Daras tome 27
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CHAPITRE XVII.
Comment l’image de Dieu se renouvelle dans l'âme jusqu'à ce que sa ressemblance avec Dieu soit rendue parfaite par la béatitude.
23. Certainement ce renouvellement de l'âme ne s'accomplit point à l'instant même de sa conversion, comme se fait en un instant, sa rénovation dans le baptême, par la rémission de tous ses péchés, puisqu’il n'en reste pas un si petit qu'il soit sans être remis. Mais de même qu'autre chose est de n'avoir plus la fièvre, autre chose d'être remis de la faiblesse, suite de la fièvre, et encore, de même que ce n'est point
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la même chose d'extraire du corps le trait qui
s'y est enfoncé, et d'opérer, par une cure heureuse, la guérison de la blessure qu'il y a faite; ainsi le premier degré de guérison pour l'âme consiste à éloigner ce qui est pour elle une cause de langueur, cela se fait par la rémission de tous ses péchés; le second, de guérir cette même langueur, ce qui s'opère peu à peu par des progrès accomplis dans le renouvellement de cette image. Ce sont ces deux degrés qui nous sont montrés dans le psaume où nous lisons : « C'est lui qui se montre disposé à vous pardonner vos iniquités; » (Ps. CII , 3) c'est ce qui a lieu dans le baptême, puis le Psalmiste ajoute: «C'est lui aussi qui guérit toutes vos infirmités, » (Ibid.) ce qu'il fait par des retouches quotidiennes quand cette image est en voie de renouvellement. L'Apôtre nous a parlé de cela d'une manière très‑ouverte quand il nous a dit: bien que dans nous, «l'homme extérieur se détruise, néanmoins l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour; » (Il Cor., IV, 16) car s'il se renouvelle par la connaissance de Dieu, c'est par la vraie justice et la vraie sainteté, ainsi que nous l'apprennent les propres paroles de l'Apôtre que j'ai rapportées plus haut. Celui donc qui se renouvelle, de jour en jour, en faisant des progrès dans la connaissance de Dieu, dans la vraie justice et la vraie charité, transporte son amour des choses temporelles aux éternelles, des choses visibles aux intelligibles, des choses de la chair à celles de l'esprit et s'applique avec beaucoup de soin à refréner ses passions et à en diminuer les ardeurs pour ce qui est de celles‑là, pour les attacher par les liens de la charité à celles‑ci. Mais il ne le fait que dans la mesure qui lui est donné de le faire par l'assistance de Dieu, car c'est un mot tombé de ses lèvres divines que celles‑ci: «Sans moi vous ne pouvez rien faire. » Lorsque le dernier jour de cette vie mortelle trouve un homme conservant la foi du Médiateur dans ces progrès et ces retouches, cet homme doit être conduit au Dieu qu'il a adoré et reçu par les saints anges pour être perfectionné par lui, pour recouvrer un corps incorruptible à la fin des siècles, non pour le châtiment, mais pour la gloire, car la ressemblance de Dieu se trouvera parfaite dans cette image, quand sera parfaite la vision même de Dieu dont l'apôtre Paul a dit : « Nous ne voyons Dieu maintenant que comme en un miroir, et en des énigmes; mais alors nous le verrons face à face;» (I Cor., XIII, 12) et ailleurs : « Ainsi nous tous, contemplant sans voile qui nous couvre le visage, la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image et nous avançons de clarté en clarté, comme illuminés par l'Esprit du Seigneur; » (Il Cor., III, 18) c'est là ce qui se produit de jour en jour dans ceux qui font des progrès dans le bien.
24. L'apôtre Jean a dit. «Mes bien‑aimés, nous sommes déjà enfants de Dieu; mais ce que nous
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serons un jour ne paraît pas encore; nous savons que lorsque Jésus‑Christ se montrera dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est, » (I Jean, III, 2) par où il parait que l'image de Dieu reproduira sa pleine ressemblance quand elle jouira de sa pleine vision.
CHAPITRE XVIII.
