Darras tome 20 p. 481
30. « A la tête de ces braves Normands, continue le chroniqueur, Mélo reprit la route qu'il venait de parcourir; à Salerne et à Bénévent il s'adjoignit les guerriers dont il s'était assuré précédemmenl le concours, et avec eux s'élança résolument sur le territoire greç. En trois rencontres successives, la première à Arenola, la seconde à Civitella, la troisième à Vaccarizo, il mit en déroute les armées du catapan, les poursuivit jusqu'à Trani et reprit toutes les cités et forteresses de l'Apulie. Mais enfin, dans les plaines de Cannes déjà fameuses par la victoire d'Annibal sur les Romains, il tomba dans une embuscade et subit une défaite sanglante. Sur les deux cent cinquante chevaliers normands, dix seulement survécurent au carnage. Une multitude innombrable de soldats italiens périt dans cette funeste journée. Toutes les conquêtes de Mélo étaient perdues. Il ne désespéra cependant point de sa cause. Laissant les débris de son armée se reconstituer à Salerne et à Capoue, sous la direction du prince Guaymar et du duc Pandolphe, il franchit les Alpes et alla implorer le secours de l'empereur, le suppliant de venir en personne faire la conquête de l'Apulie, ou du moins s'il ne pouvait entreprendre cette expédition de lui fournir une nouvelle armée. Cependant les Grecs victorieux poursuivaient leur marche dans l'Italie méridionale. Ils vinrent assiéger la forteresse de Garigliano et l'emportèrent de vive force. Datto tomba entre leurs mains avec sa petite garnison, presque tout entière composée de Normands. L'abbé du Mont-Cassin Athénulf réussit à racheter ces derniers, moyennant une énorme rançon. Mais il ne put obtenir la même faveur pour Datto, qui fut ramené, chargé de fers à Bari, où le catapan le livra aux insultes de la populace, puis le fit coudre dans un sac et jeter à la mer, comme un parricide2 » (1019}. Tel est le récit de la chronique du Mont-Cassin. Si l'on s'en tenait à son
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1. Lïo 0,*iens. Chronk. Cassin., lib. II, c. xxxvi, Patr. Lat., tom. CLXXFH col. C27. 8 /ii.'/., col. 628-630.
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témoignage, l'abbé Athénulf non-seulement n'aurait rien eu à se reprocher dans la fin tragique du courageux Datto, mais il aurait au contraire tout fait pour la prévenir. Nous verrons bientôt que cette version ne fut pas adoptée par les contemporains et qu'Athénulf, à tort ou à raison, fut accusé d'intelligences secrètes avec les Grecs.
31. Ceux-ci menaçaient alors de pousser leurs conquêtes jusqu'à Rome et d'aller reprendre possession de l'exarchat de Ravenne. Des ordres expédiés de Constantinople enjoignaient aux divers gouverneurs et commandants militaires de profiter de la dernière victoire pour faire reconnaître dans toute l'Italie la suzeraineté des empereurs byzantins, et lever l'impôt en leur nom. La terreur inspirée par ces mesures donna lieu à de nombreuses défections. Le prince de Capoue lui-même crut prudent de se tourner du côté du plus fort. Il envoya aux empereurs Basile et Constantin en signe de vassalité deux clefs d'or. La province de Bénévent ne paraissait guère mieux disposée à la résistance. Vainement le pape y envoya une nouvelle colonie de Normands qui, sous la conduite d'un comte nommé Raoul, était venue se mettre à ses ordres 1. Raoul, de même que Gislebert, avait quitté son pays à la suite d'un différend local. Au moment où il arrivait à Rome, la population épouvantée croyait déjà voir l'armée grecque à ses portes. Le Normand fugitif accueillit avec transport la mission que lui confia le souverain pontife. Il se rendit dans la province de Bénévent et y organisa une petite armée avec laquelle il fit face aux premiers périls. Mais ce n'était là qu'un trop faible secours. Benoît VIII le comprit parfaitement. Pour sauver l'Italie du joug byzantin, il fallait l'intervention de l'empereur d'Occident. Le pape n'hésita point, et franchissant les Alpes il se rendit en Germanie (avril 1020).
