Darras tome 23 p. 114
§ V. Conciliabule de l'antipape Clément III à Rome (8 juin 10089.)
23. L'antipape avait été le premier informé du revirement imprévu dont la Germanie venait d'être le théâtre. En quelques jours il rassembla ses partisans ; les évêques schismatiques de Lombardie accoururent à sa voix et l'accompagnèrent à Rome. Dès le 8 juin 1089 2 il s'était remis en possession de la basilique de Saint-Pierre et y présidait un conciliabule auquel ses fauteurs donnèrent le titre pompeux de synode général3. Il y affecta lui-même un langage et une attitude hypocritement apostolique, sans d'ailleurs prendre la peine de faire dresser un procès-verbal des actes de l'assemblée. Le petit nombre des évêques présents et leur simonie manifeste auraient nui dans l'opinion à l'effet de sa parodie sacrilège. Il s'agissait moins d'être fort que de le paraître, il fallait surtout frayer les voies au pseudo-empereur Henri, qui se préparait à une nouvelle expédition en Italie. Tout fut calculé dans ce but. A défaut de procès-verbal officiel, une encyclique adressée à tout l'univers chrétien fut rédigée en synode, au nom de l'antipape, pour notifier urbi et orbi que la sainte Eglise de Dieu était enfin délivrée des erreurs abominables ainsi que de la domination tyrannique des papes intrus tels que Grégoire VII, Victor III et Urbain II. Cet immense bienfait était dû,
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1 Boniz. Ad Amie. lib. IX ; Patr. lat., t. CL, col. 856.
2.Cette date précise a été rétablie par Jaffé, Regesta roman, pontifie, t. I, p. 445.
3 Nous avons déjà dit (Cf. t. XXII de cette Histoire, p. 526, not. 2.) que par une erreur chronologique assez extraordinaire M. Villemin, ou du moins son éditeur posthume, avait antidaté de six ans le conciliabule de Wibert de Ravenne et en avait résumé les opérations sous la date de l'an 1083, époque où Grégoire Vil vivait encore (Cf. Villemain, Hisf. de Greg. VII, t. Il, p. 330). La méprise atteste une précipitation vraiment inexcusable dans l'examen des documents analysés par l'auteur. En effet, comme nous le verrons bientôt l'antipape reproduit in extenso la lettre de convocation par laquelle il citait Urbain II et ses partisans à son propre conciliabule.
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après la miséricorde divine, à la grâce toute puissante de l'empereur Henri IV et à la sollicitude pastorale de l'oint du seigneur Wibert de Ravenne. Voici ce monument de théologie schismatique.
26. « Clément évêque serviteur des serviteurs de Dieu à tous ses frères orthodoxes, archevêques, évêques, abbés, et à tous les ordres de la sainte Église, salut et bénédiction apostolique. — Quelles et combien pestilentes ont été de nos jours les inventions de l'esprit du schisme pour désoler l'Eglise de Dieu ! que de peuples, sans doute en punition de nos péchés, n'a-t-il point infectés de ses erreurs ? votre fraternité ne le sait que trop. Le poison s'est infiltré du chef à tous les membres ; vous en avez constaté les redoutables effets sur les fidèles soumis à votre juridiction ; malgré vos combats et vos généreux efforts, il a pénétré jusqu'à la moelle dans le corps social. En présence de ce péril urgent, pour empêcher la barque de saint Pierre assaillie par tant d'orages d'être entièrement submergée, recourant aux armes dont nos pères ont fait usage pour la défense de la foi chrétienne, nous avons convoqué de diverses provinces les évêques, les abbés et grand nombre d'honorables personnages et quamplures honestos viros, en un synode tenu à Ia basilique de Saint-Pierre. Réunis sous l'inspiration de l’Esprit-Saint, nous avons amplement discuté les dogmes impies récemment imaginés pour la perversion des âmes, et nous croyons devoir porter à la connaissance de votre fraternité le résultat de nos délibérations, afin qu'avec l'aide de Dieu vous puissiez avec plus d'énergie et de vigilance combattre les nouvelles erreurs. Une clameur unanime s'est élevée tout d'abord contre la monstrueuse présomption des dogmatisants actuels qui enseignent, au mépris de la majesté impériale, que le parjure est un devoir et que les fidèles ont l'obligation de violer les serments faits à l'empereur. Cette erreur fut en effet la racine et le point de départ de tous les désordres et de tous les crimes. Nous avons voulu la traiter à fond, en démontrer les faux principes et les funestes conséquences. Tout d'abord, nous avons improuvé et cassé la sentence d'excommunication portée contre l'empereur. Les saints canons et les lois humaines elles-mêmes nous ont fourni en abondance des textes qui en démontrent péremptoirement la nullité. Mais sans entrer dans un détail qui