Faut‑il entendre les paroles de saint Jean dans le sens de notre future ressemblance avec le Fils de Dieu, même au point de vue de l'immortalité du corps ?
Il est vrai que ces paroles de saint Jean peuvent aussi s'entendre de l'immortalité du corps. Nous serons en effet, de ce côté‑là aussi, semblables à Dieu, mais seulement en tant que Fils, car il n'y a que le Fils dans la Trinité qui ait pris un corps dons lequel il mourut et ressuscita et, qu’il conduisit dans les cieux. Car c’est encore en cela que l'homme est appelé l’image du Fils de Dieu, image dans laquelle nous aurons comme lui un corps immortel, étant rendus conformes, par ce côté, non point à l'image du Père ou du Saint‑Esprit, mais seulement du Fils, attendu qu'il n'y a que de lui qu'on lit, et de lui qu'on tient d'une foi très‑saine « le Verbe s'est fait chair. » (Jean, 1, 14.) Ce qui a fait dire à l'Apôtre : « Ceux qu'il a connus dans sa prescience, il les a aussi prédestinés pour être conformes à l'image de son Fils, afin qu'il fût l'aîné entre plusieurs frères, » (Rom., VIII, 29) le premier‑né d'entre les morts, selon le même Apôtre (Col., 1, 18); car c'est par la mort que sa chair a été semée dans le mépris, et est ressuscitée dans la gloire. (I Cor., XV, 43.) C'est encore en pensant à cette image du Fils, à qui nous nous conformons dans le corps par l'immortalité, que nous faisons ce que dit le même Apôtre : « Portons l'image de ce Jésus qui est dans le ciel, comme nous avons porté l'image de ce même Jésus sur la terre, » (I Cor., XV, 49) c'est‑à‑dire, tenons d'une foi véritable et d'une espérance certaine et ferme, qu'après avoir été mortels selon Adam, nous devons être immortels selon la même Jésus-Christ. C'est ainsi en effet, que nous pouvons porter son image, non point dans la vision, mais par la foi, non point en effet, mais en espérance; car en s'exprimant ainsi l'Apôtre parlait de la résurrection de la chair.
CHAPITRE XIX.
Le passage de saint Jean doit plutôt s'entendre de notre parfaite ressemblance avec la Trinité dans la vie éternelle
25. Mais comme il a été dit au sujet de l'i-
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mage en question : « Faisons l'homme à notre image et ressemblance, » (Gen., I, 26) non pas à mon image ou à la vôtre; nous croyons que l'homme a été fait à l'image de la Trinité, et nous avons poussé dans ce sens nos recherches le plus loin qu'il nous a été possible.Voilà pourquoi on doit entendre, de l'image prise en ce sens, ce que dit l'apôtre Jean quand il s'exprime ainsi : « Nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est, » (I Jean, III, 92) attendu qu'il parle en ce cas de celui dont il dit plus haut : «Nous sommes les enfants de Dieu. » Quant à l'immortalité de la chair, elle sera rendue parfaite au moment de la résurrection dont parle l'Apôtre quand il dit: « En un clin d'œil au son de la dernière trompette, car la trompette sonnera, les morts ressusciteront dans un état incorruptible et alors nous serons changés. » (1 Cor., XV, 52.) En effet, c'est en un clin d'œil, avant le jugement que ressuscitera dans la force, l'incorruptibilité et la gloire un corps spirituel qui maintenant, corps animal, est semé dans la faiblesse, la corruption et l'abaissement. Quant à l'image qui se renouvelle dans l'esprit de son âme, par la connaissance de Dieu, non au dehors, mais à l'intérieur, de jour en jour elle sera rendue parfaite par la vision même qui se produira alors après le jugement face à face, tandis que maintenant elle ne fait quelques progrès que dans un miroir et en énigme. (l Cor., XIII, 42.) C'est à raison de ce perfectionnement qu'on doit entendre ce mot: « Nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est. » (1 Jean, III, 92.) Ce don nous sera fait au moment où il nous sera dit: «Venez les bien‑aimés de mon Père, possédez le royaume qui vous a été promis, » (Matth., XXV, 34) car alors l'impie sera fait disparaître pour qu'il ne voie point la clarté du Seigneur, au moment où ceux qui seront placés à la gauche iront dans les supplices éternels pendant que ceux de droite iront dans la vie éternelle. « Or, la vie éternelle, » comme le dit la vérité même, « consiste à vous connaître, vous qui êtes le seul Dieu véritable et Jésus‑Christ que vous avez envoyé. » (Jean, XVII, 3.)