32. « Il arriva à Bamberg, disent les actes de saint Henri, le jeudi saint (14 avril) à l'heure de sexte, et fît son entrée solennelle revêtu des ornements pontificaux, parce qu'il se proposait d'officier en personne à la cathédrale. L'empereur, tous les princes, le clergé
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1. Rodulf. Glaber. Histor., lib. III, cap. i.
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et une foule immense vinrent à sa rencontre et le reçurent avec des acclamations de triomphe. Quatre chœurs de musiciens avaient élé disposés sur son passage, le premier sur la rive du Mein où le pontife descendit de bateau, le second à moitié chemin de la ville, le troisième à la grande porte de la cité, le quatrième à l'entrée de la cathédrale. L'empereur donna la main au pape l'introduisit dans l'église merveilleusement décorée, pendant que les chœurs de musiciens exécutaient les plus mélodieuses symphonies. Le pontife apostolique célébra en grande dévotion l'office de ce jour et des suivants, assisté de douze évêques. En la grande fête de Pâques, à matines, la première leçon fut chantée par le patriarche d'Aquilée, la seconde par l'archevêque de Ravenne, la troisième par le pape. Pour la procession, on déploya toutes les pompes d'une magnificence digne d'un souverain pontife et d'un empereur. Jamais dans nos contrées on n'avait vu de cérémonie si imposante, l'église de Bamberg en conservera un souvenir qui se perpétuera d'âge en âge. Le VIII des calendes de mai (24 mai) le vénérable pape consacra la nouvelle église dédiée à saint Etienne, et l'enrichit des précieuses reliques qu'on y vénère encore aujourd'hui. Durant la messe qu'il célébra en présence de soixante-douze évêques et d'une affluence innombrable de princes, de seigneurs et de fidèles, il fit donner lecture d'un rescrit apostolique conçu en ces termes l: « Benoît évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à notre très-cher fils Eberhard vénérable évêque de la sainte église de Bamberg, salut en Jésus-Christ notre Seigneur. — Sachent tous les fidèles présents et à venir qu'en ce jour nous avons accordé un privilège apostolique à l'église épiscopale que l'empereur très-chrétien l'auguste Henri, a érigée en l'honneur du bienheureux Pierre prince des apôtres. Nous sommes venu en personne dans cette cité, et le glorieux empereur nous a fait ce magnifique accueil dont vous êtes témoins. Il a voulu offrir à la sainte église romaine en notre personne l'évêché de Bamberg, son église avec toutes ses appartenances. Pour répondre à cette auguste munificence, nous vous concédons, à vous
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1 S. Henric. Âcta. Patr. Lat.,tara. CXI, col. 125.
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notre très-cher fils Ebeihard et à vos successeurs à perpétuité, cet évêché de Bamberg et vous confirmons dans sa possession, défendant à quelque personne que ce soit de rien entreprendre contre les droits dont jouit dès maintenant cet évêché ou contre ceux dont il pourra jouir dans l'avenir, sous la réserve de l'hommage qui sera fait chaque année au siège apostolique par vous et par vos successeurs, et qui consistera en un cheval blanc, muni d'un harnais et d'une selle convenables pour l'usage du pontife romain. Quiconque aurait la témérité de contrevenir à notre présent rescrit promulgué en ce moment encourrait l'indignation de Notre Seigneur et du bienheureux Pierre prince des apôtres, à qui cet évêché avec toutes ses appartenances a été offert par l'empereur très-chrétien. Il tomberait sous le coup de l'anathème prononcé contre Satan, et risquerait d'être condamné avec le traître Judas au feu éternel 1. »
§ VI. Expédition de saint Henri dans l'Italie méridionale.