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deviendrait infini, il nous a paru suffisant d'établir comme des axiomes indiscutables les trois règles disciplinaires relatives à l'excommunication. Nul ne peut être validement excommunié s'il n'a d'abord été cité dans les formes canoniques, et s'il n'a été entendu dans ses défenses par un tribunal compétent après débat contradictoire. Enfin, s'il s'agit d'un accusé qu'on aurait préalablement dépouillé de ses droits, biens ou prérogatives, il doit d'abord y être réintégré avant de pouvoir être cité et juridiquement entendu. Le concile de Nicée a sanctionné sous forme de canons inviolables les deux premiers axiomes. Voici ses paroles: « Que nul pontife ne soit assez présomptueux pour prononcer une sentence, même sur des faits avérés et constants, sans débat contradictoire. » — «Que les juges ecclésiastiques ne portent point de sentence, même après débat judiciaire, contre un absent. En pareil cas leur sentence serait nulle. » Saint Augustin, au livre De Pœnitentia, déclare de même qu'on ne saurait lancer validement une sentence d'excommunication « si le coupable n'a point été convaincu ou par un aveu volontaire, ou par un jugement contradictoire, devant un tribunal soit ecclésiastique soit laïque. » Saint Augustin dit encore, ce qui d'ailleurs est élémentaire en droit canonique : « Si l'accusé a été avant jugement dépouillé de ses droits ou privilèges, aucune condamnation ne peut l'atteindre tant qu'il n'aura pas d'abord été remis en possession de ces mêmes privilèges ou droits. » Telles sont les autorités canoniques dont les textes irréfragables furent mis sous les yeux des pères de notre synode. Elles prouvent jusqu'à la plus claire évidence l'injustice des sentences portées contre le seigneur empereur. On commença par le dépouiller de toute autorité et prérogative royale, sans aucune espèce de débat contradictoire. Puis on poussa l'audace au point de le frapper d'excommunication, sans qu'il eût été préalablement cité ni entendu. En conséquence, d'après le jugement unanime du synode, nous avons rendu un décret qui flétrit comme ils le méritent de pareils excès, et défend à quelque personne que ce soit d'oser jamais détourner les sujets du service du seigneur empereur ou les détacher de sa communion. Notre décret appuyé sur l'autorité de saint Augustin est ainsi conçu : «Si quelqu'un se parjure en
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violant le serment prêté à son roi et seigneur, si par ruse ou violence il trouble le royaume et entre dans quelque complot contre le souverain, il se rend coupable d'un sacrilège, puisqu'il porte la main sur le christ du Seigneur ; qu'il soit donc anathème. S'il est laïque, qu'il soit privé de la communion toute sa vie à moins qu'il ne fasse une satisfaction suffisante, c'est-à-dire que, déposant les armes, il quitte le siècle pour entrer dans un monastère et y achever ses jours dans la pénitence. S'il est évêque, prêtre ou diacre, qu'il soit publiquement dégradé. » Après cette première et capitale décision, nous avons dû réfuter les erreurs professées par les sectaires au sujet du ministère ecclésiastique et de l'administration des sacrements. Dans leur orgueil blasphématoire et sacrilège ils osent déclarer nul le sacrement du corps et du sang de Notre-Seigneur consacré par d'autres ministres que ceux de leur secte ; ils étendent la même nullité à tous les actes du ministère épiscopal ou sacerdotal, à la confection du saint chrême, à toutes les consécrations, ordinations et bénédictions faites par d'autres que par eux. Le pain descendu du ciel, principe de toute vie, fondement de notre salut, devient suivant eux une souillure; l'eau du baptême sanctifiée par les prières sacerdotales, les bénédictions et l'effusion du chrême, loin de régénérer les âmes leur ajoute d'après eux une tache nouvelle, quand ces sacrements sont administrés en dehors de leur secte. Conséquents avec cette doctrine erronée, ils réitèrent les ordinations, les consécrations d'églises, le baptême et la confirmation des enfants, en un mot toutes les cérémonies et administrations de sacrements faites en dehors d'eux. Après avoir longuement examiné ces diverses erreurs, nous les avons condamnées et nous joignons ici les textes des saints pères qui établissent à ce sujet la vérité de notre foi 1. »
Suit en effet une colonne de citations empruntées à saint Augustin, à saint Jérôme, aux décrétales des papes, pour établir que les sacrements du baptême et de l'ordre, imprimant un caractère ineffaçable, ne peuvent être réitérés. Les théologiens du conciliabule déplaçaient la question pour se donner l'apparence
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1 Wibert antip. Epist. v, Pair, lai., t. CXLV11I, col. 832-834.
