LE RATIONALISME K.O. AU TRIBUNAL.
§ V. Le dénombrement de l'Empire.1
20. «En ces jours-là, dit saint Luc, un édit de César-Auguste ordonna de procéder au recensement de tout l'univers. (Ce premier dénombrement fut accompli par le gouverneur de Syrie, Quirinius 2.) Or, tous allaient se faire inscrire aux registres publics, chacun dans sa ville natale. Joseph quitta donc la Galilée, et sa résidence de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David, appelée Bethléem. Car il était de la maison et de la famille de David. Il vint, pour se faire inscrire, avec Marie, son épouse, dont le terme était proche 3.» Chaque parole du texte Évangélique touche ici à des questions capitales. Histoire universelle, détails particuliers de l'administration des provinces; droit romain, mis en présence du droit juif; les problèmes les plus compliqués et de 1’ordre le plus divers, sont tranchés, dans ces quelques lignes, où le lecteur ne remarque pas même une hésitation. A moins de s'adresser aux souvenirs encore vivants d'une génération contemporaine, et de parler de réalités notoires, que chacun avait vues, entendues et subies; l'Évangéliste n'aurait pu glisser si légèrement sur des faits de cette importance. Ce caractère intrinsèque d'authenticité ne frappe pas nos modernes rationalistes. Saint Luc, disent-ils, men-
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1. Cette question est devenue le point de départ de toute la théorie rationaliste contre la véracité de l'Évangile. Nous la discuterons donc, avec tous les développements qu'en d'autres temps nous eussions abandonnés à un Cours spécial d'Écriture sainte. L'objection est populaire, depuis l'apparition de la Vie de Jésus; dès lors il importe d'en faire sentir la complète inanité.
2. A'JTT, f, àTîoypaçr, TtpwTTi èyéMzro f|Y£[AOv£0oTo; -rr,; I-jpîa; KupriVtou. (Luc, cap. il, 2.) La construction elliptique de cette pbrase prête à un double sens : celui de la Vulgate, que nous reproduisons, et un second, sur lequel nous aurons bien tôt l'occasion de revenir. —3. Luc, cap II, 1-3.
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tionne un
dénombrement universel,
porté par Auguste, à l'époque de la naissance de Jésus-Christ. Or,
aucun historien connu n'en a parlé. Donc l'Évangile a menti. Tel est le syllogisme de
Strauss, adopté
par MM. d'Eichthal, Salvador, etc. Leurs paroles méritent d'être
intégralement citées, parce qu'elles ont obtenu dans ces derniers temps,
une publicité plus retentissante: «Les textes par lesquels on cherche à
prouver, disent-ils, que quelques-unes des opérations de statistique et de
cadastre, ordonnées par Auguste, durent s'étendre au domaine des Hérodes, ou n'impliquent pas ce qu'on leur
fait dire, ou sont d'auteurs chrétiens, qui ont emprunté cette donnée à
l'Évangile de Luc 1.» Voilà l’objection; nul ne pourra trouver que la thèse soit obscure ou
les positions mal définies.
21. Voici la réponse. De tous les
historiens, celui qui fut le mieux renseigné sur le règne d'Auguste, est, à coup
sûr, Auguste lui-même. (Or, on a retrouvé, il y a quelques années, le sommaire
historique du
règne d'Auguste, rédigé de la main du prince, et gravé, par son ordre, sur le fameux
marbre d'Ancyre, aujourd'hui connu de toute l'Europe savante. L'empereur romain,
sans se préoccuper de ce que son témoignage aurait un jour de désagréable
pour les lettrés du XIXe siècle, inscrit sur ses fastes lapidaires, non pas «quelques
opérations partielles de statistique ou de cadastre,» mais trois
dénombrements généraux, exécutés dans l'Empire sous sa direction; le premier,
en l'an 726 de Rome (28 ans av. l’E. V. 2), confirmé par 1e nom d'Auguste et celui
d'Agrippa, son collègue; le troisième, l'an 767 de Rome (14 de l'E. V.), portant les noms
d'Auguste et de Tibère
3. Évidemment,
ni ce premier, ni ce dernier recensement, n'ont de rapport avec celui que mentionne
saint Luc; l'un est ultérieur de 28 ans à la naissance de Jésus-Christ; l'autre lui
est
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1. Vie de Jésus, pag. 20, note. — - Celle abréviation signifie : Ère vulgaire; nous employons ici ce terme, au lieu de celui d’Ère chrétienne, parce qu’il répond mieux à l'état vrai de la chronologie relative à la naissance de notre Seigneur. On sait, en effet, que, par une erreur consacrée, l'ère actuelle commence quatre ans après la véritable époque de cette naissance. — 3 Colonne V, lib. IX; col. m, lib. 1 du texte grec retrouvé par Hamilton Backh, tom. III, pag. 89.
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postérieur d'au moins 14 ans l'un portait les noms d'Auguste et d'Agrippa, l'autre ceux d'Auguste et de Tibère, tandis que l'édit impérial, rappelé par saint Luc, ne dut porter qu'un seul nom, celui de César-Auguste: Exiit edictnm a Cœsare Augusto 1. Mais il y eut un dénombrement intermédiaire; le marbre d'Ancyre le relate, en ces termes significatifs: «J'ai fermé, seul, le second lustre, avec le pouvoir consulaire, sous le consulat de C. Censorinus et de C. Asinius. Dans le cours de ce lustre, les citoyens romains ont été recensés, par tête; leur nombre s'est trouvé de quatre millions deux cent trente mille 2.» Nous sommes maintenant en présence d'un texte, qui n'est manifestement pas «d'un auteur chrétien,» et qui n'a pu «emprunter sa donnée à l'Évangile de Luc,» par la raison suprême qu'Auguste était mort quarante ans avant que saint Luc n'écrivît son Evangile. Le soupçon de connivence n'est donc pas possible. Or, le marbre d'Ancyre tient exactement le même langage que saint Luc. La correspondance est parfaite. Le second lustre, c'est-à-dire l'intervalle écoulé depuis le dernier dénombrement, fut fermé par Auguste, sous le consulat de C. Censorinus et de C. Asinius. Ainsi parle l'Inscription lapidaire. La date de ce consulat nous est connue; elle tombe l'an 746 de Rome, c'est-à-dire précisément une année avant la naissance de Jésus-Christ. Cette circonstance elle-même est décisive; car Jésus-Christ naissait en Judée, dans une province éloignée de Rome, où le dénombrement ne pouvait avoir lieu qu'après qu'il était déjà accompli en Italie, et dans les contrées plus immédiatement voisines de la métropole. Ce n'est pas tout. Par une exception singulière, des trois recensements universels, opérés par Auguste, le seul que ce prince ait voulu consacrer uniquement par son nom, sans y joindre celui d'aucun autre collègue, est précisément celui-ci; en sorte qu'en lisant, sur le marbre d'Ancyre, l'expression impériale: «Moi seul, investi du pouvoir consulaire, j'ai fermé ce
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1. Luc, cap. Il, 1.