33. Le pieux hagiographe, si explicite pour tout ce qui concerne les fêtes religieuses et les souvenirs locaux qui se rattachent à l'entrevue de Benoît VIII avec l’empereur à Bamberg, omet complètement le côté politique de la question. Mais Léon d'Ostie, dans sa chronique du Mont-Cassin, supplée à ce silence. « En apprenant, dit-il, l'invasion des Grecs, la défection du prince de Capoue, les tergiversations des autres seigneurs italiens et enfin la mort tragique de Datto, l'empereur comprit que, maîtres de l'Apulie et de la principauté de Bénévent, les Grecs ne tarderaient pas à marcher sur Rome et à conquérir le reste de l'Italie. Pour surcroit de disgrâces, le courageux Mélo, qui lui avait déjà apporté ces tristes nouvelles, venait de succomber au chagrin et aux fatigues. Il était mort en Germanie. La situation ne permettait donc pas le moindre délai. Henri se prépara immédiatement à l'expédition que le pape était venu lui demander. Une immense armée fut réunie de tous les
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1. Benedicl. VIII. Epist. xxv. Pair. Lai., tom. CXXXIX, col. t6i{5.
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points de l'empire, et dès les premiers jours de l'automne (1021) elle fut en état de passer les Alpes 1. » Benoit VIII ne l'avait point attendue ; il s'était hâté de retourner en Italie, pour calmer par ces heureuses nouvelles et par sa présence à Rome l'inquiétude des esprits. L'empereur avec le gros de ses troupes entra en Italie par les Marches et longea ensuite le littoral de l'Adriatique. Mais il se fit précéder du patriarche d'Aquilée, Poppo, à la tête de onze mille hommes, et de l'archevêque de Cologne Pilgrim avec vingt mille soldats. Le premier devait prendre sa direction par le pays des Marses (comté de Camerino), le second par le duché de Spolète et le territoire romain. Tous deux avaient ordre de se rejoindre aux environs du Mont-Cassin et de Capoue, afin de combiner leurs opérations de façon à se rendre maîtres de l'abbé Athénult et de son frère le prince Pandolphe. La défection de ce dernier était de notoriété publique. Quant à l'abbé Athénulf, peut-être n'avait-il pas d'autre grief à se reprocher que celui d'être le frère d'un coupable. Prévenu à temps des mesures prises contre lui, il ne jugea point à propos de s'engager dans une lutte inégale. Par le conseil de son frère, il s'enfuit à Otrante dans l'intention de s'embarquar pour Constantinople. « Or, dit le chroniqueur du Mont-Cassin, durant le séjour qu'il fit à Otrante en attendant le départ du navire, l'évêque de cette ville eut une vision surnaturelle. Le bienheureux patriarche Benoît lui apparut : Va, lui dit-il, prévenir l'abbé qu'il se garde bien de s'embarquer, s'il ne veut périr en mer. — Athénulf n'ajouta aucune foi à cet oracle, et quelques jours après il prenait passage sur un navire grec. Mais la prédiction de saint Benoît n'était que trop véritable, le vaisseau fit naufrage et l'abbé avec tous ses compagnons de voyage fut englouti dans les flots. En apprenant cette nouvelle, l'empereur Henri s'écria, dit-on : Lacum aperuit et effodit eum, et incidit in foveam quam fecit2. » L'archevêque Pilgrim, arriva
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1 Léo Ostiens, Chronic. Castinens. cap. xxxix. Léon d'Ostie recule à l'an 1022 l'entrée de l'armée impériale en Italie. Mais des chartes authentiques retrouvées par Muratori établissent la présence de saint Henri à Vérone au mois de novembre 1021. (Annal. liai, hoc anno.)
