spirituel par les prêtres et les missionnaires que le siège apostolique y a envoyés; elle relève donc manifestement de la juridiction dn saint-siége. »
19. « Après cette déclaration formelle, les légats apostoliques voulaient clore la discussion. Mais les délégués des patriarcats d'Orient la reprirent dans le sens convenu antérieurement avec l'empereur Basile, car tout l'incident avait été concerté d'avance. Les vicaires orientaux s'adressèrent donc aux députés bulgares et leur posèrent cette question : A qui appartenait le territoire de la Bulgarie actuelle quand vous en avez fait la conquête? Dites-nous si les prêtres que vous y avez trouvés étaient grecs ou latins ?—Ils répondirent : Ce sont les Grecs que nos armes victorieuses ont chassés de ce pays. Nous n'y avons trouvé aucun prêtre latin; tous étaient grecs. — Donc, s'écrièrent les vicaires orientaux, le territoire que vous occupez relève de la juridiction de Constantinople. La conséquence est rigoureuse1. — Les légats apostoliques reprirent alors la parole : Vous ne pouvez point, dirent-ils, déduire une pareille conclusion du fait antérieur de la présence des prêtres grecs dans un pays dont les Grecs ont perdu la possession. En principe d'ailleurs, la diversité des langues ne crée point les délimitations de la juridiction ecclésiastique. Le siège apostolique pour être situé chez les Latins, exerce encore aujourd'hui même sa juridiction sur plusieurs provinces où l'on ne parle que le grec, et où tous les prêtres sont d'origine grecque. Votre argument ne saurait donc en rien prévaloir contre le droit inviolable de l'Église romaine. — Les vicaires orientaux répliquèrent en ces termes : Quand même vous pourriez établir qu'autrefois les prêtres grecs établis dans la Bulgarie actuelle relevaient de la juridiction de Rome, il vous est absolument impossible de nier que le pays lui-même faisait partie de
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1. Il est assez singulier de voir les Grecs du Bas-Empire proclamer en 869 l'absurde et subversif principe de ce que les politiques de nos jours ont décoré du titre de nationalités. Notre temps n'aura donc pas même le mérite d'avoir inventé une erreur nouvelle.
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l'empire grec. — Les légats répondirent : En affirmant que la juridiction ecclésiastique de la Bulgarie appartient au siège apostolique non-seulement par le fait récent de la conversion des Bulgares mais encore par la tradi(c?)tion antérieure à la conquête du territoire, nous constatons purement et simplement un fait historique, mais nous n'en reconnaissons pas moins que jadis cette province appartenait à l'empire grec. Vous n'ignorez pas sans doute que les divisions civiles des provinces et des États sont indépendantes des divisions ecclésiastiques. Nous ne parlons point ici de la possession temporelle mais de la juridiction des sièges. — Les vicaires orientaux reprirent : Nous désirerions connaître sur quels fondements historiques vous établissez la juridiction antérieure du siège apostolique sur les provinces qui forment maintenant le royaume des Bulgares. — Les légats répondirent : Le siège apostolique conserve, encore aujourd'hui dans ses archives les décrétales des souverains pontifes qui ont institué et organisé canoniquement les provinces de l'Épire, la Thessalie et la Dardanie dont se compose la Bulgarie actuelle. En sorte que les Bulgares devenus chrétiens appartiendraient par le seul fait de la circonscription territoriale qu'ils occupent non point à la juridiction ecclésiastique de Constantinople, mais à celle de l'Église romaine. De plus, depuis deux siècles que les Bulgares païens occupent cette contrée, toute juridiction ecclésiastique avait cessé parmi eux. Or, quand leur nation a voulu embrasser le christianisme, c'est au siège apostolique qu'elle s'est adressée pour en recevoir la foi et se soumettre spontanément à sa juridiction. Enfin c'est le grand pape Nicolas qui a rétabli la hiérarchie ecclésiastique dans ce pays, par l'organe des vénérables évêques Paul, Dominique, Formosus et Grimoald. Vous venez d'entendre les ambassadeurs le déclarer eux-mêmes et reconnaître qu'ils doivent le bienfait de la foi au zèle et au dévouement des missionnaires romains. De l'ensemble de ces faits, il vous est maintenant facile de comprendre que vous n'avez pas le droit, sans l'assentiment du souverain pontife, d'enlever à l'Église romaine une juridiction qui lui appartient à des titres si légitimes. — Mais, reprirent les vicaires orientaux, dites-nous s'il n'y aurait pas moyen d'obtenir une renonciation à ces
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droits ou du moins une dispense provisoire. Les légats indignés repondirent : Le siège apostolique ne vous reconnaît point à vous ses inférieurs le pouvoir de vous constituer ses juges. Il ne nous a donné à nous-mêmes aucun pouvoir pour connaître de cette affaire. Nous devons donc nous borner à réserver son droit que mille documents établissent d’une manière incontestable. La production des pièces authentiques suffira à confondre les prétentions que vous élevez si légèrement aujourd'hui. — Les vicaires orientaux dirent alors : Il vous sied mal à vous-mêmes qui avez répudié l'empire grec pour vous allier aux Francs de revendiquer une juridiction quelconque dans les Etats de notre empereur. Aussi nous jugeons et définissons que la Bulgarie, jadis province de l'empire grec, administrée ecclésiastiquement par des évêques et des prêtres grecs doit revenir, maintenant qu'elle est chrétienne, sous la juridiction de l'église de Constantinople dont le paganisme l'avait détachée. — Les légats de la sainte Eglise romaine se levèrent alors et protestèrent en ces termes : Vous n'avez ni le droit ni la mission de juger cette cause. Quel que puisse être le motif qui vous inspire, soit l'orgueil, soit l'adulation, votre sentence est nulle. Par l'autorité de l'Esprit-Saint nous la déclarons anticanonique et nous réservons le jugement entier de la cause au siège apostolique. Nous vous adjurons en particulier, vous, patriarche Ignace, par l'autorité des bienheureux Pierre et Paul princes des apôtres, devant Dieu et ses anges, vous défendant d'exercer aucun acte de juridiction ecclésiastique en Bulgarie, d'ordonner aucun évêque pour ce pays, de n'y envoyer aucun représentant ni délégué sous quelque prétexte que ce puisse être. Autrement vous seriez déposé par ce même siège apostolique qui vous a rétabli sur votre trône. Nous ne croyons pas que vous puissiez répondre par un acte d'ingratitude aux bienfaits dont l'Église romaine vous a comblés. Au surplus, voici une lettre du souverain pontife Adrien qui prévoit l'usurpation d'autorité qu'on voudrait consommer en ce moment et qui vous interdit personnellement d'y prêter votre concours. — Le patriarche Ignace reçut respectueusement la lettre apostolique que lui présentaient les légats. L'empereur voulait qu'on en fît aussitôt la lecture publique, mais Ignace
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s'y refusa el répondit avec une noble fierté : A Dieu ne plaise que je prenne la moindre part aux entreprises qui pourraient se faire contre la dignité du siège apostolique ! Je ne suis pas assez jeune pour m'en laisser imposer sur mes droits : je ne suis pas encore assez vieux pour avoir perdu le sens et pour me permettre des actes que les devoirs de ma charge m'obligeraient à réprimer sévèrement chez les autres. Cette noble réponse mit fin à la conférence. »