26. Cicéron nous recommandant à la fin de son dialogue d'Hortensius, la sagesse contemplative à laquelle, je crois, les livres saints donnent proprement le nom de sagesse, pour la distinguer de la science, sagesse qui convient à l'homme, mais que l'homme ne peut tenir que de celui par la participation de qui l'âme raisonnable et intelligente peut être rendue vraiment sage, s'exprime ainsi : « En nous appliquant jour et nuit à ces recherches, en fortifiant notre intelligence qui est comme l'œil de l'âme, et en prenant garde de la laisser jamais s'affai-
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plir, nous avons tout lieu d'espérer que, si l'organe du sentiment et de la pensée est mortel et périssable, il nous sera doux de mourir après avoir rempli toutes les conditions de l'existence humaine, et qu'au lieu de voir dans l'anéantissement un malheur, nous l'accepterons comme le repos de la vie; si au contraire, comme le prétendent les anciens philosophes qui sont aussi les plus grands et les plus célèbres, nous avons une âme immortelle et divine, il faut croire que plus elle aura été active dans cette vie, c'est‑à-dire, occupée de la sagesse et du désir d'apprendre, moins elle se sera mêlée aux erreurs et aux passions humaines, plus il lui sera facile de s'élever et de remonter au ciel. » Puis terminant ainsi, et résumant son discours, il poursuit en ces termes : « Ainsi pour en finir de ce discours, voulons-nous terminer en paix une existence tout occupée de ces hautes recherches? Voulons‑nous passer promptement de cette demeure dans une autre infiniment plus heureuse? Voilà dans les deux cas les études vers lesquelles doivent se tourner tous nos soins et toutes nos pensées. » Là je m'étonne qu'un homme d'un si grand génie promette à des hommes vivant dans la philosophie qui les rend heureux, en leur faisant contempler la vérité, une fin heueuse après avoir rempli toutes les conditions de l’existence humaine, si l'organe du sentiment et de la pensée est mortel et périssable; comme si la mort et la destruction de ce siège du sentiment et de la pensée était la mort de quelque chose que nous n'aimions point, ou plutôt de quelque chose que nous haïssions du fond de l'âme, pour que cette mort nous fût agréable. Mais cela il ne l'avait point appris des philosophes qu'il comble de louanges; cette pensée sentait la nouvelle Académie, où l'on se plaisait à douter des choses même les plus manifestes. Quant aux philosophes, comme il le reconnaît lui‑même, je dis les plus grands et de beaucoup les plus illustres, ils lui avaient appris que les âmes sont immortelles. En effet, c'est avec bien de la raison que des âmes éternelles sont excitées par ces paroles à se trouver dans leur voie, quand viendra le terme de cette vie, je veux dire, occupées de la sagesse et du désir d'apprendre, et de ne point se mêler ni se fourvoyer dans les vices et dans les erreurs des hommes afin que leur retour vers Dieu soit plus facile. Mais cette voie des âmes qui consiste dans l'amour et la recherche de la vérité, ne suffit pas à ceux qui sont malheureux, c'est‑à‑dire à tous les hommes qui n'ont que la raison sans la foi du Médiateur, ainsi que je me suis appliqué à le faire voir autant que je l'ai pu dans les livres précédents de cet ouvrage, et particulièrement dans le quarième et dans le treizième.