2. Ps. vu, 16. — Léo Ostiens. Chronic. Cassin. loc. cit. col. 63).
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le premier au Mont-Cassin. N'y
trouvant plus Athénulf, il précipita sa marche vers Capoue, sans laisser au
prince Pandolphe le temps de prendre la fuite, et poussa vigoureusement le siège de la ville. Le prince,
craignant d'être livré par les habitants s'il prolongeait sa
résistance, « ce qui fut très-certainement arrivé, » ajoute le chroniqueur, esseya
d'un stratagème assez heureux. Il sortit ostensiblement de Capoue et vint se présenter
à l'archevêque comme un ami et un allié indignement méconnu. « Je n'ai jamais,
dit-il, trahi mon serment de fidélité vis-à-vis de l'empereur Henri. Je suis prêt
à en fournir la preuve, et je commence par vous livrer la ville, ne demandant
qu'une grâce celle d'être conduit au tribunal de l'empereur pour m'y justifier
des calomnies dont je suis l'objet. » Pilgrim, fort heureux d'un incident qui
lui livrait Capoue, prit la ville et conduisit Pandolphe à l'empereur. Un
conseil de guerre fut rassemblé aussitôt; il se composait de tous les
seigneurs allemands et italiens présents à l'armée. Pandolphe y comparut et
voulut encore protester de son innocence, mais les témoignages les plus
accablants se produisirent; ses accusateurs lui jetaient à la face les crimes qu'ils
lui avaient vu commettre, les trahisons dans lesquelles en
d'autres temps lui-même avait voulu les engager. A l'unanimité il fut condamné
à mort. Mais l'archevêque Pilgrim, entre les mains duquel Pandolphe avait remis sa personne et sa vie, s'indigna contre une
sentence si rigoureuse. Il alla avec plusieurs autres seigneurs implorer la
miséricorde impériale. Henri accorda la grâce qui lui était demandée, et Pandolphe
fut emmené captif en Germanie
34. Cependant l'empereur avec le principal corps d'armée était arrivé a Bénévent, où il fut reçu par le prince Landolf et la population entière avec les plus grandes démonstrations de dévouement et de fidélité 1. Les Italiens furent de tout temps prodigues de pareils témoignages ; la mesure que saint Henri venait de prendre à l'égard du prince de Capoue nous prouve suffisamment le cas qu'il
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1 Léo Oâtiens. dironic. Cassin. local, col. 632. 8 ilurator. Annal, liai. aun. 1022.
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en faisait. Il continuait d'ailleurs à multiplier les grâces sur son passage, préférant, comme tous les grands rois, le mérite du bienfait aux risques de l'ingratitude. Sur sa route, il ne rencontrait plus un seul ennemi. Les Grecs avaient disparu comme par enchantement devant un souverain qui commandait une armée de cent mille hommes. Enfin à Troja, forteresse de création récente, que les Grecs avaient construite à grands frais 1 au centre de la Capitanate à égale distance de Bénévent et du mont Gargano, il trouva une résistance digne de lui. « Les habitants se tenaient assurés, dit Raoul Glaber, de recevoir dans le courant de l'été une armée byzantine commandée par l'empereur Basile en personne. Il est vrai qu'on leur en avait fait la promesse, et dans leur outrecuidance ils se vantaient de forcer l'empereur d'Occident à baiser les pieds du souverain de Constantinople. Le siège commença donc, les troupes allemandes entourèrent la place d'un mur de circonvallation, et des tours roulantes furent approchées des murailles. Mais durant la nuit, les assiégés avec des torches enduites de résine et de poix y mirent le feu et les détruisirent complètement. Henri en établit de nouvelles qu'il fit recouvrir de cuir frais, et à la garde desquelles il fit veiller si soigneusement que toute surprise fut impossible. Ces opérations n'avaient pas duré moins de trois mois ; des sorties presqne quotidiennes avaient lieu, toujours repoussées mais se renouvelant toujours. Les pertes des deux côtés étaient grandes ; la dyssenterie se mit dans l'armée impériale. Cependant les assiégés se lassèrent les premiers ; le secours qu'ils attendaient de Byzance n'était pas venu et ne devait jamais venir. Ils le comprirent enfin et songèrent au meilleur moyen de se faire pardonner par le pieux empereur une obstination qui déjà leur avait coûté si cher. Voici celui qu'ils imaginèrent. Un de ces ermites vêtus de l'habit religieux, tels qu'on en rencoutre par centaines en Italie2, dit le chroniqueur, fut chargé par eux d'une croix processionnelle qu'ils lui
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1 Super Trojam qvam nvper Graei facere espérant, castra posuerat. (Léo Os-tiens. Chrome. Caisinens. cap. xli. Pair. Lat., tom, CLXXDI, col. 63î.