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d'un facile triomphe. Jamais ni saint Grégoire VII, ni le bienheureux Victor III, ni leur successeur Urbain II n'avaient mis en doute la validité des sacrements conférés par les schismatiques, mais ils en avaient proclamé l'illicéité ; ils avaient interdit aux fidèles catholiques de les recevoir de la main d'évêques ou de prêtres excommuniés, simoniaques, clérogames. Ils avaient prémuni les âmes rachetées au prix du divin sang contre les profanations et le trafic abominable des sacrements institués par Jésus-Christ. C'était non seulement le droit, mais le devoir le plus strict de leur charge pastorale ; c'était la pratique constante de l'Église et l'exécution du précepte légué par les apôtres : Haereticum hominem devita 1.
27. (( Quand l'assemblée eut pris connaissance des maximes empruntées aux ouvrages des saints pères, reprend l'antipape, nous jugeâmes à propos de faire appel à la synagogue de Satan et de citer ses chefs à notre saint synode, pour qu'ils eussent à rendre compte de leur impiété, non point que nous les jugions dignes d'être entendus, car dans les précédents conciles nous les avions déjà exclus de notre communion, mais dans l'espoir de les ramener à l'unité et de rétablir la paix au sein de l'Église si cruellement déchirée par eux. Nos curseurs allèrent donc leur remettre de notre part une lettre dont voici la teneur : Clément évêque serviteur des serviteurs de Dieu à Odo jadis connu sous le titre d'évêque d'Ostie et à ses adhérents, ce qu'ils méritent. — Bien que vous vous soyiez vous-mêmes rendus indignes d'être admis à une audience synodale, puisque, tant de fois cités aux divers conciles de la sainte église romaine, vous avez toujours refusé d'y comparaître et que pour ce fait vous ayez été frappés d'excommunication, cependant afin de mettre un terme aux murmures du peuple séduit par vos erreurs, nous vous enjoignons en vertu de l'autorité apostolique de vous présenter au concile qu'avec l'aide de Dieu nous célébrons en ce moment dans la basilique du bienheureux Pierre, vous garantissant à cet effet la sécurité personnelle la plus complète, et vous citant à rendre compte devant le synode de la perturbation dans laquelle
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1. Tit. III, 30.
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vous avez jeté la sainte Église 1. » Cet incident nous fournit la preuve que l'armée schismatique n'avait pu encore chasser le pontife légitime de l'intérieur de Rome, et que la population restait en majorité fidèle à son véritable pasteur. Urbain II et son collège cardinalice repoussèrent avec indignation le sacrilège message. C'est ce que l'antipape constate en ces termes dans le paragraphe suivant :
28. « Odo et ses sectateurs, sans nul respect de Dieu ni des hommes, ne voulurent point entendre nos envoyés et refusèrent même de recevoir nos lettres. Cachés comme des serpents dans leur tanière, ils sifflent dans l'ombre, ils aiguisent leur langue venimeuse, pour lancer le poison qui tue les âmes imprudentes et simples. Quels torrents de sang leurs prédications n'ont-elles pas fait répandre dans les deux royaumes d'Italie et d'Allemagne? que d'églises en ruines ! que de veuves et d'orphelins ! Voilà leurs œuvres : les cris de douleurs poussés par leur victimes dans toute l'étendue de l'empire romain les dénoncent à la malédiction du monde. Le saint concile les a frappés d'anathème. Il nous a demandé ensuite de sévir avec une juste rigueur contre les simoniaques qui
ont transformé l'Eglise de Dieu en une caverne de voleurs, nous priant de tirer le glaive du bienheureux Pierre pour trancher la tête renaissante de cette hérésie, déjà tant de fois condamnée par les saints pères. En conséquence, par notre autorité apostolique nous interdisons désormais d'imposer les mains à qui que ce soit en exécution d'un pacte simoniaque. Si, ce qu'à Dieu ne plaise, pareil trafic se renouvelait, le consécrateur serait déchu à perpétuité de sa charge et l'ordonné ne pourrait exercer les fonctions auxquelles il aurait été injustement promu. — Un autre point a fixé encore notre attention et nous ne saurions le passer sous silence. Les murmures du peuple contre la clérogamie vont chaque jour en augmentant. Il nous a donc paru utile de vous en entretenir. Avertissez avec toute la diligence requise les ministres des autels de vivre conformément aux canons, de garder inviolable la pureté sans laquelle, au témoignage de l'apôtre, ils ne sauraient plaire à Dieu ; afin que la régula-