2. [ALTEnu]M CONSULARI CUM IMPERIO LUSTRDM SOLUS FECI IC] CE\SORIN[0 BT CI ASINIO COS. QUO LUSTRO CENSA SUNT CIVIDM ROMANORUM [CAPITA] QUADBA- •6IENS CENTUM M.'LLIA ET DUCENTA TRIGINTA TRIA MILLIA (U* colonae, 5, C<M. Augiist., Index rerum a se gestarum, Ed. A. VV. Zumpt, 1845, pag. 30).
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lustre,» il est impossible de méconnaître la rigoureuse exactitude de saint Luc, qui dira plus tard: «En ces jours-là, un édit de César-Auguste ordonna de procéder au recensement de tout l'univers.» Nous voici bien loin «des quelques opérations de statistique et de cadastre» ordonnées par Auguste, et maladroitement appliquées «au domaine des Hérodes,» sur la foi d'écrivains mal compris, «ou d'auteurs chrétiens qui ont emprunté cette donnée à l'Évangile de Luc.» L'inscription d'Ancyre a la rigidité du marbre; elle ne se prête pas le moins du monde à la flexibilité de langage des rationalistes: «Tous les citoyens romains ont été recensés par tête,» dit l'empereur; cela signifie bien qu'ils ont sisté, tous, et chacun individuellement, devant le délégué impérial. Il ne s'agissait donc pas d'une simple «opération de statistique ou de cadastre.» Leur nombre s'est élevé, continue le monument lapidaire, «à quatre millions deux cent trente mille.» Or, on sait qu'il n'y eut jamais plus de trois cent mille Romains de race 1; donc le dénombrement pour atteindre le chiffre officiel inscrit par Auguste, avait dû embrasser l'universalité des provinces annexées, sujettes ou alliées de l'Empire, partout où avait été concédé à quelque famille le titre de citoyen romain. On se souvient que telle était, en particulier, la situation de la Judée. Le père d'Hérode, Antipater l'Iduméen, avait reçu, comme une faveur illustre 2, ce titre, que la folie de Caracalla n'avait point encore étendu à l'univers entier.
22. Il y eut donc, en Judée, sous le règne d'Auguste, à la date précise indiquée par saint Luc, un dénombrement, qui ne respecta pas «le domaine des Hérodes.» On le savait, avant la découverte du marbre d'Ancyre. Suétone n'avail-il pas écrit ces paroles: «Auguste procéda trois fois au recensement du peuple; la première et la troisième fois avec un collègue ; et la seconde fois seul 3?» Tacite y avait fait une allusion manifeste: «Auguste, dit-il, laissa en mourant, un ouvrage autographe,intitulé: Breviarium Imperii
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1 Coquille, Les Légistes, introd., pag. ix. — 2. Voir, dans ce volume, chap. Royauté Asmonéenne, § VII, u" 18. — 3. Censum populi ter egit, primum ac teriium tum cotlegâ, médium solus (Suet., Âugustus, cap. xxviij.
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(Sommaire de l'Empire), où était consignées toutes les ressources de l'État, combien de citoyens, de royaumes, d'alliés étaient partout sous les armes; combien de flottes, de royaumes, de provinces; les tributs et les redevances; les dépenses à faire et les gratifications à accorder: le tout écrit de la main du prince 1.» Après la mort d'Auguste, disait encore Suétone, «les Vestales, aux mains desquelles Auguste avait confié, de son vivant, ce dépôt précieux, apportèrent au Sénat, avec le testament impérial, trois paquets cachetés; l'un contenait des ordres relatifs à ses funérailles; l'autre un sommaire des actes de son règne, fait pour être gravé sur des tables d'airain, devant son mausolée » (le Marbre d'Ancyre, dont nous venons de parler, en est précisément, sinon l'original, du moins une copie authentique); «enfin, le troisième était le Breviarium Imperii. On y voyait combien de soldats étaient partout sous les armes; combien d'argent se trouvait au Trésor, ainsi que dans les diverses caisses du fisc; enfin quels étaient les arrérages des revenus publics 2.» Ces textes, auxquels on joignait celui de Dion Cassius, qui s'exprime de même 3, ne sont certes pas d'origine chrétienne; ils n'ont pas «emprunté leur donnée à l'Évangile de Luc.» « Ils impliquent véritablement «ce qu'on leur fait dire.» Comment, en effet, Auguste aurait-il pu réunir les éléments d'un travail qui comprenait l'universalité des citoyens et des alliés, les ressources et les charges, militaires, maritimes et financières de l'Empire, des provinces et des royaumes, s'il n'avait eu préalablement sous la main la statistique d’un dénombrement universel? Il
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1. Proferri libellum , recitarique jussit. Opes publicœ corMnebantur, quantum civium, sociorun,que in armis ; quoi classes, régna, provinciœ, trihuta, aut vec- tigalia, et nécessitâtes ac largitiones, quœ cuncta suâ manu perscripserat Augus- ius (Tacit., Annal., lib. I, cap. ii).