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LIVRE QUINZIÈME
Récapitulation brève et sommaire des quatorze livres précédents. La dissertation est enfin arrivée à ce point que c'est dans les choses même éternelles, incorporelles et immuables dont la contemplation nous est promise comme étant la vie bienheureuse, qu'il faut chercher la Trinité qui est Dieu. Cette Trinité nous ne la voyons maintenant que comme dans un miroir et dans une énigme, tant que nous ne la voyons que dans l'image de Dieu qui n'est autre que nous, mais image d'une ressemblance obscure et difficile à distinguer. Il en est de même aussi du verbe de notre âme, et de l'amour qui se trouve uni à notre verbe par la volonté; ils peuvent servir, bien que ce ne soit point sans quelque difficulté, à cause de la disparité énorme qui existe entre notre verbe et le Verbe de Dieu, à nous faire conjecturer et à nous expliquer la génération de ce dernier ainsi que la procession du Saint‑Esprit.
CHAPITRE PREMIER.
Dieu est au‑dessus de l’âme.
1. En voulant exercer le lecteur dans les choses qui sont faites pour nous faire connaître celui par qui elles ont été créées, nous sommes enfin parvenus à son image, qui est l'homme vu dans ce qui le place au‑dessus de tous les autres animaux; c'est‑à‑dire, dans sa raison, ou dans son intelligence et dans toutes les autres facultés qu'on peut citer dans une âme raisonnable et intelligente se rapportant à ce qu'on entend par esprit ou par cœur, expressions dont plusieurs auteurs latins se sont servis pour distinguer dans leur manière de parler, ce qui excelle dans l'homme et ne se trouve point dans l'animal, de l'âme qui est commune à l'un et à l'autre. Si donc, nous cherchons au‑dessus de cette nature, quelque chose de vrai, nous trouvons Dieu, c'est‑à‑dire, une nature non point créée mais créatrice. Est‑ce la Trinité? c'est ce que nous devons enfin démontrer non‑seulement par l'autorité de la divine Ecriture à ceux qui croient, mais encore, si nous le pouvons, à l'aide même des lumières de la raison à tout homme seulement intelligent. Pourquoi ajouté‑je ces mots, si nous le pouvons? la chose elle‑même le fera comprendre beaucoup mieux que moi, lorsque nous aurons commencé nos recherches sur ce sujet, dans ce travail.
CHAPITRE II
On ne doit cesser de chercher Dieu tout incompréhensible qu'il soit.
2. Ce Dieu que nous cherchons, nous aidera, je l'espère, pour que notre travail ne soit point infructueux et que nous comprenions comment
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il est dit dans un psaume sacré : « Que le coeur de ceux qui cherchent le Seigneur se réjouisse; cherchez le Seigneur et fortifiez‑vous, cherchez sa face sans cesse.» (Ps. CIV, 3, 4.) Or, il semble que ce qu'on cherche sans cesse, on ne le trouve jamais; comment donc le coeur de ceux qui se livrent à cette recherche se réjouira‑t‑il, comment ne s'attristera‑t‑il point plutôt, s'ils ne peuvent pas trouver ce qu'ils cherchent? Le Psalmiste ne dit pas en effet : que le coeur de ceux qui trouvent, mais « de ceux qui cherchent le Seigneur, » se réjouisse. Et pourtant le prophète Isaie nous assure qu'on peut trouver le Seigneur si on le cherche, quand il dit : «Cherchez le Seigneur, et dès que vous l'aurez trouvé invoquez‑le, et quand il se sera approché de vous, que l'impie quitte ses voies et l'injuste ses pensées. » (Isa., LV, 6, 7.) Si on peut le trouver quand on le cherche, pourquoi est‑il dit : «Cherchez sa face, sans cesse?» Est‑ce que par hasard il faudrait encore le chercher quand on l'aura trouvé? Oui, car ce qu'on doit chercher ce sont des choses incompréhensibles, et il ne faut point croire qu'on n'a rien trouvé, quand on a trouvé combien est incompréhensible ce qu'on cherchait. Pourquoi donc chercher ainsi, si on a trouvé que ce qu'on cherche est incompréhensible, sinon parce qu'on ne doit point s'arrêter, tant qu'on fait quelques progrès, dans la recherche même de choses incompréhensibles et qu'on devient meilleur à mesure qu'on cherche un tel bien qu'on ne cherche que pour le trouver et qu'on ne trouve que pour le chercher? En effet, on le cherche pour le trouver avec plus de douceur, et on le trouve pour le chercher avec plus d'ardeur. C'est en ce sens qu'il faut entendre ce mot de la Sagesse dans le livre de l'Ecclésiastique : «Ceux qui me mangent auront encore faim, et ceux qui me boivent auront encore soif de moi. » (Eccli., XXIV, 29.) Manger et boire c'est trouver, avoir faim et soif c'est chercher encore. La foi cherche, l'intelligence trouve, aussi le prophète dit‑il: «Si vous ne croyez, vous ne comprendrez point. » (Isa., VII, 9.) D'un autre côté, l'intelligence cherche encore celui qu'elle a trouvé, « car Dieu a jeté ses regards du haut du ciel sur les enfants des hommes, » chantons‑nous dans un psaume sacré, « afin de voir s'il en trouvera quelqu'un qui ait de l'intelligence et qui cherche Dieu. » (Ps. XIII, 3.) C'est donc pour chercher Dieu que l'homme doit être intelligent.