2. Aecipientes soli «n'uni quemdam, indutum monachali habita, quitus etiam Itnha plurintum abundat.
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mirent à la main. Derrière lui
tous les enfants de la ville furent rangés deux à deux, et sortirent de
l'enceinte en répétant le chant liturgique Kyrie eleyson (Seigneur, ayez pitié de nous). La procession
arriva ainsi devant la tente de l'empereur, qui fit demander ce que signifiait cette démonstration. L'ermite répondit qu'il venait implorer laclémence impériale pour une cité réduite au désespoir.
Henri sortit de sa tente, et à la vue de ce touchant spectacle : Dieu m'est
témoin, s'écria-t-il, que les meurtriers de ces enfants sont leurs propres
pères et non pas moi ! — Il s'émut au point de verser des larmes, fit
distribuer une ration de vivres à ces ambassadeurs d'un nouveau genre, et les
fit reconduire sains et saufs à la ville. Le lendemain dès l'aurore, la même
procession sortait de Troja en répétant sa prière Kyrie eleyson. Les
voix enfantines réveillèrent l'empereur qui sortit encore de sa tente, et ne
pouvant contenir son émotion répéta en pleurant la parole du Sauveur Misereor super turbam : «J'ai pitié de cette foule innocente. » On remarqua d'autant
plus cette parole miséricordieuse que quelques jours aupavant l'empereur,
irrité d'une résistance qui lui faisait perdre les plus vaillants hommes de son
armée, avait dit : Si j'entre jamais à Troja, je ferai pendre tous les soldats,
brûler le reste de la population avec la ville entière, dont un seul pan de mur
ne restera de
bout. — Des conseils de clémence allaient prévaloir sur ces premiers
ressentiments. L'empereur fit dire aux assiégés qu'il se contenterait pour
toute satisfaction de les voir renverser eux-mêmes la partie des murailles qui faisait face à ses machines de guerre. La
proposition fut accueillie avec des transports de reconnaissance ; l'œuvre
expiatoire commença sur le champ, et grâce entière fut accordée à la ville 1.
»
35. La prise de Troja mit fin à l'expédition. «Les chaleurs de l'été auxquelles les Germains n'étaient pas accoutumés, dit Léon d'Ostie, ne leur permettaient plus de tenir la campagne. Les fièvres et les maladies contagieuses sévissaient dans l'armée; on perdit de la sorte Ruodard évêque de Constance et l'abbé de Saint-
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1. RoJulf. Glaber. Hislor., lib. III, cap. 1. Patr. Ut., tom. CXLII* col. 617.
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p489 CHAP. VII. — SAINT HENRI DANS L'ITALIE MÊRIDftWAlE.
Gall Bourchard. L'empereur se hâta donc de faire reprendre à ses troupes le chemin de l'Allemagne. De sa personne, il se rendit à Capoue et donna au comte de Téano l'investiture de cette principauté. Les neveux de Mélo furent mis en possession du comté de Camina ; Henri confia la défense de ces jeunes princes à dix-huit chevaliers normands, parmi lesquels se trouvaient Gislebert, Gosmann Stigand, Torstain le Bègue, Gauthier de Canosse et Hugues Fallueca 1. » — « Les villes de Naples, de Bénévent, de Salerne, ajoute Herman Contract, s'étaient empressées de faire leur soumission, ainsi que les autres cités et forteresses du voisinage. Toutes se hâtaient d'abandonner le parti des Grecs pour jurer fidélité à l'empereur d'Occident. Sans trop se fier à leurs protestations, Henri établissait dans les localités les plus importantes les chevaliers qui accouraient en foule de la province de Normandie pour se mettre sous ses ordres. Il leur distribuait libéralement des terres et des domaines2.» Ainsi s'établissait peu à peu, aux confins de l'Italie méridionale, l'avant-garde des soldats chrétiens qui devaient bientôt arracher la Sicile à la tyrannie des Sarrasins.