2. Testameniurn depositum opud se vù^gines vestales, cum tribus signatis ceque volutninibus protulerunt ; quœ omnia in senntu operta redtataque sunt... De tri- bus voluminibus , uno mandata de fumure suo complexus est; altéra imlicem rerum a se gestarum, quem vellet incidi in aneis tabuiis quœ ante mausoleum sialveren- fur; tertio Breviarium totius Imperii, quantum militum fuô signis ubique esset quantumpecuniœinœrarioetfiscis,etvestigaliumresiduis.(Suet., Augusl., cap.ci.)
3. là TpÎTOv TaT£ Twv ffTpaxiwTûv, %cd ôaa à),),a ToiouxoxpoTta é( Tr)v T^YEjiovefav fépovTa ^v, eïxe. (Dio Cassius, lib. LVI> cap. xxxiii.J
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ne faut pas être un grand administrateur pour saisir la relation nécessaire, rigoureuse, absolue, qui existe entre ces deux idées. Le Breviarium Imperii, rédigé par Auguste, et cité par Tacite, Suétone et Dion, était un résumé, à l'usage impérial, du recensement accompli par Auguste. Toutefois, le rationalisme moderne professe une sympathie spéciale pour le «domaine des Hérodes.» Il invoque une exception en faveur de «ce domaine, auquel, dit-il, ne durent point s'étendre les opérations de statistique et de cadastre» du premier empereur romain. Mais, hélas! en droit et en fait, une telle exception est un rêve. En droit; le «domaine des Hérodes,» c'est-à-dire la Judée, était, depuis cinquante ans, une province romaine. Voici en quels termes Agrippa le Jeune rappelait aux Juifs cette dure vérité. «N'oubliez pas, leur disait-il, que vous êtes les sujets héréditaires de l'Empire. L'hérédité de la servitude remonte, pour vous, à la conquête de Jérusalem par Pompée.» Agrippa le Jeune devait savoir le droit romain sous lequel il vivait. Hérode tenait son trône du bon plaisir de Rome. Un signe d'Auguste pouvait l'en faire descendre, comme un signe l'y avait fait monter. Le lecteur n'a pas oublié les circonstances de l'octroi impérial, en faveur d'Hérode, après la bataille d'Actium. Or, on ne donne que ce que l'on a. Rome avait donc la propriété réelle de la Judée, et, pour qu'Hérode ne l'oubliât plus, Auguste joignit, à son titre de roi vassal, celui de procureur romain en Orient. Hérode était un préfet couronné, rien de plus. En fait; l'inviolable «domaine des Hérodes» fut violé, l'au 37 de l'ère d'Actium, par la déposition d'Archélaûs, fils d'Hérode, exilé, sur un ordre d'Auguste, à Vienne, dans les
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1.'O ô'âTtaÇ xetpwfteiç, irtsixa àfio-Tàiievoç, aùÔâoYi; 5oO),o; èartv, ov çi),e).eû9epo;. TÔT6 yàp ouv iya-ffi Ttâvra ÙTièv roO [ir) ôéÇaaÔai P'I)[j.a{ou; •noteïv, ôxe tt^v à-çyr;^ èaté-
2.Voici, à ce sujet, une paroie de Tacite, dont la signification est décisive: Bérum ab Antonio Herodi datum Victor Augustus auxit, Post mortcm Herodis, nihil expectato Cœ^are, Simon quidam regium nomen invaserat. Is a Quintilio Varo obtinente Syriam punilu i ; et gentern coercitam liberi Herodis tripartito scere (Taeit., Histor., lib. V, cap. ix). IlojAjjn^ïo;, àXX' ot pièv T?i[i£T£poi, xat oi êaa-iXsï; aÙToî, xal y[j^r\\i.<x<n êatve r/j; XvX dcôfi/aai, xal i^j^ài; àjxeivov tifiùiv iroXXw 8iax£Î[ji.£voi, Ttpô; [xoïpav ôXtyYiv -riii; P(b- (loncdv ôuvà[i.e(i)ç oOx àvTÉo^ov. 'ffXEîç Sa, o\ rà (ièv ÛTraxoûeiv £x Sia5o;(r); TtapEiXi^ço- teç, X. T. X. (Joseph., De BeU.jud-, lib. 11, cap. xvi.) x<^P*'
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Gaules; il avait été violé, dix ans auparavant, par le dénombrement d'Auguste, à l'époque de la naissance de Jésus-Christ. Cette fois, c'est un Juif qui l’affirme, et qui n'a rien de commun avec saint Luc. L'avant-dernière année du règne d'Hérode, «tout le peuple judaïque,» dit Josèphe, fut obligé de prêter le serment individuel de fidélité à César. Six mille Pharisiens protestèrent, et furent les seuls qui refusèrent d'obéir. Hérode, irrité de leur résistance, les condamna à une amende, que l'intrigante Salomé paya pour eux 1.» Voilà comment César-Auguste respectait l'inviolabilité du «domaine des Hérodes!» Et pour qu'on ne se méprenne pas sur la valeur du mot «serment,» employé par Josèphe, ajoutons que le recensement, chez les Romains, était toujours précédé du serment de fidélité. C'est le terme même de la loi 2. Maintenant, expliquez cette étonnante concordance! L'année où, selon Josèphe, les Hébreux furent contraints de prêter le serment individuel à César-Auguste, est exactement la même dont saint Luc écrit: «En ces jours-là, un édit de César-Auguste ordonna de procéder au recensement de tout l'univers 3.»
23. La preuve est faite; on nous dispenserait peut-être d'insister davantage. Toutefois l'heure est venue de porter obstinément la lumière sur chacun des points que le sophisme a voulu obscurcir. On a entendu les témoignages romains, grec et juif d'Auguste, de Tacite, de Suétone, de Dion Cassius, de Josèphe; «ils impliquent très réellement ce qu'on leur fait dire; ils n'empruntent pas leur donnée à l'Évangile de Luc;» et cependant ils parlent comme lui. Mais supposons qu'ils n'existent pas; tenons-les pour non avenus. Il resterait encore une série de témoins, dont la parole entraînerait la conviction, et dont le rationalisme ne s'est point débarrassé, en les rangeant sous la catégorie suspecte «d'auteurs chré-
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1. IlavTàc •'(o'jy TOÙ lôuSaïxo'j êEoaiwffavTo; ôi' ôpxwv ri jtèv eùvorjdai Kai^api, otôe ot âv5pe; [<l'aptTaîoij ôyx ûfxoaav ôv-reç -jitÈp £|axi; ;^{).toi. Kac aOio-jç 6a<7i/£a); !;r,[iît<)- ffavTo; xp^ii^^tTtv, Y) *£p"jpoy -{vyr\ ttjv ijrifttav vjtèo ai.T(3v èifffépet. (Joseph., Antiq., ju(L lib. XVII, caj). ui.)