3. Ainsi nous nous serons remis en mémoire les choses que Dieu a faites, afin de connaître, par elles, celui qui les a faites; « car ce qu'il y a d'invisible en Dieu, est devenu visible, depuis la création du monde, par la connaissance que ses créatures nous en donnent. » (Rom., I, 20.) Voilà pourquoi le livre de la Sagesse reprend : «Ceux qui n'ont pu comprendre,
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par les biens visibles, le souverain Etre, et n'ont point reconnu le Créateur par la vue de ses ouvrages, mais se sont imaginé que le feu, le vent, l'air le plus subtil, le chœur des étoiles, l'abîme des eaux, ou le soleil et la lune étaient les dieux qui gouvernent le monde; s'ils les ont crus des dieux, parce qu'ils étaient charmés de leur beauté, qu'ils conçoivent, par là, combien celui qui en est le dominateur doit être plus beau encore; car c'est l'auteur de toute beauté qui a donné l'être à toutes ces choses. S'ils ont admiré le pouvoir et les effets de ces créatures, qu'ils comprennent par là combien est encore plus puissant celui qui les a créés. Car la grandeur et la beauté de la créature pouvaient faire connaître et rendre visible le Créateur. » (Sag., XIII, 1 à 5.) J'ai rapporté ces paroles du livre de la Sagesse, de peur que quelque fidèle ne pense que c'est en vain et en pure perte que j'ai commencé par chercher, dans les créatures, par le moyen de certaines trinités de leur genre, pour m'élever par degré, si je puis parler ainsi, jusqu'à l'âme de l'homme, des traces de la Trinité que nous cherchons quand nous cherchons Dieu.
CHAPITRE III.
Analyse succincte de tous les livres précédents.
4. Mais comme nous avons été amené, par les nécessités de cette dissertation et du raisonnement, à parler, dans les quatorze livres qui précèdent, de beaucoup de choses que nous ne pouvons considérer toutes ensemble, pour arriver, par une pensée rapide, au but que nous voulons atteindre, je vais faire en sorte, autant que je le pourrai, avec l'aide de Dieu, de réunir en quelques mots et sans discussion tout ce que j'ai développé et discuté dans les livres précédents, pour le faire connaître, et, considérant tout cela comme sous un seul coup d'œil de l'âme, je ferai voir, non pas comment chaque raisonnement a établi certaines choses, mais les choses mêmes qui se sont trouvées établies, afin que les prémisses ne soient point si éloignées des conséquences, que l'examen de celles‑ci efface la souvenir de celles‑là, ou du moins, si cela arrivait, qu'il fût possible en relisant ce qui a été dit de se rappeler ce qui aurait pu s'échapper de la mémoire.