36. « Toutes choses étant ainsi réglées, continue Léon d'Ostie, l'empereur et le pape se donnèrent rendez-vous au Mont-Cassin pour faire procéder en leur présence à l'élection d'un nouvel abbé. Or, le prédécesseur d'AthénuIf, le vénérable Jean, qui avait onze ans auparavant donné sa démission pour se retirer dans un ermitage voisin, vivait encore. Un certain nombre de religieux eurent la pensée de le rétablir dans sa charge; et le présentèrent à l'empereur. A l'aspect de ce vieillard usé par les infirmités et les ans, Henri lui témoigna la plus grande vénération, tout en lui faisant comprendre qu'il ne devait plus songer à ses anciennes fonctions. Allez, lui dit-il, vénérable serviteur de Jésus-Christ, priez-le pour vos frères et pour nous ; mais n'exposez pas votre vieillesse aux fatigues d'un ministère trop laborieux à votre âge. » Quelques jours auparavant, l'empereur avait rencontré au monastère de San-
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1 Léo T^iens. Chionic. Cassinens, lib. II, c. xli. Patr. Lai., tom.CLXXIIS. col. 6%. 8 .lennon, Contract. Chronic. Pair. La!,, tom. CXLIII, col. 232,
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p490 PONTIFICAT DE BENOIT YIIJ (1012-1024).
Liberatore, au pied du mont Majella, dépendance de la grande abbaye , un prieur nommé Théobald, l'un des religieux les plus éminents de l'ordre bénédictin. Aussi distingué par sa naissance que par son mérite, Théobald avait fait le pèlerinage de Jérusalem; depuis, il avait donné la preuve de sa capacité en rétablissant la discipline dans le prieuré qu'il administrait. Henri le proposa au choix de la communauté. Cette proposition inattendue jeta quelque trouble dans les esprits. « Comme il arrive toujours en pareil cas, reprend le chroniqueur, il ne manqua pas d'opposants qui murmuraient contre un pareil procédé. D'autres, au contraire, y applaudissaient de tout ceur. L'empereur s'en aperçut, et pour couper court au différend : Que tous ceux, dit-il, qui approuvent ma proposition se lèvent. — Tous les anciens se levèrent, il ne resta assis que les plus jeunes religieux. Ce n'est point aux jeunes qu'il convient d'imposer leur volonté, reprit alors l'empereur. Théobald fut donc proclamé, et le lendemain le pape Benoît lui donna la consécration abbatiale1 » (29 juin 1022). L'intervention si pré-pondérante de l'empereur pouvait se justifier par les circonstances exceptionnelles que nous avons fait connaître. Mais en principe elle était dangereuse et posait un précédent fâcheux. C'est peut-être pour ce motif que les jeunes religieux protestèrent contre l'élection en refusant de s'y associer. Le chroniqueur ne semble pas du reste s'étonner de la conduite de saint Henri ; il raconte l'épisode sans observation aucune. Dom Tosti, dans son «Histoire du Mont-Cassin. » va plus loin encore. Il prétend que les empereurs avaient sur l'abbaye une juridiction supérieure même à celle du pape, et que ce privilège leur avait été accordé en reconnaissance des nombreux bienfaits dont ils avaient comblé le monastère. Cette théorie, selon nous exorbitante, lui paraît justifiée par deux diplômes conservés dans la bibliothèque du Mont-Cassin, qu'il publia pour la première fois d'après les originaux.