2. £orum nomina , prœnomina , patres aut putronos , tribus, cognomina, et qvot annos quisque habet, et rationem pecunice ab iis juratis accipito. (Ap. Zell., Deiect,, Inscr. HomnH., pag. 275, Heidelberg, 1850.) — ' Luc, cap. n, 1.
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tiens.» Chaque jour, les tribunaux acceptent la déposition des chrétiens.» Le rationalisme a-t-il ici le droit de se montrer plus sévère que les magistrats? Qu'on en juge par un seul exemple. Vers l'an 204 de notre ère, un légiste fameux, dont les décisions figurent, au Digeste, avec celles de Papinien, de Trebonius et d'Ulpien, se rendait de Carthage à Rome. Il était né, et avait longtemps vécu dans le paganisme. Le courage des martyrs, dont il voyait chaque jour la mort intrépide, le fit chrétien. Son nom de Tertullien, déjà illustre, en un temps où la science du droit était le grand chemin des honneurs, se trouva par sa conversion même, investi d'une notoriété plus grande encore. Le monde romain était curieux d'apprendre ce qui, dans la doctrine abhorrée du Christ, avait pu séduire un jurisconsulte éminent. Dans cette situation particulière, on peut être assuré que les questions de fait seront posées, par Tertullien, avec l'exactitude familière au barreau. Or, voici ce que Tertullien écrivait, à Rome même, l’an 204: «Les pièces originales du dénombrement d'Auguste sont conservées dans les archives de Rome. Leur déposition, relative à la naissance de Jésus-Christ, forme un témoignage authentique 1.» Ainsi parle un légiste romain, à toute une société en éveil, prête à saisir et à relever, dans son langage, la plus légère inadvertance. C'est ainsi qu'il s'exprime, cent cinquante ans seulement après la mort d’Auguste, quand le souvenir de ce règne glorieux était aussi vivant, à Rome, que peut l'être, en France, celui de Louis XIV; quand il s'agissait d'un fait, tel qu'un dénombrement universel, base de tout l'impôt, de tous les contrats de propriété, de toutes les prérogatives héréditaires attachées au titre de citoyen, de tous les états de naissance, de famille ou de condition dans l'Empire. Et l’on s'imagine que Tertullien évoque là une «donnée» complètement inconnue aux Romains, «empruntée à Luc !» Quand le jurisconsulte en appelle aux archives publiques de Rome, aux pièces originales du dénombrement d'Auguste, cela, pour nos lettrés, signifie que Rome n'a
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1. De censu denique Augusii, quem testem fidelissimiim Bominicœ nativitntis Bo- nana archiva custodiunt. (TertuU., lib. W, Contra Marcionem, cap. vil; Patrol.,
ai., tom. II, coi. 370.)
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d'autres archives, ni d'autres pièces originales que «l'Évangile de Luc ! » En vérité c'est par trop se jouer de la raison humaine, au nom du rationalisme. Le témoignage de Tertullien, fût-il seul, suffirait à renverser le fameux syllogisme de Strauss, même augmenté de la paraphrase de ses nouveaux disciples 1.
24. Mais le rationalisme nous a ménagé une nouvelle surprise. On vient de l'entendre affirmer «que les textes, par lesquels on cherche à prouver que quelques-unes des opérations de statistique et de cadastre, ordonnées par Auguste, durent s'étendre au domaine des Hérodes, ou n'impliquent pas ce qu'on leur fait dire, ou sont d'auteurs chrétiens, qui ont emprunté cette donnée à l'Évangile de Luc.» Voici maintenant que dans le même alinéa, sans transition aucune, il nous apprend que le recensement de la Judée fut opéré, l'an 37 de l'ère d'Actium, par Quirinius, gouverneur romain de Syrie. Serait-il possible que le rationalisme ignorât, qu'en l'an 37 de l'ère d'Actium, Auguste régnait encore? Il est avéré, cependant, que le premier empereur romain mourut, plus que septuagénaire, l'an 44 de l’ère d'Actium. Par conséquent, l'an 37, le recensement de la Judée par Quirinius s'opérait au nom d'Auguste. Mais écoutons les paroles mêmes du critique: une telle contradiction est par trop invraisemblable. «Le recensement opéré, dit-il, par Quirinius, auquel la légende rattache le voyage de Bethléem, est postérieur d'au moins dix ans à l'année où, selon Luc et Matthieu, Jésus serait né. Les deux Évangélistes, en effet, font naître Jésus sous le règne d'Hérode. (Matth., II. 4, 19, 22; Luc I. 5.) Or, le recensement de Quirinius n'eut lieu qu'après
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1. Il nous semble inutile de prolonger la discussion. Voici pourtant quelques-uns des textes qu'il nous restait à fournir : Augusti temporibus orbis fio- manus agris diversus, cens'tque descriptus est, ut possessio sua nulli haberetur in- certa, quam pro tributorem suscepe^ot quanlitate solvenda. (Cassiod or., ranarwwi, lib. IV, epi3t. 52; Patrol. lat., tom. LXIX, col. 608) Tune primum idem Cœsar, quem his tantis mystcriis prcedestinaverat Deus, censum agi singularum ubique j)rovinciarum,et censei-i homines jussit. (Paul. Oros., Histor., lib. VI; Patrol. lat., tom. XXXI, col. 1058.) 'O 61 xaîaap Aûvoycto; ô ixovao^T^aaç eîvcoffiv âvSpa; toùç àptaTouç TÔv êtov xai Tàv TpÔTrov £itt),etÇà[X£vo(T , ètù nàcav ttjv y^v tiov wTt£x6o)V i\iTK\i.^t, 6i' ûv à7tO"jpaçàç iTtoti^aaTO tûv te àvôpwTtwv xaî oùffiwv, <xiix6.Çiy.-t\ xivà npooTÔÇaç t(j» dT)(i««% |t«{f«y èK Toif^v ebçépeffeat. (Suet., Lexicon, y* 'ATioypaçiq.) tain-, duratio- naiisme