5. Dans le premier livre on a montré par les saintes Ecritures l'unité et l'égalité de la souveraine Trinité. Dans le second, le troisième et le quatrième, j'ai continué le même sujet; mais ces trois livres ont été remplis par une étude attentive de la mission du Fils et de celle du Saint‑Esprit, et il a été démontré que l'envoyé n'est pas moindre que l'envoyant, par la raison que l'un est envoyé et que l'autre envoie, at-
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tenduque la Trinité égale en toute chose, également immuable et invisible de sa nature et présente partout opère d'une manière inséparable. Dans le cinquième livre, pour répondre à ceux à qui il semble que le Fils n'a pas la même substance que le Père, parce que tout ce qui se dit de Dieu ne se dit, selon eux, que quant à la substance, d'où ils prétendent que engendrant et engendré, ou engendré et inengendré, étant tout à fait différents, les substances sont différentes, j'ai fait voir que tout ce qui se dit de Dieu ne se dit point quant à la substance, de même qu'on dit quant à la substance qu'il est bon et grand, et tout ce qui peut se dire de Dieu en soi, mais qu'il y a des choses qui ne se disent point de Dieu par rapport à lui‑même, mais par rapport à quelque chose qui n'est point lui; c'est ainsi que Père se dit par rapport à Fils, ou seigneur, par rapport à la créature qui est soumise à lui; d'où il suit que s'il se dit de lui quelque chose d'une manière relative, c'est‑à-dire par rapport à quelque chose qui ne soit point lui, et se dise de lui dans le temps, comme : « Seigneur, vous êtes devenu notre refuge, » (Ps. LXXXIX, 4) il ne lui arrive rien qui le change, il demeure absolument le même et immuable dans sa nature et dans son essence. Dans le sixième livre, j'ai discuté le sens de ces mots de l'Apôtre, au sujet du Christ : « Il est la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu, » (I Cor., I, 24) de manière pourtant à réserver pour plus tard une étude plus approfondie de la même question ; j'ai recherché si celui de qui le Christ est engendré n'est point aussi lui‑même sagesse, ou s'il n'est seulement que le Père de la sagesse, ou enfin si la sagesse a engendré la sagesse. Mais à quelque opinion qu'on dût s'arrêter sur ce sujet, j'ai montré dans ce même livre que la Trinité est égale , qu'elle ne fait point un Dieu triple, mais une Trinité, ni que le Père et le Fils étaient quelque chose de double par rapport au Saint‑Esprit qui serait simple; et enfin que les trois personnes ne sont pas plus que l'une d'elles. J'ai aussi traité la question de savoir comment se doivent entendre ces paroles de l'évêque Hilaire : « L'éternité est dans le Père, l'espèce dans l'image et l'usage dans le don. » Au septième livre, j'ai repris la question précédemment ajournée, à savoir que Dieu qui a engendré le Fils, non‑seulement est le Père de la vertu et de la sagesse, mais est lui‑même vertu et sagesse, et de même quant au Saint‑Esprit, sans que pourtant ils soient ensemble trois vertus et trois sagesses, mais une seule vertu et une seule sagesse, comme ils ne font qu'un seul Dieu et une seule essence. Après cela, j'ai cherché comment on dit trois personnes et une seule essence, ou avec quelques grecs : une seule essence et trois substances; et j'ai trouvé que c'est par suite de la nécessité d'avoir une expression,
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un mot, quand nous confessons, avec vérité, que le Père, le Fils et le Saint‑Esprit font trois, pour répondre à cette question : trois quoi ? Dans le huitième livre, il a été rendu clair par les raisons que j'en ai données, pour les personnes intelligentes, que, dans la substance de la vérité, non‑seulement le Père n'est point plus grand que le Fils, et que le Père et le Fils ensemble ne sont point quelque chose de plus grand que le Saint-Esprit tout seul, ou que quelques personnes que ce soit des trois prises deux à deux ne sont point, dans la même Trinité, quelque chose de plus grand que l'une quelconque d'entre elles, et que toutes les trois ensemble ne sont pas quelque