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1. Wibert. Epist. vi, col. 836
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rité de leurs mœurs leur attire la considération publique et fasse taire les insolents propos du peuple. — Quant aux laïques qui refuseraient d'entendre la messe célébrée par des prêtres pécheurs, osant ainsi témérairement prévenir la sentence apostolique au préjudice de ces prêtres, qu'ils soient privés de la communion de l'Eglise jusqu'à complète satisfaction. — Enfin, veillez à maintenir les prohibitions portées par les lois divines aussi bien que par la législation séculière contre les mariages entre consanguins. — Votre éminente prudence, bien-aimés frères, comprendra l'importance de toutes ces recommandations. Persévérez dans la vigilance du ministère confié à vos soins, dans la rectitude de la foi, dans le chemin de la vérité, dans la lutte contre les hérétiques et les ennemis du Christ. Notre foi est celle que nous a enseignée le Seigneur et Sauveur du genre humain, le Dieu-Homme qui a daigné mourir pour nous et nous racheter au prix de son sang. Il a promis que la foi du bienheureux Pierre ne faillirait pas ; il a chargé ce grand apôtre de confirmer ses frères. Cette mission divine, les pontifes apostoliques prédécesseurs de mon humble personne, meae exiguitatis praedecessores, l'ont toujours intrépidement accomplie. Moi-même, quelles que soient et mon insuffisance et ma faiblesse, puisqu'il a plu à la miséricorde divine de m'appeler au partage de leur autorité, j'ai le désir d'y être fidèle. Malheur à nous si nous dissimulions la vérité par un coupable silence ! J'exhorte donc votre dilection, bien-aimés frères, vous conjurant et vous suppliant de redoubler de sollicitude pour rechercher les hérétiques, ennemis de la sainte Eglise ; pour extirper avec toute la rigueur possible et avec toutes les forces dont vous disposez cette secte pestilente, et en empêcher les progrès contagieux ; ne pestis haec latius divulgetur, severitate qua potestis pro viribus exstirpetis1. »
29. Cette dernière objurgation couronne dignement l'encyclique synodale de l'antipape. La force dont il réclame si énergiquement l'emploi de la part des évêques ses adhérents, l'inquisition rigoureuse qu'il leur prescrit, doivent être prises au pied de la lettre. Il ne s'agit point d'une coaction morale à exercer par voie de
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1 Wibert antip. Epist. vi, col. 838.
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persuasion, d'une enquête discrètement et paisiblement poursuivie par la charité pastorale. Les évêques schismatiques lombards étaient, nous l'avons dit, chefs des milices de leurs diocèses. Faire appel à toutes les forces dont ils disposaient, c'était livrer les catholiques à l'extermination. Ce procédé était en conformité parfaite avec une théologie qui assimilait César « au christ du Seigneur, » et plaçait son impériale communion au-dessus de toutes les censures de l'Eglise. En vertu de l'admirable décret du conciliabule de l'antipape Clément III, César n'était plus seulement dégagé du lien spirituel qui unit tous les chrétiens sous la juridiction ecclésiastique, il devenait le chef d'une communion indépendante de tout pouvoir spirituel, réglée uniquement par son propre caprice et obligatoire pour chacun de ses sujets. Dès lors, il était rigoureusement logique d'excommunier tous ceux qui refusaient le ministère des évêques ou des prêtres agréés par César. Le conciliabule n'hésita point à le faire. Toutefois le bon sens public protestait contre la profanation et le scandale dont ce troupeau d'évêques simoniaques et de prêtres clérogames étalait le hideux spectacle. Vainement ils se prévalaient de l'autorité de César, vainement le conciliabule élevait l'autorité impériale au niveau d'un pontificat indépendant et suprême, la conscience chrétienne des populations ne s'accommodait point des nouveaux dogmes. Elle se rappelait que la simonie et son premier auteur Simon le Mage avaient été foudroyés par l'apôtre saint Pierre; elle n'avait point oublié la tradition apostolique du célibat sacerdotal. En dépit de César et de l'antipape, on ne voulait ni se confesser à des prêtres mariés, ni recevoir les sacrements de la main d'évêques simoniaques. Pour apaiser « ces murmures du peuple », Clément III et son conciliabule eurent recours à un biais hypocrite, assez habilement calculé dans le but de tromper les simples. « La simonie, cette hydre toujours renaissante bien que toujours frappée du glaive de saint Pierre, disent-ils dans un de leur canons, est une détestable hérésie ; elle transforme l'Eglise de Dieu en une véritable caverne de voleurs. En la proscrivant nous nous conformons à la doctrine de tous les pères. Quiconque aura donné ou reçu une ordination moyennant un prix d'argent sera déposé de sa dignité et de son ordre. » Le marché