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la déposition d'Archélaûs, c'est-à-dire, dix ans après la mort d'Hérode, l'an 37 de l'ère d'Actium (Josèphe, Ant,XVn, xin, 5;» XVriI, I, 1 ; II, 1). L'inscription par laquelle on prétendait autrefois établir que Quirinius fit deux recensements, est reconnue pour fausse. (V. Orelli, Inscr. latin. n° 623, et le supplémeunt de Henzen, à ce numéro Borghesi, Fastes Consulaires [encore inédits],» à l'année 742.)» Impossible de s'y méprendre. Le critique dit positivement que, «l'an 37 de l'ère d'Actium, après la déposition d'Archélaus, eut lieu, non pas une opération de cadastre, mais un véritable recensement de la Judée par Quirinius.» Or, Archélaus fut déposé par Auguste; Archélaus était fils d'Hérode. «Son» domaine fut violé par Auguste, Quirinius fut envoyé en Judée par Auguste. Auguste survécut sept années à l'an 37 de l'ère d'Actium. Donc le rationalisme moderne, qu'on ne soupçonnera pas d'emprunter sa «donnée à l'Évangile de Luc,» et dont la parole «implique» très réellement une contradiction, enseigne, avec Tertullien et saint Luc, qu'il y eut un dénombrement de la Judée, sous Auguste! Qu'importe que les lecteurs vulgaires ne sachent pas quel empereur régnait, l'an 37 de l'ère d'Actium! Qu'importe qu'ils ne soupçonnent pas ce qu'Archélaus peut avoir de commun avec «les Hérodes!» Il leur est permis d'ignorer le nom du prince qui déposa Archélaûs; nul n'est obligé de savoir, comme Josèphe, que le procurateur romain, Quirinius, fut envoyé en Judée par Auguste, et, comme Tacite, qu'il avait le rang d'un consulaire, qu'il était ami de l'empereur, et précepteur de ses petits-fils. Ces détails, il est vrai, prouvent la contradiction du critique. Mais le silence dont le critique les enveloppe, atteste, en même temps, la scrupuleuse délicatesse avec laquelle il voulait épargner le spectacle de cette contradiction, au regard de ses lecteurs.
25. Il est donc maintenant impossible de mettre en doute la réalité d'un dénombrement de la Judée par Auguste. Les paroles de saint Luc demeurent dans toute leur intégrité. « En ces jours-là un édit de César-Auguste ordonna de précéder au dénombrement de l’univers.» Le rationnalisme vient de fournir à ce texte Évangélique l'appui fort inattendu de son propre témoignage. La critique s’exécute
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de bonne grâce; il consent à dire, avec l'Évangile, que le recensement de la Judée fut opéré par Quirinius, mais, dix années seulement après l'époque indiquée par saint Luc. Ainsi la discussion se trouve réduite à une différence chronologique de dix ans, entre la date fournie par l'Évangéliste et celle que donne Josèphe. C'est là un mince détail, après de si hautes prétentions. Cependant si Quirinius ne vint en Judée que dix ans après la mort d'Hérode, évidemment Quirinius ne présida point, sous Hérode, le dénombrement décrit par saint Luc. Or, l'époque précise de l'arrivée de Quirinius en Judée est parfaitement certaine. «Après la déposition d'Archelaus, dit Josèphe, le domaine de ce prince fut réuni à la province de Syrie. Quirinius, homme consulaire, fut envoyé, par César-Auguste, pour faire le recensement; de plus il avait l'ordre de vendre au profit du trésor les biens patrimoniaux d'Archélaûs 1.» La déposition d'Archélaus, fils d'Hérode, eut lieu environ dix ans après la mort de son père, soit l'an 37 de l'ère d'Actium. Donc l'Évangile de saint Luc s'est trompé de date, quand il a placé l'opération de Quirinius sous Hérode, et qu'il a dit: Hœc descriptio prima facta est a prœside Syriœ Cyrino 2. Cette fois, l'objection est décisive. A moins de supposer un précédent voyage de Quirinius en Judée, sous Hérode, il est impossible de concilier 1e texte de saint Luc avec celui de Josèphe. Or, «l'inscription par laquelle on prétendait autrefois établir que Quirinius fit deux recensements est reconnue pour fausse. (V. Orelli, Inscr. lat.,no 623, et le supplément de Henzen à ce numéro; Borghési, Faste consulaires [encore inédits], à l'année 742.» Donc, plus que jamais, saint Luc s'est trompé de date, quand il a dit :Hœc descriptio prima facta est a prœside Syriœ Cyrino. Malheusement pour le rationalisme, saint Luc n'a point écrit son Évangile en latin, et, plus malheureusement encore, le texte grec de l'Évangile de saint Luc, texte original, s’est conservé jusqu'à nous. Il est entre toutes les mains. Le traducteur, qui nous a donné sur les Logia de saint Matthieu de si curieux commentaires, a-t-il donc oublié de consulter
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1 Josepù., Antiq. judaic, lib. XVIII, cap. l. — 2. Luc, VulgaL, cap. II, 2.