chose de plus grand que l'une des trois considérée séparément. Après cela, j'ai fait remarquer que, par la vérité qui est vue et comprise, par le souverain bien de qui est tout bien, et par la justice à cause de laquelle une âme juste est aimée d'une âme qui n'est point encore juste, on doit entendre, autant que cela est possible, la nature non‑seulement incorporelle, mais encore immuable qui n'est autre que Dieu, de même que par la charité que les saintes Ecritures appellent Dieu (I Jean, IV, 16) et par laquelle la Trinité même commence à apparaître d'une manière quelconque aux personnes intelligentes, comme il s'en montre une dans l'amant, l'objet aimé et l'amour. C’est dans le neuvième livre que la question se pose de l'image de Dieu qui n'est autre que l'homme, quant à son âme; je trouve, en effet, une sorte de trinité en elle, je veux dire l'âme elle‑même, la connaissance par laquelle elle se connaît, et l'amour par lequel elle unit ensemble soi et la connaissance qu’elle a de soi. Or, ces trois choses sont égales entre elles, et j'ai montré qu'elles sont d'une seule et même substance. Dans le dixième, j'ai traité le même sujet avec plus de soin et d'une manière plus subtile, et je suis arrivé à trouver dans l'âme une trinité d'elle‑même plus évidente que l'autre, dans sa mémoire, son intelligence, et sa volonté. Mais parce qu'on a découvert en même temps que jamais l'âme n'a pu être dans le cas de n'avoir point souvenance d'elle‑même, de ne se point comprendre et de ne se point aimer, bien qu'elle ne se pense point toujours elle-même, et, quand elle se pense, ne se distingue pas toujours, dans sa pensée, des choses corporelles; la discussion, au sujet de la Trinité dont elle est l'image, s'est trouvée différée, pour tâcher de découvrir une trinité dans les choses même corporelles qui tombent sous nos yeux, et d'exercer l'esprit du lecteur à la distinguer. Dans le onzième livre, on a donc pris le sens de la vue, dans lequel on pût reconnaître quand bien même on ne pourrait le nommer dans les quatre autres sens, ce qu'on aurait trouvé, et ainsi on a vu apparaître une trinité de l'homme extérieur, ressortant des choses vues au dehors, c'est‑à‑dire de l'objet corporel vu, de la forme de ce corps s'imprimant dans l'œil de celui qui le voit, et de
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l’intention de la volonté unissant l'un et l’autre. Mais on a vu clairement que ces trois choses ne sont ni égales entre elles, ni d'une seule et même substance. Puis j'ai trouvé une autre trinité dans l’âme même, comme si elle y était introduite par les choses perçues au dehors par les sens, dans laquelle les trois mêmes choses apparaissaient de la même substance, je veux parler de l'image de l'objet corporel qui est dans la mémoire, puis de l'information quand l'œil de la pensée se tourne vers cette image, et enfin de l'intention de la volonté unissant l'un et l'autre ensemble. Mais j'ai trouvé que cette trinité se rapporte à l’homme extérieur, parce qu'elle a été apportée dans l'âme par les objets corporels qui se sentent au dehors. Dans le douzième livre, il a semblé qu’il y avait lieu à distinguer la sagesse de la science, et à rechercher d'abord, dans ce qui s’appelle proprement science, parce qu’elle est inférieure à la sagesse, une trinité de son genre qui, pour se rapporter déjà à l'homme intérieur, ne doit pourtant pas encore être appelée ni regardée comme étant l'image de Dieu. Cela est traité encore dans le treizième livre, par la recommandation de la foi chrétienne. Or, dans le quatorzième livre, il est parlé de la vraie sagesse de l'homme, c'est‑à‑dire de celle qui lui est donnée par la grâce de Dieu, dans le fait de sa participation à ce même Dieu, distincte de la science; et la discussion a été conduite jusqu’au point de montrer une trinité dans l'image de Dieu, c’est‑à‑dire dans l'homme quant à son âme qui se renouvelle par la connaissance de Dieu, selon l'image de celui qui a créé l'homme à son image (Gen. , 1, 27), lequel homme perçoit la sagesse là où est la contemplation des choses éternelles.