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simoniaque consistant en un pacte conclu entre l'évêque et les ordinands, où l'un se constituait vendeur et les autres acheteurs des saints ordres, n'était qu'une des formes de la simonie, la plus grossière, la plus impudente, si l'on veut, mais non la plus dangereuse. Si l'épiscopat presque tout entier dans les provinces germaniques et lombardes était devenu simoniaque, c'était sous une autre forme moins choquante, bien qu'aussi coupable dans son principe, et mille fois plus redoutable dans ses conséquences. La simonie impériale qui récompensait les plus honteux services par l'investiture des évêchés et des monastères, telle était véritablement l'hydre monstrueuse contre laquelle les successeurs légitimes de saint Pierre, Grégoire VII, Victor III et Urbain II avaient levé le glaive spirituelle de l'anathème. De celle-là, Clément III et son conciliabule se gardèrent bien de dire un mot. Ils frappèrent à côté et passèrent en saluant l'inviolabilité pontificale de César. Leur décision relative aux clérogames fut encore plus lâche. N'osant frapper d'anathèmes ces prêtres indignes auxquels César accordait notoirement le bénéfice de sa communion et de ses faveurs, ils se bornèrent à une recommandation générale. « On les avertira, disent-ils, de vivre conformément aux canons et de garder inviolable la pureté sans laquelle, au témoignage de l'apôtre, ils ne sauraient plaire à Dieu. » L'avertissement était louable : mais dépourvu de sanction, il devait manquer d'efficacité. En revanche on excommuniait bravement quiconque refuserait le ministère de ces prêtres scandaleux. Tel fut ce conciliabule de l'antipape Clément III, qui citait à sa barre le bienheureux pontife Urbain et jetait au catholicisme l'épithète injurieuse de «synagogue de Satan 1. »
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1 Voici les réflexions suggérées à M. Villemain ou à son éditeur anonyme par les décrets du conciliabule. « Ce qui est singulièrement digne de remarque, dit-il, Wibert s'élevait contre les prêtres simoniaques ou mariés... Seulement pour différer un peu de Grégoire VII, il déclarait coupables et privait de la communion ceux qui refusaient la messe des prêtres pécheurs. Ces décisions faibles et presque contradictoires attestent combien la réforme du clergé, entreprise par Grégoire VII, était puissante et populaire ; combien elle avait profondément pénétré dans les esprits choqués de la licence d'un sacerdoce ignorant et dissolu. Un synode formé des excommuniés de Gré-
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§ VI. Voyage d'Urbain en Apulie
30. Wibert comptait sur les armes victorieuses du pseudo-empereur pour faire prévaloir son programme de théologie césarienne. « Les vrais catholiques devenaient de plus en plus rares, dit Ber-nold, les fauteurs du schisme au contraire pullulaient. » Enfermé dans l'île du Tibre, où le dévouement de Pierre de Léon et du peuple fidèle l'avait protégé jusque-là, Urbain II n'avait point comme ses adversaires d'armées prêtes à le défendre. D'ailleurs, nous l'avons vu, il était résolu à éviter toute effusion de sang, dans cette ville de Rome où, depuis tant d'années, les intrus schismatiques le faisaient couler par torrents. Comme jadis saint Léon IX, il forma le dessein de reconquérir l'indépendance du saint-siége en parcourant les diverses provinces du monde chrétien, en offrant aux populations le spectacle du successeur de saint Pierre proscrit pour la cause de la justice et de la vérité. Les exils des papes, à toutes les époques, furent le point de départ de nouveaux triomphes pour la papauté. Il en devait être ainsi du pèlerinage apostolique entrepris en 1089 par le bienheureux Urbain II. Les gardes dont il voulut se faire accompagner ne ressemblaient guère aux farouches soldats de l'antipape Wibert, ni aux évêques qui escortaient, casque en tête et lance au poing, la majesté impériale de Henri IV.