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le texte grec de l'Évangile de saint Luc? Quoi qu'il en soit, voici comment, dès l'an 1070, Théophylacte, archevêque de Bulgarie, parlant lui-même le grec, écrivant en cette langue, et reproduisant la tradition antérieure des interprètes hellénistes, traduisait le verset de saint Luc: «Ce dénombrement précéda celui de Quirinius, gouverneur de Syrie1.» Dès lors, entre le texte original de saint Luc et le témoignage de Josèphe, il ne reste pas l'ombre d'une contradiction. Le triomphant syllogisme est par terre. Mais l'interprétation de Théophylacte est peut-être arbitraire, elle est peut-être inconnue et sans autorité dans le monde savant. Non. Plus on examine le verset grec, soit en lui-même, soit dans ses rapports avec ce qui l'entoure, dit M. Wallon, plus on est tenté de le prendre dans ce sens. L'explicatiou de Théophylacte paraissait naturelle à un auteur qui parlait encore le grec, et elle a chez lui d'autant plus de valeur que, selon toute apparence, il ne songeait pas que le gouvernement de Quirinius en Syrie, fut postérieur de dix à douze ans à l'édit impérial, rapporté par saint Luc 2.» Après ce témoignage de la science contemporaine, il nous reste à dire qu'en ces trois derniers siècles, toute l'Allemagne, depuis Kepler 3 jusqu'à Michaelis 4 et Huschke 5; toute l'Angleterre, depuis Herwaert 6 jusqu'à La Lardner 7; tous les savants Européens, depuis Casaubon 8 jusqu'aux Bollandistes 9, et aux auteurs de l’Art de vérifier les dates, ont vulgarisé l'interprétation
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1. 1Theophylactus, Bulgarorum Archiepiscopus, annoChristi1070clarus, incom' mentariis in quatuor Evangelistas his verbis interpretatur : TouTèffTi «poTépa VJY»- {lovÉuovTo;, ^Y°v^ TipoTEpov fi :^Y^|x6veue tîj; £up(ac Kupi^vio;. (Reinold., Cens. habiL nasc. Christo, pag. 451.)
2. M. Wallon, De la croyance due à l'Évangile, p. 311, 312.
3. Kepler, De anno natali Christi, pag. 116, 117. — * Michaëlis, lib. I, cap. Il, n» 12. — * Huschke, Ueber den zur Zeit der Geburi Jesu-Christi gehaltenen cen^ sus, lib. I, cap. I, pag. 80. — ' Herwaert, Nova vera chro)V)logia (1612), pag. 188 et suiv. — ' Lardner, Credibility of the Gospel, tom. II, cap. i, 3, n° 6. — « Casaubon, Exercit in Baron., lib. I, cap. xxxii, pag. 14^. — ^ j^^a Sancto- rum; J. Gottfr. Henscher, Prophyl. ad Act. Sanctor., Maii Apparat, ad chro- nolog. Pontifie." Art fie vérifier les dates. On y lit, & la date de l'an 7 de l'E. V. à propos du reco:iseiiieat fait en Judée, après l'exil d'Archélaûs: «C'est ce dé-
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de Théophylacte. «Le passage de saint Luc a été mis, par là, dans un si grand jour, disait, il y a cent ans, l'exégète Leclerc, que l'explication est désormais incontestable 1.» Le critique savait-il tout cela? En douter, serait méconnaître l'érudition dont il nous a donné tant de preuves. L'admettre, supposerait, de sa part, l’intention formelle de tromper ses lecteurs. On repoussera, comme nous, cette fâcheuse alternative. Pour cette fois, et par exception à ses procédés scientifiques habituels, il a cru devoir préférer le latin de la Vulgate au texte original de saint Luc. L'Evangile est hors de cause; nous nous trouvons seulement en face de la traduction de saint Jérôme, revêtue de l'autorité de l’Église et investie par les rationalistes, en cette circonstance particulière, d'un privilège d'authenticité qui prime le texte original lui-même.
26. A Dieu ne plaise qu'un écrivain catholique réclame jamais contre une marque si éclatante de confiance en la Vulgate! Nous lisons donc, très-volontiers, avec saint Jérôme: «Ce premier dénombrement fut accompli par Cyrinus, gouverneur de Syrie.» La thèse du rationalisme n'en sera pas plus solide. En effet, il est avéré qu'au temps d'Hérode tous les Juifs durent prêter serment de fidélité à César-Auguste, entre les mains du délégué impérial. Nous avons vu le témoignage de Josèphe, à ce sujet; et les rationalistes croient à Josèphe. Il n'est pas moins avéré que cette première opération ne put s'accomplir intégralement, et que six mille Pharisiens refusèrent de s'y prêter. C'est encore Josèphe qui l'affirme. Le latin de la Vulgate a donc raison de désigner cette opération inachevée sous le titre de Premier dénombrement. Mais qui dit premier, implique nécessairement un second. Or, le second dénombrement, le recensement définitif, a eu pour auteur Quirinius, gouverneur de Syrie. Ce fut Quirinius, l'homme consulaire, l'ami de César Auguste, qui donna à cette opération en deux actes, sa
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nombrement dont parle saint Luc (II, 2), et qu'il dit avoir été fait après celui qu'Auguste y avait ordonné, l'année de la naissance de Notre Sauveur. » — 1. Leclerc, Add. au l\. T., d'Hammond; Luc, ii, 2. Le texte du Mse Sinaïtique, récemment découvert, se prête merveilleusement à cette interprétation : A"J-riv àTiOYpaçTiV èylvETO upwirj ^iY£[AOve'jovTo; tt;; Sypta; Kupriviou. {Noih lestam. Sinuitic, Lipsiœ, 1863, in-4o, Membrana 30, col. 3, ligu. 32-37.)
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forme complète et absolue. Tout naturellement, le nom de Quiriniius prévalut, pour désigner l'ensemble des dossiers et l'œuvre tout entière. Voilà donc dénouée, fort naturellement, cette question insoluble. Les actes du dénombrement de la Judée étaient connus sous le nom de Quirinius. Le latin de la Vulgate le dit, parce que cela est. Il n'est pas nécessaire, on le voit, de supposer «deux recensements opérés par Quirinius,» et appuyés «sur une inscription reconnue fausse.» Orelli, qui publiait ses Inscriptions Latines vers 1830, s'étonnerait beaucoup, s'il vivait encore, d'apprendre «qu'on prétendait autrefois étayer tout un système d'exégèse sur une inscription restée à peu près inconnue avant lui. En vérité, un «autrefois,» qui date de 1830, est une belle chose! «Le supplément de Henzen et Borghési: Fastes consulaires [encore inédits]» relèvent merveilleusement la vénérable antiquité de 1830! Le monde savait, depuis plus longtemps, qu'en l'an 138 de notre ère, saint Justin, dans sa Requête officielle, présentée à l'empereur Antonin le Pieux, s'était exprimé ainsi: «Jésus-Christ est né à Bethléem, petite bourgade juive, située à trente-cinq stades de Jérusalem. Vous pouvez vous en assurer, en consultant les tables du recensement de Quirinius,
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1. Le critique ne donne point le texte de cette Inscription. Il s'adresse à une classe de lecteurs, trop versés dans toutes les connaissances spéciales d'archéologie, pour qu'une telle exactitude soit nécessaire. Voici l'Inscription publiée par Orelli (Supplém., tom. 111, pag. 58), d'après une pierre sépul- crale, trouvée à Venise, et perdue aujourd'hui : « Q. Mmilius, Q. F. Pal. Secundus castris Divi Aug. P. Sulpitio Quirino Leg. Caesnris Syriae honorihus de- nt coratus Praefect. Coho"t. Ang. 1. Praefect. Co/iort. II. classicae idem Jussu Qui- » fini censum fec. Apamenae civitatis millium homin. civium cxvii-. Idem jussu ï> QuiriniadversusIturaeosinLibanomontecastellmneorumcepit,etnntemili- » iiam praefecit Fabrum, delatus a duobus Cos. ad AErarium et in coloniA Quaes- » tor. AEdilis IL Duumvir II. Pontifex ibi posili sunt Q. F. Pal. Secutidus F. et » AEmilia Chia Lib. H. M. amplius. H. N. S.» Telle est cette fameuse Inscription, à laquelle on attribue l'honneur d'avoir conquis le monde à la foi de l'Évangile. Nous avons parcouru, sans la rencontrer, les plus anciens et les plus illustres commentateurs. Que signifie donc l'importance rétrospective qu'on prétend donner à cette pierre sépulcrale? Si elle existait encore, on pourrait la discuter; mais elle a disparu sans retour. C'est là sans doute son unique mérite, aux yeux des rationalistes. Quelle légèreté puérile, en face d'un sujet plus grand que le monde, et dont la retentissement éveille, dans l'éternité, des échos formidables! Ajoutons, comme renseignemeut biografique, qu'Orelli naquit en Suisse, l'an 1787, et mourut en 185,
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votre premier gouverneur en Judée 1.» Tel était le langage de saint Justin, dans une Apologie pour les Chrétiens, déposée aux pieds du maître du monde, et qui eut pour résultat de mettre fin à la troisième persécution générale. Comme toutes les requêtes officielles, l'Apologie de saint Justin avait dû passer, avant même d'arriver aux mains de césar, sous les yeux des officiers, des secrétaires et des conseillers impériaux. Croit-on que saint Justin aurait invoqué, devant de tels juges, les registres de Quirinius, si ces registres n'eussent pas été réellement connus sous ce nom, s'ils n'eussent pas relaté la naissance de Jésus-Christ à Bethléem? Les Romains ont tué dix millions de martyrs, en haine de Jésus-Christ. Il eût été beaucoup plus simple d'ouvrir les archives publiques de Rome, et de montrer aux Chrétiens qu'on les abusait; qu'il n'y avait pas de registres portant le nom de Quirinius; ou, du moins, qu'ils ne parlaient pas de la naissance de leur Dieu. Enfin, si l'allégation eût été fausse, sur un point de fait aussi facile à éclaircir, croit-on que la tolérance, invoquée pour la doctrine, eût été accordée par Antonin? Évidemment donc, au temps de saint Justin, les pièces originales, constatant la naissance de Jésus-Christ à Bethléem, étaient comprises dans les archives publiques de Rome, sous le titre général de Registres de Quirinius. Mais voici venir un légiste. C'est Tertullien, dont nous avons déjà cité un autre témoignage. Tertullien, ne se contentera pas de la désignation générique. A lui, l'homme du droit romain, il ne lui suffira pas d'un terme exact, mais vague; il donnera à sa citation la précision juridique, ainsi qu'il convient au magistrat, habitué, dans le dépouillement d'un dossier, à poser le doigt sur le titre cherché, et à l'indiquer par son nom propre. Tertullien avait à répondre aux disciples de Marcion, qui niaient, non point la divinité de Jésus-Christ; elle leur semblait
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1. BriOXeèiJL xcifiT) tiç èaxh êv xr, yjty^oL 'loyoaîwv, oLTzéyoxtaa. cxâStou; -rpiaxovrairfvw
èYEVVïjÔr) 'Iriaovi Xpiaxô;, wç y.cd (iaOeiv SûvacOe èx twv à'zoyçafiSn ;
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TÛV YEVOJJLÉVWV ÈTll Kup7)VÎ0y TOy Ù|X£T£Ç.OU , £V 'louôaîoç TTpWTOU Y£VO|JL£VOU
eTtlTpÔTtfilîî (Justin., Apolog. /» pro Christianis ad Antoninum Pium, cap. xxxiv
Pati-ol. graee,^ -J tom. VI, col. 883, 384.)
2. 'Iva ôè
(if, TivEç... eïutoct, Ttpà èxûv âxarôv •jrsvT^xcvTa ^^^g-^vria%ix\
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iài Kuprjvi'ou, X. x, >.. (Id.. tbid., cap. XLVl ; Patrol. grœc, tom. VI, col. 397.)
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incontestable, mais son humanité. Ils ne pouvaient se résoudre à associer la nature humaine à la radieuse divinité du Christ. Les rationalistes modernes retournent la thèse, sans plus de succès. Pour établir la réalité de la naissance humaine de Jésus-Christ, Tertullien disait aux Marcionites: «La constatation vous est facile. Vous avez les Actes, dressés alors en Judée, par Sentius Saturninus, sous le règne d'Auguste. Vous y trouverez inscrite la naissance de Jésus-Christ.» Ce n'est plus ici la désignation générale des Registres de Quirinius, mais le titre particulier des Actes, compris dans ces Registres, et dressés, lors du premier recensement, par Sentius Saturninus. Tertullien, comme saint Justin, avait lu l'Évangile de saint Luc. Les Marcionites connaissaient cet Évangile, aussi bien que nos rationalistes peuvent le connaître. Donc, pour Tertullien comme pour nous, le nom de Quirinius, sous l'administration duquel l'opération du recensement juif avait été complétée, s'étendait à l'ensemble du dossier de la Judée; et celui de Sentius Saturninus, que Josèphe nous apprend, en effet, avoir été gouverneur de Syrie, à l'époque de la naissance du Sauveur, était réellement inscrit au titre particulier, dans lequel fut enregistré le divin fils de Marie. Voilà ce que les commentateurs savaient, et disaient «autrefois.» Nous le répétons aujourd'hui, avec la consolation de voir le texte Évangélique plus affermi que jamais, après tant d'impuissantes attaques.
27. Que reste-t-il, en effet, de la théorie rationaliste, et du mépris avec lequel on infligeait au récit de saint Luc l'épithète de «légende ?» Les contradictions, qu'on prétendait y signaler, de quel côté se trouvent-elles 1? Quand on songe que, depuis deux mille ans
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1. Nous avons scrupuleusement relevé, sur quatre colonnes, sous le nom des quatre Évangélistes, le numéro de tous les versets cités en note, dans la Vie de Jésus. Ce dépouillement nous a fourni des révélations piquantes. Par exemple, page 18, l'auteur nous apprend que le premier Chapitre de saint Matthieu est une légende apocryphe, sans aucune valeur historique. Cela permet au rationalisme de supprimer tout le récit du voyage de Joseph et de Marie à Bethléem; la naissance de Jésus-Christ dans cette ville; l'adoration des Bergers et des Mages; la fuite eu Egypte. Nous l'avons bien compris; et nous nous tenons pour dit que le premier Chapitre de saint Matthieu est formellement rejeté par la critique moderne. Quelle n'est donc pas notre sur- prise, à la page 23, de rencontrer ce même premier Chapitre de saint Matthieu
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bientôt, l'Évangile a subi le contrôle hostile des savants, des philosophes, des incrédules de tous les âges et de tous les pays, sans qu'ils aient réussi à effacer un seul iota de ce livre; à moins d'abjurer toute raison, toute science et toute philosophie, il faut convenir que l'Évangile est divin. Chaque lettre de cette œuvre inspirée resplendit, à mesure que le regard se fixe sur elle. Heureux les siècles qui s'illuminent à ces rayons de la vérité éternelle, au lieu de se donner la tâche ingrate et stérile de les obscurcir! Sans doute, la lutte engagée contre la lumière aboutit, en définitive, au triomphe de la lumière. Tous les sophismes, dont la réfutation vient de passer sous nos yeux, rendent plus éclatante l'auguste simplicité de la parole de saint Luc: «En ces jours-là, un édit de César-Auguste ordonna de procéder au dénombrement de tout l'univers. Ce premier dénombrement fut accompli par le gouverneur de Syrie, Quirinius. Tous allaient se faire inscrire, chacun dans sa ville natale, Joseph quitta donc la Galilée, et la cité de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David, appelée Bethléem; car il était de la maison et de la famille de David. Il vint, pour se faire inscrire, avec Marie, son épouse, dont le terme était proche.» Le soupçon d'infidélité légendaire ne saurait plus atteindre ce récit; mais, au lieu d'avoir à le défendre contre des objections, devenues aujourd’hui populaires, ne valait-il pas mieux lire cette page avec le cœur, et s'écrier, comme Bossuet: «Que faites-vous princes du monde, en mettant tout l'univers en mouvement, afin qu'on vous
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cité, comme une autorité irréfragable, pour établir que Jésus «était l'aîné d'une fort nombreuse famille!» Page 18, le premier Chapitre de saint Matthieu est un apocryphe; page 23, le premier Chapitre de saint Matthieu est un document incontestable. Quand on a la prétention de renverser la foi chrétienne, il faudrait se donner la peine d'être un peu plus conséquent avec soi-même. La précaution de ne citer, au bas des pages, que le chiffre des versets évangéliques, sans en reproduire jamais le texte, peut donner le change au commun des lecteurs : mais les rationalistes doivent savoir que l'Évangile a été, est, et sera, jusqu'à la du monde, étudié, verset par verset, lettre par lettre. Un ouvrage, destiné à anéantir l'Évangile, doit pouvoir supporter un examen aussi rigoureux, au moins, que celui auquel l'Évangile lui-même a été soumis, depuis dix-huit siècles. Cette réflexion incidente peut suffire à nous faire comprendre comment la Vie de Jésus a manqué son but. Le travail est à recommmencer.
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dresse un rôle de tous les sujets de votre empire? Vous en voulez connaître la force, les tributs, les soldats futurs; et vous commencez pour ainsi dire à les enrôler. C'est cela, ou quelque chose de semblable, que vous pensez faire. Mais Dieu a d'autres desseins, que vous exécutez, sans y penser, par vos voies humaines. Son Fils doit naître dans Bethléem, humble patrie de David; il l'a fait ainsi prédire par son Prophète, il y a plus de sept cents ans, et voilà que tout l'univers se remue, pour accomplir cette prophétie. Jésus, fils de David, naquit dans la ville où David avait pris naissance. Son origine fut attestée par les registres publics; l'empire romain rendit témoignage à la royale descendance de Jésus-Christ, et César, qui n'y pensait pas, exécuta l'ordre de Dieu. Allons aussi nous faire écrire à Bethléem! Bethléem, c'est-à-dire: Maison du pain! allons y goûter le pain céleste, le pain des anges, devenu la nourriture de l'homme; regardons toutes les églises comme le vrai Bethléem et la vraie Maison du pain de vie. C'est ce pain, que Dieu donne aux pauvres, dans la Nativité de Jésus, s'ils aiment avec lui la pauvreté, s'ils connaissent les véritables richesses: Edent pauperes et saturabuntur. Les pauvres mangeront et seront rassasiés, s'ils imitent la pauvreté de leur Seigneur, et le viennent adorer dans la crèche 1.»